Tour de la Main
An 298
13ème lune
Semaine 3
6ème jour

Non, ce n'est pas un soldat qui vient aujourd'hui, expliqua patiemment Eddard à Arya. Ils étaient assis, lui, Arya, et septa Mordane. Sansa, indisposée, avait failli s'absenter, mais une bonne infusion de septa Mordane semblait l'avoir remise sur pied. Il était de coutume, chez les Stark, que chaque jour, un serviteur de la maison partage leur repas : palefrenier, soldat, forgeron, maçon... Un seigneur devait connaître ses sujets, répétait constamment Eddard.

Mais aujourd'hui n'était pas "chaque jour".

Voici Elhenna Dustin. La fille de Barbrey Ryswell et de William Dustin, un de mes compagnons d'armes.

*Tombé au combat, comme tant d'autres.*

Arya se leva et effectua un mouvement qui aurait vaguement pu penser à une révérence, pour peu qu'on observât Arya les yeux dans le vague par une nuit sans lune. Il y avait aussi Ades, bien sûr. Eddard, en ayant assez qu'ils ne se voient que pour parler des problèmes du royaume, avait décidé qu'ils pouvaient bien manger ensemble et avoir des discussions dont on ne ressortait pas avec la migraine.

Et voici Ades Overton, notre nouveau Grand Argentier. Mais peut-être vous connaissez-vous déjà ? Installe-toi, intima Eddard à la jeune fille, s'exprimant spontanément plus familièrement qu'il ne l'avait fait lors de leur dernière rencontre. Manger ensemble et combattre ensemble faisaient partie des activités qui tissaient des liens difficiles à définir, mais néanmoins importants. Dans un premier temps, ce fut le silence, uniquement ponctué par les bruits de mastication et les bruits de couverts.

Dans les traits de caractère qui mettaient parfois ses interlocuteurs mal à l'aise, il y avait la remarquable capacité de lord Stark à garder un silence guindé et solennel. Quand on était palefrenier et qu'on était invité à la table du suzerain de tout le Nord, ce n'était pas la compétence qu'on appréciait le plus. Mais cela permettait à Eddard d'observer, d'apprendre, de jauger.

Cependant, si Eddard était capable de garder le silence longtemps, ce n'était pas le cas de sa fille, qui mit, comme à son habitude, les pieds dans le plat. Elle se tourna vers Elhenna.

Papa dit que vous avez une Fer-Née chez vous. C'est vrai ? On en a un, nous, mais il....

Arya !

Mais quoi ? Je...

Eddard se contenta de foudroyer sa fille du regard, le visage impassible, et elle se tut et se remit à manger, mais sans manifester la moindre trace de gêne. Puis Ned se tourna vers Elhenna, avec un sourire navré.

Ma fille a le don de poser des questions gênantes d'entrée de jeu. Nous avons coutume de parler de tout et de rien, et même si parler de politique ne me dérange pas, je n'aimerais pas t'ennuyer avec tout ça. Un jour, il faudra que je demande à Robert quel crime j'ai commis pour qu'il décide de me condamner à être Main du Roi.

Il eut un demi-sourire qui semblait dire "Je plaisante, mais en fait je suis très sérieux". Cela dit, un demi-sourire, c'était bien plus que ce qu'on pouvait lui voir en public. A table et en famille, lord Stark se détendait de façon perceptible. Il eut un chaleureux sourire à l'adresse d'Elhenna. Quelque part, il avait l'impression de retrouver sa sœur. C'était une sensation à la fois agréable, et légèrement douloureuse.

Le cœur d'Elhenna battait fort ce jour là, tandis qu'elle se dirigeait vers la Tour de la Main pour partager un repas avec Lord Stark et sa famille. Sa famille... C'était aussi un peu son sang. La louve était pressée de voir de quoi pouvaient bien avoir l'air Sansa et Arya. Lui ressembleraient-elles ? La première était délicate et d'une beauté qui n'avait rien à voir avec le Nord. Elle a sans doute beaucoup hérité des Tully, songea Elhenna. Et la seconde... Elle nota la longue figure solennelle et les yeux gris de l'enfant, caractéristiques qui lui étaient plus que familières.
L'héritière de Tertre-Bourg retint un sourire à la révérence bancale qu'exécuta la fille Stark.

- Et voici Ades Overton, notre nouveau Grand Argentier. Mais peut-être vous connaissez-vous déjà ? 

