Lynce était perdue, depuis plusieurs lunes déjà, depuis la mort de Baeron, elle ne savait plus à quel sein se vouer, à quel jeu jouer. Elle qui avait cru si fort en son Roi, son Prince qui fut promis, le Dragon Noir, elle l’avait perdu avant même d’avoir pu lui éclairer la voie et avec lui elle avait perdu la foi. R’hllor l’avait trahi, il lui avait offert un Roi, un époux, un destin, tout ce qu’elle voulait et cherchait depuis tant d’années et il le lui avait repris presque aussitôt. Une seule bataille avait suffi et la victoire finale de la Compagnie Dorée avait un gout amer. Pourtant il y avait l’enfant Feunoyr à naitre, Daenerys évincée et ce qu’elle leur avait laissé, mais cela ne suffisait pas à la consoler.

Cette ville n’était plus la même sans lui, et sans Kashina. Elle était seule face à un monde qui ne recelait aucun espoir pour elle. Elle se sentait dépossédée, dépossédée du Palais de Tregar Omorlen par la Compagnie Dorée, dépossédée de l’amour de Baeron par la mort de ce dernier, dépossédée de son destin et de sa vie, sans but, elle errait comme une âme en peine dans les ruelles de la ville ou dans les couloirs de la Villa, même dans ses propres appartements elle ne se sentait plus chez elle, plus elle-même, plus rien. Parfois elle parlait aux flammes pour leur demander ce qu’elle devait faire, parfois aussi pour leur dire : Tu n’avais pas le droit de me faire ça. S’adressait-elle alors à R’hllor ou au Dragon Noir ? Elle-même ne savait plus très bien.

Au bout d’un moment elle s’était rendu compte que sa place n’était plus ici. Elle était la veuve du Fraakhen et tout ici lui rappelait son absence. Malgré le fait que Davos lui ait laissé une place de choix, le fait qu’il la convoite intensément la poussait à mettre de la distance. Elle n’avait pas le cœur de se donner à lui. Qui était-il, personne, le Général de la Compagnie Dorée, oui, mais était-ce suffisant pour être un Roi, la réincarnation d’Azor Ahaï, le sauveur de l’humanité ? Elle ne savait pas encore, les flammes ne lui disait rien sur lui, elles ne lui disaient pas grand-chose, mais en tout cas, elle ne l’y voyait jamais. Dans ses larmes parfois, elle voyait Baeron et Kashina, mais jamais Davos. Le lendemain, elle prendrait la mer pour Volantis. A son plus grand regret, Davos avait tenu à l’accompagner, elle ne comprenait pas très bien pourquoi, mais elle ne pouvait pas vraiment refuser. Elle y allait pour retrouver sa bien-aimée et voir l’enfant qu’elle avait engendré. Cet enfant, c’était son œuvre, elle avait donné un héritier à la Maison Feunoyr, elle voulait le rencontrer, elle serait sa mère, sa deuxième mère. Elle sourit à cette idée en sortant du Palais pour aller flâner dans la ville une dernière fois comme elle avait l’habitude de le faire, avant, comme elle aimait tant le faire, pendant toutes ses années passées à Lys, avant tout ça. L’exil, une fois de plus.

Lynce portait une robe de mousseline dorée qui jouait entre transparence en bas et brillance en haut, avec des sequins dorés, attachée par un long collier rigide en or lacé sur la nuque et donc l’attache descendait un peu sur le dos totalement dénudé jusqu’à la naissance des fesses où se mêlaient à nouveau la mousseline légère et des chaines dorées. Ces cheveux étaient relevés en un chignon complexe de tresses entrecroisées dont une longue queue ondulait venait caresser son dos. Une tenue somme tout normale dans la ville de l’amour et de la sensualité, mais digne des plus riches dames des cités libres.

