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Le vieillard et le borgne

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MessageSujet: Le vieillard et le borgne Le vieillard et le borgne Icon_minitime11.05.14 10:34

An 297, Douzième Lune, Semaine 2, jour 3

« Enfin de retour. » Me surpris-je à penser en voyant les îles de fer au loin.

Les voyages en mer finissaient par me lasser. C’était inquiétant. Allais-je finir cloitré chez moi comme mon roi ? Au moins il me resterait mes bouquins.

« Bateau en vue ! » Annonça soudain ma vigie.

Je comptais parmi les derniers à en apercevoir la silhouette, une preuve supplémentaire de ma vieillesse.

Ensuite mon subalterne décrit le navire de lui-même. Je savais encore faire régner la discipline sur mon navire. Ma décrépitude n’était pas si imminente.

« C’est un boutre. » Commença-t-il à dire.

Il s’agissait donc d’un des nôtres. J’étais rassuré jusqu’à ce que vienne la suite.

« Mât unique, coque rouge sombre, voiles noires…. »

Mon maitre d’équipage me lança un regard inquiet. Lui aussi de par son expérience avait compris de qui il s’agissait.

Présentement Le Silence s’éloignait de nos îles. Ce qui était plutôt bon signe. Mais nous ignorions tous des conditions de son apparition. Laissait-il une trainée de sang derrière lui ? Je m’attendais à tous de la part d’Euron.

« Fais monter tout le monde sur le pont. » Ordonnais-je à mon maitre d’équipage.

« Armes au poing ? »

« Non seulement à portée de main. »

Si le combat était évitable autant donner une chance à cette possibilité. Surtout qu’Euron possédait un bon nombre de défauts, mais il savait mener une bataille. J’en savais quelque chose en ayant participé à l’attaque de la flotte des lannister.

Je fis ralentir Chant de la mer et dirigeais ouvertement sur le côté de l’autre navire signifiant ainsi une prise de contact sans agressivité du moins temporairement.

Il régnait un silence de mort sur le pont. Personne ne sachant exactement de quoi il en retournait d’après mes ordres.

Moi je me tenais sur le devant comme un capitaine se devait de le faire dans ce genre de situation.

« Allons. » Me dis-je afin de me rassurer. « Euron ne ferait pas de mal à un compatriote... n’étant pas de sa famille. »

C’était bien le moment de faire de l’humour.


Dernière édition par Rodrik Harloi le 14.05.14 18:44, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Le vieillard et le borgne Le vieillard et le borgne Icon_minitime11.05.14 14:52

    - Capitaine. Un navire en approche.

    Euron redressa la tête, sortant de ses songes amers et dévisageant de son unique œil son lieutenant. Fedric était un homme imposant, de l'âge d'Euron mais qui paraissait bien plus vieux, vieillis par une barbe épaisse et folle et des cheveux épais et sales. Il avait une carrure impressionnante, peu pratique en mer ou dans les espaces exigus, mais fort utile lors des combats. Quant à ce qu'il avait dans le crâne, il fallait dire qu'il en avait bien plus que ce que l'on pouvait croire, et il l'avait prouvé par maintes fois à son capitaine, auquel il était fidèle envers et contre tout. Ce n'était pas un grand stratège au nom, mais son amour de la mer et des navires avait fait de lui un érudit quant aux savoirs maritimes et un homme patient qui savait braver les tempêtes. Le Choucas lui donnait sa confiance, et en retour Fedric lui donnait toute son expérience et sa force brut qui faisait tout le charisme de cet homme naturellement peu bavard, dont on disait que le cœur avait été asséché par le sel marin. D'un geste de la main, le capitaine du Silence referma la carte de Westeros qu'il observait une minute plus tôt et haussa les épaules.


    - Donc ?

    Que pouvait-il en avoir à foutre qu'une boutre revenait à Pyk après avoir fait tremblé les côtes, les cales pleines d'or et de femmes ? Fedric osait-il penser qu'Euron irait jusqu'à piller ses propres camarades ? On l'affublait du sobriquet de traître et son honneur était bafoué par les fidèles de Balon, mais il n'était pas une vipère assez vicieuse pour attaquer des Fers-Nés qui n'étaient pas pour lui des ennemis. Euron aimait son peuple plus que les femmes, il était cependant moins expressif envers celui-ci qu'envers ses conquêtes, bien sûr. Ses compagnes faisaient plus de rumeurs que sa fidélité aux Îles de Fer, alors qu'il leur était resté fidèle et le demeurait encore. Avait-il trahis le peuple de l'archipel, et son honneur ? Bien sûr que non. Il n'avait trahis que Victarion qui n'avait pas supporté l'humiliation, et il aurait préféré se battre en duel avec son frère que de subir l'affront de l'exil, mais il n'avait pas eu le choix. Il avait le cœur encore plus lourd en cette journée, car il était chassé de son île natale une nouvelle fois, par un de ses frères, et le plus amer de tous, l'impétueux Victarion. Certainement avait-il été trop audacieux, en tout cas il était partis sans effusion de sang, et seul l'humeur de son frère avait été bouleversée par la vision du Choucas foulant le sol de Pyk.

    Des boutres, on en croisait des dizaines au large de l'archipel, que ce soit les quelques pêcheurs ou les guerriers partant en soif de combats, l'activité maritime était très importante sur les flots fers-nés. Mais quand on se croisait, on s'arrêtait rarement pour se saluer, alors quand Fedric lui précisa que le navire en question ralentissait et se rapprochait inexorablement du Silence, Euron comprit qu'il y avait un problème. Le navire venait dans le sens contraire, il revenait à Pyk, il était donc peu probable que ce fut un navire des Greyjoy voulant l'intercepter et lui faire payer son arrogant retour. Cependant, il ne savait pas où étaient ses autres frères, hormis Victarion qui était sur la terre ferme. Peut-être l'un d'eux avait reconnu le Silence et venait en découdre, même si Euron en doutait. Bien qu'aucun ne devait encore le porter dans son cœur, Victarion était très certainement le plus agressif. Balon était reclu dans son château depuis des années, et Aeron... Aeron avait toujours eu une trouille monstre d'Euron, alors pourquoi viendrait-il à sa rencontre ?

    Sortant de sa cabine, Euron fronça les sourcils. Le navire était désormais proche, ils ne tarderaient pas à se croiser et Fedric avait dores et déjà fait rentrer la voile sur l'ordre du Choucas qui était curieux de voir qui voulait s'approcher de sa redoutable boutre et son équipage. La vigie fit alors son rapport.