La présence d'Ades était une bonne surprise. Ils ne s'étaient pas revus depuis sa nomination. Enfin, Elhenna l'avait vu, lui, parmi les juges tandis que le procès se poursuivait. Et le jeune homme avait certainement été accaparé par ses nouvelles fonctions car ils n'étaient pas encore allés prier ensemble. La louve avait failli lui faire porter une lettre pour le féliciter mais elle s'était ravisée, songeant qu'un morceau de parchemin n'aurait certainement pas autant de valeur que des mots sincères appuyés d'un sourire chaleureux. Et c'est ce qu'elle donna à Ades après avoir hoché la tête, signifiant par là qu'ils se connaissaient :

- Je vous félicite pour votre nomination au poste de Grand Argentier, Ades.

Ses yeux gris se perdirent un instant dans le regard vairon du jeune homme avant qu'elle ne prenne place à table, elle aussi.

Les premières minutes furent ponctuées des bruits sourds du repas et des regards curieux que l'on se jetait d'un bout à l'autre de la table. Elhenna avait observé avec intérêt la Septa. Point de Septa à Tertre-Bourg, ni de Mestre. Mais le regard qu'elle adressait à Arya était avide. Tant et si bien que la petite eut certainement l'impression d'être encouragée à parler.

Sa question arracha à la louve une expression autant amusée par la curiosité de l'enfant que passablement ennuyée que le sujet arrive si tôt. Oui, elle avait bien une Fer-Née. Chez elle. Dans sa chambrée du Donjon Rouge au moment même où ils commençaient à manger. Plus à Tertre-Bourg. Le cœur d'Elhenna se serra. Avec les récents événements, elle avait recommandé à Thyra d'être la plus discrète possible, jusqu'à ce que l'on en sache plus sur les circonstances de l'attaque de Port-Lannis. Les Volmark avaient été décimés durant la rébellion Greyjoy, il était peu probable que Thyra paie pour le sac de la ville des Terres de l'Ouest. Mais tout de même, la Nordienne n'aimait pas cela. Que ferait-elle si l'on réclamait la tête de sa sœur de cœur ? Sa poitrine se gonfla d'inquiétude et de colère mêlées. Elle ne laisserait pas cela arriver. Jamais.

Et commander à Thyra d'être discrète, c'était comme demander à sa mère de faire au moins semblant d'apprécier leur Suzerain. Peine perdue. L'héritière de Tertre-Bourg ne doutait pas que la nouvelle de la présence de la pupille de Barbrey parviendrait bientôt à Lord Stark ou à d'autres, peut-être moins bien attentionnés. Il lui faudrait bientôt lui avouer la vérité. Il valait certainement mieux cela plutôt que le laisser la découvrir par lui-même.

- Ma fille a le don de poser des questions gênantes d'entrée de jeu. Nous avons coutume de parler de tout et de rien, et même si parler de politique ne me dérange pas, je n'aimerais pas t'ennuyer avec tout ça. Un jour, il faudra que je demande à Robert quel crime j'ai commis pour qu'il décide de me condamner à être Main du Roi.

Au sourire chaleureux qu'il lui adressa, Elhenna sentit son cœur se réchauffer. Elle se détendit un peu en lui répondant d'un air mi-solennel, mi-amusé :

- Ce doit être un crime très grave.

Elle ajouta ensuite, en prenant le ton le plus détaché possible :

- Parler politique ne m'ennuie pas mais j'imagine qu'un peu de distraction est aussi la bienvenue. Elle se tourna de nouveau vers Arya en ajoutant : Il y avait bien une Fer-Née à Tertre-Bourg mais elle n'y est plus. Thyra Volmark m'a rejoint il y a peu à Port-Réal, tu la rencontreras peut-être.

Ce-disant, son ton s'était fait plus grave et elle jeta un regard entendu à Eddard. Elle pourrait la voir, oui, s'il le voulait bien. Et surtout si elle était laissée en paix par, comme elle les appelait en arrivant à la Tertrée : « les Continentaux ». Le ton de la jeune femme signifiait également qu'elle n'irait pas plus loin sur le sujet à moins d'y être invitée. Elle savait qu'un repas en famille n'était certainement pas le meilleur moment pour traiter de ces sujets-là.