En attendant sa litière, debout sous les colonnades de l’entrée du palais qu’elle vit un jeune homme qui la regardait. C’était un soldat de la Compagnie Dorée qu’elle avait déjà aperçu auparavant, de loin, jamais ici, il ne vivait donc pas au Palais, là où les officiers de la Compagnie avaient élu domicile. Il semblait l’admirer et elle eut tout le loisir de l’observer. Il lui faisait vaguement penser à quelqu’un, mais qui ? Elle n’arrivait pas, dans la pénombre et les jeux de lumière du soir tombant, à bien le distinguer. La foule se clairsemait, mais la ville était encore loin d’être endormie, Lys avait une autre vie lorsque le soleil se couchait. Mais, lui, ainsi arrêté au milieu de l’esplanade, échangeant un regard avec elle, magnétique, ils étaient comme hors du temps. Un frisson la parcourut, la brise fraîche probablement, ou peut-être pas. Elle était trop loin, il fallait qu’elle le voit de près, il l’admirait, c’était bien assez pour qu’elle veuille lui parler. Mais le voilà qui faisait à présent demi-tour, trébuchant même dans sa hâte.

Non, non, non ! Elle n’avait pas l’intention de le laisser filer, il fallait qu’elle tire cette impression de déjà vu au clair, et ce sentiment étrange qui l’avait envahi alors que son regard la pénétrait. Mais elle ne pouvait décemment pas courir et il avait de grandes jambes rapides. Heureusement, sa tenue et son rang obligeait les gens à s’écarter rapidement sur son chemin, lui devait se faufiler un peu plus. Autre atout, il était très grand, aisément repérable dans la foule. Elle tâcha donc de ne pas le perdre de vue avant de...

L’immaculé contre le Feunoyr, voilà un combat qui aurait valu la peine d’être vu, nul ne sait qui aurait gagné, mais l’un des deux combattant avait reçu l’ordre de na pas abîmer l’autre, aussi, peut-être Aegon aurait-il pu fuir. Ou peut-être pas… Mais de toute façon, le jeune homme avait décidé de ne pas utiliser la force. Il avait bien essayé de continuer sa fuite, mais R’hllor était avec Lynce, la ruelle qu’il avait prise était un cul de sac, il devait donc s’arrêter et faire face à sa poursuivante. Pour le plus grand bonheur de la blonde qui accueillit la vision, désormais nette avec une froideur majestueuse de façade. Scolopendre allait sortir son arme pour le tenir en respect, mais elle lui fit signe de baisser sa lame, d’un geste de la main tout en délicatesse.

__ Contempler une Reine d’amour et de beauté n’est pas un crime, la beauté est faite pour être contemplée, elle n’en est que plus belle quand elle fascine et enivre. Mais lorsqu’elle daigne vous regarder à votre tour, c’est un crime de fuir et d’ainsi la forcer à souiller ses souliers. La beauté n’a pas de rang, elle choisit qui elle touche et par qui elle est touchée sans se soucier de la naissance ou des titres. La beauté est Reine d’un Royaume où l’amour est Roi, où l’amour est loi et où ils règnent tous deux sans partage, sans conseil, sans vassaux… »

Lynce fixa le jeune homme et s’approcha de son pas félin, lent, assuré, tout en ondulations chaloupées des lignes de son corps, de ses jambes à ses épaules, en passant par ses hanches. Seuls son cou et sa tête ne bougeaient presque pas, restant sur une même ligne, hauts portés par son rang.
Celui qu’elle avait failli prendre pour son défunt mari était grand, imposant, c’était la première chose qui frappait chez lui. Mais le fait qu’il cache son visage sous l’ombre de sa capuche excitait plus que jamais la curiosité de la belle blonde. Elle ne prit pas garde à la main posée sur l’épée, contrairement à l’eunuque qui sortit sa lame dans l’instant et mit la puce à l’oreille de sa maitresse.

__ Scolopendre a ordre de ne point vous blesser, mais si vous attentez à ma vie, je ne pourrais rien faire contre sa loyauté qui m’est acquise, à moi et à moi seule. Quand à vous, je vous ai déjà aperçu sur le camp avant la bataille contre le Khal Drogo si je ne m’abuse, vous faites donc partie de la Compagnie Dorée et en tant qu’un de ses membres, vous n’oseriez pas menacer la veuve du Fraakhen. A moins qu’un autre contrat ne vous tienne… »

