Heureusement l’attente ne fut pas longue. A l’initiative, la jolie blonde lui proposait de sortir dans les jardins de la propriété. Les secondes filèrent à vitesse lumière. Bien sûr qu’il acceptait, d’un simple regard. Prenant le temps de se lever et de ranger la chaise, une sensation étrange s’empara de lui, une sorte de bouffée de chaleur mêlée à de l’anxiété. L’acte final d’une parenthèse qui aurait bien pu lui coûter la vie. Mais il n’était guère un homme à se parer de regret. Il informa succinctement Ayael qu’il se devait de récupérer ses effets personnels dans la chambre d’hôte. Avant de quitter la pièce, il salua les parents de sa protégée. Il les remercia, par son inclinaison, d’avoir respecté son vœu de ne pas se dévoiler et par-dessus tout, d’avoir accepté sa présence ici alors qu’il représentait de manière directe un danger pour leur famille. Jorah ne leur avait pas adressé la parole, pas le moindre mot. Mais il fut satisfait de voir que cela n’avait pas eu d’effets néfastes sur l’image qu’il souhaitait qu’on garde de lui. Enfin, seule l’opinion d’Ayael lui importait vraiment.

D’un pas frénétiquement rapide, qu’il aurait voulu plus lent pour apprécier ces derniers instants de paix, il entra dans la chambre et profita d’un courant d’air pour décompresser un peu. Il quitta les habits de prêt et se glissa dans sa tenue. Elle lui avait paru tellement plus tâchée de sang et de poussière hier. Malgré le tissu troué par la flèche, il pourrait faire bonne figure dans le jardin. Cette seconde peau le mettait tellement plus à l’aise. Il ceignit son épée autour de sa taille, sa dague dans son dos, recouvert par la cape. Une idée venait de germer dans son esprit, plutôt évidente maintenant. Le temps lui manquerait maintenant, la seule occasion qu’il ait eut de pouvoir enquêter, autour du domaine afin de s’assurer qu’il ne soit pas sous surveillance, s’était envolée à cause de la jeune suivante. Mieux valait ne plus rôder dans les environs à l’avenir, alors il enverrait un homme plutôt spécialiste de ce genre de travail. Ayael n’en saurait rien, ne verrait rien. C’était l’affaire d’une journée, d’une nuit de surveillance. De plus, sa garde, bien que peu performante hier soir, était fournie en nombre, à défaut de grande qualité.

Jorah croisait son regard brièvement dans un miroir. Le sentiment de devoir revenir à la réalité et au sérieux lui tirait les traits. Le rendant incapable de sourire, ou même de parler. Il ne savait pas ce qui le rendait si nerveux. Au-delà de faire ses probables adieux à la belle, le chevalier avait peur pour elle. Cette dernière avait montré une étendue de faiblesse maladive qui pouvait lui desservir, si jamais elle se trouvait de nouveau en danger. Et il n’avait pas le droit. On ne lui accordait pas le droit d’avoir de sentiments autre que ceux émanant de sa fonction. Il évoluait dans un cadre strict et il le savait. L’ancien seigneur secoua la tête pour chasser ces entraves. Ayael le comprenait et c’était là le principal. Il avait d’ailleurs assez perdu de temps avec ses pensées, il était l’heure de descendre pour le dernier acte.

Lui qui avait affronté de redoutables ennemis, sur le champ de bataille. Lui qui n’avait jamais reculé devant un duel, devant une mort probable. Lui qui avait enfreint des règles en sachant les risques encourus. Lui qui avait cette expérience de la vie sous toutes ses formes, se retrouvait aujourd’hui déboussolé par une éphémère rencontre. Aussi brève fut-elle, elle n’en était pas moins enrichissante et reposante. Il rejoignait rapidement Ayael dans les jardins pour une balade, dont il n’avait pas l’habitude. Dans le prolongement du luxe du toit, les allées étaient somptueuses. « Vous savez, il est de bon ton de donner le bras à la demoiselle que l'on accompagne ». Après quelques mètres silencieux, il remarqua qu’elle venait juste de s’arrêter, le laissant un peu devant. Elle n’avait pas pu s’empêcher de lui faire observer son impolitesse. A juste titre.

- Je vous prie de bien vouloir accepter l’impolitesse dont je fais preuve, ma demoiselle.