    - C'est bien une boutre, cap'taine. Je dirai bien Harloi au vue des pavillons !

    Euron resta silencieux quelques instants. Qu'est-ce que lui voulaient les Harloi ? Qu'ils le laissent en paix. Il ne voulait que fuir ces îles de malheur pour quelques années encore, et il savait que Rodrik, le chef des Harloi n'était guère en sa faveur.


    - Tous les hommes sur le pont. Ne sortez pas vos armes, mais gardez vos mains prêts de vos fourreaux. Accueillons les avec délicatesse.


    Quand le fameux navire arrivé à hauteur du Silence, on jeta l'ancre et Euron se prit à sourire. Il reconnaissait un navire qu'il n'avait pas vu depuis bien longtemps, c'était le Chant de la mer, le navire de Rodrik Harloi en personne. Le Choucas avait un avis plutôt neutre sur celui qu'on surnommait le Bouquineur, même s'il savait que ce dernier n'aimait pas forcément les manières d'Euron. Il n'y avait pas d'animosités entre les deux hommes, mais il était certains que l'arrogance du Choucas devait agacer un homme réputé sage comme Rodrik. Euron se souvenait non sans amusement que ce fameux Bouquineur avait risqué la pérennité de sa maison lorsqu'il était arrivé à sa tête, son amour pour la lecture l'avait fait passé pour un pleutre avant qu'il ne montre que même un amoureux de la littérature continentale pouvait tenir d'une main de fer une maison de guerriers. D'un côté, il était difficile d'apprécier les écrivains de l'archipel, Euron n'était même pas certains qu'il y en ait. Lui-même n'était pas particulièrement versé dans l'art des lettres, comme l'immense majorité des Fers-Nés, mais en tant que Greyjoy il savait lire et écrire, et savait pertinemment que le savoir est une arme qu'il fallait savoir utiliser à bon escient. Cependant, il se demandait quel intérêt pouvait avoir le vieux Harloi à venir à sa rencontre. L'on jeta une planche de bois entre les deux navires, immobilisés. Pas question pour Euron de mettre un pieds sur le navire de son vis-à-vis, et il se tenait face au pont du Chant de la mer, entouré de ses hommes. Rodrik était aussi sur son pont, et Euron lui adressa un signe amical de la main, un sourire mielleux relevant ses lèvres bleues.

    - Lord Harloi ! Quelle surprise de vous croiser en pleine mer ! Venez donc à mon bord, puisqu'il semblerait que mon navire vous intrigue !

    Il savait bien que Rodrik devait être à la fois inquiet et perturbé par la présence du Silence en ces eaux, lui qui devait être perdu on ne sait où en Essos. Cela l'amusait mais rendait la rencontre d'autant plus importante. Il avait gagné l'appui de Glenhild, mais il savait pertinemment que cela ne suffirait pas. Les Harloi étaient connus pour leur richesse mais aussi la retenue et la patience de leur chef, qui était un des rares fer-né que l'on pouvait qualifier de diplomate. Discuter avec lui pourrait être particulièrement enrichissant, ainsi fit-il demander à Fedric d'arranger sa cabine et de faire porter du vin à l'intérieur, car il comptait y recevoir Rodrik. Les deux équipages semblaient nerveuses, certains hommes voyant dans le navire d'en face de vieilles connaissances, d'anciens amis voir des frères. Euron n'oubliait pas qu'il avait combattu aux côtés de Rodrik et ses hommes à Port-Lannis, et il savait son équipage brave, malgré les différences qu'avaient les deux hommes, il le considérait comme une personnalité de poids dans l'archipel, et l'avoir à ses côtés pourrait être particulièrement bon signe pour le deuxième de la fratrie Greyjoy.
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MessageSujet: Re: Le vieillard et le borgne Le vieillard et le borgne Icon_minitime14.05.14 7:00

Le silence imita mon propre navire. Il se rapprocha doucement en évitant les manœuvres hostiles.

Etait-ce une ruse ? En tous cas je ne relevais aucun signe récent d’affrontement au sein de ce bâtiment.

Quel que soit les raisons de sa venue Euron avait su éviter la violence et visiblement il continuait dans cette voie. Bien que ses hommes soient tous alignés, pas un seul ne brandissait une arme.

Avais-je été trop prudent ? Un excès dans ce sens-là au moins n’était pas dangereux.
Puis le flamboyant capitaine apparut. Même son exil ne l’avait pas changé hélas. Toujours la même insolence sur le visage et la même éloquence.

Je me demandais si sa langue n’était pas pire que sa queue.

Voilà qu’il m’invitait cordialement à monter à son bord tout en suggérant une sorte de lâcheté de ma part en cas de refus.

« C’est plus sa présence que le bâtiment en lui-même, qui m’intrigue. » Répliquais-je froidement. « Et je ne refuserais jamais une invitation provenant du clan Greyjoy. »

Ainsi tous comprenaient que mon respect allait au nom et pas à la personne.

J’admets qu’une certaine curiosité me poussait à venir. Euron avait bien des défauts. La bêtise n’en faisait pas partie. Il n’était certainement pas là par hasard.

« Que nos hommes restent tous à bord. » Murmurais-je à mon maitre d’équipage avant d’emprunter la passerelle mise en place suite à mon annonce.

Cette petite démonstration d’organisation de mon équipage me donna de l’assurance. Mes ordres seraient suivis. Ils échangeraient peut-être quelques mots avec les marins du Silence, mais cela n’irait pas plus loin. Toujours prudent je préférais éviter toute fraternisation.

Une fois à bord je constatais que malgré les ans ce navire avait peu changé. Cela me replongea dans de vieux souvenirs lorsque ce navire voguait à côté du mien au milieu des bateaux des lions entrain de couler. La plus grande victoire à laquelle j’avais participé.

Par contre l’équipage s’était en partie renouvelé. Il comptait un certain nombre de nouveaux visages y compris noirs. Euron avait tracé la route très loin visiblement. Peut-être réservait-il quelques surprises dans ses cales ?

Toutefois je demeurais persuadé de ne rien risquer. Un combat entre navires fer-nés n’était pas chose aisé à provoquer. Et puis mes liens avec la famille Greyjoy rendait mon meurtre bien trop dangereux surtout à proximité des îles de fer. De toute façon mon hôte semblait décider à ses reposer sur ses belles paroles.

Euron m’accueillit dans sa cabine. Au moins il avait conservé le sens des convenances.

