Lune 12, Semaine 2, Jour 2

Amène-le ici.

Dans un dernier regard, son bouclier lige disparut derrière les rideaux translucides séparant les deux pièces. Ceux-ci laissaient passer la lumière chatoyante de son emblème éclairant de façon tamisé le petit salon du gouverneur. Celui-ci se leva et descendit alors l’unique marche de l’estrade centrale. Les bras croisés, le Prince de Dorne s’amusait à tourner en rond, poussé dans sa réflexion ne se laissant réveiller que par quelques ombres qui virevoltaient ça et là sur le voile maculé du carmin soleil. En effet, la veille, son cousin lui avait fait faire charger un navire dans lequel une certaine Valyrienne avait embarqué pour Essos. La dernière des Targaryen avait visité le pays de Dorne et cela troublait grandement le Gouverneur de Lancehélion. Il détestait perdre le contrôle d’une situation et cette hantise se concrétisait à présent. En effet, il n’avait absolument aucune idée de la raison pour laquelle la dragonne déchue était retournée sur Westeros. Doran Martell, suzerain de la prestigieuse maison du Sud était le seul instigateur de toute cette intrigue et ses paroles sibyllines avaient fait comprendre à son cousin qu’il ne devait être acteur pour le moment. Bien que la place de spectateur n’avait jamais été au goût du Dornien, il devait pourtant s’y afférer car qu’est-ce un seigneur face à un roi ? Sa philosophie l’obligeait à n’être que le vassal de celui-là même qui était vassal du Cerf.

Pourtant, ceci n’était pas la réelle réflexion qui taraudait l’esprit du Martell. Si le caractère cabalistique de ces événements restait paradoxalement clair pour Manfrey, l’absence de Doran en cet instant ne l’était point. Son départ pour les Jardins Aquatiques ne lui avaient pas encore été transmis ainsi, jusqu’aux dernières nouvelles, celui-ci se trouvait en ces lieux et devrait donc être la personne la plus apte à rencontrer le Seigneur de Tomberoy qui a traversé la région entière pour rencontrer son seigneur. Alors pourquoi Doran restait introuvable ? Ses serpents ne tarderaient pas à lui dire et ainsi, en son absence, Manfrey devenait la plus haute autorité de Lancehélion. Il ne s’inquiétait guère pour Lord Doran. Après tout, le mal qui l’assaillait l’avait obligé à resté en bonne escorte permanente. Le Prince des Sables en déduisait donc qu’il était à nouveau instigateur de son absence et cela avait forcément un lien, même quelconque avec l’impudente visite d’une traître à la nouvelle couronne.

Enfin, il se tourna dos à l’entrée de la salle et posa une main sur son menton, caressant sa barbe. Regardant chacun des coussins de soie brodés, il se posa alors la seule question évidente en cet instant : pourquoi Lord Dagos Forrest arrivait-il des Montagnes Rouges ? Sa maison était très puissante au sein de la dernière couronne et il lui était aisé d’avoir de l’influence sur les autres néanmoins, il ne devait oublier où était sa place à savoir sous la suzeraineté des Martell. Ceci n’était en rien menaçant mais l’amour de la hiérarchie de Manfrey faisait qu’il se devait de se rappeler sans cesse ce lien de servitude qui existait de tout temps, qui était le fondement de toute société qui se respecte. Bien avant les Andals et les Premiers Hommes, même les sauvageons vivaient sous la tutelle du roi d’au-delà du Mur.

Des pas retentirent tel le galop d’un étalon. Avec régularité et fierté, Manfrey tourna la tête de trois-quarts afin d’apercevoir ce qui se profilait derrière lui. Une main s’accrocha au rideau de feu et la voix de son bouclier-lige retentit dans le salon aux couleurs du Soleil.

Lord Dagos, Monseigneur.

Les deux hommes se comprenaient tant que le Gouverneur n’eut nul besoin d’ouvrir les lèvres que le Seigneur de Tomberoy ne fut plus seulement une silhouette nimbée derrière les derniers rayons de l’astre du jour. Une dernière fois, il réajustait sa veste de cuir orangée mi-longue.

Lord Forrest, soyez le bienvenu.

