La mission avait été particulièrement facile jusqu’ici. A vrai dire, c’était même plus que de la routine à ce niveau-ci. Un marchand, plutôt riche d’ailleurs, l’avait grassement payé pour qu’elle élimine cet homme. Illyria n’avait pas la moindre idée de ce qu’avait commis ce type pour s’attirer ainsi les foudres d’un homme si riche ; tant que ce n’était pas un gamin, elle ne posait pas de question, c’est comme ça qu’elle fonctionnait toujours.

Elle avait donc suivit le bonhomme, assez prudent mine de rien, il devait avoir des ennuis récurrents ; il regardait souvent derrière lui, et assez discrètement en plus. Heureusement qu’elle était aussi une professionnelle ; dans la foule elle pouvait devenir invisible comme la dernière des mères de familles. Aujourd’hui, elle ne portait pas sa tenue habituelle d’assassin, qui n’était guère discrète pour suivre quelqu’un, mais une simple robe couleur de sable, qui dissimulait tout de même trois ou quatre poignards un peu partout. Cela faisait trois heures qu’elle le suivait quand elle eut l’occasion idéale : une fontaine isolée, sans personne aux alentours, simplement sa cible qui l’attendait. Cela aurait presque put être un piège tant cela paraissait simple. Elle vérifia donc attentivement chaque recoin avant de se diriger à pas de loup derrière lui.

Ignorant quelle était la force de l’homme et s’il était armé, il lui était impossible de s’approcher face à lui comme elle préférait le faire. Elle jaillit donc derrière lui, tirant sa tête d’une main pour l’égorger proprement de l’autre, il n’eut même pas le temps de crier. Le sang coula dans ses vêtements sans même tâcher l’extérieur. Lorsqu’elle repoussa sa tête, on aurait pu le croire endormit. Il n’y avait pas de consigne spécifique de discrétion, elle pouvait donc le laisser là sans problème.

C’est alors qu’elle perçut les bruits de pas, discrets, mais se rapprochant tout de même. Elle aurait pu s’en aller immédiatement, mais elle aimait que les choses soit bien faites, et elle était aussi particulièrement curieuse, elle se dissimula donc derrière une sculpture de la place, attendant patiemment.

Un autre homme ne tarda pas à surgir, et elle jurait l’avoir déjà vu quelque part, ou en tout cas admirer un croquis de lui. Elle le suivit des yeux tandis qu’il s’approchait de sa victime de tout à l’heure, manifestement il la connaissait.

-Réveillez-vous.

Malheureusement, son interlocuteur ne se réveillerait jamais, et il ne tarda pas à le découvrir, réagissant instantanément en tirant une épée. Le réflexe éveilla l’attention d’Illyria : peu étaient ceux qui pouvaient manier une telle arme à Pentos, certes il y avait un certain nombre de chevalier exilé mais ça rayait déjà un certain nombre possible de nom pour cet homme. La jeune assassine était persuadée de savoir qui c’était.

-Qui que vous soyez, montrez-vous. Je sais que vous êtes ici.

Joli bluff, mais elle l’avait vu arriver. Elle savait qu’il n’avait pas la moindre idée de sa présence ici ou non. Comment aurait-il put d’ailleurs ? Elle envisagea de partir tout de suite, ou d’attendre qu’il parte tout simplement : elle n’avait pas d’ordre sur lui. Mais soudainement son nom lui revient. Jorah Mormont, chevalier de Westeros exilé à Pentos. On disait qu’il faisait partie des protégés d’Illyrio et qu’il risquait de se trouver prochainement au service des deux derniers Targaryens, et donc de la future Khaleesi. L’occasion semblait trop belle.

Elle jaillit de sa cachette, se montrant tout entière à Mormont, tout en restant à distance raisonnable de son épée. Son arme, dégoulinante de sang, était encore dans sa main, elle lui signifiait ainsi qu’elle ne craignait pas qu’il l’attaque, mais que s’il le faisait, elle saurait se défendre. Illyria ne souriait pas, c’eut été inconvenant en pareille occasion mais elle tâcha tout de même de rendre sa voix aimable.