L'aveu était aussi à double tranchant et la louve sentait son cœur s'emballer dans sa poitrine tandis qu'elle pensait à ce qui pourrait arriver à Thyra si son Lord Suzerain n'avait pas la réaction espérée.

Lord Stark jeta au Grand Argentier un regard qui lui disait en gros "Ne donne pas de faux espoirs aux gens". Ils ne savaient rien sur l'attaque de Port-Lannis, aussi, dire quelles Maisons étaient impliquées et donc, quels otages devaient être exécutés, était une affaire complexe.

Quoiqu'il en soit, tu recommanderas à Thyra de se faire discrète. Et surtout, d'éviter de dire à qui que ce soit qu'elle est Fer-Née. Je n'ai pas pour habitude d'exécuter des otages si je peux l'éviter. Mais Port-Réal est une ville remplie de roturiers qui n'ont pas l'éducation politique d'un noble. Je doute que beaucoup de citadins fassent la différence entre un Volmark, un Greyjoy et un Harloi. Pour eux, un Fer-Né est un Fer-Né, et un bon Fer-Né est un Fer-Né mort. Et je soupçonne même Tywin de penser plus ou moins comme ça. Cet homme a une véritable passion pour les têtes coupées, et une notion bien particulière du respect des lois.

Eddard but une grande gorgée d'eau tiédasse. L'atmosphère n'était pas la même à Port-Réal que dans le Nord. Il aimait bien les grands espaces du Nord, le vent frais qui piquait la peau. Même le froid mortel, s'il ne l'appréciait pas, il le reconnaissait comme faisant partie de ce qui définissait le Nord. Au même titre que le Mur et la menace constante des Sauvageons. Mais à Port-Réal, tout était chaud, ou tiède, ou tiédasse. Et souvent, ça puait. Il arrivait à s'y faire, mais pas à l'apprécier. Ça manquait de Nord, dans cette ville.

Ils m'exaspèrent, ces Fers-Nés. Sans vouloir manquer de respect à ton amie, Elhenna. Qui peut prendre "Nous ne semons pas", comme devise ? Et revendiquer fièrement de ne rien faire de constructif ? Des hommes et des femmes braves et courageux labourent leurs champs, ils les ensemencent, ils construisent une maison, font des enfants, les élèvent, construisent un enclos pour y mettre un peu de bétail. En cas d'intempéries, ils se taisent et reconstruisent, tout simplement. Et un jour, un homme qui ne sait rien faire de tout ça mais a une hache et une vingtaine de d'amis avec lui vient, fracasse le crâne des parents et des fils, brûle la ferme, massacre le bétail, emmène les filles comme femmes-sels.

Il secoua la tête. Ce n'était même pas la peine de s'exprimer plus longuement. A la limite, rien que la devise Greyjoy résumait le fond de sa pensée. Effectivement, les Fers-Nés ne semaient pas. Et il n'y avait pas de quoi être fier.

On apporta de la viande, dans une espèce de sauce légèrement amère, et il s'en servit une large part. S'il ne pouvait pas dormir, il pouvait au moins manger, et, avec les longues journées de travail qu'il endurait, il avait une tendance à perdre du poids qu'il s'astreignait à compenser malgré le manque d'appétit qu'il éprouvait en règle générale depuis qu'il était Main du Roi.

Elhenna avait aussitôt répondu à Ades, d'un ton chaleureux :

- Ne craignez rien. Nous irons prier lorsque vous aurez plus de temps, je comprends l'importance de vos nouvelles responsabilités.

Lorsqu'il parla de Thyra, la louve ne pu retenir un sourire. Oui, elle était à Port-Réal. Et elle y était venue à cheval, en toute hâte, pour être à ses côtés. Lorsque l'on connaissait la Fer-Née, savoir qu'elle avait bravé son aversion de l'équitation pour quelqu'un, c'était comme si elle lui avait fait une déclaration d'amour silencieuse.
Et dans la voix d'Elhenna brûlait toute la fierté qu'elle avait d'avoir pareille sœur d'adoption :

- Elle est à Port-Réal depuis quelques jours seulement et, après les récents événements – elle hocha la tête en direction de Lord Stark – je lui ai recommandé d'être discrète. Elle ne devait pas me rejoindre mais elle a réussi à convaincre mère. Je ne sais pas trop par quel miracle d'ailleurs. Thyra n'a jamais été une habile négociatrice et ce n'est pas comme si mère était du genre à céder facilement. A l'occasion, elle sera heureuse de vous revoir.