Un grand homme que voilà. Seule sa carrure était visible avant qu’il ne passe les rideaux et déjà, Manfrey savait qu’il aurait à faire à un guerrier. Il ne se trompa pas. Lord Dagos était de ces hommes au corps aussi revêche que la roche. L’armure de cuire et de fer du Forrest ne faisait qu’appuyer cette chair étirée. Le Prince reconnut immédiatement la marque des armuriers de Dorne. Au dessus, son teint basané était encadré par une chevelure brune solidement attachée en une queue de cheval, pendant sur sa nuque. Après tout, Dagos avait la réputation d’être un suppôt de la fierté, une qualité souvent appréciable. Quoi que.

Une brise sèche s’engouffra dans la salle laissant au Gouverneur le plaisir de voir son bouclier-lige resté sagement en arrière. Un rictus biaisé se dessina aussitôt sur les lèvres de Manfrey. Il était vrai qu’un certain air de famille était perceptible entre les deux hommes. De plus, lorsque les voiles translucides reprirent leur place après le vent, il aperçut quelques hommes aux armures similaires à celle de Lord Forrest, sûrement son escorte.

Enfin, alors que depuis le début de cette entrevue, le Dornien se tenait de dos, la tête vers son invité, il se retourna enfin et fit face au seigneur vassal. D’un geste solennel, il écarta ses deux bras alors que ce même sourire sibyllin parsemait ses lèvres.

Chose appréciable, Dagos était friand des convenances et de la bienséance. Les titres n’étaient pas que des mots, ils reflétaient une hiérarchie très organisée, propre à l’espace humaine allant de l’esclave en passant par le roi et se terminant par les Sept.

Sujets délicats et fêtes ? Voilà de quoi ravir cette journée, dit le gouverneur sur un ton formel avant de s’approcher de quelques pas de l’invité.

Quelques sons étaient audibles depuis la ville même de Lancehélion. Il s’agissait sûrement du Grand Marché qui avait commencé tôt le matin, comme à son habitude. Il est vrai que quelques odeurs orientales s’insinuaient dans les tissus et ce vent épicé parvenait à gravir la tour dans laquelle Manfrey siégeait. Se mêlant à l’encens qui embrumait la pièce, ceux-ci offraient une atmosphère ésotérique.

Vous excuserez mon impolitesse, Lord Dagos mais hélas, vous comprendrez que la taille de cette pièce ne me permette pas d’inviter tous vos amis.

Et puis, Manfrey préférait discuter seul avec le concerné. Il se doutait de certains des sujets de conversations qui allaient évoluer et de toute façon, il était inutile pour l’escorte d’être présente dans la mesure où la fiabilité de Lord Dagos le ferait parler aussitôt Martell et Forrest se seraient arrangés.

Attendant que Raksing ne les guident vers une pièce bien plus aisée, le Gouverneur lança un sujet bien simpliste mais qui avait pourtant son importance compte tenu du rang des deux seigneurs.

Sans indiscrétion et avant d’abord des sujets bien plus sérieux, que pensez-vous de la capitale ?

Une vieille habitude qu’appeler Lancehélion la « capitale ». Certes, elle était celle de Dorne mais le terme de capitale était normalement réservé à Port-Réal ; un autre signe de l’esprit indépendant de chaque Dornien. À cette réflexion, le Prince des Sables grimaça l’espace d’une seconde. La simple pensée qu’une quelconque indépendance pouvait être souhaitée l’indignait. Chaque homme était né pour servir. Ne dis-ton pas, qu’est-ce qu’un homme pour un roi, qu’est-ce qu’un roi pour un dieu ? Cependant, la dernière phrase de cette citation resterait tue car là-encore, le Cousin de Doran s’en énervait facilement. Il observa alors la mine dubitative de Dagos, allait-il réussi le test ?

Dagos avait répondu avec brio. Port-Réal restait la capitale et bien que Dorne ne fasse pas parti des Sept Couronnes, elle restait une terre vassale du roi légitime. S’il aurait été malaisé de vanter l’architecture d’une autre cité, Manfrey n’y voyait là aucun problème. Il n’avait quitté Dorne que sporadiquement et il ne s’était jamais rendu plus loin qu’Accalmie. Il aurait tant voulu voir la capitale, le Donjon Rouge dont tout guerrier fait les éloges, Peyredragon également…

Votre avis a de l’importance, sans quoi ma question n’aurait aucun sens.

