La Route Royale en direction de Winterfell
An 299 – Lune 8 – Semaine 3 – Jour 4

Imperceptiblement, Elhenna réduisait peu à peu l'allure d'Ardent, au fur et à mesure qu'à l'horizon, Winterfell se dessinait.
Elle sentait sa poitrine se soulever d'excitation et d'appréhension mêlées, bien plus fort que tout son corps meurtri par les derniers jours de chevauchée.
Le voyage depuis Port-Réal avait été éprouvant et le froid mordant du Nord les avaient talonnés sans faillir depuis Blancport. Mais peu importait. La louve n'avait peur ni du froid qui lui giflait le visage ni des courbatures qui faisaient hurler son corps fatigué.

Devant elle, il y avait Logaan Lightfoot. Le jeune homme qui l'avait escortée lors de son voyage depuis la Tertrée jusqu'à Port-Réal était venu – comme il était prévu – à la rencontre d'Elhenna et des siens lorsqu'ils avaient débarqué dans le fief des Manderly.
La petite troupe s'y était donc agrandie du Lightfoot et de ses hommes avant de reprendre leur périple. La louve avait été heureuse de le revoir car ils s'étaient beaucoup écrit durant les dernières lunes et ses sentiments pour lui restaient inchangés : elle était fière de pouvoir compter parmi ses amis les plus proches, pareil homme. Néanmoins, au fur et à mesure que la forteresse des Stark se rapprochait, Logaan semblait se rembrunir. Lui déjà peu loquace d'ordinaire était à présent tristement silencieux. Et si Elhenna l'avait remarqué, elle n'en connaissait pas la raison.

A ses côtés, il y avait Thyra, bien évidemment. La louve était rassurée de savoir qu'elle la suivait pour Winterfell même si sa fierté lui interdisait de l'avouer.
La fille de Barbrey regrettait juste de n'avoir pu faire une halte à la Tertrée afin d'y revoir sa mère. En effet, même si durant les dernières lunes, cette dernière l'avait déçue à maintes reprises, elle restait son sang et il fallait bien en convenir : elle lui manquait. Mais était-elle seulement heureuse de ce qui arrivait ? Elle qui voulait voir sa fille convoler avec le meilleur parti possible ; si l'on exceptait l'héritier du Trône de Fer, ce serait bientôt chose faite. Barbrey Dustin pourrait bientôt se targuer d'avoir mis au monde la future Suzeraine du Nord.
Mais Elhenna n'était pas sûre que cela suffise à atténuer l'aigreur de sa mère pour Ned Stark. A cette pensée, la jeune femme soupira.
Elle réajusta machinalement la lourde cape qui la protégeait du froid avant de jeter un regard derrière elle.

Orys fermait la marche. Silencieux, lui aussi. La louve lui adressa un pâle sourire avant de se redresser. Ils arriveraient bientôt. Elle avait à la fois hâte et peur d'y être. Dans sa tête, un flot interminable de pensées, parfois contradictoires, se bousculaient. Y serait-elle chez elle, comme elle était chez elle sur les terres de son père de nom ? Foutaises. C'était bien ici chez elle. Une Stark, elle était une Stark. De chair et de sang. Ça irait, se répétait-elle inlassablement.

Thyra était d'une humeur exécrable. La fatigue la rendait imbuvable, insupportable, et elle faisait bien ressentir à la troupe qui les accompagnait qu'elle n'était pas d'humeur. Silencieuse depuis bien des heures, elle regardait droit devant elle, le regard vide, les yeux tombant, alors que ses mains tenaient sans les serrer les rennes de son cheval fatigué. Winterfell n'était plus très loin maintenant, et à mesure qu'ils approchaient, Thyra se renfrognait toujours plus. La profonde tristesse que ce voyage lui inspirait se transformait en colère quand elle n'avait plus d'autre choix que de l'exprimer, faute de pouvoir garder cela en elle plus longtemps. Elhenna, qui se tenait juste à côté d'elle, semblait éviter de lui parler, du moins c'est ce que ressentait la fer-née. Était-ce de sa faute si la louve se mariait avec un homme qui habitait plus au nord que le Nord ? T’aurais pas pu choisir un mari qui habite un peu plus près de la Tertrée ? pensa-t-elle sans jamais le prononcer. Bien sûr que non, elle n'aurait pas pu. Thyra savait pertinemment qu'Elhenna n'avait pas eu le choix. Mais faute d'avoir des cibles vers lesquelles exprimer sa colère, la noiraude en voulait à tout le monde, sans exception.