Sa parole fut accompagnée du geste, il tendait le bras, invitant sa guide à venir à sa hauteur pour profiter de ce confort de princesse. C’était cette fraîcheur de tout instant qu’il avait peine de devoir quitter. Sans trop de surprise, Jorah sentait la main crispée de la jeune blonde. Ils n’avaient pas besoin de se l’avouer expressément. Il savait pour elle, comme elle savait pour lui. A ce niveau, ils étaient tout deux les même. Leur promenade, agrémentée d’un soleil pas encore chaud, était plutôt marquée par le silence. Comme s’ils n’avaient pas les mots. « Je vous ais piégé, désormais vous ne pouvez plus vous échapper ! ». A la hauteur de la grille d’entrée, une porte massive et bien gardée, Jorah fut content d’avoir un avant bras solide, sans ça elle lui aurait brisé le poignet par une étreinte qu’il comprenait malheureusement que trop bien.

Elle jouait moins bien. Le ton de sa voix trahissait une émotion qu’il se forçait à mettre de côté. Le positif était à retenir. Il était probable qu’ils ne se revoient jamais. Elle avait une longue vie et l’avenir était prometteur. Lui ne saurait dire ce qui l’attendait demain, l’ombre de la mort planait sans relâche. Toujours bloqué, son sourire lui venait en aide aux moments demandés, pour apporter une réponse aux dires de sa protégée. Quand elle confia que sa compagnie avait été à la hauteur et du souhait que tout aille bien pour lui, il ne pouvait pas se défiler par le non verbal.

- Merci de vos soins, Ayael, dit-il calmement, en cherchant ses mots, ça a été un réel plaisir de faire votre rencontre.

Ses mains avaient rejoint celles de la jeune demoiselle pendant ce temps. Son regard soutenait celui de la belle. Il ne voulait pas qu’elle soit triste. Jorah préférait qu’elle garde de tout ça une image du chevalier mystérieux qui lui a donné un peu d’aide, au passage. Et à priori, elle n’allait pas s’endormir subitement pour lui permettre de partir comme un voleur. Et puis il avait un souvenir d’elle maintenant. Dans sa poche intérieure, côté cœur, il posa d’ailleurs sa main dessus avant d’ajouter.

- Quelque part, je vous aurai toujours avec moi, confia-t-il avec un sourire. Au fait, vous pourrez avoir tout les gardes du monde pour vous protéger, il embrayait sur un autre sujet, il n’y a pas de meilleure protection que celle que vous vous donnez.

Alors oui, aux premiers abords, cela sonnait un peu trop philosophiquement pour n’importe qui. Mais rien n’était dit par Jorah sans que cela n’ait un sens concret. De l’intérieur de sa cape, il sortait un présent pour elle. Ce n’était pas franchement féminin mais il n’avait pas prévu de faire de cadeau. Des deux mains, il lui présenta une dague dans son fourreau d’or, au pommeau de cuir. Une petite lame originaire d’Essos, à l’allure orientale. Légère et pratique, elle ne lui avait pas été encore utile jusque là, privilégiant ses propres armes. Alors il était fier quelque part, de lui offrir ce moyen de protection dissimulable.

- Bien que j’espère que vous n’ayez pas à vous en servir, je serais plus serein si vous acceptez ce présent, Ayael.

Il n’avait que peu de moyen, ce poignard avait certainement une belle valeur cependant. En tout cas, il avait le pouvoir d’ôter la vie et c’était bien là l’essentiel, c’était la mission première d’une lame.

Voilà, tout était dit. Ne voulant pas d’adieux longs et douloureux, Jorah prit l’initiative de la parole et s’agenouilla pour déposer un baiser sur la main de la jeune femme.

- Vous avez toute la vie devant vous. Vous êtes belle et intelligente. Portez vous bien, Ayael.

Jorah mettait sa capuche pour couvrir son visage de nouveau. Il redevenait le fantôme. Il allait s’évaporer dans la nature, pour de bon. Pas de flèche pour l’arrêter. Pas de brigands pour prolonger la protection. On ne voyait plus son regard mais ses lèvres oui. Jorah adressait un dernier sourire à sa blonde en détresse.

Il se retourna et passa la grille. D’un pas assuré, il s’éloigna jusqu’à prendre une ruelle pour s’engouffrer dans l’ombre.