La correction du Gouverneur semblait sévère. Si depuis le début de cette entrevue, l’attitude du Prince de Dorne laissait transparaitre un être orgueilleux et véhément, la vérité était tout autre. Manfrey était tout simplement habile avec les images, les visages, les formes. Il lui était aisé de revêtir n’importe quelle forme telle les mythiques Sans-Visages. Pourtant, celui des Martell restait à jamais collé à sa peau.

Vous êtes un homme honnête et avisé, Lord Dagos, murmura Manfrey avant de marquer une pause, voilà des qualités que j’apprécie savoir au service de Dorne.

Le Prince des Sables n’esquissa aucun sourire, aucune moue. Il était si froid et sérieux, en totale opposition avec son attitude nonchalante d’il y a quelques minutes. Seuls les rayons solaires irradiant la pièce dans des tons tamisés donnaient de la chaleur à la conversation.

Manfrey fit quelques pas dans sa salle avant de poser les yeux sur son bureau. L’encre était encore fraîche. En effet, avant que son ami ne lui apprenne l’arrivée du Seigneur de Tomberoy, le Gouverneur s’exécutait dans la rédaction d’une lettre à destination de Myrielle Lannister. Cette jeune fille l’intéressait un peu plus à chacune de ses missives. Il était amusant de constater que Dagos pensait que le seigneur de Lancehélion était de ses hommes vindicatifs et rancunier envers la maison des Lions. Juste en dessous, un parchemin marqué du sceau des Baratheon était encore scellé. Il s’agissait sûrement de quelques mots de Lord Renly qui aimait tenir au courant le Martell de la situation des Terres de l’Orage. Cet aparté étant fait, Manfrey se redressa et tourna à nouveau ses prunelles brunes vers Dagos.

Lancehélion est une admirable cité, n’est-ce pas… Pourtant… Je m’évertue à la rendre meilleure.

Si elle renvoyait une image si cosmopolite et exotique, c’était parce que le Dornien s’évertuait à lui faire transparaître cette image à travers les Sept Couronnes mais la réalité était tout autre. Les richesses de cette ville sont totalement inégales et la pauvreté règne dans bien des quartiers de la cité. Malgré le fait que la nomination de Manfrey a la tête de la ville ait permis d’améliorer quelque peu la situation, Lancehélion restait bien sombre pour celui qui en faisait sa demeure.

Dans un tic intellectuel, les mains du Prince se joignirent, entremêlant les doigts dans une position forte proche de l’homme qui pense. Le cabalistique sourire reprit sa place de droit sur le teint basané du Soleil et ses radiances s’amusaient justement à danser sur les boucles brunes dispersées sur le front du Martell tandis que d’autres étaient interceptées par les cheveux de Lord Dagos.

J’en oublie l’hospitalité qui nous sied mais peut-être voudriez-vous vous désaltérer pendant que nous converserons. La route fut longue et laborieuse, n’est-ce pas ?

Aggripant deux coupes de cuivres, il les remplit rapidement d’un vin clairet, propre à la région du Sud. Tandis qu’il se versait, Dagos Forrest pouvait y voir les sublimes reflets s’alternant entre ambre et pourpre. Enfin, Manfrey lui tendit l’une des coupes tout en reposant sur son bureau, le pichet encore bien rempli. Après tout, le Gouverneur n’était pas un franc buveur. Ensuite, alors qu’il s’asseyait sur sa chaise, il lui proposa celle d’en face, entourée de coussins brodés d’or et d’argent.

Et bien, quel sera notre premier sujet de causerie ?

Le ton de Manfrey se voulait moqueur car il savait très bien que le reste de la conversation ne le serait sûrement pas.

