Comme elle l'avait imaginé, le duel fut rapidement expédié et le Sanglier des Crakehall terrassa son exotique adversaire en une seule joute. Sous les acclamations de la foule, il fit un tour autour des tribunes pendant que le dornien – Eleanor le vit du coin de l’œil – tapait dans le sable de son poing ganté. Elle eu presque envie de le plaindre mais avec son comportement arrogant de la veille, il avait plus que mérité d'être remis à sa place par Ser Lyle. Le second fils de Lord Crakehall avait accompli un presque sans faute au cours de ce tournoi et même s'il était réputé un peu brusque, Eleanor ne doutait pas qu'il aurait agit bien plus poliment que ce dornien. L'ironie voulut toutefois que Ser Lyle affronte ensuite son frère, Gregor Clegane. La joute fut longue et impressionnante tant les deux adversaires étaient vigoureux. Le résultat fut surprenant mais plut beaucoup à la foule qui avait encouragé les deux chevaliers de l'Ouest – avec un peu moins d'ardeur pour Gregor tout de même.

Les joutes continuèrent toute la journée jusqu'à ce qu'on proclame un champion, juste à temps pour que l'on puisse dresser le banquet. Comme souvent, le tournoi avait duré plus que l'on ne l'avait prévu mais tout le monde avait eu le temps de passer, ce qui évitait de le prolonger encore un jour. Il restait tout de même une soirée de festin pour célébrer les vainqueurs et consoler les perdants. Eleanor eu même la chance d'être placée à une table proche d'un chanteur ce soir-là. Il les régala de nombreux sérénades , tout en tentant d'improviser des hymnes aux gagnants. Leur rimes étaient souvent bien faibles mais elles parvenaient à arracher un sourire à tous ceux qui l'écoutait. C'est alors qu'il était en train d'entonner « L'épouse du dornien » qu'un fracas fit tourner la tête de la jeune Clegane.

Une servante avait laissé tomber son plateau à côté de la table et peinait à en récupérer les ustensiles. Le responsable du désastre était agenouillé également et aidait la servante à récupérer ce qui était tombé. Ulwyck Uller lui sembla un peu plus modeste, peut-être suite à sa défaite. Eleanor hésitait à simplement continuer d'écouter la chanson ou faire un pas vers la paix. Elle se décida finalement à glisser du banc pour plier les genoux et aider à ramasser. Elle prenait bien garde à ne pas abîmer sa belle robe qui aujourd'hui mélangeait le jaune Clegane et le rouge Lannister. Ce n'est qu'une fois au sol qu'elle entendit Ser Ulwyck fredonner la chanson et elle sourit sans rien y redire. Puis une fois le plateau en ordre et la servante calmée, elle adressa quelques mots polis au dornien.

- Ser Ulwyck, vous avez été vaillants aujourd'hui. Votre second adversaire était vigoureux et puissant mais vous l'aviez bien frappé, je l'ai vu.

Elle se souvenait en effet distinctement d'avoir eu le temps d'apercevoir la lance qui frappait en plein milieu du torse de Ser Lyle mais la puissance du Sanglier l'avait empêché de même chanceler. Cela restait bien visé de la part du Uller.

Eleanor ne savait pas trop à quoi s'attendre quand elle était venue parler au chevalier dornien, mais définitivement le rire n'était pas la première chose qu'elle ait imaginée. Elle crut qu'il allait se moquer d'elle à nouveau et ses premiers mots ne furent pas exactement là pour la rassurer. Se moquait-il d'elle en insinuant qu'elle n'était pas capable de complimenter, elle l'avait pourtant bien fait la veille sur son premier combat. Peut-être l'avait-il oublié, ou peut-être n'avait-il toujours pas digéré l'affront imaginaire qu'elle lui avait infligée. De fait, elle n'osa pas réagir tout de suite, de peur qu'il prenne de nouveau mal sa réponse. Sans compter qu'elle-même n'était pas sûre de savoir comment réagir.

Mais Ser Ulwyck se montra beaucoup moins moqueur et plus professionnel quand il lui répondit. Il ne fit qu'analyser sa propre prestation et d'un ton bien plus sage que la veille, ce qui était tout à son honneur. Eleanor réussit même à sourire en repensant à sa voisine du banquet, jeune et agréable. Elles n'étaient plus assises l'une en face de l'autre ce soir là. La jeune Clegane l'avait surveillée du coin de l'oeil pendant les combats de son champion et elle avait chaque fois encouragée Ser Lyle. Cela ne lui avait toutefois pas porté chance car il avait perdu contre Gregor juste après s'être défait de Ser Ulwyck.