« Alors capitaine Euron. » Dis-je une fois seul avec lui. « Qu’est-ce qui vous amène dans les seules eaux du monde, qui vous soient interdite. »

Moi aussi je pouvais être sarcastique.
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MessageSujet: Re: Le vieillard et le borgne Le vieillard et le borgne Icon_minitime14.05.14 17:57

    Le capitaine du Silence soutenait du regard le vieux Harloi, qui semblait bien songeur. Il pouvait comprendre que sa présence ici décontenançait, surtout pour un homme réfléchis comme Rodrik, qui connaissait fort bien les enjeux diplomatiques et politiques qui gravitaient autour d'Euron. D'ailleurs, il ne fallait pas être bien malin pour savoir que le Choucas était un gage d'instabilités qui faisait trembler toutes les certitudes de l'archipel par sa simple présence. Depuis son exil, il avait tendance à compliquer les choses. Il était difficile de vivre avec un frère loin de soit disait-on, c'était encore plus vrai quand on cauchemardait à l'idée d'un retour du mouton noir de la fratrie. Néanmoins, que tous se rassurent, il repartait pour quelques temps. Balon et Victarion allaient pouvoir dormir la tête tranquille quelques temps. Quelques temps seulement, il fallait le préciser. La situation dans les Îles de Fer n'était pas si paisible qu'il n'y en avait l'air, la vie allait bon train entre virées maritimes et travail à la mine, mais politiquement, l'air était emplis d'une tension non négligeable. Euron avait ouï dire que les Noirmarées aussi bouillonnaient, et il l'avait bien constaté avant son exil. On parlait en Essos de leur héritier qui ferait office de corsaire renommé. Le Choucas n'avait jamais croisé sa route mais avait entendu parler d'un prétendu roi des corsaires qui faisait jaser dans les tavernes. Il connaissait pertinemment la haine de certains Fers-Nés pour Balon, depuis l'échec de la rébellion notamment. Certains n'acceptaient pas l'humiliation subie, mais surtout les nombreuses pertes que les maisons de l'archipel avaient connues. Euron ne pouvait que se réjouir de tout cela, ce n'étaient que des partisans potentiels de plus. Il devait cependant rester méfiant, veiller à ce qu'aucun usurpateur ne veille à détrôner les Greyjoy. Il haïssait Balon mais était profondément attacher à la légitimité de sa famille. Il ne s'inquiétait pas trop pour cela, malgré les discordances, elle était largement soutenue par les Fers-Nés, par tradition et fierté. Mais avec le petit frère de Balon à sa tête, les Greyjoy et les Îles de Fer s'en tireraient bien mieux. Il était fougueux et progressiste, il avait les idées claires et savait faire la part des choses, entre la tradition et le progrès nécessaires. Il était décidément l'unique solution envisageable pour que son peuple sorte de son assoupissement endeuillé.

    Mais inutile de se perdre dans ces pensées politiques pour le moment, il fallait plutôt réfléchir à la maison Harloi, dont le chef, ici présent, bien que certainement réfractaire à certains traits de Balon n'en demeurait pas moins un fidèle banneret, et un homme fier et loyal. Malgré son âge – pas si avancé qu'on ne voulait parfois le faire croire – il demeurait vaillant et fidèle aux codes fers-nés, qui étaient tacites et reposaient sur l'orgueil. Il était parfois déplorable de constater la logique presque tribale, grossière des rites du peuple de ces tristes îles, mais Euron se complaisait à les comparer à une meute qui devait être régie d'une main de fer. Ainsi, cela forçait les leaders fers-nés au charisme et à l'excellence, ce qui poussait leur peuple vers le haut. Exemple même de cette logique, la conduite de Rodrik, qui menait d'une façon exemplaire sa troupe : il leur montrait qu'il en avait dans le pantalon, sans jamais se plier à son interlocuteur. C'était un trait commun aux capitaines fers-nés, et une obligation : s'ils n'agissaient pas avec fierté, impossible de diriger l'équipage ou d'espérer se faire entendre. Cela donnait parfois des joutes verbales assez comiques, tout en provocation. Les rencontres pouvaient être assez vulgaires, mais les deux capitaines de ces boutres étaient des hommes plus subtils que d'autres marins, et moins enclins à la grossièreté. Rodrik montait donc à bord, lui rappelant au passage qu'il n'acceptait pas le dialogue car il était Euron mais bien car ce prénom était suivis de Greyjoy, la seule appellation qui avait de la valeur chez le Choucas, aux yeux de Harloi.


    - Bienvenue sur le Silence mon ami ! Voilà bien des années qu'il n'a pas accueillis un Harloi à son bord.

    Euron fit volte-face et ses hommes s'écartèrent, leur laissant champ libre pour gagner la cabine d'Euron, dont le luxe contrastait avec la coque pourpre, suintante d'humidité du boutre. Fedric avait fait emmené du vin, comme prévu, et deux coupes étaient déjà remplies. Ils s'installèrent et Euron porta directement la coupe à sa bouche violacée, prenant une gorgée de vin, qu'il savoura, souriant à la réplique de son compatriote.


    - Décidément, cette question est sur toutes les bouches... Ne puis-je pas rendre visite à ma famille ? Ironisa-t-il en regardant Rodrik. Il eut un léger rictus avant de se reprendre. Inutile de se mentir, il était prévisible que vous revoyiez un jour mon visage à Pyk. Hélas, je n'étais que de passage.

    Difficile pour Euron d'admettre qu'il venait d'être chassé, et Rodrik aurait certainement à tirer les vers du nez au Choucas, guère enclin à parler de son échec. Lui avait déjà en tête les calculs possibles quant à la position politique du Bouquineur et songeait à peine à ce qui venait de se passer quelques heures plus tôt sur les quais, quand Victarion avait fait un retour fracassant.

    - Et vous, revenez-vous les cales pleines ? J'espère que la récolte a été bonne, dommage qu'il nous faut parfois secouer le pommier pour en récolter ses fruits, dit-il en approchant à nouveau la coupe de ses lèvres, faisant allusion aux méthodes des fers-nés, mais aussi peut-être à d'autres choses plus difficiles à déceler. Euron ne lâchait jamais une parole sans rien avoir derrière la tête, loin d'être sot, il n'était pas pour autant constamment manipulateur. Il aimait simplement les jeux de verbe, et manier la langue était un de ses plaisirs les plus délicieux.
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MessageSujet: Re: Le vieillard et le borgne Le vieillard et le borgne Icon_minitime17.05.14 12:24

Toujours aussi charmeur et doué pour noyer le poisson. Dans sa bouche bafouer l’exil promulgué par son roi et chef de sa maison devenait une visite de courtoisie.
A mon humble avis sans son nom de famille, on l’aurait déjà envoyé rejoindre le dieu Noyé.

