La vengeance était une bien drôle de chose. Elle restait ancrée, là, vicieuse, dans le caractère des gens, elle entrait et ne partait jamais. Doran en faisait l'expérience. Il ne disait rien depuis un bon nombre d'année, et il restait poli envers ceux qu'il nommait intérieurement ses ennemis. Oui, il souriait, et si Tywin Lannister venait s'assoir à sa table, il lui offrirait son repas et partagerait le pain et le sel avec lui...en méditant toujours un plan pour ourdir sa perte. Le prince de Dorne ne pardonnait pas à tous ceux qui participèrent à la rebelion de Robert, il jurait chaque jour leur perte et il aurait sa vengeance. On pouvait penser ce qu'on voulait de Doran Martell mais il restait un homme tenace lorsqu'il voulait quelque chose, et très rancunier. Il ne pouvait pas passer à autre chose, ni avoir d'autres objectifs, il fallait d'abord que quelqu'un paye pour la mort de sa soeur et de ses neveux. Oberyn restait dans le même cas même s'il voulait aller plus loin. Pour autant, Martell ne comptait pas se lancer dans une entreprise suicidaire, qui aurait fait plongé Dorne ou sa famille, voir même les deux. Il réffrenait donc toujours les envies de son cadet de partir en guerre, et il attendait le moment propice pour frapper.

La vengeance était un vrai poison. Elle ne laisserait jamais Doran en paix, il le savait. Il ne lui restait plus que cela, tout le reste lui semblait mineur. Il en rêvait la nuit, lorsqu'il parvenait à dormir , quand sa goutte le laissait en paix. Cela le torturait. Dans le fond, il était heureux que ses enfants n'aient pas connu leur tante, et qu'ils n'éprouvent pas ce désir de vengeance qui rongeait et vous condamnait à n'avoir que cela pour unique but. Même si Arianne et Quentyn soutenaient leur famille, ils pouvaient avoir leur propres rêves et leurs propres aspirations. Ils ne seraient pas déformés par la haine de la génération précédente, pas forcément du moins...peut-être eux au moins verraient-ils ce qu'on appelait Justice. Doran n'aspirait qu'à cela pour ses enfants, car il ne voulait pas qu'ils finissent comme lui. Arianne, cependant, l'inquiétait un peu parfois, car elle était la digne nièce d'Oberyn. C'était peut-être de sa propre faute, dans une certaine mesure, car Doran, malgré tout ce qu'il pensait, n'avait pu s'empêcher de lui enseigner ce qu'avaient fait les Stark et les Baratheon à sa tante. Mais pouvait-il faire autrement ? Pouvait-il ne pas dire à ses enfants ce qu'il s'était passé ?

Il aurait pu le faire. Les élever dans l'ignorance les auraient tous protégés. Mais tôt ou tard ils apprendraient la vérité, brutalement, de manière sanglante et sordide. Le prince avait pu leur expliquer cela lentement, au fil des années, les habituer à la réalité brutale de la mort et de la haine, qui dominait le pouvoir dans le royaume des Sept-Couronnes. Il les avait élevé pour qu'ils comprennent le sens du mot justice et Doran croyait y avoir plutot bien réussi. Certes sa fille ressemblait à son oncle, en peut-être moins fourbe, mais au moins le prince de Dorne la savait-il honnête. Il aimait ses enfants, et eux aussi avaient droit réparation. Les Martell dans leur ensemble avaient le droit à réparation, et à retrouver leur rang, tout comme les Targaryens, comme la petite Daenerys qui se battait contre vent et marées pour rejoindre Dorne.

Doran ne connaissait pas la Typhon-Née et l'accord qu'Oberyn avait passé avec Illyrio concernant son mariage ou celui de Viserys semblait révolu. Néanmoins il était décidé à aider la fille d'Aerys, et il espérait qu'elle soit plus intelligente que son père, ayant hérité de la grandeur des Dragons plutot que de leur folie. C'est ce qu'il voulait annoncer à sa fille, mais Arianne ne laissa pas le temps à Doran de répondre.

Oui, les choses changeaient. Par sa réception et le désastre qu'elle avait causé, par le fait que sa propre fille se soit faite agressée et que cela venait s'ajouter à la liste des griefs que Doran accumulait contre le Baratheon, Robert venait de prouver encore une fois que son règne se plaçait sous le signe de l'incompétence et de la fumisterie. Il sourit :

“Oui, les choses changent, ma fille, et peut-être finalement en bien...Oberyn reviendra bientot. Il m'informe que Daenerys, la fille d'Aerys, sera bientôt de retour en Westeros, et que son bateau accostera à Dorne. La vengeance que nous attendons depuis des années est à nos portes, ma fille.”

Elle arrivait avec la puissance du Dragon, dans le feu et le sang...