- Oh elle devait être aux anges, d'autant que les prestations de Ser Lyle étaient très impressionnantes. Elle a dû être déçu de sa défaite tout de même. Il n'y a pas de honte à perdre contre un chevalier si robuste.

Eleanor en revanche ne paraissait pas déçu le moins du monde par la défaite du Sanglier, elle avait parié pour son frère après tout. Gregor avait été magistrale comme on le lui avait toujours raconté. Brutal et direct, c'était ainsi qu'on pouvait définir le style du Clegane. Il ne s’embarrassait pas de salut, de signes à la foule, il venait pour jouter et il le faisait avec une efficacité effarante.

La proposition du chevalier la surprit un peu. Lui aussi cherchait sans doute à faire amande honorable pour la veille. Comme elle appréciait l'effort, elle lui offrit un beau sourire et se décala vers la table. Sa jeune servante était presque endormie sur le bord, car elle peinait à se remettre de seulement deux jours de festivités. Eleanor lui prit doucement l'épaule pour la secouer un peu.

- Myla ma douce, nous allons marcher un peu, m'accompagneras-tu ?

En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, la servante fut debout et époussetait sa robe. Elle eu une seconde d'arrêt en reconnaissant Ulwyck Uller mais s'abstient sagement de la moindre remarque.

- Bien sûr mademoiselle, je vous suis.

Eleanor avait reçu l'ordre express de ne pas se déplacer seule. Ce n'était pas temps pour la protéger que pour s'assurer qu'elle ne tenterait pas d'aller voir son frère, elle le savait. Mais elle appréciait aussi la compagnie de la servante et se sentait mieux en la savant sur ses talons plutôt qu'en la plantant là. Elle ne connaissait toujours pas les intentions du dornien et connaissant la réputation de cette région, elle craignait qu'il cache quelque chose dans sa manche. Une tentative de vengeance puérile pour la veille n'était pas à exclure.

- Je vous en prie, Ser Ulwyck. Marchons.

Le trio s'éloigna rapidement de la grande tente sous laquelle le banquet se déroulaient, mais ils ne s'en éloignèrent pas trop. Eleanor ne s'en était pas rendu compte mais la nuit était déjà tombée et elle ne tenait pas à trop s'éloigner, même en compagnie d'un chevalier. Myla les suivait de près mais elle prit bien garde de ne pas intervenir dans la conversation. La jeune Clegane commença par prendre une grande inspiration une fois l'air frais retrouvé, on ne se rendait pas compte de la chaleur que pouvait accumuler une simple tente comme celle-ci, même ouverte de tous les côtés. Ulwyck Uller commença quand à lui à parler climat et paysage, attribuant à ces changements la raison de sa colère de la veille. Eleanor pensait plutôt à l'orgueil mais elle se garda cette fois-ci d'envenimer la chose. Elle lui sourit et expliqua poliment pourquoi elle aurait refusé de toute façon.

- Je ne doute pas que rares sont les fois où vous avez combattu sans les faveurs de quelqu'un, mais un chevalier porte déjà les couleurs de ma famille durant ce tournoi. Et plusieurs jeunes chevaliers de la famille Lannister ne m'aurait pas pardonné, puisque je suis pupille de Ser Stafford, qui participait aussi.

Ser Stafford n'avait pas fait une très belle performance lors du tournoi mais comme d'habitude il rejetterait la faute sur son cheval. Nulle doute que d'ici quelques jours, il contera comment il aurait aisément put vaincre la Montagne et Ser Lyle en même temps et les deux mains dans le dos. Le Lannister avait toujours eu ce comportement excentrique et aujourd'hui il faisait simplement sourire Eleanor. L'homme l'avait accueillie sous son toit et élevée jusqu'à aujourd'hui, elle ne pouvait lui en vouloir pour quelques vantardises.

Si compliment il y eu de la boucher du chevalier, Eleanor ne manqua pas de remarquer qu'ils étaient généraux et s'adressaient autant à elle qu'à Myla, et toutes les autres nobles des Terres de l'Ouest. Elle résolue tout de même de le prendre avec le sourire même si cela ne la faisait plus rougir outre mesure. Après un rapide regard complice à sa servante, elle l'excusa doucement.