En fait, il était à peu près certain que n'importe quelle rencontre ou activité ravirait la fille Volmark. Elhenna la connaissait bien assez pour savoir que vivre ainsi, obligée de faire preuve de la plus grande des discrétions ne lui conviendrait pas bien longtemps. Tout était bon pour lui changer les idées. Et revoir Ades serait très certainement une distraction bien plaisante pour la pupille de sa mère.

Elhenna eut un sourire reconnaissant à l'attention de l'héritier Overton lorsqu'il la rassura sur le sort de Thyra. Sourire qui s'estompa bien vite de ses traits lorsque Lord Stark prit la parole, lui rappelant à quel point la situation de la jeune femme était précaire. Elle se redressa un peu sur son siège, prête à défendre sa sœur de cœur. Mais il convenait d'avouer que la Main du Roi avait en grande partie raison, au sujet des Fer-Nés. Et la devise Volmark ne venait pas vraiment contrebalancer celle des Greyjoy. En effet, « La terreur montera » n'avait rien à voir avec le « Plutôt mourir que déshonorer » des Dustin.

- Mais tous les Fer-Nés ne sont pas ainsi. Elle n'avait pu s'empêcher de prononcer ces mots et de dire ainsi tout haut ce que son cœur lui hurlait au plus profond de ses entrailles. Sa voix était teintée d'une passion à la fois puissante et farouche.

Robb Stark et Theon Greyjoy étaient peut-être amis. Elhenna Dustin et Thyra Volmark, c'était autre chose. De ce genre de relation où l'on se promet « A la vie, à la mort » sans jamais se le dire vraiment.

Elle ajouta :

- J'ai hâte que cette affaire soit réglée et que les coupables véritables soient désignés et punis en conséquence.

La fille de Barbrey craignait que le conflit ne s'éternise et ne fasse beaucoup d'innocentes victimes. Rien de tel pour raviver d'anciennes et tenaces rancœurs, que ce soit d'un côté ou de l'autre de la mer.

Ades ne regrettait pas un seul instant d'avoir rassuré Elhenna, quoiqu'il en pense, Thyra n'était pas en danger directement. Les Volmark avaient été très durement touchés par la dernière rébellion et ils n'étaient sûrement pas en état de se battre à nouveau. On ignorait encore qui avait organisé cette attaque mais le jeune homme pensait bien que la famille au Léviathan ne serait pas de ceux qui avaient attaqués Port-Lannis. Il n'était donc pas nécessaire de faire un peu plus peser la chose sur les épaules des deux jeunes femme, d'autant que comme Elhenna le prouva rapidement, elles avaient déjà pris les mesures qui s'imposaient.

- Thyra Volmark ? Se faire discrète alors qu'elle a en plus l'obligation de bien se comporter à la Cour ? Elle doit être en rage. Peut-être devriez-vous la convier à cette séance de prière, cela la soulagera peut-être.

Le jeune homme avait commencé sur un sourire mais il ne disait pas cela au hasard. Lui-même n'allait dans le bois sacré que pour y avoir un peu de calme pendant plusieurs minutes. Même si Thyra ne croyait pas en les même dieux, peut-être saurait-elle apprécier l'ambiance des lieux. Au pire cela lui donnerait une occasion de la revoir. Vasgard serait tout aussi ravi de voir la petite Fer-née après toutes ces années.

De l'avis de Lord Stark, les Fer-nés était des imbéciles cruels qui prenaient fierté dans leur incapacité à faire des choses simples. En cela, Ades ne pouvait lui donner tort, la tradition des Îles de Fer se réflétait chez toutes les maisons et dans leur mots, comme dans leur blason. Rares étaient ceux, en effet, qui exprimait quoi que ce soit de calme.

- Les Îles de Fer ne sont pas fertiles. Longtemps, le pillage a été tout ce que pouvait faire les habitants, jusqu'à ce qu'ils apprennent le commerce et puisse vendre leur précieux minerai. Le problème, c'est que les Fer-nés ont la mémoire dure, eux-aussi. Ils ne se souviennent simplement pas de la même chose que nous.

Ce n'était pas faux de dire que les Îles de Fer était sans doute la région des Sept Couronnes la plus attachée à ses traditions, datant des Premiers Hommes voir même avant selon les prêtres du Dieu Noyé.

