An 298 – Lune 9 – Semaine 4 – Jour 5,
Belcastel.

-Silithia, veux-tu bien aller chercher nos invités au port ? On vient de m'annoncer qu'ils avaient de l'avance, ils arrivent au port.

Tournant le dos à son père, assise face à sa coiffeuse, la douce colombe leva brièvement les yeux au ciel. Elle accepta pourtant avec un sourire radieux, et acheva de se coiffer. Elle laissa finalement ses longs cheveux tomber sur ses épaules, se fondant presque avec la robe blanche qu'elle portait. Celle-ci était assez complexe, de nombreuses broderies et dentelles de couleur perle la parcourant. Les seules choses indiquant son appartenance à la maison Farman dans sa tenue étaient le pendentif représentant un bateau qu'elle portait avec fierté, et sa bague représentant exactement leur blason. Elle admira un instant les trois bateaux sur fond bleu qui faisaient sa fierté. Elle était une Farman, et c'était là sa plus grande force.
Un sourire plus tard, elle quitta sa chambre pour descendre les escaliers du château, se rendant en direction des écuries. Au détour d'un corridor, elle croisa la route de son frère. Elle eut un sourire narquois, son regard brillant d'une lueur moqueuse :

-Gared, quel plaisir, siffla-t-elle. Prêt à rencontrer ta chère et tendre ?
-Rien n'a encore été décidé.

Son ton était sec et traduisait la haine qu'il éprouvait envers sa sœur. Celle-ci haussa les épaules, se sentant victorieuse d'avoir ainsi pu l'énerver, et acheva sa traversée du château. Elle arriva en quelques minutes aux écuries, où elle trouva son cheval déjà sellé. Jory lui sourit gentiment, et elle le remercia avant de mettre le pied à l'étrier ; elle tapota l'encolure d'Egon avant de le diriger vers le port au petit trot. Arrivée en seulement quelques minutes, elle repéra immédiatement le bateau qui venait d'arriver à port. Des chevaux avaient été préparés et les attendaient près de là, pour leur éviter de marcher jusqu'à Belcastel. Sebaston, comme toujours, avait fait les choses en grand : il espérait beaucoup d'une alliance avec une autre maison de l'Ouest.
Silithia s'avança à la rencontre des invités des Farman, parfaitement droite sur son cheval, un élégant sourire aux lèvres. Elle inclina respectueusement la tête.

-Lord Estren, Lady Ellyn. C'est un plaisir de vous accueillir ici, à Belle-Île. J'espère que vous avez fait bon voyage, et qu'il ne vous a pas paru trop long. Elle marqua une courte pause pour sourire une fois de plus. Je suis Lady Silithia Farman. Mon père m'a envoyée afin de vous conduire jusqu'au château de Belcastel, il est actuellement en train d'effectuer les derniers préparatifs, nous ne vous attendions pas si tôt. Nous avons fait préparer nos chevaux les plus dociles pour vous.

Elle attendit patiemment que leurs invités montent en selle, et les escorta, comme prévu, jusqu'au château. Elle confia leurs chevaux à Jory, le remerciant d'un sourire amical, puis conduisit Lord Estren et sa petite troupe jusqu'à la salle principale de Belcastel, où les attendait Sebaston. Le visage de celui-ci, affichant jusqu'ici une mine pensive, s'éclaira à la vue de ses invités. Il s'avança afin de les saluer.

-Lord Estren, c'est un plaisir pour nous de vous accueillir à Belcastel. Lady Ellyn, dit-il en inclinant doucement la tête.

Silithia eut un sourire en coin tout en écoutant son père ; dans certaines situations, il était plus qu'aisé de deviner leur lien de parenté tant leur façon de s'exprimer était semblable. Tandis que Sebaston commençait à échanger quelques banalités avec Regenard, Gared pénétra dans la salle de sa démarche assurée. Il était suivi de près par Iline, qui tentait avec une difficulté bien mal dissimulée de garder contenance. La colombe eut bien du mal à ne pas sourire de façon narquoise ; elle ignorait comment réagirait Gared, mais savait de quelle façon il pouvait se comporter. Sebaston se tourna vers les deux nouveaux arrivants, les désignant d'un mouvement gracieux.

-Messire, je vous présente mon héritier, Gared, et ma fille benjamine, Iline.

Tous deux se présentèrent poliment, Iline s'inclinant d'un geste maladroit tandis que Gared inclinait simplement la tête, baisant légèrement la main de Lady Estren. Silithia observa d'ailleurs celle-ci d'un œil attentif, elle qui était une prétendante de son horrible frère. Elle ne put que hausser un sourcil face à la galanterie de celui-ci.