Assis sur sa chaise, Manfrey observait chaque mouvement des lèvres de Lord Dagos. Celui-ci était connaisseur et se le faisait savoir. Rien de plus normal à vrai dire. De plus, il semblait grandement apprécier le vin proposé et aux vues de ses précédentes paroles, il n’était pas du genre à mentir car son interlocuteur portait le nom de Martell. Posant sa coupe sur la table où résidaient tout un tas de parchemins éparpillés, le Prince s’attarda sur la mine du Forrest. Celle-ci s’était soudain calmée, signe que la fameuse conversation allait enfin commencer. La tête baisée vers sa boisson ambrée, ses sombres yeux restaient rivés vers le Seigneur vassal et bientôt, le léger rictus propre à son expression habituelle disparut rapidement pour faire place à un faciès marmoréen. Après une vive expiration, Dagos se mit soudain à prononcer une tirade au ton fort sérieux et surtout bien lapidaire. Il n’y allait pas par quatre chemins et ses intentions étaient plus qu’explicites.

Secrètement, Manfrey s’amusait de constater à quel point certains de ses mots étaient choisi avec minutie tandis que d’autres étaient le fruit d’un fort tempérament très revendicateur.

Voilà un portrait peu mélioratif de la maison Poulet, Lord Forrest.

Il ponctua cette phrase peu avant la fin de sa tirade et bien que ses mots humaient le cynisme, le visage de Manfrey restait toujours aussi sombre et sa voix était bien assez rauque pour que Dagos comprenne ce qu’il y avait à comprendre.

La Maison Forrest est l’une des plus prestigieuses maisons de Dorne, il est vrai mais la fidélité est ce qui est de plus important à mes yeux et aux yeux de la famille que je représente et sachez que bien que vous ne sembliez guère appréciez vos voisins, ceux-ci ont toujours fait preuve d’une loyauté sans bornes envers les Martell et ce, depuis l’arrivée de notre Grande Nyméria, il marqua sa phrase d’une pose afin d’observer les réactions de Dagos. Il baissa les yeux vers sa coupe tout en en faisant tournoyer le contenu. N’y voyez pas là une quelconque critique Seigneur. Après tout, malgré votre renommé, vous avez fait preuve de cette même loyauté et en ceci, au nom de la Maison Martell, je me dois de vous poser sur un pied d’égalité avec les Poulet, à nouveau, il transperça de son regard solaire le Seigneur de Tombe-du-Roy et dans une voix des plus certaines dit : Que cela vous plaise ou non.

Le Gouverneur de Lancehélion releva le visage, le laissa de nouveau s’éclairer par la lumière de l’astre couchant. Il paraissait bien plus aimable ainsi illuminé et dans un geste lent, ses deux mains se posèrent sur son bureau. Il les joignit alors en croisant ses doigts dans une position de grande réflexion avant de reprendre.

Néanmoins, je dois vous accorder que votre Maison, de part son prestige, possède une puissance militaire plus conséquente que celle de votre rivale. À la place des Poulet, vous seriez plus à même de protéger la Passe-du-Prince. À la place. Car oui, en plus de votre loyauté sans faille commune, n’oubliez pas que le Faucon encapuchonné ne porte pas ce titre de Gardien dans le seul but de vous faire jalouser. En réalité, la position géographique de la Tombe-du-Roy est très peu pratique puisque coincée entre deux monts des Montagnes Rouges. Cela a été observable par le passé mais votre armée met bien plus de temps à contourner les montagnes afin de rejoindre la Passe que les Poulet malgré la distance vous séparant.

Manfrey se voulait fin stratège. Ainsi, malgré ses compétences guerrières bien moins développées que celle de Dagos pour exemple, il avait une connaissance parfaite de la tactique et était au courant de toute la géographie précise de Dorne et plus encore. Les prunelles de Dagos semblaient fatiguées par son discours, rien de plus normal.

Ne vous découragez pas, Lord. Je ne fais que vous présenter les points justifiant la possession de ce titre par une autre maison que la vôtre afin que celle-ci ne vous semble pas indigne. Peut-être que de nos jours, vous serez plus à même de représenter Dorne depuis les Montagnes Rouges, rien n’est sûr mais sachez qu’une entrevue avec Lord Franklyn sera également nécessaire. Ce sera peut être pour vous l’occasion de vous expliquer dans le plus grand calme et avec diplomatie. N’oubliez pas qu’en des temps si chaotiques, penser rivalités entre familles de Dorne ne peut être la plus habile des solutions… Vous devez être prêt à écouter ses ordres en cas d’attaque puisqu’il est gouverneur militaire de la Passe-du-Prince aussi gênant cela est-il pour vous.