Remontant son capuchon sur sa tête, la Fer-née laissa la fourrure qui l'en constituait lui caresser le visage, alors qu'elle resserrait un peu plus ses chauds vêtements du Nord autour d'elle. Cela ne suffisait pourtant pas à empêcher le froid de venir mordre son corps endolori par le voyage. Ses pieds étaient complètement paralysés par le froid, ses mains ne répondraient bientôt plus à ses ordres. La neige tombait encore, mollement, comme elle l’avait fait toute la journée. Au fond d’elle, Thyra savait qu’elle ne se plairait jamais autant ici qu’elle s’était plu dans la demeure de Lady Dustin. Pourtant, elle avait rassemblé ses affaires, fait ses adieux à la capitale et mis le pied à l’étrier sans aucune hésitation lorsqu’il avait fallu partir. Parce que, plus que tout, c’était rester avec Lenna qu’elle voulait. Lenna, sa belle Lenna…
L’observant du coin de l’œil, Thyra soupira mélancoliquement. Elle partait. C’était absurde, intolérable, et profondément triste. Mais Lenna avançait droit vers son mariage, vers la mort de sa liberté. Et elle le faisait la tête haute, le regard sûr. Au fond d’elle, Thyra était fière de voir l’enfant qu’elle avait toujours connue se tenir ainsi. Fière et infiniment éplorée. Elle savait, elle avait toujours su que ce jour arriverait. Mais cela lui faisait tout de même mal, sans qu’elle ne sache exactement pourquoi. Si seulement elles avaient pu vivre toute leur vie rien que toutes les deux, ensemble, sans homme pour leur mettre la moindre chaîne autour du cou ...

En parlant d'hommes, le regard de Thyra se reporta sur le Lightfoot. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi il était là, absolument persuadée que lui et ses compagnons leur avaient été d'une grande inutilité pendant le voyage. Plus ils étaient, plus le voyage se trouvait long. Ils mangeaient moins, avançaient plus doucement. Et, après tout, aux yeux de la jeune femme, ce n'étaient que des inconnus. Des inconnus particulièrement désagréables depuis quelques temps.
Se rapprochant discrètement de Lenna avec tout le mal du monde vu ses mains congelés, Thyra bâilla à s'en décrocher la mâchoire, comme pour annoncer sa présence auprès de la louve.

« Voilà qu'on arrive à Winterfell, et ton ami n'a toujours pas été d'une grande utilité. On aurait mieux fait de partir qu'à deux, toi et moi, sans boulet à nos chevilles. On aurait été plus rapides. » bougonna-t-elle sans être sûre d'avoir été comprise par Lenna.

L'idée était mauvaise, c'était sûr. Oh, pas que Thyra aurait été incapable de les défendre, mais il était certain qu'elle ne l'aurait jamais amené à destination.

« À la limite, Orys aurait pu rester, mais les autres... » renchérit-elle dans sa barbe, l'air toujours autant revêche que le reste de la journée.

Elhenna connaissait la fer-née par cœur et n'avait pas encore essayé de la tirer de ses sombres pensées. D'expérience, elle savait que ce n'était pas toujours la meilleure méthode et surtout, elle était trop concentrée sur ses pensées à elle, qu'elles soient sombres, mélancoliques, pleines d'appréhension ou d'excitation.

Néanmoins, au bâillement de la Volmark, elle se tourna vers elle. La louve mit un temps avant de comprendre ce que Thyra avait dit. Elle jeta un œil en direction de Logaan et de ses compagnons avant de hausser les épaules. Faire le voyage ainsi escortées ne les avait pas fait avancer plus rapidement, c'était certain. Mais c'était comme ça. Et elles auraient pu avoir bien pire. Cependant, elle avait vite compris que sa sœur de cœur n'apprécierait jamais le nordien. Elle devait jalouser l'amitié qui était née entre eux certainement. Tout comme elle-même aurait jalousé n'importe quelle nouvelle relation nouée par sa Thyra.
Un vague sourire vint ourler les lèvres de la jeune femme lorsque la fer-née lui dit qu'elles auraient mieux fait de partir juste toutes les deux. Si seulement cela avait pu être possible. Mais tôt ou tard, on les aurait rattrapées. Et alors, l'avenir de son amie aurait été plus qu'incertain.
Au lieu de cela, c'était le Nord qui les attendait. Et, un jour, la suzeraineté de la plus grande et de la plus belle des régions pour la louve. Cette idée gonflait sa poitrine de fierté.