Puisqu'il était l'heure du repas et que le soleil s'abaissait dans le ciel, Sebaston proposa que l'on se mette à table, et que Regenard et lui discutent en privé après avoir mangé ; leurs invités avaient besoin de se reposer quelque peu avant d'entamer certaines discussions plus sérieuses. Silithia fut assise à côté d'Ellyn, celle-ci étant face à Gared tandis qu'Iline faisait face à la colombe. Sebaston, lui, était en bout de table, près de Regenard. Chaque chose avait été calculée, Lord Farman ayant pris soin de placer la prétendante de son fils auprès de son aînée, sachant celle-ci de nature assez douce et avenante pour rassurer Ellyn, dont il avait entendu dire qu'elle était assez timide.

Le repas se déroula lentement, Silithia échangeant de simples banalités avec Ellyn -lorsque l'on était noble, pouvait-on seulement parler d'autres choses en public ? Lorsque Sebaston et Regenard jugèrent qu'il était temps de passer à un sujet plus sérieux, ils quittèrent la table pour se rendre au bureau du seigneur des lieux.
Silithia demanda à Shana à ce qu'elle indique sa chambre à leur invitée, profitant de l'absence d'Ellyn pour aller converser avec son frère. Lui qui s'était montré doux, charmant et même galant durant toute la durée du repas, que pensait-il réellement d'elle ? La blonde savait qu'il cachait quelque chose, et elle comptait bien lui tirer les vers du nez.

-Alors, que penses-tu d'Ellyn ?, demanda-t-elle de sa voix la plus douce.

Gared ne put réprimer un rire, se resservant un verre de vin de la Treille qu'il porta à ses lèvres pour en boire quelques gorgées. En reposant son verre, il leva les yeux au ciel et eut un sourire moqueur.

-Comment Père a-t-il pu croire qu'une femme comme ça serait une bonne prétendante pour moi ? As-tu vu son nez ? Non, non, elle manque de grâce ! Et elle a bien peu parlé... Ce n'est pas une femme pour moi, vraiment pas !

Il rit une fois de plus, remplissant une fois de plus son verre. Silithia leva les yeux au ciel et quitta la salle principale, se dirigeant vers la chambre qu'occuperait Ellyn jusqu'à son départ. Dans sa marche, elle croisa Shana ; elle lui demanda de dire à son père qu'elle souhaitait le voir dès le lendemain matin, en privé, afin de discuter de l'union envisagée entre Ellyn et Gared. Shana hocha la tête avant d'aller quérir son maître.
Silithia, arrivée auprès de la chambre de leur invitée, toqua doucement à la porte.

-Puis-je entrer ?, demanda-t-elle de sa voix douce.

Ellyn semblait en de nombreux points semblable à Iline. Douce, sensible, une parfaite petite lady quoiqu'un peu maladroite, qui ne faisait que suivre et obéir. Si Silithia tentait d'aider sa sœur à prendre sa vie en main et à tenter de saisir à pleines mains sa liberté, elle désirait aider Ellyn aussi. La laisser épouser Gared, si féroce et dangereux que les loups géants des légendes, c'était la laisser s'enfermer dans une cage dorée pour y dépérir peu à peu. Elle n'avait pas le cran pour un homme tel que lui, du moins pas à ce moment-là ; Silithia ne désirait pas voir une femme de plus souffrir entre les murs de Belcastel, elle qui avait vu dépérir sa mère avant qu'elle ne meure d'une fièvre, puis elle-même, la colombe qui se para de serres acérées afin de se défendre, puis sa sœur, sa douce sœur, sensible et enfermée dans un monde de verre qui se briserait d'un souffle. Elle ne permettrait pas à Gared de détruire Ellyn comme il avait pu détruire Iline, comme il aurait pu la détruire elle. C'est pour cette raison qu'elle se rendit à la chambre de la prétendante, ce soir-là.