Le Prince des Sables semblaient bien dur dans ses propos, bien plus qu’il ne l’avait été auparavant mais ce n’était nullement son but. Il était tout naturel pour lui de s’affirmer devant se genre de demande et il tentait de rester le plus objectif possible. De plus, il avait encore quelques informations à faire passer…

Manfrey se tenait toujours assis, bien droit. Sa jambe se balançait de haut en bas sous sa table et à présent, ses deux deux coudes posés sur la table élevaient ses bras de façon à ce que ses mains s’entrecroisent dans une position de réflexion. La fatigue se lisait sur son visage. Ce n’était nullement la faute de Dagos mais bien parce que depuis quelque temps, il était embourbé de travail et qu’avec la disparition de Doran, voilà qu’il devait en plus s’occuper des affaires de Dorne en général. Il devait pourtant rester le plus courtois possible. Bien que sa mâchoire le fasse atrocement mal du fait qu’il souhaite absolument pousser à bâillement, ceci serait bien trop mal venu et de ce fait, c’était une mine de marbre qu’il arborait là. Pourtant, le Prince écoutait avec zèle chaque parole proférée par Lord Forrest, pas une ne passait à la trappe et enfin, la déclaration de Dagos fit sourire Manfrey :

Ah ! La voilà, la véritable raison de notre rencontre ! s’exclama-t-il avant de reprendre son sérieux et de continuer, n’y voyez là aucune présomption de ma part, votre demande est toute justifiée Lord Dagos.

Si le Lord au Crâne n’avait pas fait preuve de la plus grande objectivité quant à sa rivalité avec les Poulet, il avait cependant raison sur quelques points, la Passe-du-Prince était clairement le point faible, l’ouverture centrale des Montagnes Rouges et bien que prestigieuses, les effectifs des Maison Poulet et Forrest n’étaient plus ce qu’ils étaient. Les Ferboys et les Dayne avaient gardé leur valeur de toujours et de ce fait, ils étaient les atouts centraux de Dorne et c’est pourquoi ils ne pouvaient avoir meilleures place qu’aux Monts Ecarlates afin de les protéger. Pourtant, la Passe-du-Prince s’essoufflait et malgré le discours pacifique de Manfrey quelques minutes auparavant, il était impératif, même en tant de paix d’avoir une armée efficace et prête. Il ne s’agissait point l’un d’une quelconque attitude belliqueuse mais plutôt d’une garantie pour la sécurité de Dorne.

Défendre Dorne, la plus sage des tâches qu’un Seigneur des Montagnes Rouges puisse avoir, sa voix semblait onirique tant elle était prise de passion à la simple évocation de sa patrie puis une pause avant de reprendre sur un ton quelque plus pragmatique. Cependant, vous savez que bien qu’en tant que Prince Gouverneur de Lancehélion, je suis à même d’écouter toutes vos requêtes mais je ne puis y accéder. Il vous faudra l’accord de mon cousin, le Prince Doran mais assurez-vous bien que notre entrevue sera totalement rapportée à Lord Martell.

Il pensait en avoir fini et le Prince des Sables commençait déjà à réarranger les divers parchemins qui ornaient son bureau avant une intervention pour le moins surprenante de Dagos. Et dire que Manfrey pensait l’avoir fait revenir à la raison, la rancune restait hélas tenace. D’un vif geste, il arrêta ses travaux en cours et il repassait de ses doigts les courbes de sa barbiche. Quelques secondes, le temps de la réflexion. Manfrey avait beau être un homme éclairé, il n’en était pas pour autant un oracle ayant réponse à tout.

Pas d’offensive. Sa voix rauque à l’accent dornien très marqué retentit. Oui, pas d’offensive. Je ne vois aucune raison pour que les Poulet nuisent à votre maison d’une quelconque façon mais si cela venait à en être le cas, je ne veux aucunes représailles de votre part. Comprenez-là que vous défendre est tout à fait normal mais cela s’arrête là et pour une simple raison. Vous irez quérir le Prince Doran, Oberyn, moi-même ou la princesse Arianne. Nous nous chargerons de la punition. Après tout, les Martell prennent toute responsabilité sur les affaires de Dorne.

