La nuit tombait, et pourtant Desmera ne pouvait plus lâcher des yeux le livre qu'elle tenait entre ses mains. Un conte ! Un tout nouveau conte qui ressemblait pourtant aux autres innombrables histoires pour enfants qui s'empilaient sur sa table de nuit. Mais elle s'en fichait, puisqu'elle ne s'en rendait pas compte. Elle ne voyait que la beauté de ces princes, de ces princesses, rêvant d'être comme elles un jour, d'être plus éblouissante encore que le soleil. « Je suis sûre, disait-elle parfois, qu'il existe des femmes aussi belles et douces que celles de mes contes ! » Elle y croyait, mais ces femmes parfaites et sans le plus infime des défauts n'existaient pourtant que dans ses rêves. Elle continuait pourtant de rêver, encore et toujours. Malgré le soir qui commençait à rendre sa lecture plus difficile, Desmera continuait de dévorer le moindre mot, la moindre ligne.
Mais une voix, pourtant douce, la fit sursauter. Elle tourna la tête, son cœur battant à tout rompre rien que par la prononciation de son nom par un homme qu'elle ne connaissait pourtant que trop bien. Soufflant doucement, elle afficha un petit sourire.

-Tu m'as fait peur, souffla-t-elle. Ne t'inquiète pas pour moi, mes yeux vont très bien...

Elle tendit doucement sa tête vers l'arrière, comme le ferait une enfant en bas âge, quelques cheveux venant se glisser dans le col de sa robe, chatouillant son dos, tandis qu'elle levait ses yeux clairs vers celui qu'elle appelait frère. La sensation de ses mains sur ses épaules la rassura définitivement, et son cœur se remit à battre normalement.
Les paroles du jeune Tyssier la firent sourire un peu plus.

-Tu me connais trop bien... C'est un beau conte que père m'a ramené d'un voyage. J'avais déjà pu en lire le début mais... Horas et Hobber l'avaient déchiré sous mes yeux...

Le visage souriant de la jeune fille se décomposa en une mine attristée et les larmes lui montèrent aux yeux. Elle sécha les larmes qui menaçaient de couler mais à chaque fois elles revenaient. Son cœur se serrait dans sa poitrine, et elle avait terriblement envie de pleurer. Comment ses frères pouvaient-ils être si cruels avec elle ? Se levant doucement, elle contourna sa chaise pour venir se blottir contre Owen. La douceur du seul qu'elle considérait réellement comme un frère lui était indispensable et pouvait la réconforter et même l'empêcher de pleurer... Bien vite calmée, elle releva ses grands yeux à peine rougis par les larmes vers lui et demanda doucement :

-Tu voulais me dire quelque chose en particulier ?

Le baiser qu'Owen déposa sur le front de la douce enfant eut le don de la réconforter immédiatement. Il avait tant l'habitude de la voir pleurer puis sourire successivement, qu'il ne s'en plaignait pas. Aussi loin que remontaient ses souvenirs, il ne s'en était jamais plaint. Il était évident qu'elle était bien trop fragile pour un tel monde et pourtant, elle y avait déjà survécu seize ans durant. Elle y survivrait encore, mais combien de temps resterait-elle enfermée dans l'univers bien trop doux qu'elle s'était inventé ? Elle apprécia l'étreinte et les paroles du blond, et un très léger sourire vint à peine éclairer son visage baigné de larmes l'instant d'avant. Elle n'éprouva cependant aucune fierté lorsque le Tyssier la qualifia de joyau. Elle ne pouvait se considérer comme tel. Trop modeste, trop peu confiante, trop peu sûre d'elle.

-Tu sais bien que je n'ai pas plus de valeur que quiconque, et sûrement pas la valeur d'un joyau..., murmura-t-elle d'une voix aussi frémissante qu'une feuille sous le vent.

Le fils de l'araignée essuya les larmes de la petit Redwyne, et elle ne ressentit pas un seul instant que quelque chose lui était caché. Trop naïve, trop innocente, trop inconsciente peut-être... Aucune autre larme ne vint gâcher son joli minois, et un sourire un peu plus grand vint même fendre son visage. Owen lui proposa alors son bras pour l'emmener à ses appartements afin d'y manger avec elle. Elle prit doucement son bras, et accepta l'invitation d'un léger hochement de tête.

-Au moins, je n'aurai pas à supporter Horas et Hobber... Ils sont tellement infernaux en ce moment, plus encore que d'habitude ! J'ai même cru entendre père parler de les envoyer à Port-Réal.

Elle songea secrètement au fait qu'elle pourrait être tranquille, une fois ses frères éloignés d'elle. Sans les haïr, elle ne parvenait pourtant pas à les aimer autant qu'elle pouvait aimer Owen. Il était son seul véritable frère, elle le lui avait sûrement déjà dit mais, tête en l'air qu'elle pouvait être, elle ne s'en souvenait plus vraiment. Peu importe, il devait bien s'en rendre compte ; là où elle avait toujours cherché l'affection et le contact avec l'héritier Tyssier, elle n'avait presque jamais agi ainsi -pour ne pas dire jamais- avec ses frères de sang...