J’appréciais nettement plus son vin que ses paroles mielleuses. A vrai dire je n’en avais pas goûté de ce genre. Je me demandais bien d’où il provenait. Toutefois il n’était pas question d’interroger Euron à ce sujet. Son ego me semblait suffisamment élevé comme çà.

Tout en savourant cette boisson j’examinais l’intérieur. Visiblement le Choucas n’avait pas perdu son temps sur les eaux de l’Est. La pièce fourmillait d’objets aussi exotiques que luxueux.

« Présentement il s’agissait d’une prospection. » Répondis-je. « J’ai un projet assez particulier en tête. »

Particulier était un euphémisme. Une union entre les îles de fer et le peuple libre, était capable de bouleverser notre continent.

Alors que je replongeais dans le silence un murmure se fit entendre plus haut. Nos deux équipages fredonnaient à l’unisson une vieille chanson.

« Les beaux jours de 289. » M’exclamais-je un sourire aux lèvres.

Cette acte de fraternité je le reconnais, me toucha et même me décrispa. C’est alors que je décidais de ne pas rester bêtement sur la défensive. A moi aussi cet entretien pouvait m’être profitable.

« Et lors de votre retour vous avez fait de bonnes rencontres ? Car certains sont plus disons spontanés que moi dans leurs réactions. »

Progressivement je songeais à ce que cette venue soit également une sorte de prospection. Histoire de voir quelle était la situation politique de nos îles et quel profit en tirer. Après tout il avait bien trompé l’un de ses frères. Pourquoi Euron ne ferait-il pas de même avec l’autre ?

En haut les murmures avaient cédé la place aux paroles. On se serait presque crû dans une auberge. Tant pis pour mes réticences sur une fraternisation. Ils avaient bien le droit de s’amuser un peu. Les réjouissances manquaient ces derniers temps. Tout le monde ne pouvait pas se contenter d’un bon livre. En fait personne ne le pouvait à part moi bien sûr.
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MessageSujet: Re: Le vieillard et le borgne Le vieillard et le borgne Icon_minitime18.05.14 19:43

    Si les paroles se délivraient pour l'instant au compte-goutte, le vin servis par le Silence semblait faire bonne impression et les deux coupes s'étaient rapidement vidées. Euron ne tarda pas à les remplir à nouveau sans même demander à son invité si la soif l'habitait encore. Il était aussi généraux, remplissant une grande partie du récipient du liquide pourpre. Il fallait aussi dire que ses cales étaient pleines de tonneaux de ce vin aux saveurs exotiques et aux senteurs étranges, dont amertume ravissait les palais connaisseurs. Le vin d'Essos faisait souvent bon effet à l'Ouest, et celui-ci venait de Meeren et était en effet assez populaire là-bas. On l'achetait à un prix commode, et on le revendait une fortune à Westeros. Mais ces tonneaux n'étaient pas destinés originellement au commerce, mais plutôt à arroser les états généraux qu'Euron avait prévu d'organiser après avoir évincer son frère du trône. Visiblement, l'événement attendrait, ainsi il pouvait bien se saouler à mort, cet alcool ne manquerait à personne.

    Les paroles de Rodrik intéressèrent rapidement Euron. Une prospection ? Qu'entendait-il par là ? Les Harloi seraient-ils en train de comploter, était-ce là une perche qu'on lui tendait ? Peu probable. Non, il ne fallait pas fabuler de la sorte. Même si son interlocuteur n'en dit pas plus, le Choucas était curieux de savoir ce qu'il en retournait. Balon l'avait-il mandé pour une mission spéciale ? Y avait-il des alliances en train de se mouvoir ? Le fait que des intrigues se nouent aurait pu expliquer l'absence de réaction de son frère et roi lors de son retour à Pyk. Mais le fait que le Harloi ait parler de ce projet comme le sien était assez particulier. Il s'agissait sans doute d'une initiative personnelle de ce dernier et Euron souleva un sourcil, témoignant l'intérêt qu'il portait aux dires du capitaine.


    - Une prospection ? Serions-nous devenus diplomates en mon absence ?

    Il espérait en savoir plus et se demandait s'il s'agissait d'un événement de grande ampleur. Peut-être était-ce tout simplement une mise en place d'un commerce primitif, peut-être avait-on enfin compris que certaines traditions fers-nés comme le fer-prix devaient parfois être nuancées. Même si Euron suivait scrupuleusement certains préceptes de son peuple, il devait avouer que certaines étaient absurdes et empêchaient les Îles de Fer d'avancer, il espérait que son compatriote en pensait de même.

    - Il est bon de savoir que nous nous contentions plus de piller les côtes. Notre roi tant aimé ne semble pas percevoir les limites de certaines coutumes.

    En disant cela dans sa cabine, Euron savait qu'il ne risquait rien. Même parmi son équipage, il demeurait des traditionalistes convaincus, dans le même registre que ses frères. C'était ceux-là qu'il fallait convaincre que certaines coutumes devaient évoluer ou être nuancées. Les Îles de Fer pouvaient devenir exceptionnellement puissantes, et rattraper en peu de temps le retard pris sur le continent et les autres puissances de Westeros, mais il fallait des hommes d'expérience et ouverts à l'avenir. Ce n'était vraisemblablement pas le cas de la fratrie Greyjoy et des adorateurs du Dieu-Noyé.

    La conversation fut momentanément coupée par les voix qui montaient à l'extérieur. Sur les ponts des deux navires on entamait une chanson bien connue des deux capitaines, et Euron se prit à sourire, à la fois à cause de la chanson et de la réaction de Rodrik, visiblement rassuré et touché de l'entendre. Le Choucas n'oubliait pas qu'il avait combattu aux côtés des Harloi lors de la triomphale victoire de Port-Lannis, où les Fers-Nés avaient incendiés la flotte des Lannister. Ce souvenir emplissait d'ailleurs le cœur d'Euron de joie.

    - Ce furent de grands moments. Dommage que la suite n'ait pas été aussi glorieuse, souligna amèrement le capitaine du Silence.

    La question qui suivit recadra la discussion, empêchant toute dérive nostalgique ou endeuillée sur des événements passés. Il était certainement plus constructif de se tourner vers le présent, voir l'avenir. Euron prit une gorgée de vin, l'avalant instantanément avant de reposer son regard sur Rodrik. Il fallait avouer que la réalité était bien dure à avaler pour le Choucas.