Elle observa un long moment la Volmark avant de lui demander, d'un air solennel :

- Fâchée ?

Puis, alors qu'elle allait attraper la main glacée de la fer-née, elle se ravisa, l'effleurant juste du bout des doigts avant de lui asséner un vigoureux coup de poing sur le bras :

- Tu n'as pas intérêt. C'est moi qui vais bientôt devoir me marier, pas toi.

Mi-agacée, mi-amusée, la louve ne détachait pas son regard gris de son amie qui affichait un air morose depuis... Elle n'aurait même pas su le dire. Cela faisait trop longtemps. Si elle avait au départ pensé la consoler en la câlinant un peu, elle se disait que finalement, la méthode douce n'avait rien à faire ici et que sans doute, sa sœur de cœur réagirait bien mieux et bien plus vite à ce coup de poing dont le but premier n'était pas de lui faire mal mais plutôt de la réveiller.

Orys, qui se trouvait toujours derrière elles retint tant bien que mal un sourire en voyant la scène. Même si elles avaient régulièrement usé sa patience, son endurance et toute la malice dont il pouvait être capable afin de les garder en sécurité, il devait bien avouer que ça lui manquerait, au moins un peu. Une fois mariée, la fille de Barbrey s'assagirait, il en était presque sûr et la capitale du Nord, serait pour lui – si du moins Barbrey ne lui demandait point de rejoindre la Tertrée – un havre de paix. Il n'avait pas encore saisi à quel point le sang de loup d'Elhenna bouillonnait intensément et plus fort, au fur et à mesure qu'ils approchaient de leur destination.

Les yeux gris de la louve se posèrent un instant sur la forteresse des Stark avant de revenir à Thyra. Winterfell n'était plus qu'à quelques minutes de chevauchée et, même après avoir sciemment ralenti la vitesse de la troupe, la fille de Barbrey ne se faisait plus d'illusions : ils arrivaient.

La louve se demandait encore si elle avait le temps de rebrousser chemin tandis qu'à quelques mètres seulement, les portes de Winterfell s'ouvraient afin de les laisser entrer, elle et son escorte. Peut-être que si elle filait maintenant, droit vers les Tertres avec Thyra... Elle supplierait Eddard Stark de lui pardonner et sa mère de ne point l'obliger à se marier.
Un instant, elle sentit le regard inquiet d'Orys sur elle.

La fille de Barbrey ferma les yeux en inspirant profondément. C'était son devoir, elle ne pouvait plus faire marche arrière. Lorsqu'elle les rouvrit, Ardent et le reste de la troupe s’apprêtaient à entrer dans la forteresse. Son cœur battait si durement qu'il lui faisait mal. Elle avait pris la tête des siens, Logaan non loin d'elle tandis que les autres fermaient la marche. Elhenna n'osa pas un regard à Thyra. D'abord parce qu'elle savait que la fer-née lui briserait le cœur, avec son air de chien battu. Ensuite parce qu'il y avait trop à voir.
La louve abaissa son capuchon tandis que ses yeux gris glissaient rapidement sur les pierres et la cour du château avant de se poser un bref instant sur les gens qui étaient là pour les accueillir. Ils étaient nombreux mais son regard capta bien vite les plus importants. Les deux garçonnets Stark, l'un monté sur un homme d'une taille impressionnante, l'autre accompagné du mestre. Leurs deux loups géants. Et puis il y avait Robb et le sien. Un court instant, Elhenna chercha l'épouse de son Suzerain, étrangement absente.

Elle ne laissa pas le temps à Orys ou à Logaan de l'aider à descendre de cheval. Elle glissa d'Ardent avec souplesse, malgré les courbatures et la fatigue qui étreignaient son corps. La fille des Tertres ne savait pas exactement quoi faire alors elle avança d'un pas vers les Stark tandis que l'un des hommes qui l'escortait s'occupait de son cheval.
L'air solennel, elle ne sentait plus son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. Était-ce parce qu'elle s'était habituée à la douloureuse sensation ? Ou s'était-elle imperceptiblement détendue, maintenant que le moment était arrivé ?
Elle jaugea un instant le loup de Robb. La bête était magnifique. Leurs regards se croisèrent avant qu'Elhenna ne reporte son attention sur le Stark de Winterfell. En fait, il ressemblait assez peu à son père. Si l'on exceptait cette impression de puissance qu'il exhalait. Les yeux gris d'Elhenna s'attardèrent longuement sur lui, tandis qu'un flot de questions bouillonnait dans son esprit. Elle détailla sa carrure et son allure sans jamais le quitter des yeux. Et ce qu'elle vit sembla la décider : peut-être qu'elle pourrait bien l'aimer. Un poids sembla quitter sa poitrine à cette idée.

