Comme un poisson pris au piège dans son bocal, je suffoque du manque de sel et du trop d'humeurs malsaines dans cette chambre aux lourds rideaux de velours où aucun roulis ni même l'once d'un bruissement de vent dans des voiles de toile pourpre ne se font sentir. Enfin de retour et me voilà nostalgique de cette vie nomade que nous nous étions créée là-bas, au delà des Eaux Fumeuses, par delà Quarth elle-même, dans ces Contrées aux délices incomparables.

« Quel piètre veilleur fais-je donc à ressasser le passé tandis que vous n’avez plus d’avenir... » soupirai-je en me levant du fauteuil de bois flotté dans lequel mes muscles s'engourdissaient d'heures en heures alors que cette nuit ne semblait jamais vouloir finir.

« Enfin de retour » m'étais-je exclamé lorsque Kharro, la vigie perchée dans le gréement de l'Ensorceleuse, avait aperçu au loin la silhouette du Titan, ce monstre intemporel mais si rassurant qui avait veillé en gardien sur mon enfance. 7 ans que je n'avais pas traversé la porte de montagnes de ma ville natale, embrassé ma famille ou humé le parfum capitonné dont les courtisanes braaviennes s'épongent le con au sortir des ébats. Cependant l'accueil que l'on me fit n'avait rien de similaire avec les chaleureuses embrassades que je m'étais longuement imaginé.

« A quoi bon rapporter gloire, biens précieux et savoir inconnu si vous, Père, ne tenez pas votre part du marché ? » grommelais-je en m'approchant du guéridon de marbre couleur de sable sur lequel reposait un pichet d'argent à la anse en forme de queue de poisson. Je me servis une coupe de cette piquette infecte à l'arrière goût aigre puis repris ma place au chevet de mon géniteur.
Non, je n’étais pas rentré de mon périple jusqu’à la Mer de Jade pour le retrouver à l’agonie, cadavérique et tremblotant au fond de l’immense lit que je l’avais aidé à conquérir. Cet amas de chair rabougrie ne ressemblait en rien au grand homme qui avait autrefois dicté mon existence d’une main de maître. Il ne serait bientôt plus qu’une de ces statues de pierre stoïques qui bordent le Long Canal en une foule funeste ; un parmi tant d’autres, et pourtant celui à qui je dois tout.


(((((en cours))))

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Alors que le clocher des Chantelunes sonne les coups des 8 heures du matin, sa tête roule sur le dossier de son fauteuil et il semble plonger dans un sommeil de rêves fougueux et d’aventures épicées. Qu’il a pu me manquer, ce frère disparu au bout du monde que je croyais perdu à jamais. Malgré les lettres et les convois qu’il nous faisait parvenir, la distance et les circonstances semblait nous séparer irrémédiablement mais pourtant le voici, le visage vieilli par l’air marin, les traits creusés par la fatigue.
Cela fait déjà une semaine qu’il nous est revenu et que nous l’avons forcé à se vêtir comme il convient au fils du Seigneur de la Mer – à savoir de bleu nuit et de noir – mais il persiste à conserver ses soieries multicolores, ses pantalons de brocard criard et ses chausses de cuir émeraude qui ont fait tourner tant de têtes à son débarquement dans le port Pourpre. Lui qui avait toujours été bien en chair, affiche désormais un profil nerveux, presque osseux. De ses manches dépassent des mains calleuses, abimées, aux veines saillantes et au poignet fin. Ses bras ne sont que muscle, résultat d’un dur travail manuel quotidien. Le col lâche de sa chemise de lin couleur ébène dévoile une profonde entaille entrelacée d’un tatouage de volutes bleu roi qui semble s’allonger de son pectoral droit au centre de son ventre.
Notre famille, comme notre nom le laisse sous entendre, descend de réfugiés valyriens qui ont fui avec les Chantelunes lors de la création de Braavos, et nos gênes, malgré un évident métissage au cours du temps, ne mentent pas. Ferraz a donc hérité des yeux bleus de mon père, des yeux de biche qui appellent au contact, des yeux de gentil garçon farceux, des yeux aux coins desquels se sont formées de profondes pattes d'oies. Il a longtemps eu du mal à se faire prendre au sérieux et a pris dès très jeune l'habitude de ne jamais quitter le regard de ses interlocuteurs. Sa voix s'est enrouée - à force de crier des ordres à son équipage ou de rire avec des indigènes de contrées lointaines, je ne sais - et il parle braavien avec un lourd accent que je ne saurai reconnaitre.
A part notre front saillant commun, nous ne nous ressemblons pas. Si je suis grande et étirée comme une lance, lui est plutôt un sabre - solide, rassemblé et de taille moyenne- et si j'ai le teint hâlé de notre mère pentoshi, il est de la même carnation laiteuse que notre père et notre petit frère. Il n'est jamais parvenu à bronzer correctement et cela, pour une fois, n'a pas changé. En effet des taches rouges et brunes de taille variable s'alternent erratiquement sur son visage, souvenirs de coups de soleils récalcitrants. Ses cheveux ont également souffert de leur longue exposition aux aléas de la vie maritime. De brun foncé ils se sont éclaircis en un châtain clair aux pointes blondes asséchées.
Je dois avouer que son allure m'effraie un peu tant elle diffère de ce que je savais de lui mais après tout, tous les capitaines marchands de Braavos n'ont-ils pas tous cet air marin, ce sel dans la voix et des embruns sur le corps ? Il va bien falloir s'y faire.