    - Je vous mentirai en vous disant avoir reçu l'hospitalité et l'amour de mes frères, finit-il par lâcher, souriant faiblement et fixant de son unique œil sa coupe à moitié vide, un regard étrangement mélancolique se lisant sur un œil qu'on qualifiait d'habitude d'enjoué.

    Euron marquant un léger temps d'arrêt, fixant Rodrik en silence et le jaugeant, comme s'il se demandait si l'individu en face de lui était digne des confidences qu'il allait lui faire. Tout ceci était presque théâtral, mise en scène volontaire ou non du Choucas, l'ambiance dans la cabine du capitaine du Silence n'en devenait que plus sérieuse. Son œil avait définitivement perdu tout amusement et Greyjoy avait un air tout à fait sérieux.

    - Inutile de tourner autour du pot, lord Harloi. Bien entendu, ma présence ici est anormale. Rassurez-vous, aucun homme n'est mort dans mon sillage. Du moins, j'ose l'espérer. Mais un jour ou l'autre, Balon devra faire face à son erreur. Cette fois, je repars de manière pacifique. Mais qu'en sera-t-il quand je reviendrai, plus riche encore et avec une flottille aux côtés du Silence ? Les Îles de Fer se muent dans un silence mortel depuis la Rébellion. Nous sommes restés à terre, voilà la vérité. Car Balon est un incapable.

    Il prit une nouvelle rasade de vin, comme si l'alcool allait faire passer ses propos. Rien de réellement choquant pour un fer-né, ils avaient l'habitude de jouer franc-jeu, mais chez eux aussi, on respectait les suzerains, bien que parfois leur légitimité était vacillante et que chacun allait de son coup pour faire tomber le colosse aux pieds d'argile.

    - Je respecte mon frère. Il fut un grand guerrier. Mais sur un trône ? Pfeuh. Un pitre. Il ne sait même pas tenir ses bannerets en laisse et bientôt ils lui boufferont les pieds tandis qu'il somnole dans son château. Les divergences grandissent, vous le savez. Mais ma lignée est la clé de la stabilité de l'archipel, nous avons assis une certaine hégémonie, et nous sommes montrés dignes de notre place.


    Il marqua une nouvelle pause, certains que Rodrik commençait à percevoir où en venait Euron. Ce dernier se redressa sur son siège, l’œil soudainement étincelant, se penchant en avant comme pour être sur de se faire entendre de son vis-à-vis.

    - Peut-être faut-il juste changer de Greyjoy.

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MessageSujet: Re: Le vieillard et le borgne Le vieillard et le borgne Icon_minitime22.05.14 18:34

J’en avais trop dis au sujet de cette « prospection ». Sans inconsciemment ne voulais-je pas paraitre désœuvré devant Euron ?

Mon interlocuteur me fit vite comprendre mon erreur. Pourtant il n’insista pas sur ce sujet en lui-même. Au contraire le choucas dévira sur une flatterie et un discourt moderniste. Probablement se doutait-il que je partageais ce genre d’opinion.

En s’y prenant ainsi Euron serait peut-être parvenu à me séduire à l’instar de ses multiples conquêtes. Sauf que je savais quel homme se cachait derrière ces belles paroles.

Heureusement pour lui sa ruse ne s’était également pas émoussée avec le temps.

Il sembla comprendre que son numéro de charme ne fonctionnait pas avec moi, et se décida à me montrer son vrai visage.

Ça me gênait de l’admettre mais il avait raison sur certains points. Je songeais même qu’Euron pourrait être utile à notre nation à condition d’y conserver un certain contrôle. Puis Victarion me revint en mémoire.

Toutefois je ne puis résister au plaisir de suivre cette conversation un peu comme on est tenté par la perspective d’un bon combat.

« Balon Greyjoy a effectivement fait son temps. » Dis-je d’un air complice. « Heureusement qu’il a laissé deux héritiers dont un très compétent. Je sais de quoi je parle. J’ai déjà vu votre nièce à l’œuvre. Car comme vous le savez nos deux maisons sont très proches. D’ailleurs Je suis au courant de secrets familiaux dont certains vous concernent directement. »

Je tentais le dieu des tornades comme on dit. Et bien tant pis ! Si le choucas désirait mon soutien ou tout du moins mon respect, il allait devoir le gagner.

Je me servis tranquillement un verre de vin en attendant non sans plaisir son prochain discourt.

Comment allait-il pouvoir se justifier ? La femme-sel l’avait peut-être violé le pauvre ? A moins que le dieu des tornades se soit emparé de son esprit ? Ou tout simplement il l’avait confondu avec une autre car sa vue est diminué de moitié ?

« Allez Euron impressionnez-moi. » Lui dis-je intérieurement.
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MessageSujet: Re: Le vieillard et le borgne Le vieillard et le borgne Icon_minitime31.05.14 0:11

Remuant tranquillement son verre de la main droite, Euron observait le liquide pourpre tournoyer tout en écoutant la réponse de Rodrik Harloi, qui fut tout d'abord des plus plaisantes. Comme l'avait avancé le Choucas, ce dernier était conscient des difficultés éprouvées par Balon et des reproches que l'on pouvait lui accorder, néanmoins, il était évident qu'il n'allait pas se dévoiler comme un fervent rebelle dès sa première rencontre avec Euron, des années après la dernière fois qu'ils s'étaient côtoyés. De plus, il était probable que cet homme ne mette que peu de confiance sur les épaules du capitaine du Silence, qui jouissait pourtant d'une estime assez haute dans les Îles de Fer et parmi les bannerets des Greyjoy. Mais la sagesse et la patience de Rodrik l'amenaient certainement à se méfier d'un exilé, et c'était plus que compréhensible. Ils étaient frères d'armes mais certainement pas amis, du moins pas encore. Ils ne le seraient peut-être jamais, mais Euron espérait secrètement mettre Rodrik sur la liste de ses alliés ou potentiels soutiens. Il savait qu'il lui faudrait l'appui des maisons telles que les Harloi, car si de nombreuses petites noblesses fers-nées le suivraient, hargneuses et déterminées, ce serait les grands armateurs de l'archipel et les plus puissants clans qui joueraient un rôle décisif. Sans aucun doute, les Harloi en faisaient partis.