- Ils se souviennent de l'époque où ils pillaient librement et sans résistance, sans comprendre que les choses ont changés aujourd'hui. Cela fait trois siècles qu'ils enchaînent rébellion raté sur rébellion raté. La plus longue période de calme a suivi la destruction d'Harrenhal.

Ce n'était pas vraiment rassurant de savoir qu'il avait fallut une des plus atroces défaites de l'histoire pour que les Îles de Fer plient le genoux face aux dragons. Cela l'était encore moins de savoir qu'il n'y avait plus de dragon à leur opposer maintenant.

Eddard approuva du chef. L'analyse d'Ades, froide, posée et raisonnable, le séduisait. Et, effectivement, il mettait le doigt sur le problème. Les Fers-Nés se complaisaient dans le passé, comme un vieil homme se berçant du souvenir de ses anciennes victoires - l'image de Robert Baratheon s'imposa immédiatement à l'esprit de Ned, mais il la chassa.

La destruction d'Harrenhal avait mis à bas la dynastie Chenu, rois des Îles de Fer et du Conflans. Aegon le Conquérant avait mis les Tully à la tête de la région et les Greyjoy à celle des Îles de Fer. Les Fers-Nés préparaient-ils un assaut sur le Conflans ? Ce serait bien dans l'esprit. Après avoir rétabli l'Antique Voie, leurs lubies guerrières couvrirait ce "glorieux passé" d'un lustre irrésistible.

Et si, à l'origine, Eddard avait envisagé de garder l'ost du Nord en réserve, pour contrer la menace qui s'approchait depuis au-delà du Mur, il était bien conscient que pour pouvoir bénéficier de l'appui du Conflans, il faudrait alors que les Stark interviennent. Soit... Robb. Il pensa un moment envoyer un corbeau pour lui en toucher un mot. Oui, il le ferait ce soir. Catelyn allait tout de suite comprendre ce qu'il fallait faire, et Robb aimait suffisamment la bataille (peut-être même un peu trop) pour faire ce qu'il convenait. Mais tout de même, mieux valait être prudent.

Et on ne pouvait pas raisonnablement demander l'appui d'une région lors d'un conflit si à l'assaut précédent, on l'avait laissée faire face seule.

L'Hiver vient, déclara lord Stark d'un ton lugubre. L'attaque des Fers-Nés n'est rien à côté de cela. Les Autres se sont levés par-delà le Mur.

Il n'en dit pas plus. Le reste relevait du secret d’État. Dans ces conditions, il était évident qu'il fallait traiter le problème Fer-Né de manière radicale : tuer Balon et Victarion Greyjoy, au minimum. Et surtout, anéantir la Flotte de Fer et décimer les marins. Des navires se reconstruisaient relativement vite, en cinq ans, on pouvait refaire toute une flotte. Mais des marins expérimentés, il fallait compter vingt ans. Il fallait donc frapper les hommes, les plus expérimentés en premier. Décimer toute une génération. Stannis allait rougir la mer, il le savait : le frère de Robert était compétent, patient, prévoyant, ennuyeux, et implacable.

Eddard appréciait beaucoup l'homme, même s'il se doutait que la réciproque n'était pas forcément vrai. Enfin, sans parler forcément d'affection, en tout cas, un fort respect existait entre eux deux.

Les assiettes se vidaient. Il n'y avait pas de dessert. Même à Port-Réal, un Stark restait un Stark : ils n'étaient pas du genre à déguster des tartes au citron en faisant des sourires de convenance à des courtisans. Mais on abordait maintenant le sujet crucial : les Autres.

Elhenna accorda un nouveau sourire sincère à Ades, tandis qu'elle lui répondait, d'un ton léger :

- C'est peu de le souligner car, bien se comporter à la Cour, cela signifie aussi mettre des robes et se coiffer... Elle adressa une œillade complice au jeune homme en ajoutant : Et vous savez aussi bien que moi à quel point elle a cela en horreur. Je lui proposerai de se joindre à nous. Elle ne priera pas mais cela aura au moins le mérite de lui permettre de prendre un peu l'air et de se changer les idées.

Le regard d'Elhenna glissa de nouveau sur la plus jeune des Stark, tandis que le repas se poursuivait tranquillement, avant que la Main du Roi ne fasse une lugubre déclaration. A ce moment là, la fille de Barbrey aurait souhaité qu'Eddard Stark soit du genre à faire des blagues douteuses. Malheureusement, ce n'était pas le cas et la jeune louve avait aussitôt arrêté de manger, avant de poser ses couverts dans un froncement de sourcils.