« Ser Jorah Mormont ? »

Employer le titre « Ser » n’était pas vraiment une obligation à Pentos, mais on pouvait bien se montrer poli, elle accompagna d’ailleurs sa question d’une légère révérence, surveillant tout de même l’arme de son interlocuteur.

« Vous connaissiez cet homme ? »

La question paraissait innocente, elle ne visait qu’à voir comment il réagirait en la voyant, si elle pouvait parler avec lui, ce serait merveilleux.

« Je ne dois pas vous tuer, rassurez-vous, crut-elle bon de préciser tout de même. »

-Qui êtes-vous, et comment connaissez-vous mon nom? Et bien que vous connaissiez déjà la réponse à vos deux questions, je vais tout de même y répondre. Oui, je suis bien Jorah Mormont, et oui, je connaissais cet homme.

Bon, la bonne nouvelle, c’est qu’il était bien Jorah Mormont, elle aurait eu l’air bien idiote si elle s’était trompée de personne. La mauvaise nouvelle, c’est qu’il connaissait l’homme qu’elle venait de tuer, même si elle s’en doutait déjà, elle aurait préféré que ce ne fut pas le cas. Il ne restait qu’à espérer que sa victime ne soit pas quelqu’un de trop proche de Ser Mormont ; il était toujours difficile de discuter avec quelqu’un quand on venait d’assassiner l’un de ses amis.

Elle voulut lui répondre quand il reprit.

-Mainteant, répondez à ma question, ou je n'hésiterais pas à vous tuer.

Elle eut un maigre sourire, tâchant de calmer le jeu, levant les mains sans pour autant lâcher son arme : Illyria voulait montrer qu’elle n’avait aucune intention belliqueuse vis-à-vis du chevalier.

« Calmez-vous, Ser Mormont. Si j’avais voulu vous tuer, croyez bien que je l’aurais déjà fait, je n’aurais pas attendu que vous sortiez votre épée. »

La jeune femme tourna son regard vers sa victime, poussant un léger soupir en prenant un air presque triste. Elle essuyait son poignard sur un mouchoir pour en retirer le sang.

« Je suis désolée que vous le connaissiez, si j’avais su … »

Mais elle changea rapidement de sujet, reprenant son arme bien en main, pour s’assurer de sa sécurité, sans pour autant avancer ou reculer. Elle ne voulait pas se montrer agressive, mais pas non plus trop défiante.

« J’ai … pris mes renseignements sur Monpathis Illyrio, et sur les deux héritiers Targaryens qu’il héberge, j’ai entendu dire que vous alliez … travailler pour eux. »

Elle préféra ne pas donner plus de précisions sur l’intérêt qu’elle-même portait à ses dragons, il valait mieux attendre de voir ce qu’il allait répondre. Peut-être avait-elle fait erreur en le croyant du côté de la Princesse. D’ailleurs, qui était cet homme suspect qu’il venait voir au milieu d’une place vide ?

-Alors vous en avez après les héritiers...intéressant. Et vous êtes très bien informée pour une tueuse. Trop bien même. Mais qu'est-ce que vous leur voulez? Ça, c'est une excellente question. Et de votre réponse pourrait dépendre votre avenir proche. Votre avenir éloigné aussi pour tout vous dire.

Ah oui, il risquait de la prendre pour une tueuse qui en avait après les Targaryens, cela n’avait rien d’étonnant. Les héritiers de cette grande famille devait valoir un sacré paquet d’or sur le marché, quoique sans doute pas assez pour que des professionnels se jettent à leur poursuite, sinon elle en aurait forcément entendu parler avant. Elle essayait de se tenir au courant de tout ce qui se faisait, des nouvelles cibles et des têtes qui avaient le plus d’argent sur elle. Et même en se renseignant sur les Targaryens, elle n’avait rien trouvé. Sans doute que leur statut de déchu les protégeait assez, ils n’avaient quasiment plus rien. Mais cela allait bientôt changer ; si les rumeurs sur le mariage de la princesse avec le grand Khal Drogo s’avéraient vraies, alors la dangerosité des dragons augmenterait d’un seul coup, et avec elle les dangers qui les menaceraient.

Alors qu’elle réfléchissait à tout cela, sans se presser particulièrement car elle surveillait toujours Mormont du coin de l’œil, il reprit la parole.