Puis on aborda le sujet de sa nièce, et Euron eut un léger sourire. Asha ! Voilà bien longtemps qu'il ne l'avait pas vu. Son sourire était amer, car cela lui rappelait qu'il était partis de Pyk depuis bien longtemps désormais. La petite avait dû bien grandir, et la manière dont en parlait Rodrik le laissait entendre. Euron avait de l'affection pour cette petite, qu'il avait vu grandir. Il s'était rapproché d'elle après la mort de ses neveux, avec l'enlèvement de Théon, elle avait été le dernier enfant de Balon résidant sur l'archipel. Il se rappelait d'ailleurs avoir appris à la gamine à jouer à la danse du doigt et comment faire en sorte que ses marins se chient dans le froc avant même qu'elle ne hausse le ton. C'était une bonne gamine. Dommage qu'elle fut une femme. Peu avantagée par la nature, qui plus est. Elle était plus proche de l'héritier que de la princesse, à dire vrai.


Asha est une brave, il est vrai. Mais c'est une femme. Et à moins que Théon ne revienne, il nous faut un homme... dit-il, de manière lasse, son verre accompagnant les gestes de sa main, fluides, tandis qu'il parlait. Asha ferait une excellente Lord Capitaine pour la flotte de Fer. Mais une reine ? Il émit un léger rire. Quant à Théon... Notre dernière guerre nous l'a arraché. Il doit plus tenir du Stark que du Greyjoy désormais, souligna-t-il enfin, l'air grave.

Vint enfin une dernière réplique de la part du vieil homme, qui fit hausser un sourcil au capitaine. Des secrets familiaux ? Il faisait sans nul doute à la raison de l'exil d'Euron. Greyjoy ne pu que rester silencieux quelques instants. Il supposait que tous étaient dans l'ignorance, Balon n'ayant pas jugé bon d'ébruiter l'affaire, même lorsqu'il exila son frère, alors à quoi jouait cette vieille canaille ? Comment connaissait-il les dessous de cette histoire dont peu d'hommes connaissaient les causes ? En tout cas, il savait. Rodrik était certainement un des hommes les plus proches de la maison Greyjoy, et il l'avait visiblement sous-estimé. Sans doute cherchait-il à pointer cette fois les points faibles du Choucas. Comme tout homme, il avait ses défauts, on pouvait même dire qu'ils étaient nombreux. Mais pas question de se laisser démonter, en effet, la question fit même rire le capitaine du Silence, qui finit sa coupe d'une traite, lâchant un soupir de contentement. Mais comment répliquer à une telle attaque ? Inutile de parler des détails, c'était déjà bien assez sordide. Il n'était pas en train de parler avec un marin de son équipage ou un pilier de comptoir, mais ce qu'on appelle un Lord, de l'autre côté de la mer.

Ainsi, vous savez.
Euron émit un léger soupire. J'ai purgé ma peine... Exilé pour un crime passionnel qui n'a tué personne.

Enfin, presque personne. Le Choucas avait décidé une fois de plus de jouer cartes sur table. Inutile d'essayer de berner lord Harloi, il était loin d'être stupide et avait un coup d'avance sur Euron cette fois-ci.

Certains intrigants s'en sortent mieux que moi, moi qui ait tout fait pour le Roi du Roc. J'ai toujours été fidèle à notre maison, et à notre peuple. Dites-moi Rodrik, quand ais-je trahis ? Le seul que j'ai pu décevoir est bien Victarion. Mais croyez-moi, après 2 ans loin de chez moi, je crois avoir compris la leçon. Les femmes ne valent pas une patrie. Et la mienne me manque cruellement.

Reposant sa coupe, Euron tira un poignard de derrière son bureau, jouant désormais avec, fixant d'un œil étrange la lame luisante de l'arme fraîchement aiguisée.


Un homme amoureux d'une femme est prêt à bien des choses.

Il planta le couteau sur son bureau, à l'endroit où la carte indiquait Pyk.

Que croyez-vous qu'un homme amoureux d'une nation est-il prêt à faire ?

Euron sourit légèrement, chassant l'expression sombre qu'il arborait précédemment, voulant montrer à Rodrik qu'il n'était en rien menaçant, mais bel et bien déterminé.


Quoi qu'il advienne, des choses vont changer. Que ce soit de ma faute ou de celle d'un autre. Que ce soit à mon retour ou pendant mon absence. Le monde avance, mon ami. Et sans nous.

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MessageSujet: Re: Le vieillard et le borgne Le vieillard et le borgne Icon_minitime02.06.14 7:55

L’opinion d’Euron sur les héritiers du roi, reflétait hélas celle d’un certain nombre de nos concitoyens.

En revanche au sujet de sa faute il frappa là où je ne l’attendais pas. Il la reconnut tout simplement et joua là-dessus afin de l’atténuer.

Dommage qu’Euron dériva vers un romantisme quelque peu faisandé. Voilà qu’il parlait d’amour dans une conversation politique.

C’est vrai qu’il connaissait bien l’amour. Si l’on se fiait à sa réputation d’avant son exil, il tombait amoureux tous les deux jours ou plutôt toutes les deux heures.

Le capitaine du Silence me fit également l’honneur d’une jolie prestation enfonçant symboliquement son couteau dans la carte.

Toutefois derrière le comédien se cachait un homme rusé dont certains arguments faisaient mouches.

Je décidais donc d’oublier mon ressentiment envers Euron et de me montrer pragmatique.
L’ayant laissé sagement venir à bout de son monologue, je passais à présent au mien.

« Vous dites n’avoir causé aucune mort. Qu’est-ce que vous croyez qu’il est advenu de la femme-sel ? » Commençais-je à dire tout en m’approchant à mon tour de la carte.

Il s’agissait évidemment que d’une mise en bouche. Euron n’était pas du genre à se soucier de « détails » de ce genre.

« Vous parlez de changement. Justement avoir une reine en serait un. De plus ce qui différencie particulièrement Asha des autres capitaines ne se situe pas dans son entre-jambe, mais plutôt dans son crâne. »

J’avançais ma main sur la carte en direction du couteau.

« Quant à vous Euron Greyjoy vous êtes un capitaine remarquable. Je suis bien placé pour le savoir. Toutefois comment réagirait Balon si vous faisiez fit de sa condamnation ? Sans oublier Victarion notre amiral en chef que votre présence n’enchanterait guère. »

Une fois le couteau en main, je coupais Pyk d’un geste ferme.