Ses yeux gris se posèrent d'abord sur le frère de Brandon avant de passer rapidement à Ades pour finalement revenir sur le visage solennel de son oncle de sang. Déjà droite sur sa chaise, elle s'était encore redressée et demanda, d'une voix sourde :

- Qui les a vu, la Garde de Nuit ? Les témoignages sont-ils sûrs ?

Elle avait tout un tas d'autres questions à lui poser. Si la menace était bien réelle, combien étaient-ils ? Et que faisait-on pour être sûrs qu'ils ne franchissent pas le mur ? Ou mieux, pour s'en débarrasser?

Un long frisson lui parcouru l'échine. Lorsqu'elle était encore enfant ; les Autres, c'était la pire histoire que Barbrey avait pu lui raconter. Mais, blottie au coin du feu contre sa mère, ça paraissait lointain et irréel. Un conte sordide pour effrayer les petites filles. Dans la bouche d'Eddard Stark, ça avait le don de jeter un froid et de faire passer tout le reste bien au-delà du second plan.

L'attaque de Port-Lannis, la menace fer-née et ce foutu mariage, rien n'était plus important que de repousser les Autres si tout ce qu'on racontait à leur sujet était vrai. Et Ned Stark avait raison : l'hiver venait. Cela n'arrangerait rien.

HRP:

Eddard reprit la parole d'un ton posé. Il se rendait compte que son auditoire était particulièrement bien choisi : les trois quarts des nobles du Royaume auraient éclaté de rire à la simple mention des Autres et écouté poliment Eddard avant de murmurer entre eux à propos de ces stupides superstitions provinciales.

Et Eddard Stark aurait été heureux de pouvoir les croire, mais les témoignages étaient trop fiables pour qu'on les néglige simplement.

Les frères noirs, oui. Deux cadavres ambulants se sont introduits dans les appartements du Lord Commandant, Jeor Mormont, pour essayer de l'assassiner.

Cela seul était en soi troublant. Cela signifiait qu'il y avait, à un niveau ou un autre, une pensée stratégique qui guidait ces cadavres. Ils savaient qui était le Lord Commandant, ce qu'il représentait, et où le trouver.

Jon Snow, son intendant, est arrivé à les vaincre, en utilisant le feu. Mais ce fait prouve l'existence de l'ennemi. C'est bien plus qu'une légende pour enfants. Je ne connais pas les détails des mouvements des Sauvageons, c'est l'affaire de la Garde de Nuit.

Mais les frères noirs ne sont plus que l'ombre de ce qu'ils étaient autrefois. Il serait sans doute sage que nous nous intéressions à la question d'un peu plus près.

Heureusement, les lettres qu'il avait échangées avec son fils Robb étaient plutôt rassurantes sur ce point : le Stark de Winterfell comprenait et maîtrisait parfaitement la situation. A Eddard de gérer les affaires du Royaume. Il avait du mal à l'accepter, mais pour l'heure, le Nord n'était pas de son ressort.

Pour l'heure, nous savons bien peu de choses de cet ennemi. Nous savons qu'il existe. Nous savons qu'il possède une certaine forme d'intelligence. Nous savons qu'il craint le feu quand l'acier ne lui fait rien. Mon... Jon l'a poignardé, sans succès, nous apprend le Lord Commandant. Voilà ce que nous savons.
Mais nous ne connaissons ni son nombre, ni ses moyens, ni ses intentions. Il y a sans doute des éléments consignés dans de vieux grimoires, et je sais déjà que quelques mestres s'intéressent à la question.

A commencer par mestre Luwin à Winterfell, ou mestre Aemon à Châteaunoir.

Eddard Stark avait quelques idées pour faire pleuvoir le feu sur l'ennemi d'au-delà du Mur, mais il devait encore y réfléchir. Il avait beaucoup pensé au feu grégeois, ces derniers temps. Cet infâme liquide verdâtre dont Aerys II et sa clique d'alchimistes étaient si épris. En faire voyager vers le Mur était sans doute dangereux, ce genre de substance requérait des précautions. En revanche, transporter les alchimistes au Mur, ainsi que les ingrédients, pourrait s'avérer beaucoup plus facile. Mais si son projet fuitait, il craignait que les alchimistes ne s'évaporent dans la nature. Après tout, ils avaient de bonnes raisons de craindre la maison Stark : de Dorne jusqu'au Mur, la notion de dette de sang parlait à tout le monde.