La fille de l'aigle permit l'entrée de la colombe dans sa chambre. Celle-ci ouvrit doucement la porte et s'avança de sa démarche légère dans la pièce, refermant la porte derrière elle. Elle fit quelques pas dans la chambre qui avait été attribuée à Ellyn pour les quelques jours durant lesquels elle resterait ici, observant les lieux d'un œil inquisiteur. L'endroit n'était pas laid, bien loin de là, mais n'avait rien à voir avec le luxe de sa propre chambre. Si cette dernière était parée des couleurs des Farman, de nombreuses parures représentant le blason de sa maison, et que tout semblait refléter le côté rêveur dont avait toujours fait preuve la jeune lady, celle-ci était bien plus sobre.
Silithia laissa s'étendre un long silence avant de poser sur son invitée un regard bienveillant, un mince sourire aux lèvres. « Je m'y sens déjà comme chez moi ! », avait-elle naïvement dit. Le pensait-elle ? Plongeant son regard dans celui de son interlocutrice, la demoiselle aux trois bateaux n'y vit aucune fourberie ; était-elle réellement sincère ? Elle la laissa continuer, et ne sourit que plus lorsque la jeune fille s'avança quelque peu vers elle, vantant les qualités de son idiot de frère. Elle laissa son regard se balader un peu dans la chambre avant de répondre.

-La nuit est bien plus belle que le jour, et je ne suis pas de ces oiseaux que l'on enferme sans jamais plus les laisser sortir, dit-elle. Il est vrai que cette chambre possède un certain charme, en effet, mais si vous veniez à vivre ici, sachez que celle de mon frère est bien plus impressionnante. Et celle du seigneur des lieux, bien plus encore. Elle sourit, s'asseyant au bord du lit et invitant la jeune demoiselle à en faire de même. Ceci fait, elle plongea son regard dans celui d'Ellyn et laissa à nouveau un long silence s'installer. Oh, mon frère est doté de bien des qualités. Quel dommage que rien ne soit encore confirmé.

Silithia inclina légèrement la tête sur le côté, son sourire s'effaçant peu à peu pour bientôt laisser place à une légère moue. Elle haussa brièvement les épaules, se relevant et invitant Ellyn à se lever à son tour. Elle l'observa longuement, de haut en bas, détaillant son visage et le moindre de ses traits. Elle sourit à nouveau.

-Permettez-moi de vous dire que vous méritez bien mieux. Pourquoi ne pas viser plus haut ? Pourquoi ne pas viser plus haut qu'un époux, Lady Ellyn ?, souffla-t-elle tout en continuant de tourner lentement autour d'elle, la détaillant. Vous avez du charme, vous savez tenir une discussion, vous me semblez intelligente... Pourquoi Gared, et pas un autre ? Silithia adressa un sourire doux à la jeune fille, et l'invita à la suivre. A cette heure-ci, seuls mon père, le votre ainsi que mon frère doivent être éveillés. Allons donc nous balader, voulez-vous ? Les jardins de Belcastel offrent mille merveilles, je peux vous le promettre.

Disant cela, Silithia s'avança vers la porte et l'entrouvrit, son regard tourné vers la fille de l'aigle l'invitant à la suivre dans sa petite balade nocturne. Ses yeux de glace se tournèrent finalement vers le couloir sombre, un mince sourire toujours accroché à ses lèvres, comme l'éternel masque dont elle ne se séparait jamais.

-Et j'ai tant de choses à vous apprendre, murmura-t-elle -peut-être Ellyn ne l'entendrait-elle même pas.

-Oh bien sûr... je m'en doutais. Votre maison paraît somptueuse sous tous ses angles.

Silithia ne put contenir son orgueil, un léger sourire et un éclair de fierté passant dans son regard venant illuminer son visage, qu'elle tourna doucement vers Ellyn.

-Elle l'est, dit-elle simplement.

La colombe s'installa sur son lit, ses jambes élégamment croisées tandis qu'elle se tenait aussi droite qu'une reine. Elle connaissait chaque recoin de Belcastel, ayant aimé s'y balader dans son enfance, jusqu'à se perdre dans la demeure qui était sienne. Elle en aimait le marbre que flattait régulièrement le soleil, les jardins en fleurs qui rivalisaient aisément, dans son esprit, avec ceux de Port-Réal ou même de Hautjardin. Jamais aucun château ne serait plus beau et plus doux que Belcastel ; le confort de celui-ci était accompagné du calme de Belle-Île, et jamais rien ne pourrait remplacer dans son cœur la fierté qu'était pour elle de porter le nom de Farman. Ce nom n'était peut-être rien face à tous les grands de ce monde, mais elle -elle se l'était juré-, elle serait quelqu'un. Elle serait bien plus que l'épouse servile et désespérément dévouée à celui qui aurait sa main. Jamais une Farman ne s'abaisserait à cela.