« Au final tout repose sur la gloire. Désirez-vous la vôtre ou celle des îles de fer ? »

Euron était suffisamment malin pour avoir comprit mes allusions. Il ne restait plus qu'attendre.
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MessageSujet: Re: Le vieillard et le borgne Le vieillard et le borgne Icon_minitime07.06.14 17:09

    Satisfait de son intervention, le pirate se lotit au fond de son fauteuil, entrecroisant ses mains, dévisageant Rodrik Harloi d'un œil sûr de lui. Il découvrait en face de lui un homme sage et étonnamment joueur qui semblait prendre un malin plaisir à participer au jeu dont Euron avait planté le décor, où théâtre et politique s'entremêlaient dans un débat faussement passionné. Faussement ? Peut-être pas. Euron y mettait réellement du cœur. C'était son avenir et celui de l'archipel fer-né qui pourrait découler de ce genre de rencontres. Mais il ne pouvait s'empêcher de tirer une part de plaisirs de ces joutes verbales qui n'avaient rien d'agressives mais mettaient en scènes les talents d'orateurs de chacun.

    C'était maintenant au tour de Rodrik de dévoiler ses cartes, et le Choucas l'écoutait patiemment. Bien entendu, on lui remit en mémoire la mort de la femme-sel. Il eut à peine un pincement au cœur, mais il devait avouer que leurs traditions étaient parfois un peu rudes. Il ne répliqua pas, du moins pour l'instant. Que dire ? Bien sûr, qu'elle était morte. Et alors ? Elle n'était même pas fer-née. Pleurait-on les continentaux qu'on égorgeait lors des raids ? Les Fers-Nés étaient un peuple rude et fier, et la mort de cette étrangère était pour Euron une goutte parmi un torrent de morts. Il n'avait guère de poids sur sa conscience de ce point de vue là. Le seul côté qui le chiffonnait était bien celui de son frère, Victarion. Euron était conscient qu'aucun membre de sa fratrie ne devait le tenir en bonne estime : Aeron avait été son souffre douleur car le plus couard, Victarion ne lui pardonnerait certainement jamais la perte de sa femme-sel qu'il aimait sincèrement. Quant à Balon, il ne saurait dire son ressentis. Il l'avait exilé pour sauver sa vie, certainement. Non, à vrai dire c'était plutôt pour éviter le fratricide qui aurait marqué les Greyjoy de sa marque indélébile et maudit Victarion, selon les coutumes de l'Antique Voie. Mais le haïssait-il ? Il lui avait toujours reproché ses fréquentations et son mode de vie, car si Euron respectait la religion du Dieu Noyé et ses préceptes, il avait toujours vécu à ses limites, flirtant avec les interdits ou les repoussant, sans jamais réellement avoir un comportement impie. Il ne reniait pas la religion traditionnelle de l'archipel, il était simplement de ceux pour qui elle devait être des plus souples. Mais cela, un grand lecteur comme le Harloi pouvait bien le comprendre, non ? Il se garda de faire une réflexion sur le mode de vie de Rodrik, qui avait un temps fait jasé sur ses terres, mais gardait cette idée dans un coin de la tête.

    Visiblement, son interlocuteur était proche d'Asha Greyjoy, car il la remettait sur le devant de la scène. Bien que son visage ne bronchait pas, Euron grinçait des dents. Il aimait cette gamine, mais il était probable qu'elle s'oppose à son oncle si elle pensait avoir des chances. Et il n'aimait vraiment pas qu'on s'oppose à lui. Il avait déjà assez d'ennemis chez les Greyjoy pour se rajouter la fille de son frère sur le dos, qui jusqu'ici était plutôt neutre envers lui voir amical, comme en témoigne les bons souvenirs qu'il gardait d'elle. Il était inconcevable pour le Choucas qu'elle puisse avoir des prétentions sur la gouvernance des Îles de Fer. Les femmes avaient une place particulière chez les Fers-Nés, et si on en trouvait des capitaines ou des biens placées et respectées car elles avaient su gagner leur place, être gouverné par une femme demeurait quelque chose de potentiellement révoltant pour bien des guerriers, et Euron le savait pertinemment. Même du côté religieux, il doutait que cela plaise à son cher prêtre de frère, fanatique, tout comme Victarion. Non, Asha était à mettre sur le banc de touche, même si elle pouvait espérer une bonne place dans les plans de l'exilé. Encore fallait-il qu'elle accepte de s'y soumettre.


    Rares sont les Fers-Nés qui toléreraient une femme à la tête de l'archipel. Nous ne sommes pas tous aussi ouverts d'esprit que vous et moi. J'ai une approche subversive bien sûr, mais une Greyjoy à la tête des Fers-Nés serait menacer la cohésion de tous les clans. Les plus opportunistes provoqueraient une véritable guerre civile entre les nôtres. Ce n'est pas ce que nous voulons, trancha-t-il, sans être sec.

    Il se tut un instant, souriant légèrement en voyant que Rodrik prenait à cœur la mise en scène préalablement installée par le Choucas, donnant un coup de poignard sur Pyk avant de prononcer une phrase pleine d’ambiguïté.

    - Peut-être Victarion me pardonnera-t-il. Aussi impulsif soit-il, il est intelligent. Sinon, je procéderai comme notre peuple a toujours procédé
    , dit-il en haussant les épaules, restant vague. Quant à Balon, il se fait vieux. Difficile de raisonner un croulant. Nous verrons bien sa réaction quand il aura en face de lui son frère. Mais n'ayez crainte, du temps va s'écouler avant ma prochaine visite. Quant à la gloire, mon ami, je crains que celle des Îles de Fer soit étroitement liée aux protagonistes qui rentrent dans cette danse naissante. Reste à savoir avec lesquels vous vous rangerez lors du grand final, lord Harloi. Et selon ce qui se passera le jour du bal, la gloire des Îles de Fer jaillira à nouveau, ou se noiera. A tout jamais.
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MessageSujet: Re: Le vieillard et le borgne Le vieillard et le borgne Icon_minitime11.06.14 9:38

L’un des arguments d’Euron me toucha au vif. Me berçais-je d’illusion en rêvant d’Asha sur le trône de grès ?

A vrai dire je ne voyais personne d’autre d’adéquat.

Puis la langue mielleuse du choucas continua son œuvre. A la différence que ses paroles y perdirent en pertinence. Une perte légère au début j’en conviens.

Cela commença avec Victarion. Brave, respectable, discipliné… on pouvait lui accoler bien des qualités. Toutefois en ce qui concerne l’intelligence, je demeurais dubitatif.
Mais c’est plutôt la remarque sur le « procédé » qui m’inquiéta. Mes craintes s’amplifièrent encore à la suite du discourt.

Voilà que je devais choisir un camp. Et que s’annonçait un bouleversement violent.

Je n’ai jamais tellement apprécié Aeron. A vrai dire quitte à choisir je préférais l’alcoolique du passé au prêtre fanatique du présent. Pourtant lors d’une ses grandes tirades il avait vu juste en disant qu’Euron était possédé par le dieu des tornades.