- Myla a beaucoup travaillée ces derniers jours avec ce tournoi, on ne peut pas lui demander d'en suivre le moindre détail ensuite sans s'attendre à la fatiguer d'avantage. Je vous assure qu'elle est encore plus rayonnante éveillée qu'endormie.

Ce fut la servante qui rougit cette fois-ci et détourna le regard. Elle reprit cependant vite une couleur naturelle en entendant Ser Ulwyck demander après le champion d'Eleanor. En quelques secondes, elle rejoignit sa maîtresse et – passant discrètement un bras autour du sien – la ramena un peu vers l'intérieur des tentes. Eleanor se demanda un peu pourquoi jusqu'à ce qu'elle se souvienne de ce qu'on racontait sur son frère, et qui devait probablement venir de Dorne. Le chevalier Clegane ne devait guère être apprécié dans ses contrées désertiques et c'était sans doute pour éviter une colère du Dornien que Myla la rapprochait des autres convives. Mais Ulwyck Uller devait être au courant depuis longtemps songea Eleanor, il était difficile de la confondre avec une femme d'une autre famille noble tant le gigantisme affectait les Clegane. Elle n'en répondit pas moins prudemment.

- Rien de tout cela en fait, Ser Ulwyck. Je pariais simplement pour ma famille et Ser Gregor s'en est très bien tiré je trouve.

Eleanor ne comprit pas immédiatement pourquoi Port-Lannis était soudainement entré dans la conversation. Elle n'avait jamais mis les pieds dans le port et ne connaissait pas plus la maison Lannister qui résidait là-bas. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre que le Dornien faisait une erreur courante : réduire la Maison Lannister à Tywin et ses frères, en rangeant tous les autres Lannister dans la branche de Port-Lannis. La maison au lion d'or était souvent prolifique et même la branche principale avait ses multiples embranchements et divergences mais beaucoup avaient le réflexe de la réduire au Lord de la maison et ses frères. Elle s'empressa de corriger poliment Ulwyck, il ne pouvait pas deviner après tout.

- Ser Stafford n'appartient pas à la maison Lannister de Port-Lannis, Ser. C'est un membre de la branche de Castral Roc, un cousin de Lord Tywin, le frère de notre regrettée Lady Joanna.

La réponse à sa révélation sur son frère fut tout aussi surprenante pour la jeune femme. Elle ne s'était bêtement pas attendue à ce que le dornien ne la reconnaisse pas. Elle pensait pourtant porter un vêtement au couleur des Clegane, la veille, mais elle se souvint que durant le banquet , Ulwyck avait put le manquer. Il lui parlait donc depuis hier sans savoir qui elle était véritablement et elle ne pouvait manquer de remarquer le dégoût dans sa voix. Surtout qu'il se sentit forcé de ponctuer sa phrase d'un crachat qui fit s'écarter Eleanor de quelques pas vers les tentes. Elle comprenait soudain qu'elle venait de se mettre en danger sans le savoir et saisissait mieux la prévenance de sa servante. Le Dornien parlait de Gregor comme d'un véritable monstre, comme on l'en avait déjà averti plusieurs fois.

- C'est à cause de ces choses que Dame Eleanor est là, bougre de...
- Myla !

Elle ne l'avait pas arrêtée pour l'empêcher d'insulter le dornien, mais parce qu'elle n'aimait pas l'entendre dire du mal de son frère aîné. Qu'un chevalier de Dorne ignorant et manifestement mal renseigné se permette ce genre de déclaration passait encore, mais elle ne souffrirait pas qu'une servante, fut-elle Myla, insulte son frère.

Il s'avança vers elles, la dague entre les doigts. Il jouait avec pendant qu'il les menaçait, à moins que ce ne soit de la vantardise. Quoiqu'il en soit, cela ne plut pas du tout à la jeune femme. Le rouge lui monta rapidement au nez et aux joues, même si sa servante la faisait reculer vers la tente, pour être bien en vue des seigneurs de l'Ouest encore présent au banquet. La silhouette d'Eleanor les empêchait de voir la dague aux mains d'Ulwyck mais ils ne manqueraient pas une agression si elle devait avoir lieu. La Clegane n'en avait que faire de toute façon : elle se dressa, droite comme un i, se rendant ainsi encore plus grande.