Tandis qu'elle laissait sous-entendre que le mariage entre Ellyn et Gared n'aurait peut-être pas lieu, la jeune fille l'avait rejointe. Celle-ci sembla troublée par ses paroles, fronçant les sourcils et dévoilant ainsi aux yeux de la blonde que ses paroles l'avaient atteinte. La fille aux trois bateaux abandonna bien vite sa moue pour laisser ses lèvres se parer d'un sourire bienveillant et réconfortant, l'une de ses mains quittant ses genoux toujours croisés pour se poser avec douceur sur l'épaule de la prétendante de son frère.

-Rien n'a encore été confirmé, Lady Ellyn.

Lorsqu'elle tourna ensuite, tel un fauve, autour de la fille de l'aigle, elle vit toute sa gêne et son mal-être décomposer son visage. C'est pourquoi elle cessa rapidement son étrange manège, écoutant les paroles de la jeune femme. Se fourvoyait-elle ? Elle eut une mine mi-amusée, mi-attendrie, un rictus tordant ses lèvres tandis qu'elle reprenait d'une voix calme.

-Gared n'est rien du tout en ce monde, dit-elle. Il ne sera jamais le bon seigneur qu'est mon père, et il ne sera jamais le bon époux que fut mon père non plus. Laissez-moi vous confier un secret, voulez-vous ? Voilà bien longtemps que je pourrais être promise à un homme. Mais contrôler son petit monde est d'une bien grande utilité. Il ne vous faut pas attendre le meilleur des prétendants, il vous faut le trouver. C'est pour cela que je porterai un jour un grand nom.

En quittant la pièce, Silithia sourit à l'invitée de sa famille, lui laissant le choix de la suivre ou non. Comme elle s'y attendait, Ellyn la suivit et la colombe la guida jusqu'aux jardins. La nuit était particulièrement sombre ce soir-là, et les seuls bruits venant percer le silence étaient les pas des deux jeunes femmes dans le couloir, et le lointain bruit des vagues. Lorsqu'elles arrivèrent aux jardins, Silithia s'approcha automatiquement du balconnet qui donnait vue sur la mer. Celle-ci était magnifique aux yeux de la blonde, le reflet de la lune ondulant lentement sur les vagues, apparaissant tel un spectre ou un mirage. Ses mains se posant sur le rebord de marbre, l'ouestrienne ferma les yeux, laissant la légère brise marine caresser son visage. Un simple sourire vint se déposer sur ses lèvres, tandis qu'elle laissait un long silence s'installer, avant de le briser d'une voix toujours aussi douce.

-Sentez-vous la liberté, ici, Ellyn ? La sentez-vous, maintenant ? Que cela vous fait-il ?

Silithia sourit tendrement face au manque de confiance dont faisait preuve son invitée ; celle-ci ressemblait réellement à sa sœur. Là où la colombe avait décidé de quitter de son plein gré le bateau qui devrait l'emmener là où son père choisirait de l'envoyer, Ellyn était encore un aiglon qui refusait de briser les chaînes qui la tenaient attachée à la barque de son père. Elle refusait de quitter son nid, de déployer ses ailes, d'ouvrir ses bras à la liberté, de s'envoler. Elle se laissait guider, sur sa barque, entraînée par une violente tempête et la houle dévastatrice. Elle posa délicatement une main sur l'épaule d'Ellyn, détaillant sa robe du regard. La fille de l'aigle était habillée simplement, peut-être même trop, et cela ne faisait que lui rappeler plus encore Iline. Le regard de la demoiselle aux trois bateaux se planta dans celui de la jeune femme, sa main pressant légèrement son épaule.

-Connaissez-vous la devise de la maison Farman, Lady Ellyn ?, demanda-t-elle avant de se taire un instant, pour reprendre presque aussitôt. La houle ne vous emportera pas, vous méritez les mers les plus calmes, je le vois. Je le sais.

Sa phrase s'était terminée dans un chuchotement, et sa main quitta aussitôt l'épaule de son invitée tandis que Silithia lui adressait un sourire bienveillant, se dirigeant vers la porte pour qu'elles continuent leur conversation dehors.

Après avoir traversé les couloirs du château dans le plus grand des silences, les deux jeunes femmes se retrouvèrent face à la mer, perchées sur le balconnet qui dominait l'île. Silithia sourit à la réponse d'Ellyn, et hocha lentement la tête.

-Je me rends ici au moins une fois par jour ; c'est là un bon moyen d'échapper à la triste vie que l'on me réserve. Vous qui êtes un aigle, n'appréciez-vous donc pas cette liberté ? Vous ne souhaitez pas être enfermée dans une cage, les aigles aiment voler, ils ne sont pas faits pour être enfermés dans une cage, même si celle-ci est spacieuse et parée d'or.