-Cet homme n'était pas mon ami, si c'est ce que vous vouliez savoir. Juste une connaissance. Sans oublier que vous n'avez toujours pas répondu à ma première question. Là d’où je viens, la politesse veut que les gens se présentent à leur interlocuteur. Alors qui êtes-vous?

Elle eut un sourire ; il n’était pas son ami, bonne nouvelle ! Peut-être qu’il ne lui en voudrait pas trop dans ce cas, même si cela semblait plutôt mal parti. Et il n’avait pas tort, même si dans son milieu à elle, on se présentait rarement. Mais après tout, son nom n’avait pas beaucoup d’importance ; elle n’était qu’une enfant de la rue, sans véritable existence officielle, elle pouvait bien lui donner n’importe quel nom, elle en changeait sans cesse.

« Pardonnez-moi, Ser. Mais là d’où je viens, on donne rarement son nom, on se contente de dire au revoir et adieu, commença-t-elle avec un sourire amusé. Mais vous avez raison, excusez-moi. Je me nomme Illyria. Juste Illyria. »

Elle termina sa présentation sur une petite révérence, puis se redressa pour planter ses yeux gris dans le regard du chevalier. Elle allait devoir être convaincante ; il n’avait après tout aucune raison de lui faire confiance, alors il ne risquait pas de la croire si elle lui donnait ses intentions. S’il était persuadé qu’elle voulait assassiner les deux héritiers, il n’aurait sans doute aucune hésitation à la tuer sur le champ. Et même si elle connaissait très bien la ville, et avait les jambes lestes, elle préférait ne pas prendre le moindre risque. Elle inspira alors un grand coup avant de se lancer, tentant de se donner l’air le plus convaincant possible.

« Je veux me mettre au service des dragons, Ser ! Je veux les aider du mieux de mes capacités, même si je ne suis qu’une simple tueuse. Je voudrais me mettre au service de la princesse … et du prince. »

Elle avait failli oublier de mentionner le prince Targaryen, mais c’est vrai qu’elle pensait toujours plus à la princesse, sans réellement savoir pourquoi. Sans doute pensait-elle qu’elle aurait plus besoin d’une tueuse que son frère. Et puis, on la disait belle, très belle, Illyria voudrait bien la rencontrer, ne serait-ce que pour vérifier.

« Je peux être utile, Ser. Je sais comment réfléchissent les tueurs, j’en suis une. »

A la grande surprise d’Illyria, son interlocuteur baissa son épée dès qu’elle eut parlé de son intention de se mettre aux services de la princesse. Un débutant aurait pris cela comme une marque de confiance, mais elle n’en était plus là depuis longtemps, il lui semblait ne jamais avoir été comme ça. Elle y vit quelque chose de tout à fait différent : Jorah Mormont était suffisamment intelligent pour savoir qu’une tueuse n’assassinerait pas quelqu’un sans être récompensé pour ça, et il se savait sans doute capable de réagir assez vite pour dégainer de nouveau si elle tentait quoi que ce soit. Ce n’était pas faux ; de sa cachette, elle avait vu à quel point il pouvait réagir vite. Elle n’avait jamais croisé le fer, ou plutôt les dagues dans son cas, avec un chevalier de Westeros, et n’y tenait pas, même s’il n’avait pas son armure sur lui.

-Toute aide sera bonne à prendre. Et, je pense qu'un peu de compagnie féminine ne ferait pas de mal à la princesse, ou au prince. D'ailleurs, un surcroit de protection ne pourrait que leur être bénéfique. Vous avez l'air d'être adroite avec une arme, et les gens risquent de moins se méfier d'une femme que d'un homme. Surtout d'un homme de ma stature.

Là encore, c’était tout à fait exact. Les gens ne se méfiaient jamais assez d’elle, peut-être parce que c’était une femme, peut-être aussi parce qu’elle était jeune. En revanche, elle n’était pas sûre que sa compagnie plairait à la princesse, elle n’était après tout qu’une vulgaire tueuse, si douée qu’elle soit.

« Je suis plus qu’adroite, Ser. Je peux affronter un homme sans problème, les gens n’imaginent pas la dangerosité des dagues. Bien sûr, pas dans cet accoutrement. »

En robe, elle n’avait pas une aussi grande liberté de mouvement que dans sa tenue d’assassine, mais c’était beaucoup plus pratique pour marcher en ville, personne ne se retournait sur votre passage – ou en tout cas pas parce que vous êtes suspect.