Elle prit l'ouvrage que lui tendait le blond, le serrant contre sa poitrine déjà bien formée comme s'il s'agissait là du plus grand des trésors. Tous deux se mirent en route d'abord vers les cuisines, puis vers les appartements de Desmera, et celle-ci ne cessa de parler de banalités qui n'en étaient pas à ses yeux... Son mariage, oh par les Sept qu'elle avait hâte ! Elle ne cessait d'évoquer la possibilité d'être mariée à l'homme au plus grand cœur des Sept Couronnes, ou à un chevalier comme ser Loras Tyrell. « Un grand chevalier au grand cœur », disait-elle.
Elle ne se rendait pas compte que l'argent et la puissance comptaient plus que la douceur et le cœur d'un homme pour un mariage. Elle était aveuglée par ses rêves d'amour, ses rêves d'enfant. Elle était tellement plongée dans ces rêves puérils au possible qu'elle ne se rendait même pas compte du silence d'Owen ; elle ne se rendait même pas compte qu'il semblait préoccupé.

Desmera pénétra la première dans la grande chambre qui lui était réservée, regardant d'un œil pétillant de vie son frère qui s'était assis sur le rebord de la fenêtre.

-Je n'en doute pas une seule seconde, les cuisiniers de la Treille sont compétents. Mère dit souvent qu'une princesse doit être bien nourrie, souffla-t-elle en secouant la tête de droite à gauche avec un sourire teinté d'amusement mais aussi d'incompréhension. Dire que je suis une princesse, n'est-ce pas là un joli mensonge ?

Son incertitude se lisait dans ses yeux, mais son sourire n'avait pas quitté ses lèvres. Elle n'était qu'une noble, une petite lady parmi tant d'autres, une enfant. Elle n'était rien aux yeux du monde, et ce n'était pas ce surnom dont sa mère l'affublait qui allait faire d'elle une princesse...

-Tu seras toujours une petite princesse pour ta mère Desmera. Son cœur et son amour sont des domaines sur lesquels tu ne cesseras jamais de régner crois moi. En ce sens tu es donc bel et bien une princesse. N'oublie pas que tu viens d'une bonne famille et que la couronne possède deux princes à marier. Qui sait si tu n'en épouseras pas un ? De la sorte, tu deviendrais bel et bien une véritable princesse.

Les yeux de la jeune rousse se mirent à briller d'un air rêveur. Des princes ! Le sang bleu, celui du Roi lui-même, coulait dans leurs veines. Desmera n'avait jamais vu Joffrey ou Tommen, mais avait ouï-dire que l'héritier de la Couronne était beau, aussi blond que sa lionne de mère, mais qu'il serait un jour aussi fort que son père. Elle n'en doutait pas une seule seconde. Un grand sourire qui ne traduisait que ses rêves inespérés et sa crédulité étirait alors ses lèvres roses, et elle tourna complètement ses yeux pétillants de joie vers Owen, oubliant un instant les plats qu'on venait de poser devant les deux jeunes gens, et oubliant même de remercier les servantes.

-Tu crois ?, demanda-t-elle précipitamment.

Sa joie et sa presque-idiotie due à une trop importante innocence ressortaient ainsi dans ses paroles sorties si rapidement, de façon si irréfléchie, de ses lèvres encore ouvertes en un immense sourire. Desmera n'était pas complètement idiote, mais son intelligence était enterrée par l'enfant éternelle qu'elle semblait être. Cette petite fille qui ne voulait pas grandir, préférant rester cachée derrière ses parents, dans son château, sur son île...
Elle rougit doucement au compliment de l'araignée, lui servant un énième sourire tout en hochant doucement la tête et en piquant pour la première fois dans son assiette ; il avait raison, le plat qui lui faisait face semblait délicieux.

La petite rousse ne cessait de parler de son mariage qui, d'après Paxter, arriverait bien plus vite que ce qu'elle pensait. Et elle, n'attendait que cela, et ne cessait donc de déblatérer au sujet de la soi-disant beauté du prince Joffrey dont on parlait au travers du Royaume. Elle rêvait de le rencontrer un jour, ce jeune homme si beau, si doux, si galant, dont on parlait. Elle parlait, parlait, parlait encore et encore, sans se rendre compte qu'Owen vidait des coupes de vin face à elle. Mais il vint bientôt s'agenouiller face à elle pour prendre ses mains blanches entre les siennes. Elle leva doucement les yeux vers lui, inclina la tête sur le côté comme le ferait un petit enfant.
Et les paroles d'Owen lui firent l'effet d'une gifle.

Owen s'en allait. Le sourire de Desmera s'effaça immédiatement. La petite se sentit un instant égoïste, puisqu'elle pensa qu'elle préférait savoir le blond là avec elle, plutôt qu'à Froide-Douve avec sa mère, et ce même si elle était souffrante. Mais elle devait se rendre à l'évidence ; Owen était l'héritier de sa maison, et il ne pourrait pas rester éternellement à La Treille. Le visage de la petite rousse était déjà baigné de larmes et elle sanglotait en silence, observant son frère, son seul frère, qui allait bientôt s'en aller. Loin d'elle. Ses yeux se baissèrent jusqu'à trouver le sol. Les larmes qui roulaient sur ses joues venaient s'écraser par terre dans un bruit léger qui parvenait pourtant à briser le silence qui s'était installé.

-Tu peux pas me laisser toute seule, parvint-elle seulement à dire. Tu peux pas Owen, j'ai besoin de toi. Horas et Hobber, ils vont...

Pensant à eux, elle fondit en larmes. C'en était trop pour la pauvre fleur ; comment supporter ces deux énergumènes qu'étaient ses frères ? Comment supporter leur présence au quotidien, leurs mauvais tours et toutes leurs moqueries ? Déjà qu'en la présence d'Owen à La Treille, ils étaient insupportables avec elle, mais sans lui... Elle ne parvenait même pas à l'imaginer et, dans son esprit, elle voyait déjà tous ses livres de contes et d'amour jetés à la mer.