Ses yeux caressèrent avec douceur les vagues qui s'élevaient au gré du vent, et ses doigts se refermèrent sur la bordure du balcon, telles les serres d'un oiseau de chasse, tandis qu'elle laissait lentement sa tête se pencher vers l'arrière, ses cheveux clairs se perdant dans les broderies complexes de sa robe. Ses yeux se fermèrent et elle inspira longuement, appréciant le vent léger qui flattait sa peau avec une douceur incomparable, le reflet de la lune continuant d'onduler sur les vagues légères ce soir-là.

-Rien n'est plus beau, plus doux, que la liberté. Si vous souhaitez être libre, Ellyn, alors je vous y aiderai. Le voulez-vous ?

Disant cela dans un murmure, Silithia redressa la tête pour regarder la rousse dans les yeux. Rien sur son visage n'indiquait une quelconque malveillance, bien au contraire ; la colombe était à cet instant sincère. Elle ne supportait pas de savoir les oiseaux enfermés, et plus que tout, elle désirait les aider à s'évader de leur cage. Elle afficha un sourire quelque peu crispé, reprenant d'une voix plus douce encore.

-Pardonnez-moi pour tout à l'heure, je vois bien que je vous ai gênée. Ce n'était pas ce que je voulais. Certaines choses font que j'aimerais vous aider à être libre, tout comme je le suis. Peut-être aurais-je dû être plus douce dans le choix de mes mots, me pardonneriez-vous ?

L'aiglon semblait désemparée face aux paroles de la colombe. Celle-ci avait beau ne pas appartenir à l'une des plus grandes maisons de l'Ouest, elle avait confiance en elle et savait qu'elle saurait s'emparer de sa liberté, celle qu'elle désirait tant. Elle fronça légèrement les sourcils lorsqu'Ellyn évoqua le fait qu'il serait dur pour une femme d'obtenir sa liberté, mais son expression se radoucit quelques instants plus tard, lorsqu'elle comprit aux paroles de la jeune femme qu'elle rêvait effectivement de liberté. Silithia lui adressa un sourire amical.

-Puisque vous êtes un aigle, alors envolez-vous. Rien ne peut vous en empêcher.

Les questions qui suivirent firent s'élargir le sourire de la Farman. Ellyn semblait suspicieuse, comme si elle se méfiait de son hôte ; c'était d'ailleurs tout à fait légitime. Silithia pouvait paraître parfois trop avenante, trop mystérieuse, et même parfois trop bienveillante. Si elle n'était pas toujours sincère, cette fois-ci, elle l'était. Elle inclina doucement la tête.

-Vous vous méfiez de moi. Et vous avez raison, il est dangereux de faire confiance aux inconnus, souffla-t-elle avec un mince sourire, balayant l'horizon du regard. Mais vous pouvez me faire confiance. Vous me faites penser à ma sœur. Trop douce, trop innocente. Je veux vous aider parce que vous méritez d'être libre.

La fille de l'aigle semblait être gênée par les dires de Silithia, comme si celle-ci était trop indiscrète. C'était très certainement le cas. La blonde baissa légèrement les yeux pour observer les environs de Belcastel. De nuit comme de jour, Belle-Île était magnifique, et faisait la fierté de Silithia. Si elle ne se mariait pas à un grand homme, alors elle serait un jour à la tête de la maison Farman. Si elle ne trouvait pas sa liberté dans un mariage qu'elle aurait voulu, elle la trouverait en prenant à son frère la place d'héritier. Elle en serait capable, elle le savait.

-Vous méritez mieux que mon frère, je vous l'assure, murmura-t-elle. Laissez-moi me faire pardonner en vous offrant votre liberté. Si vous me suiviez dans chacun de mes voyages, que vous étiez à mes côtés dans chaque situation, alors je saurai trouver une issue à la vie à laquelle on vous destine. Si l'union entre mon frère et vous n'a pas lieu, votre père sera sans doute fortement embêté d'avoir dû se déplacer inutilement jusqu'à Belle-Île. Si vous restiez ici afin d'être ma dame de compagnie, je doute qu'il en veuille à qui que ce soit. Je saurai vous trouver l'époux parfait, si vous le voulez.

Silithia adressa un sourire doux à Ellyn, tournant à nouveau un regard bienveillant vers elle. Elle inclina légèrement la tête.

-Faites-moi confiance.