Pentos

"Pentos." annonça-t-il alors qu'ils découvraient la silhouette de la ville, comme pour enfin associer son nom à une image. Il avait bien retenu ce nom, mais surtout, il avait bien retenu que Pentos était une ville portuaire. Depuis qu'ils avaient longé les côtes de la mer Etroite, Elesios ne s'était sentit très tranquille. Le soleil était encore haut à leur arrivée et faisait briller la surface des vagues. Le spectacle qui pour beaucoup était un splendeur n’arracha à Elesios qu'un regard méfiant. Il n'avait exprimé sa peur de l'océan, mais Durran le connaissait assez bien pour sentir que son ami n'était pas dans son état habituel. Voilà plusieurs jours qu'ils chevauchaient et la vue d'une ville était pourtant sensé rassurer le voyageur.
Jetant un regard vers son bienfaiteur, Elesios vit que c'était dépourvu de nonchalance que ce dernier observait l'horizon brillant. Il y avait quelque chose, par delà l'enfer qui tangue, que le Prince espérait trouver. Il avait bien tenté d'expliquer ses desseins à son compagnon de route, mais Elesios n'en retenait jamais que quelques détails.
Sous ses cuisses, sa monture piétina, comme si elle aussi n'appréciait ps la vue de cette vile aux bâtisse carrées et aux tours pointues, dans laquelle la mer avait dangereusement mordu. A la vue des nombreux navires flottant dans la bouche de la ville, le gladiateur frémit et laissa échapper un souffle d'angoisse.
"Alors ? Quelque chose a dire sur cette partie du monde ?" demanda-t-il avec humour pour cacher son malaise.
Depuis qu'ils faisaient route ensemble, le jeune Baratheon semblait toujours tout connaitre des lieux qu'ils abordaient. Il n'avait pourtant pas assez vécu pour les avoir tous visités avant. L'éducation restait une idée très vague pour l'ancien esclave qui se contentait de s'émerveiller devant la source quasi-intarissable de savoir qu'était Ser Baratheon.

Alors qu'ils approchait lentement des hauts remparts de la ville, Elesios se permit de poser une question qu'il ne posait pas d'habitude. La proximité de l'océan, la mer, cet air inspiré sur le visage du jeune Baratheon, Elesios avait bien remarqué que cette ville n'était pas un simple lieu de passage pour l'homme qu'il accompagnait, et cela ne lui plaisait pas énormément.
"Que vient-on chercher par ici ? Donne moi juste un indice. Mais je te préviens mon ami, ne prononce pas le mot bateau."
Le ton relevait plus de la plaisanterie que de la menace, mais Elesios ne plaisantait qu'à moitié. Il n'y avait qu'une seule chose qui importunait l'effrayant guerrier qu'il était et bien qu'il ne se souvenait pas vraiment des raisons de sa peur, il sentait très bien le besoin de rester loin de l'océan. Le mot "bateau" seul le retourna assez pour qu'à sa selle, il saisisse sa gourde et avale deux longue gorgée de vinasse.
Il éperonna son cheval pour trotter devant Durran et cacher ainsi sa mine réellement soucieuse. Sourcils froncés regard sombre et fixe, il était bien plus terrifiant que lorsque la joie ingénue qui l’habitait si souvent illuminait son visage. Lui qui ne réfléchissait jamais assez, il se laissa glisser dans des idées sombres. Si son guide prenait la mer, allait-il le suivre ou finirait-il par faire son propre chemin ? Aucune des deux possibilités ne lui plaisait, mais il préféra ne rien dire. Ils pénétrèrent dans la cité.
Les gardes les surveillèrent le long de leur progression sous l'épaisse arcade de la ville, mais ils furent tout de même les bienvenus. Le simple fait de ne plus voir la mer, même si elle restait proche, détendit le cavalier qui se replaça aux côtés de Durran pour ne pas le perdre mais aussi le suivre peu importe là où il décidait d'aller.
Bien qu'il ne soit plus esclave et maître, Elesios s'était accommodé de ce rôle d'accompagnateur, de protecteur. Ne pas avoir de but personnel dans la vie n'était pas un fardeau pour le guerrier qui, au contraire, se sentait plus libre que jamais aux côtés du jeune Baratheon. Chaque nouvelle destination, chaque aventure était un cadeau que lui offrait son guide, un cadeau qu'il acceptait avec confiance et gratitude. Poser des questions n'était pas dans son habitude, il se contenait généralement d'apprécier le présent sans se soucier ni du passé ni du futur.
♩ Mon père apprend-nous la cavalcade ♫ nous galoperons loin d'ici ♪ Dans les longues plaines nous nous évade ♫ et reviendrons grandi ♩ chantonna-t-il doucement par dessus la rumeur bruyante des gens de Pentos qui s'afféraient autour de leur deux destriers. Il flatta l'encolure de son cheval baie pour le calmer et continua sa chansonnette. ♩ A terre je ne suis qu'un esclave ♫ ne nous laisse-tu monter ♪ Me faut-il donc être Dothrak ♫ pour avoir un poney ♩

Du long discours de son compagnon, Elesios ne retint que quelque mot et le fait que la prochaine fois, il se retiendrait de poser la question. N'y avait-il de lieux ou de chose sur laquelle Durran Baratheon n'avait rien à dire ? Il ne semblait pas. Des esclaves, des bateaux, cette ville n'avait définitivement rien pour plaire à l'ex-serf. Le jeune homme mentionna même que dans cette ville, le statut de Prince pouvait se révéler être dangereux. Ne faisant pas vraiment de différence entre Prince de Pentos et Prince des Sept Couronnes, Elesios prit ce détail comme un appel à la prudence.