La louve osa un timide sourire à l'attention du jeune homme et des siens avant de s'incliner légèrement, pour les saluer.
Lorsqu'elle se redressa, le rose lui était monté aux joues et elle avait le souffle court d'appréhension. Cependant, elle gardait contenance, bien consciente que tous l'observaient.
Le regard droit et fier, sa longue chevelure brune attachée en une tresse épaisse, elle était habillée simplement. Des vêtements sobres mais de bonne facture. Une tenue de voyage chaude et confortable, une longue cape gris sombre attachée par une broche d'argent où étaient gravées les armoiries de son père de nom.

Était-ce de la tristesse ? De la peur ? De la colère ? Quelque chose, quelque chose de désagréable, de lourd, d'insupportable, faisait battre le cœur de la jeune fer-née. Quelque chose qui lui faisait mal, la tiraillait, la rendait morose. L'immense fort des Stark se dressait droit devant elles, la troupe s'approchait dangereusement. Mais Thyra restait immobile sur son cheval alors que tous ses sens lui criaient de fuir. D'emporter Ardent dans son sillage et de ramener Elhenna dans sa demeure. Dans leur demeure. Peut-être pourraient-elles même partir rejoindre les Îles de Fer pour y vivre la vie qu'elle aurait dû vivre. Mais elle en était tout bonnement incapable. Peut-être que l'honneur des Dustin avait finalement réussi à prendre possession de son cœur, la forçant aujourd'hui à faire face à la pire des situations. Elle la perdrait, elle la perdrait, c'était sûr ! Mais Thyra avançait tout de même, pour l'honneur. Le sien, celui d'Elhenna ? Quand est-ce que la liberté était devenue moins importante que la réputation ? Cela tournait, encore et encore dans sa tête, alors qu'un tas de sentiments douloureux broyait son corps.

Mais voilà qu'ils y étaient. La fin d'un long voyage. Le début d'un autre. A la suite d'Elhenna, Thyra entra dans la forteresse, le regard bas, obstinément perdu dans la crinière de son cheval, incapable d'observer la nouvelle demeure de sa belle Lenna. Après tout, elle y serait enfermée pour les prochains jours. Par le grand Dieu, comme cela lui faisait mal. Suivant la troupe dans la cour, la fer-née ne se résolut à lever les yeux que lorsque son cheval s'arrêta. Et IL était là.

Le Stark. Le regard de Thyra se fit aussi noir qu'observateur à l'intention du jeune roi du Nord. En retrait, demeurée sur son cheval alors qu'elle vit Elhenna descendre du sien, fière, magnifique, souple, Thyra sentit la colère monter en elle. Il était beau. Aussi beau qu'un homme puisse l'être, en tout cas. Quelque part, elle aurait préféré un homme plus petit, plus chétif, moins majestueux et musclé. Un homme qu'Elhenna aurait pu trouver laid. Mais surtout, un homme qu'elle aurait pu mettre à terre à mains nues, peut-être. Celui-là, cet homme-là, semblait tailler pour le combat. Tailler pour gouverner. Un sentiment étrange, qu'elle n'avait pas ressenti depuis sa rencontre avec Andrik, la prit aux tripes. Elle avait envie de le combattre. Pas de le blesser, pas de le tuer -pas encore-, mais elle voulait lui montrer que malgré tout le Nord à ses pieds, le Stark n'était rien qu'un homme, un simple homme qu'elle pouvait mettre à genoux devant elle. Peut-être aussi n'était-ce qu'un bas instinct de prédateur sauvage, se battre pour Lenna, se battre pour son amour. Ou n'était-ce qu'un relent de ses origines fer-nées. Obtenir Lenna au fer-prix, gagner le droit de l'emmener loin d'ici.