Comme toujours, sa fille posait les bonnes questions. Arianne ressemblait à son oncle, oui, parfois, selon Doran, elle ressemblait un peu trop à Oberyn. Il ne jugeait pas forcément que ce fut un mal, sauf dans les cas dangereux. En politique, dans le jeu des Trônes, où Doran s'engageait par vengeance, cela était plus un handicap que dans la vie. Il fallait réfléchir, passer énormément de temps à poser le pour et le contre, ce qui faisait parfois dire aux gens qu'il n'était qu'un inactif mou et faible. Mais il ne fallait pas s'y tromper, Doran Martell était un homme intelligent et prévoyant, simplement, il ne s'engageait dans rien au hasard. Il ne voulait pas être celui qui ménerait Dorne à sa perte, non, il serait celui qui la sauverait. Il secouerait le joug de l'Usurpateur en temps voulu, mais la révolte viendrait, il n'attendait que ça depuis des années. La vengeance était et resterait le principal moteur de Doran, mais il y avait également autre chose. Il ne faisait pas ça uniquement à cause d'une volonté revancharde...mais également pour ses enfants. Pour le petit Trystan, qui ne connaissait pas la guerre, et dont il voulait s'assurer qu'il ne la connaîtrait jamais. Lui n'avait pas besoin de ça. Parfois le prince de Dorne se demandait si ce n'était pas cette soif de vengeance qui avait donné à Arianne ce caractère si proche d'Oberyn, si partisan d'agir, tout de suite. Mais il n'empêche, elle posait les bonnes questions. Sa petite fille était intelligente, personne ne lui enleverait jamais ça, et même si elle possédait ce caractère emporté,  Doran parcourut de nouveau la lettre d'Oberyn.

Pas de référence au prince Viserys, en effet, alors qu'il était bien l'héritier légitime...Soit il était mort, mais c'était peu probable, Robert ne se serait pas privé de s'en vanter, soit il n'était pas venu parce que des affaires le retenaient à Essos et donc il envoyait sa sœur comme ambassadrice, soit il n'était tout simplement pas au courant de tout ça, et Daenerys faisait cela de son propre chef, restait à savoir pourquoi. Doran envisageait posément toutes ces possibilités, et les conséquences qui en découlaient. Son esprit tournait vite, mais il ne se tracassait pas trop.

« Non, Oberyn ne dit rien au sujet du prince. Je gage que Daenerys nous expliquera tout cela elle même. Nous ne pouvons décemment pas laisser la fille du Dragon seule à Dorne...pour autant nous ne pouvons pas non plus l'accueillir à Lancehélion, nous serions tous en danger si cela venait à se savoir, et elle la première. Il faudra trouver une autre solution. »

Peut-être les Jardins Aquatiques. Doran réfléchissait, et il se disait que c'était la meilleure solution pour tous, au moins provisoirement. Il fallait faire état des forces de Dorne, et préparer un plan. Il ne laisserait personne se lancer dans la course à la vengeance et au meurtre sans avoir une stratégie ; Bien sur, Oberyn voudrait le faire dès qu'il reviendrait, mais Martell se faisait fort de convaincre son frère de renoncer à cela, c'était trop simpliste pour l'instant. Ils n'avaient pas attendu si longtemps pour échouer si près du but. La mémoire d'Elia et de Rhaegar hantait profondément le prince de Dorne. Sa goutte lui semblait parfois être une punition pour n'avoir pas su protéger sa sœur. Il songeait à ce qu'il aurait pu advenir sinon... Même si Rhaegar aimait la louve Stark, il n'aurait pas abandonner sa femme pour autant, si ? Il serait devenu roi, et quel Roi, bien meilleur que feu son père. Même en soutenant les Targaryen, Doran savait bien qu'Aerys était fou. Ses enfants feraient peut-être mieux. Il fallait leur laisser une chance, et voilà pourquoi Doran aiderait Daenerys, pour obtenir vengeance et donner à ses enfants la place qui leur était due au coté des souverains légitimes des Sept-Couronnes.

Dorne n'entrerait pas en guerre tout de suite, il fallait attendre de voir ce que dirait Daenerys, attendre de voir si les dorniens eux mêmes étaient prêts. Enfin, c'était une fausse question, à voir Oberyn, cela faisait plus d'une décennie qu'ils l'étaient. Mais Doran refusait que des Dorniens meurent pour rien. Il aimait son peuple, bien que celui ci lui préféra Oberyn.

« Nous avons une armée au Pas du Prince, lord Ferboys en a une aux Osseux. Pour autant, il va falloir réunir le ban, en secret, cela va sans dire, ici, une fois que j'aurais parlé à la princesse. Pour l'instant, nous devons cacher la princesse Daenerys, personne à Port-Réal ne doit savoir qu'elle est en Westeros. Lorsque son bateau arrivera, je vais donner des instructions pour qu'on l'intercepte et qu'on l'emmène aux Jardins Aquatiques...personne n'ira la chercher là bas, je pense. Peut-être qu'un déguisement pourrait compléter le tout. Quant à la guerre...pour l'instant elle est hors de propos. Les partisans de la famille royale sont dispersés. Nous devons attendre, les réunir. Et là nous frapperons. »

Elle était prête, elle aussi. Cela fit mal à Doran, un peu. Il fit rouler son fauteuil en direction de sa fille, lui prenant la main dans un geste paternel :

« Pour l'instant nous n'avons pas à le faire. Ca viendra. Ca va venir très vite. Et il faudra que nous soyons bien préparés. »