N'ayant pour réponse à ses inquiétudes, qu'un simple sourire mystérieux, le combattant renifla, boudeur. Le jeune homme était très habile pour débiter des tirades sur de nouvelles villes, mais lorsqu'il s'agissait de l'importance de celle-ci dans ses plans, son aptitude à converser sembla s'évaporer. Mais Elesios n'était pas plus douer pour entretenir une conversation qui plus est dans la langue commune. Il avait questionné et n'avait pas eu de réponse. Il se contenta alors de monter.

Une fois marchant au pas au milieu du peuple agité de Pentos, le combattant se laissa aller à une petite chanson qu'il avait retenu de ses années à Meereen. La signification de plusieurs mots lui échappaient, mais il se contentait d'apprécier la sonorité et la mélodie amusante du chant. Sentant que son compagnon était plus détendu, c'est à ce moment que le prince se décida à répondre.

"Ah, tout ça pour une femme..." soupira-t-il avec un sourire taquin. L'ambiance affairée de la ville avait rapidement effacé sa mauvaise humeur, et le fait de ne pas entendre le mot "bateau" dans les paroles de son guide finit de briser ses inquiétudes. "J'aimerais te croire." répondit-il cependant.
"Prince, Westeros, sept royaumes, héritier, tant de mots qui ne quittent pas ta bouche. Même quand tu dors ami, ils sont là ! Ils te hantent si bien que le premier mot que je retins de ta langue fut Westeros.
Je connais bien ces mots mais voilà qu'un nouveau apparaît. Tu parle maintenant d'une femme, belle, une princesse qui plus est. N'aurais-tu sorti cette idée d'un rêve ?"
Le taquinant avec gentillesse, Elesios exprima ses doutes sans pourtant se refuser à croire que Durran se fourvoyait. De ses nombreuses paroles, rares étaient celles qui se révélaient fausses et Elesios n'était sûrement pas le mieux placé pour lui prouver ses tords. Il ne pensait pas que Durran se trompait, mais il ne croyait pas non plus qu'il trouverait une magnifique princesse de Westeros à Pentos.
Emplit de contradictions et d'incertitude, Elesios se surprit même à inspecter les rues autour de lui, comme si cette créature mythique allait apparaître pour supporter les dires de Durran Baratheon. Mais il ne vit rien ni personne s'approchant de la personne que décrivait le jeune cavalier. Pressé d'en savoir plus, Elesios poussa sa monture pour qu'elle bloque celle de son compagnon, l'empêchant de se dérober.
"Et où allons-nous trouver une telle femme, Ser ? Car dans votre fantaisie, je serais tenté de penser qu'elle possède bien sûr un magnifique château, lit, eau et nourriture à disposition pour que nous puissions nous reposer. Oh, et j'oubliais, peut-être a-t-elle ce trône sur lequel vous voulez tant vous asseoir." se moqua-t-il avec humour avant de reprendre sa place aux côtés du prince.
"Décris-la moi" demanda-t-il alors qu'il reprenait leur route. "Je serrais très curieux de savoir quel genre de femme peut tant intéresser mon cher ami. Je dois avouer que je suis soulagé. A te voir si calme et sage, je commençais à me demander s'il ne te manquait pas ce foyer de passion et de folie qu'on les hommes. Dis-moi alors. Blonde, rousse ? A la chair ronde et tendre ou frêle comme l'enfant ?"

Rapidement, il débouchèrent sur une large avenue où le soleil de fin d'après-midi vint les aveugler légèrement. Une brise maritime vint chasser la chaleur et la poussière alors que devant eux se dessinait à nouveau l'horizon sombre et chatoyant. A nouveau, Elesios laissa échapper un grognement de mécontentement. Son cheval s'arrêta, comme s'il avait ressentit l'anxiété de son cavalier. Sourcils froncés et regard soucieux, il observa avec méfiance la danse calme des vagues lointaines. Le vague souvenir d'un voyage vint effleurer son esprit, pourtant Elesios ne parvint à se remémorer autre voyage que celui qu'il avait entreprit avec Durran. Prenant une longue respiration, il talonna sa monture pour rejoindre son guide.

Le prince avait décidément le chic de ne savoir entretenir une conversation banale. Était-ils tous ainsi, dans leur grands châteaux d'or, à ne répondre que par des sourires mystérieux lorsqu'une question leur était posée ? Ou était-ce simplement Durran qui avait l'art et l'amour du suspens ? Elesios lui, peu patient et finalement peu intéressé accueilli chaque non réponse de son compagnon par un petit haussement de sourcil.
Les deux cavaliers continuèrent leur route, longeant la baie ensoleillée en silence. Du coin de l'oeil, Elesios continuait de guetter le calme clapotis des vagues comme s'il craignait que, tel un animal, l'océan vienne se jeter sur lui sans crier garde. Ce fut à cet instant seulement que son compagnon daigna lui répondre, sentant peut-être qu'un peu de conversation détendrait le combattant.