- On m'avait fait grand cas des rhapsodes de Dorne, je n'ose croire qu'ils considèrent le meurtre de deux femmes sans défense comme digne d'être chantés. Personne ne chante sur le sac de Port-Réal et sur ce que mon frère y aurait fait, selon vous.

Il lui répugnait même d'évoquer cette possibilité mais il le fallait bien pour pouvoir argumenter avec cet imbécile.

Elle commençait à en avoir plus qu'assez de ses insinuations douteuses en plus d'être stupides. Voilà qu'il y mêlait la Fraternité Bois-du-Roi maintenant, comme si ce qu'il suggérait avait quoi que ce soit de commun avec ce qu'on racontait de la Fraternité. Eleanor n'était pas idiote au point de croire qu'il s'agissait là des nobles bandits célébrés dans les chansons et les contes, mais l'ancienne Fraternité n'avait rien de commun avec le chevalier de Dorne. Elle ne pouvait pas le laisser continuer sur ce genre de bêtises.

- La Fraternité est connue et chantée parce que Symon Tignac a affronté Ser Barristan Selmy, parce que le Chevalier Badin a affronté Ser Jaime Lannister puis Ser Arthur Dayne en combat, pas parce qu'il a été tué Ashara Dayne au cours d'un quelconque tournoi. Mais peut-être que je connais mal les rhapsodes de Dorne, auriez-vous d'autre chanson à ce sujet ?

Que voulait-il exactement ? La Clegane ne cherchait plus à le comprendre, tantôt il la menaçait à demi-mot, tantôt il la complimentait bêtement. Qu'espérait-il ? Recevoir un merci de sa bouche ou de celle de Myla, une autre faveur pour un prochain tournoi peut-être ? Il pouvait toujours rêver, même si son frère ne participait pas, jamais elle n'accorderait un cadeau à un tel homme.

Alors qu'il importunait sa jeune servante, en la sommant de finir sa phrase malgré l'interdiction de sa maîtresse, il commettait son dernier impair. Ce n'était pas à lui de décider ce qu'elle pouvait dire ou non. Myla resta d'ailleurs muette et Eleanor perçut un tremblement léger, car elle semblait effrayée d'être soudain devenue le centre d'attention du chevalier. La géante lui prit doucement la main et la serra avec force, avant de lui faire signe de la tête qu'elle pouvait parler librement. Cet Ulwyck ne lui ferait rien, Eleanor s'en assurerait.

- Bougre de crétin, finit-elle par murmurer entre ses lèvres. Lady Eleanor a été envoyée pour sa protection.

La Clegane préféra ne pas réagir à la seconde partie, mais elle était presque sûre que – dans le feu de l'action – la première partie n'aurait pas été si gentille même si c'était bien un mot en c qui était venu à la jeune servante.

L'autre eut alors le culot de leur proposer de l'accompagner dans sa tente. Se prenait-il pour un grand seigneur avec ses idées indécentes, pour boire en plus. Il pouvait bien rêver, il y avait largement de quoi boire à l'intérieure et elle pourrait discuter avec des gens bien plus agréables. Eleanor se campa sur ses pieds pour lui jeter un regard de haut, le genre qu'elle seule pouvait jeter avec sa taille monstrueuse. C'était bien là toute la réaction qu'il méritait, ce dornien insolent, à insinuer une chose et son contraire toutes les deux phrases. Elle avait essayé de se montrer polie et voilà comment on la remerciait, avec des propositions stupides. Que penserait les gens si elles l'accompagnaient dans sa tente ? C'était définitivement idiot.

- Il y a bien assez de rouge au banquet pour arrondir tous les angles que vous voulez, Ser. Je constaterai bien mieux votre absence de volonté belliqueuse autour du feu. Viens, Myla.

D'une autorité qui lui venait rarement, elle attrapa le poignet de sa servante et prit le chemin de l'entrée de la grande tente, toute proche. Myla se retourna à mi-chemin, toujours effrayée semble-t-il, et Eleanor le sentit dans sa main. Alors elle ralentit et, profitant que personne n'était là pour voir, fit passer sa servante devant elle pour faire écran de son corps à la vision d'Ulwyck. Elle piqua alors un baiser furtif et rassurant sur la paume de la jeune fille. Puis elle lui offrit un sourire rassurant et reconnaissant de son comportement.

Eleanor ne jeta qu'un regard en arrière pour voir si le dornien abandonnait finalement ou s'il tenterai encore de revenir à la charge.