Moi qui avais considéré cela comme une exagération, j’en constatais la véracité en cet instant.

Ces mots étaient pleins d’arrogances et d’ambiguïtés. Le plus inquiétant était la mention du camp dans lequel je me rangerai à l’avenir. Personnellement j’y voyais une menace voilée.

Ainsi tel était le but du Choucas revenir et s’imposer même si sa propre famille devait en pâtir.

Il était bel et bien le dieu des tornades, qui apporte la discorde.

Je posais mon verre d’un bruit sec afin de marquer ma désapprobation sur la carte à l’emplacement de l’île d’Harloi.

« Voici où je me range. » Annonçais-je froidement. « Du coté de cette île portant mon nom. Et je ne laisserai l’ambition dévorante de personne provoquer son engloutissement. »

Je versais ensuite le fond de mon verre sur mon fief et l’étendait au reste des îles de fer.

« Lorsque j’ai hérité de mon titre, j’ai commis une erreur. Une erreur, qui m’a fait comprendre le rôle de nous les seigneurs. Notre rôle est de veiller à l’unité de notre clan, non à sa division au nom d’une quelconque avidité. D’autre l’ont également compris. Pourquoi croyez-vous que Victarion n’ait pas tenté de laver l’affront de votre part la hache en main ? »

Puis la vue de ce liquide rouge sur nos îles m’angoissa. Était-ce une vision prophétique ? Est-ce que mes efforts pour dénicher des alliés au-delà du Mur et mon soutien à Asha allaient-ils être réduits à néant de l’intérieur ?
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MessageSujet: Re: Le vieillard et le borgne Le vieillard et le borgne Icon_minitime03.08.14 16:51

    Tandis qu'il parlait, l'oeil valide du Choucas se nourrissait des moindres expressions de Rodrik, tentant d'analyser au mieux ses réactions. Un flot de parole continuait d'être débité par le capitaine du Silence, toujours convaincu qu'il pouvait rallier la flotte des Harloi aux potentielles forces insurrectionnelles sur lesquelles il pourrait compter le grand jour venu. Hélàs, plus la conversation avançait plus il semblait que le Harloi essayait de se désengager de tout comportement partisan. En effet, même si lui et Greyjoy avait de nombreuses idées en commun, la retenue et le manque d'agressivité de Rodrik se ressentait. Il y avait un fossé énorme entre l'idéologie du Choucas et celle du Bouquineur, qui était un homme modéré et de conciliation. Euron était dubitatif quant à sa position, surtout depuis qu'il avait évoqué Asha, idée immédiatement balayée par l'oncle de cette dernière qui ne pouvait admettre aucunes prétentions de celle-ci sur le trône. C'était une brave femme, mais une femme avant tout.

    Commençant à être lassé de tourner autour du pot et de devoir amadouer son compatriote, Euron avait décidé de jouer cartes sur table et clairement montrer son jeu. Il y aurait bientôt de grands bouleversements et cela ne saurait se faire sans violences, tous devaient choisir leur camp à l'avenir, mais le regard troublé de Rodrik trahissait qu'il n'était pas prêt à cela. Il rêvait d'un archipel uni et fort, hélàs le chemin était long pour y parvenir, et il allait falloir faire couler le sang, qu'il le veuille ou non. Ce ne serait pas la diplomatie qui arrangerait la situation. Et le seul Greyjoy capable de changer tout cela était le Choucas, il s'en était persuadé depuis bien des années maintenant. Aucun de ses frères n'était assez compétent. Victarion était un brillant général, mais un roi ? Ne parlons pas d'Aeron, ce pleutre fou et Balon le vieux sénile endormis sur son trône, maussade de ses défaites. Qu'il ne s'inquiète pas de son sort, ce n'est pas la maladie qui l'emportera ni la vieillesse, et Euron se chargera de soulager ses articulations.


    C'est muré dans un silence total que le pirate écouta la réponse de son interlocuteur, pensif, se caressant le menton. Rodrik Harloi était un vieux marin qui avait peur de l'avenir. Euron secoua doucement la tête, déçu. Il comprenait la vision de cet homme mais il ne pouvait l'embrasser. La sienne était bien plus brutale.

    Vous êtes un idéaliste, dit doucement Euron. C'est louable.

    L'Oeil de Choucas se leva subitement, dominant Rodrik qui le regardait, restant assis.

    Mais nous ne sommes plus des enfants. Il est temps d'arrêter de rêvasser. Nous sommes des Fers-Nés. Ne l'oubliez pas. Euron se faisait presque méprisant, révélant l'ego dissimulé derrière ses sarcasmes et son ton mielleux. Il n'y aura pas de transition paisible.

    Il eut un léger frémissement de haine quand on évoqua le nom de Victarion. Il le louait, maintenant ? Sacré culot de venir donner de la gloire à ce maudit homme à bord du Silence.

    C'est Balon qui l'en a empêché. Victarion est obsédé par sa vengeance. J'aimerai croire en votre vision, Rodrik. Mais l'union passe par l'implosion de la situation actuelle. Cette harmonie fragilisée et sur le point de rompre ne durera pas, avec ou sans moi. Il vaut mieux qu'elle meurt avec moi, et que l'archipel renaisse de ses cendres, qu'elle ne disparaisse avec mes frères.

    Euron finit son verre d'une traite, le regard amer. La discussion avait trop durée, et Rodrik semblait du même avis car il se redressait et avait fait un pas en arrière, en direction de la porte.

    Ce fut un plaisir, lord Harloi, lâcha le Choucas, ses lèvres bleues se tordant en un sourire hypocrite et forcé, tandis que son œil demeurait dur.

    Il ne raccompagna pas lord Harloi, laissant ses subalternes s'en charger et quelques minutes plus tard, les deux navires s'éloignèrent, l'un regagnant les Îles de Fer, l'autre les fuyant. L'un partait pleins d'amertume, mais l'avenir pleins de promesses, tandis que l'autre rentrait anxieux, s'interrogeant sur un futur incertain. Deux hommes venaient de se croiser et deux destins de se lier sans pour autant qu'ils ne s'allient ou se haïssent. Ils avaient simplement conscience que dans les temps à venir, les choix de chacun d'entre eux mettraient en péril les vues de l'autre. Si la mer était calme aujourd'hui, aucun doute que les cœurs de ces deux capitaines étaient emplis de sentiments bien houleux. Peur, haine et amour. Espoirs, regrets et audace.
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