Sa première phrase cependant, annonça un long discours peu divertissant que Elesios accueillit en levant discrètement les yeux au ciel. "Aah l'histoire..." laissa-t-il discrètement échapper dans sa barbe, plaisantin. L'histoire était une des choses dont Durran raffolait, des contes de différentes contrées dans différent moment du temps, quelque chose qu'Elesios ne comprenait que vaguement. Pourquoi s'obséder qu'un tel ai battu un autre et qui plus est sur un autre morceau de terre lointain ? Un seul homme aimait encourager Elesios à "rentrer dans l'histoire" et celui-ci entendait en cela, qu'il fallait que son gladiateur fasse assez de spectacle pour que beaucoup s'en souviennent et en parle longuement dans le futur. L'esclave avait écouté et suivit les conseils de son maître à la lettre sans pourtant s'intéresser à l'"histoire" car ce qu'il retenait surtout de ses combats, était d'avoir survécu.

L'homme écouta son camarade d'un air un peu distrait. Il capta quelque chose à propos des Targaryens, puis de Robert Baratheon, le roi actuel de Westeros et des Sept Royaumes, le roi de notre cher Prince. Alors que Durran tentait de capter son attention en le fixant de ses yeux noisettes et brillants, Elesios se sentit obligé de feindre un peu d'intérêt pour ce discours qui poursuivait en longueur.
Dès que le flot de parole stoppa cependant, Elesios se baissa contre l'encolure de sa monture pour attraper du panier qu'une femme portait sur le dos, une pomme verte d'allure très fraîche. Il attrapa ensuite une pièce de la bourse attachée à sa ceinture et la lança à la cueilleuse qui le regarda d’abord d'un air étonné. Il croqua dans le fruit avec un air espiègle, laissant soin à la vieille dame de comprendre qu'on venait de lui "acheter" une pomme. Elle le fixa d'un air noir, mais laissa les deux cavaliers continuer leur chemin.

Une information sembla coller plus efficacement au cerveau distrait d'Elesios et l'amena à faire un peu plus attention aux paroles de Durran. Un homme riche du nom d'Illyrio Mopatis demeurait non loin et c'était là qu'ils trouveraient ces personnages d'histoires et donc la belle princesse. Elesios croqua à nouveau, pas peu fâché que son camarade se soit enfin décidé à répondre aux questions sans passer par l’interprétation des drapeaux de tissus ou des phénomènes célestes.

"Daenerys, donc." résuma-t-il grossièrement sans cacher que de toute cette masse d'information, ce simple nom lui aurait suffit, ainsi que son lieu de résidence. Ce prénom sembla faire réagir le jeune Prince qui répondit donc à une autre question que son acolyte lui avait posée précédemment. Une fois de plus, dans les éloges que le jeune homme fit de la princesse, Elesios vit un coeur affolé et aveuglé par l'excitation et l'inexpérience.

"J'ai déjà entendu parler des Dothrakis, pas qu'un peu d'ailleurs. Il parait qu'il n'aime que les chevaux. J'espère, Ser, que votre princesse n'est pas que belle en critère équestre." plaisanta-t-il doucement avant de terminer son fruit. Il sentait très bien que Durran tentait de lui expliquer la situation aussi bien que le gladiateur aurait voulu la connaitre, mais retenir tout ce que l'homme si instruit lui dictait était au dessus de ses capacités.

Tentant de regagner son sérieux et sa concentration, il jeta son trognon rongé dans un coin avant de ressaisir ses rênes. Qu'avait-il comprit de tout cela ? Durran recherchait la princesse Daenerys Targaryen qui se réfugiait chez ce riche marchant Illyrio. Un frère avait été mentionné mais apparemment celui ci n'était pas de grand intérêt. La jeune fille, belle comme une déesse allait bientôt se marier ce qui poussait Durran à se hâter de la rencontrer et lui offrir un destin alternatif. C'est tout ? Ah, oui.
Il s'arrêta soudain, fixant son ancien maitre de ses yeux sombres brillants. Etait-ce une lueur de reproche ou d'excitation ?
"Il parait aussi qu'ils sont de redoutables combattants. Aurais-tu insinué que nous allons nous dresser entre un fils d'ancien roi et un puissant Khal Dothrak ?"
Ainsi arrêté, obligeant son camarade à lui répondre, ne serait-ce au moins de son petit sourire mystérieux, avant qu'ils continuent leur route, Elesios sembla presque bouder une telle ambition. Il fixa silencieusement Durran u instant, avant de ne pouvoir retenir plus longtemps un sourire d'excitation. L'idée lui plaisait bien tout compte fait. Il talonna sa monture et alors qu'il passa à côté du Prince, il murmura avec humour.
"Daenerys hein... Mon bon ami, elle ferait bien d'en valoir la peine."