-Mais dites-moi, vous m'intriguez beaucoup. Comment êtes-vous devenue une tueuse?

La question la prit par surprise, autant qu’elle la crispa. Elle n’aimait pas parler de son passé, c’était révolu, et les gens ne s’y intéressaient que rarement. Mais après tout, Mormont devait sans doute enquêter sur elle-même, tâché de déterminer si elle avait des accointances avec des ennemis des Targaryens, mais cela ne l’obligeait pas à répondre. Ne montrant pas sa surprise, elle ne put cependant pas empêcher sa mâchoire de se serrer quand elle répondit en une seule phrase, concise et claire.

« La rue n’offre pas beaucoup de choix quand personne ne vous éduque, et je ne voulais pas être une putain. »

L’image du bordel s’imposa un moment dans son esprit, elle savait qu’il était quelque part, là, en ville. Elle n’y était jamais retournée. Personne ne savait ce qui s’était passé exactement ce jour-là, même pas elle, mais elle ne voulait pas y retourner, jamais.

-Je vous prie d'accepter mes excuses. Je n'aurais pas dû aborder ce sujet avec vous. Les passé de chacun ne regardent que lui après tout. Moi-même je n'aime pas trop parler du mien.

Plutôt bon œil le chevalier, même s’il n’était pas difficile de voir qu’Illyria n’aimait pas parler de son passé, mais il avait au moins pris soin de ne plus l’évoquer. Sans doute le peu qu’elle lui avait dit avait suffi pour qu’il comprenne à quel type de personne il avait à faire : enfant des rues, simple exécutante, elle ne cherchait pas à être autres choses.

Apparemment, son bref discours avait été convaincant puisque Mormont semblait-être pleinement détendu. Oh bien sûr, il ne devait pas réellement lui faire confiance, mais sa détente affichée et sa façon de se comporter ; épée à la ceinture, regardant la rue plutôt qu’elle, indiquait suffisamment qu’il n’avait plus trop peur d’elle. Il se permit même un petit discours pour lui expliquer le choix, au demeurant simple, qu’elle avait à faire, la fixant dans les yeux.

-Si vous voulez réellement vous mettre au service des Targaryen, je peux vous aider à les rencontrer. Vous n'avez qu'une seule chose à faire, et c'est venir avec moi. Et sinon...chacun reprendra se route de son côté, comme si cette histoire n'avait jamais existé.

Elle soutient son regard sans ciller, ne répondant pas immédiatement, mais prenant au contraire le temps de réfléchir. Se mettre aux services des Targatyens ne serait sans doute pas aussi gratifiant que son boulot habituel niveau argent, même si Illyrio était riche, il ne pourrait se permettre de la fournir en or. Heureusement, elle avait constitué d’importantes réserves avec le temps et pourrait survivre ainsi pendant encore de nombreuses années. Il suffirait ensuite de faire quelque contrat occasionnel pour se remettre en jambe. Ne restait à espérer que cela se passerait bien, après tout, elle n’avait aucune idée de la façon dont se conduirait les héritiers vis-à-vis d’elle. Ni même les autres, même si son expérience avec ce Mormont était plutôt positive, pour le moment.

-Alors, que décidez vous?

La jeune femme finit par afficher un sourire, faisant tournoyer son arme dans sa main avant d’en diriger la lame vers le sol. Elle souleva un peu sa robe, sans la moindre gêne, dévoilant un étui de cuir attaché discrètement en haut de sa cuisse gauche, et y accrocha doucement le poignard. Illyria releva ensuite la tête pour afficher un large sourire, apparemment enthousiaste.

« Je vous suis, chevalier. »

Elle vient doucement se positionner à ses côtés. Par prudence, elle se plaça du côté de l’épée, elle pourrait ainsi l’empêcher de dégainer si cela était nécessaire. Ce n’est pas parce qu’il avait l’air si serviable qu’il ne pouvait pas cacher quelque chose, elle avait appris à se méfier des gens à présent, particulièrement des hommes, et elle ne se laisserait pas avoir comme ça.