Et pourtant, malgré cette envie sauvage, Thyra resta immobile. Elle se serait faite tuer avant même d'avoir pu atteindre le Stark si elle avait dégainé son épée. D'autant que les enfants Stark étaient gardés par des monstres venus des Enfers. Démonstration de force inutile, mais qui faisait tout de même son petit effet. Elhenna, elle, avançait sans les craindre. Qu'elle était belle... La fer-née observa la scène, perchée sur son cheval, trop fière pour descendre, trop meurtrie pour bouger. La rencontre qu'elle avait tant redouté se déroulait à présent sous ses yeux. N'y va pas... Pourquoi cela lui faisait si mal ? Thyra fixa la fille Dustin, scrutant la moindre de ses réactions, la moindre de ses mimiques. Elle la connaissait suffisamment pour savoir ce qu'elle pouvait penser. Et cela lui fit l'effet d'une épée transperçant son cœur. Lenna était une louve, rebelle, majestueuse, formidable. Le Stark aussi, était un loup, un chef de meute, un prince. C'en était fini. Triste, Thyra glissa de son cheval, retombant lourdement au sol. Elle lança un regard à Orys, seul soutien parmi la foule. Avait-il compris, lui aussi ? Ses jambes tremblaient sous ses pas, alors qu'elle avançait pour se placer non loin de Lenna, plusieurs pas derrière elle, fixant l'héritier Stark d'un air sombre, féroce, d'un regard indompté. Elle savait, bien avant de le rencontrer, qu'elle allait le détester. Le détester autant qu'elle aimait Lenna. Mais son coeur se demandait encore si elle devait faire l'effort du paraître devant lui, ou si elle devait essayer jusqu'à son dernier souffle de se battre pour la liberté d'Elhenna. Le choix était terriblement difficile.

Elhenna retint un tressaillement lorsque Robb lui baisa la main. Depuis leur départ de Port-Réal, elle n'avait eu de cesse de redouter cette première rencontre, ce premier contact. S'il n'y avait eu tous ces gens et son orgueil, elle aurait reculé, rouge écarlate, d'au moins quinze pas.
Mais la foule, autant que son caractère résolu étaient bien là. Alors elle resta droite et le laissa faire tandis que dans son dos, elle sentait le regard brûlant de Thyra.

Si elle était toujours intimidée à l'idée de se retrouver face au fils de Ned Stark, elle lui adressa cependant un nouveau sourire sincère et plus serein tandis qu'il leur souhaitait la bienvenue.

- Je vous remercie de nous accueillir ainsi. Son regard quitta un instant Robb pour se poser tour à tour sur les gens rassemblés dans la cour de Winterfell avant de rencontrer à nouveau celui de l'homme qu'elle épouserait bientôt.

La louve tendit d'abord la main en direction de Logaan. Elle ne savait pas si les deux hommes s'étaient déjà rencontrés et n'avait pas osé poser la question à son compagnon de route. Néanmoins, le Stark devait savoir que c'était lui et ses hommes qui avaient été missionnés pour l'escorter jusqu'à Port-Réal, quelques lunes plus tôt.
Lorsqu'elle avait appris au Lightfoot qu'elle rentrait pour le Nord, c'était tout naturellement que ce dernier lui avait proposé de la rejoindre à Blancport afin d'assurer sa sécurité jusqu'à Winterfell. Elhenna avait accepté avec joie, heureuse de revoir cet ami auquel elle avait beaucoup écrit durant son séjour à la Capitale.

- Mon voyage jusqu'ici aurait été beaucoup moins serein sans la présence de Logaan Lightfoot et de ses hommes, dit-elle, sans cacher sa reconnaissance pour le Nordien. Ce dernier s'était approché et il salua respectueusement Robb. Est-ce que son cœur à lui aussi se brisait devant la scène à laquelle il était contraint d'assister ? Si c'était le cas, il fallait croire qu'il plaçait encore son honneur et sa loyauté au-dessus de ce qu'il pouvait éprouver pour l'héritière Dustin.

Puis la louve osa enfin un regard à Thyra. Sa gorge se serra tandis qu'elle sentait à quel point la Fer-née aurait aimé se trouver ailleurs. Néanmoins, la fille de Barbrey continua d'un ton sûr :

- Voici Thyra Volmark, la pupille de ma mère.

Elle ne dit rien de plus. Il y avait mille façons de présenter la Fer-née, l'otage, l'Îlienne... Mais aussi l'amie, la confidente, la sœur de cœur... La têtue, bornée, bourrue, parfois désagréable... Mais aussi la tendre, la protectrice, l'indomptable sauvage à laquelle elle portait une affection sans limites.