Etait-ce de la folie pure, de la foi, une certaine forme de courage, de la confiance exacerbée en elle, en son destin, en R’hllor, avec Lynce, difficile de savoir. Elle ne prenait que peu de risques, mais quand elle en prenait, elle avait toujours une idée derrière la tête. En l’occurrence, elle se laissait guider par ce sentiment de déjà-vu qui l’avait prise à bras le corps lorsqu’elle avait posé les yeux sur le jeune homme. Elle approcha encore. Scolopendre la couvrait, mais à cette distance, s’il voulait la tuer, elle était morte avant que l’immaculé n’ait le temps d’intervenir. D’ailleurs celui-ci ne manqua pas d’objecter, mais sa blonde maitresse ne s’arrêta pas pour autant. Une fois face au jeune homme, elle leva la tête et plongea son regard dans le sien. Deux yeux on ne peut plus sérieux et une bouche espiègle, elle murmura :

__ Je ne vous permets pas de prendre congé de moi ainsi, montrez-moi donc le visage de celui qui, malgré ma venue, s’entête à refuser la grâce de me tenir compagnie pour ma dernière nuit à Lys. »

Elle entreprit de rabaisser la capuche d’Aegon, mais déjà, elle pouvait mieux voir ce qu’elle n’avait qu'entraperçu depuis l’avancée surélevée du Palais…

Lynce avait été couronnée Reine d’amour et de beauté par Jorah Mormont, tout juste fait chevalier lors du tournoi donné en 289 à Port Lannis en l’honneur de la victoire de la Couronne contre les Fer-Nés. L’Ours du Nord avait été le premier sur les remparts de Pyk, il avait porté les couleurs de la belle et il avait gagné le Tournoi jusqu’à battre Jaime Lannister en final, transcendé, certainement, par l’amour qu’il portait à la blonde Hightower. Et il l’avait faite Reine, et il avait demandé sa main, et il l’avait obtenue, contre toute attente…
La suite n’avait hélas rien d’aussi glorieux et leur mariage rien d’aussi heureux que ce jour magique où elle avait porté une couronne, aussi fictive soit-elle, mais elle ne mentait pas lorsqu’elle disait être Reine de beauté.

Aegon cherchait à la dissuader d’approcher d’avantage, de le voir, s’en était presque amusant de le voir ainsi y mettre toute son énergie comme un animal acculé. En vain, car la jeune veuve était têtue et au final, l’attitude du mercenaire ne faisait que l’intriguer un peu plus. Avait-il véritablement quelque chose à cacher. Elle avait eu un soubresaut en le voyant de loin, il lui rappelait quelqu’un, mais ça n’était alors qu’une vague impression, un souffle, une pensée diffuse comme un vent de renouveau. Mais là, alors qu’il faisait tout pour fuir et maintenant pour la faire fuir, la faire reculer, renoncer à cette idée, à cette volonté de le voir de plus près, l’impression se transformait en instinct qui dessinant peu à peu des contours plus nets atour du jeune homme. R’hllor peut-être le lui avait envoyé, R’hllor, probablement, avait fait se croiser leurs regards, R’hllor lui avait soufflé à l’oreille de le suivre, de ne pas le laisser disparaitre, et R’hllor avait toujours raison, même s’il arrivait que Lynce ne comprenne pas les raisons du Maître de la Lumière et se décourage de ne pas voir le chemin qu’il voulait lui faire emprunter. A mesure que cet instinct gagnait en puissance, elle devenait plus sérieuse.

__ Je ne vous connais point, pas plus que vous ne me connaissez. Nous nous sommes aperçus et il s’avère que, de par ma position, j’ai probablement été aperçue de plus ou moins loin par tous les hommes de la Compagnie Dorée. Cela ne veut pas dire que tous me connaissent et que je les connais tous, mais en tant qu’épouse du Capitaine Général, je me devais de me souvenir de ceux à qui j’ai eu l’honneur d’être présentée. En dehors de ceux-là, j’ai pu poser les yeux sur nombre d’entre eux et ainsi connaitre les visages de ceux à qui je pouvais me fier. »

Même parmi les membres de la prestigieuse Compagnie, rares étaient ceux qui possédaient pareil carrure, aussi il était plus facile de le reconnaitre, même si elle n’était pas totalement certaine de l’avoir réellement déjà aperçu, dans le fouillis de la bataille ou ailleurs.