Enfin, après ses paroles quelques peu froides et tranchantes, le ton de Manfrey devint plus fluet et un sourire sibyllin vint maquiller ses lèvres.

Alors, ne me dites pas que c’était là le genre de réjouissance dont vous faisiez mention au début de cet entretien ?

La paix ou la guerre… Il s’agissait de notions qui n’intéressaient pas réellement Manfrey et pourtant elles restaient intimement liées à son dessein : la sauvegarde de Dorne et des Martell. Il l’avait dit à Dagos d’ailleurs, il n’y avait à ses yeux rien de plus honorables que cela. De savoir que Lord Forrest jurait fidélité à cet instant même au Prince et à la maison soleil le fit sourire ce à quoi il ne fit qu’un mouvement de main tout en déployant calmement :

Je m’en assure.

À présent, il ne lui restait plus qu’à écouter l’ultime requête du Seigneur des Montagnes avant de rencontrer Doran afin de lui faire parvenir la volonté de Dagos. Une requête certes difficile à appréhendée et pourtant, s’il s’avérait que son cousin l’accepte, elle assurerait aux Montagnes Rouges une garde grandissante et une sécurité impénétrable qui ne ferait que souligner la devise de sa famille : Insoumis, Invaincus, Intacts.

Loin d’être avachi, le Prince des Sables se laissa pourtant enfoncé dans son fauteuil et y prit place de façon à avoir une vue globale de la situation. De plus, cela lui permettait également de constater que Ser Raksing était de retour. Il s’agissait du neveu de Dagos et à ce titre, Manfrey se demandait bien ce que devait ressentir son bouclier-lige à la vue d’un oncle oublié depuis tant d’années maintenant. Le Forrest lui avait fait comprendre qu’il serait toujours la bienvenue à la Tombe-du-Roy. Pourtant, cela ne plaisait absolument pas à Manfrey. Ce qui lui appartenait restait à lui à jamais et Raksing était pour lui une épaule sur laquelle se reposer. Plus qu’un frère, les deux hommes s’étaient toujours compris et avaient toujours agis l’un avec l’autre malgré la différence sociale qui les liait. À présent, le rôle du Sand était de protéger Manfrey mais c’était également le devoir du Martell que de protéger ce qui lui appartenait.

Enfin, comme il le devina, leur dernier sujet de conversation s’avérait être le mariage. Rien de plus étonnant.

Je n’ai hélas pas d’enfant à vous offrir de ma lignée.

En effet, sur les deux unions que Manfrey, jamais aucune n’avait réussi à lui offrir une ou un héritier. Bien qu’il n’était que Cinquième Prince de Dorne, la pérennité de sa Maison était des plus importantes et c’est pour cela qu’il s’était fait une raison et avait préféré s’afférer à sa tâche de Gouverneur plutôt que de mari ou de père, laissant de côté toute histoire de mariage à l’instar d’Oberyn.

Ah Maron Martell. Un homme sage, je suis bien fier de savoir que son sang coule à présent dans mes veines… a-t-il fait bon usage de Dorne en la rattachant aux Sept Couronnes ? Sans aucun doute, le Roi est le Roi n’est-ce pas, et nous sommes des Princes.

Ironie ? Peut être. Ou pas d’ailleurs. Le Gouverneur était un homme fiable en certaine circonstance et restait fidèle en toute logique, à Dorne comme à la Couronne.

Voilà une demande fort intéressante et pourtant très difficile à gérer. En effet, ma petite cousine Arianne est déjà fiancée et un des fils du Prince Doran est en cours ce qui nous laisse le plus jeune. Vous me voyez navré de ne pouvoir que repousser votre demande, mais encore une fois, je ne suis ni leur père, ni Seigneur Suzerain de Dorne. Toutefois, encore une fois, je puis vous assurer que je porterai vos mots.

En voyant le courage et la détermination de Dagos, une conversation avec Oberyn au sujet d’une lettre reçue de Robb Stark lui revint à l’esprit et brilla comme une illumination en lui.

Mais dites moi Lord Dagos…Avez-vous déjà vu le Mur ?