Orys, qui sentait dans quel état se trouvait la fille Volmark avait fait un pas pour se rapprocher d'elle, tandis qu'Elhenna l'invitait, de la main, à approcher afin de terminer les présentations. Le jeune homme redoutait que l'entrevue se passe mal. Si c'était le cas, Barbrey lui en voudrait très certainement de ne pas avoir su intervenir.

Robb demanda ensuite si le voyage n'avait pas été trop éprouvant. Si à ce moment-là, Elhenna aurait été bien en peine de dire si elle avait encore mal à quelque endroit que ce soit, elle se doutait que passée l'excitation et l'appréhension de cette rencontre, elle sentirait bientôt de nouveau, les douloureuses courbatures qui broyaient son corps depuis plusieurs jours déjà.

Alors elle hocha la tête avec reconnaissance aux mots du Stark. C'était avec un plaisir non dissimulé qu'elle prendrait un bain et se changerait pour passer une robe avant le repas du soir.

Ses jambes tremblaient. Elle ne s'en était pas rendu compte, mais de ses pieds jusqu'au haut de ses cuisses, elle tremblait. Était-ce le froid ? La fatigue ? Sans doute les deux. Maintenant que son corps devait fournir l'effort nécessaire pour se maintenir debout, Thyra se rendit compte qu'elle était exténuée et frigorifiée. Elle avait connu des jours froids, à la Tertrée, mais Port-Réal lui avait fait oublier. Son long voyage jusque Winterfell lui avait rappelé la douleur des nuits enneigées, la morsure du froid sur sa peau, et son corps tout entier en faisait les frais. Pourtant, son regard resta imperturbable, glacial, dur comme l'acier. Elle le fixait, haineuse, observant dns un silence parfait l'échange avec Lenna.
Elle le trouvait vide, sans intérêt. Sa voix lui était insupportable. Son regard aussi. Ne la regarde pas elle. Les démons de la Fer-née n'étaient pas prêts de la laisser en paix, pas lorsqu'il était question de Lenna. Comment aurait-il pu en être autrement ? L'héritière Dustin était devenue une femme magnifique, formidable, forte, et à la fois tellement fragile et douce. La protéger contre vents et marées était plus qu'un devoir, plus qu'une promesse lointaine faite à Lord Bolton. C'était devenu un besoin. Lenna était tout pour elle.

- Voici Thyra Volmark, la pupille de ma mère.

D'un pas claquant, Thyra vint se mettre au niveau d'Elhenna, le dos plus droit qu'il n'aurait dû l'être après tant de route à cheval. Mais sa fierté, maudite dignité, lui faisait oublier toute douleur. Elle était grande, et le Stark ne la dépassait pas, ou bien de peu. Aussi, son regard resta droit, et un regain de confiance la saisit. Il était bien battit, certes, mais bien moins impressionnant que l'était son père. Il était un loup, oui. Mais elle, elle était un léviathan.

« Sire Stark. » lança-t-elle avec toute la politesse dont elle était capable face à lui, accompagnant ces mots d'un signe de tête. Elle était froide, dure. Mais il n'était ni son suzerain, ni son ami, et la fer-née n'avait aucune reconnaissance à lui porter. Il n'était qu'un homme, fils d'un puissant homme, futur époux de sa belle Lenna, mais cela ne faisait pas de lui quelqu'un de valeur. Qu'avait-il de plus qu'elle ? Elle était héritière du domaine Volmark, fille du Léviathan, à la tête d'une armée de capitaines aussi nombreux que puissants. Du moins, elle aurait pu l'être. Était-ce toujours le cas aujourd'hui ? Plus depuis ses neuf ans. A cause d'hommes comme lui. Alors, jurer allégeance, ou ne serait-ce que respect à cet homme, ce serait comme enterrer loin de la mer ses origines. Hors de question, d'autant qu'il allait bel et bien lui voler sa belle Lenna. Pour autant, Orys pouvait se tenir tranquille, elle ne ferait rien d'insultant ou de dangereux. Elle était bien plus intelligente que ça.

Lorsqu'on l'invita à se rendre à "ses appartements", Thyra regretta presque que l'affrontement avec le Stark ne dure pas plus longtemps. Avec un regard vers les loups, elle suivit pourtant Elhenna sans plus de cérémonie. Se changer lui ferait le plus grand bien, et apaiserait peut-être son esprit. Elle pourrait essayer de parler à sa Lenna, lui dire ce que la nordienne avait déjà compris, l'entndre dire que ça pourrait être pire, et se demander en quoi ...