Lord Stark ne cherchait pas la vengeance, mais cela, les alchimistes n'avaient aucune raison d'y croire. Donc il garderait le silence jusqu'à ce qu'il décide d'agir.

Nous devons réunir toutes les informations disponibles sur cet ennemi, et, comme le dit lord Overton, il est vital que le Royaume soit aussi stable que possible avant de nous préoccuper de cette menace. Les Autres, et les Sauvageons avant eux. S'ils descendent en masse vers le Sud, pressés et désespérés, ils seront extrêmement dangereux. Car ils ne seront pas mûs par la volonté de piller, par l'envie de terres fertiles ou d'un mode de vie qu'ils estiment mériter, mais par l'instinct de survie. Il n'y a pas plus dangereux que des gens qui n'ont rien à perdre.

Dans l'état actuel des choses, le Mur ne tiendra pas avec les effectifs dont dispose la Garde. Il faudra les aider. Ils ont un millier d'hommes pour défendre un mur long de 300 milles.

Il fallait être un imbécile pour ne pas voir que ce Mur ne servait strictement à rien s'il n'était pas défendu.

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HRP : désolé pour le retard encore plus énorme que celui d'Elhenna^^

Au fur et à mesure de la conversation, Elhenna se redressait encore et encore tandis que son visage se faisait plus dur, solennel.

Elle s'était d'abord tournée vers Ades qui restait, pour sa part, quasi impassible. Un éclair de curiosité brilla un instant dans le regard gris de la jeune femme tandis qu'elle lui demandait :

- Le reste ? Qu'est-ce à dire ? Vous voulez parler de l'attaque de Port-Lannis ? Cette histoire devrait bientôt être terminée. La Couronne ne devrait pas y perdre de temps. Mais peut-être y a-t-il autre chose ?

Qu'est-ce qui pouvait bien être plus important que se prémunir des Autres ? Elhenna en était alors convaincue : l'attaque de Port-Lannis et les Fer-Nés ne seraient bientôt plus que de l'histoire ancienne. La Couronne leur ferait payer leurs agissement à l'encontre de l'Ouest. Chèrement, certainement. Et ça en serait vite fini.

La louve avait froncé les sourcils tandis qu'Eddard reprenait posément la parole et confirmait quelques-unes de ses craintes.

On les avait vu. Et pas n'importe qui. Parmi les témoins, il y avait Jeor Mormont, homme respectable s'il en était. Mais pire que tout : les cadavres l'avaient ciblé lui. Pas un frère noir au hasard : lui, leur Lord Commandant. Et cela voulait dire qu'autre chose que l'envie de semer la mort les animait.
Les créatures étaient insensibles à l'acier. Là encore, c'était une nouvelle bien peu réjouissante. Savoir qu'ils craignaient le feu était certes bien joli mais comment en créer assez pour préserver Westeros ? Avec l'hiver qui venait, les Marcheurs Blancs essaieraient peut-être de passer le Mur. Ils avaient déjà marché sur le Continent, des milliers d'années plus tôt, lors de la Longue Nuit.
Et s'ils voulaient recommencer ? Les Anciens prédisaient que l'hiver à venir serait le plus rude depuis des générations. Pouvaient-ils sentir ce moment arriver ? Était-ce leur moment ? La dernière fois qu'on les avait vus, c'était aussi au cœur de l'hiver le plus rude.
Leur nombre et leurs intentions exactes étaient des questions cruciales. Il fallait se renseigner. On devait interroger les Sauvageons ; ceux qui voulaient fuir par-delà le Mur. Ils pouvaient avoir d'importantes informations.

- Qui d'autre sait ? Les Seigneurs du Nord ont-ils été prévenus de la menace ?

Elhenna l'espérait sans y croire vraiment. Sa mère lui aurait écrit à ce sujet si tel avait été le cas. Si le Mur cédait, c'était le Nord et ses gens qui seraient en première ligne. Il fallait qu'ils se préparent. Mais avant tout, il fallait prêter main-forte à la Garde.

Elle plongea son regard solennel dans celui d'Eddard :

- Voulez-vous que nous les prévenions ? Peut-être pas tous bien sûr. Mais il faut... Je pourrais écrire à ma mère et à mon oncle si vous le souhaitez. Fort-Terreur et la Tertrée ne seront pas de trop pour préparer le Nord. Il y a des hommes expérimentés là-bas.