__ Mais les hommes de la prestigieuse Compagnie Dorée ne sont pas mes gardes du corps personnels, leur loyauté ne m’appartient pas, et ils n'ont pas d'ordre à recevoir de moi. Ils étaient acquis à la cause du Fraakhen et désormais, ils obéissent à Davos Loraq. Je crains fort qu’ils aient autre chose à faire que de s’occuper de moi, aussi c’est Scolopendre qui assure ma sécurité, cependant, je ne vous permets pas de le juger, vous ignorez ce qui l’a conduit à m’être fidèle. »

Lynce allait bientôt faire la lumière sur ce mystère et le secret que voulait tant cacher le jeune homme lorsque, tout proches l’un de l’autre, leurs yeux s’embrassèrent à l’instant où il cessa de fuir son regard. Sa main délicate resta un instant suspendu dans le temps et l’espace, elle tressailli, entrouvrit la bouche, le souffle coupé par ce qu’elle voyait à présent. Elle était pourtant habituée à cacher ses émotions, mais le trouble qui venait de la saisir ne pouvait être dissimulé, il confirmait sa première impression et le dessein de R’hllor.
Etat-il blond argenté ? Sous le capuchon qu’elle n’avait pas encore abaissé et dans les lueurs chatoyantes et changeantes du soir, elle l’ignorait encore pour quelques instants. En revanche, même dans la pénombre de la ruelle, maintenant qu’il avait capturé son regard, elle le voyait ses yeux étaient améthyste, une caractéristique des lignes de l’antique Valyria. Pour Lynce, en quête d’un nouveau Prince, il ne faisait aucun doute qu’il était un Feunoyr ou un Targaryen, elle savait, elle ne savait rien mais elle en savait assez. Elle referma la bouche et termina son geste, plus sûre d’elle et de son destin que jamais, maintenant qu’elle avait trouvé un jeune homme digne de succéder au Dragon Noir, au moins par le sang. Restait à savoir s’il l’était par l’esprit, mais pour le moment elle se délectait de la vision qui lui était offerte, il était beau comme un enfant, fort comme un homme, des traits pas encore adultes mais des épaules dignes d’un guerrier.
La jeune femme sourit légèrement avant d’avoir une dernière confirmation capillaire à ses soupçons, puis elle fit signe à l’immaculé de se détendre. Ce dernier n’était pas aussi certain qu’elle de sa sécurité, mais il obéit malgré tout, jetant un regard soupçonneux à Aegon, toujours prêt à agir au premier signe d’hostilité envers la blonde.

__ Vous êtes somme toute un homme dans la cité des plaisirs, je ne saurais être choquée par votre désir de vous laisser consumer par les flammes de l’érotisme dans cette ville où l’amour charnel est érigé au rang d’oraison divine. Je puis vous faire découvrir les meilleurs endroits pour ce que vous appelez singularité des mœurs mais que tout le monde pratique ici sans honte. Mais simple ? Vous ne me ferez pas croire, maintenant que j’ai vu ce que vous vouliez tant cacher, que vous êtes un simple mercenaire… »

Lynce remit la capuche sur la tête du Valyrien avec un petit sourire complice. Qu’il continue à garder son secret, elle savait et c’était bien ainsi, mais peut-être était-ce aussi bien que personne d’autre ne sache.

__ Suivez-moi… »

Toujours accompagnés de l’eunuque, ils parcoururent les rues et ruelles de Lys avant d’entrer dans un des nombreux bordels que la cité comptait, l’un des plus réputés et des plus chers. Lynce y fut accueillie comme une personne connue, reconnue et importante et conduite, sans qu’elle n’ait besoin de dire quoi que ce soit dans une grande chambre dotée, entre autre, d’un grand lit à baldaquins. Elle s’installa sur un confortable fauteuil en face d’une table basse et fit signe à Aegon de s’installer.

Un homme et une femme, tous deux dévêtus, apportèrent bientôt de quoi boire et de quoi grignoter, caressant le bras de l’homme pour le retenir, elle lui glissa quelque chose à l’oreille. Elle but une gorgée de vin rouge sombre avant plonger son regard dans celui du jeune homme et de demander :

__ Dites-moi tout. »