Il y en avait d'autres, bien sûr. Mais Elhenna avait le mérite de pouvoir plaider cette cause aux moins soumis des vassaux de son Suzerain.

Eddard eut un geste d'apaisement. Il aurait été en droit de mal prendre la réaction d'Elhenna. Bien entendu que les concernés avaient été mis au courant. Si même lui, Eddard Stark, qui était à des centaines de lieues de l'action, savait de quoi il retournait, c'était également le cas des seigneurs du Nord.

Mais il savait que la réaction de la jeune Dustin venait de l'impulsivité et de l'arrogance normale chez les jeunes.

Brandon était comme ça. Lyanna aussi.

Il reprit la parole avec un léger sourire.

Croyez-moi, lady Dustin, j'apprécie votre bonne volonté. Mais mon fils a déjà prévenu tous les seigneurs du Nord. Ils sont au courant. D'ailleurs, plus les gens seront au courant, et mieux ce sera. Cette affaire n'a rien d'un secret d'Etat, ce serait même tout le contraire. Mais je crains, hélas, que personne au sud du Neck ne s'en préoccupe.

Il resta silencieux un instant.

Peut-être est-il temps que je prenne les choses en main. Pacifier et stabiliser le Royaume ne suffit pas. Surtout que je n'ai pas connu en la matière des résultats éblouissants.

Quand aux Fers-Nés... C'est une affaire compliquée. Leur position insulaire les rend presque inexpugnables.

"Presque" était le terme important. Elhenna comme Ades connaissaient suffisamment leur histoire pour savoir qu'Eddard et Robert avaient déjà poursuivi le Kraken jusque dans sa demeure, pour l'y écraser. Mais il n'était pas mort, et s'était relevé, épée à la main. "Plus dur et plus fort", comme ils disaient.

Ils ne gagnent jamais vraiment... Mais ne sont jamais vraiment défaits. Mais le vrai problème est au Nord, encore une fois. Si les Autres reviennent, la menace Fer-Née ne sera qu'une aimable plaisanterie à côté.

Elhenna s'était sagement renfoncée dans son siège tandis qu'Eddard parlait. Elle hocha silencieusement la tête à ses paroles, consciente qu'une fois encore, son impulsivité l'avait poussée à s'emporter et à parler trop tôt.
Face à n'importe quelle autre personne, sa fougue ne se serait pas calmée si facilement et si rapidement. Même sa mère ne pouvait se vanter d'avoir sur elle pareille emprise. Son regard solennel restait ancré à celui de son oncle de sang tandis qu'elle digérait ses paroles. Tout était déjà fait. Pourquoi alors Barbrey ne l'avait-elle avertie de rien ? Peut-être que la funeste nouvelle commençait tout juste à se répandre au Nord. Ou alors – son cœur bondit de colère à cette pensée – sa mère ne l'avait pas prévenue sciemment, se laissant ainsi le pouvoir de décider seule de la manière dont Tertre-Bourg s'impliquerait pour prémunir le royaume des hommes des Autres.
Dans le doute, elle lui écrirait sitôt de retour dans sa chambrée et l'enjoindrait à participer autant que possible à cette campagne, sans conteste cruciale.

Quant à convaincre les sudistes du sérieux de la situation... Ce serait laborieux. Dans l'ambiance douceâtre de la capitale, il était compliqué d'accorder du crédit ou de se sentir menacé par ce qui se trouvait peut-être au-delà du Mur. Il s'agissait d'un tout autre combat. Malaisé lui aussi.

Elhenna hocha une nouvelle fois silencieusement la tête lorsqu'Eddard évoqua ensuite le problème fer-né. La seule crainte qu'ils inspiraient à la louve, c'était celle de lui coûter la tête de Thyra à force d'agir comme des imbéciles inconséquents. Elle n'aurait pu se faire à cette idée et espérait que les insulaires arrêtent là leurs tristes exploits.

Le repas terminé, la jeune louve se leva pour prendre congé des Stark. Elle salua d'un sourire Sansa et Arya, osant même une œillade complice en direction de la seconde. Puis elle remercia Eddard par quelques mots et un regard brillant de sincérité avant de quitter la Tour de la Main en compagnie d'Ades.