Pour ce qui lui sembla être la centième fois cette nuit-là, Imeah se retourna dans la couche dans laquelle elle reposait, repoussant les lourdes peaux qui lui donnaient davantage l'impression de l'étouffer que de la réchauffer. Sommeil qu'elle ne parvenait pas à trouver, malgré tous ses efforts : Maeri s'était endormie sans peine après leurs ébats, la laissant éveillée, fiévreuse, nerveuse. Elle avait chaud, trop chaud. Des mois après son arrivée au sein du Khalasar, elle peinait encore à supporter la torpeur des nuits d'été de la mer Dothrak. Qui n'avait de mer que le nom : la mer d'Eté lui manquait, elle et ses eaux salées que le peuple des Seigneurs du cheval abhorraient tant et évitaient à tout prix.
Parfois, elle se surprenait même à regretter Astapor et ses rivages abrupts, Astapor et ses rue balayées par les vents et la poussière : l'air marin apportait une certaine fraîcheur à la ville martelée par le soleil d'Essos. Ici, perdue dans cette immensité herbeuse, où le vent agitait à peine la mer d'herbe verdoyante qui s'étalait à perte de vue, elle avait l'horrible impression de suffoquer peu à peu.
Mais le vent et la mer étaient bien la seule chose qui venait à lui manquer en repensant à la cité rouge ; car si elle ne parvenait à trouver le sommeil ces derniers temps, c'était probablement bien à cause des cauchemars qui la tourmentaient dès qu'elle parvenait enfin à fermer les yeux. Elle préférait encore l'insomnie à cette angoisse nauséeuse qui lui nouait le ventre lorsqu'elle se réveillait en sursaut, terrifiée par des souvenirs qu'elle aurait préférer laisser derrière elle.
Dans un soupir las, la Lysienne finit par se redresser, se relevant avec précaution tout en jetant un œil inquiet à Maeri, veillant à ne pas éveiller cette dernière. Elle avait besoin de dormir.

Cherchant à tâtons dans l'obscurité de la tente la tunique qu'elle avait délaissée avant d'aller se coucher, la jeune esclave s'habilla à la hâte et sortit silencieusement, inspirant avec un certain soulagement l'air frais de la nuit d'été, soulagée de la lourdeur des tentures.
Le campement semblait quasi-dénué de toute vie, à moitié éclairé par les flammes vacillantes d'un feu qui se mourait lentement surveillé par quelques guerriers somnolents, ses crépitements partiellement couverts par les ronflements sourds s'échappant de quelques tentes. La plupart des guerriers du Khalasar devaient cuver leur kefir dans la douce chaleur de la nuit. Esquissant un sourire désabusé, Imeah se faufila parmi les installations de toiles et de peaux rudimentaires, esquivant les quelques hommes encore debout pour s'éloigner un peu en direction de l'immense pâture où paissaient les montures des Dothrakis.

Elle avait toujours craint les chevaux, dans une certaine mesure du moins. Plus habituée à la douce indolence des navires qui mouillaient paisiblement sur le port de Lys ou d'Astapor qu'à l'imprévisible et nerveuse masse de muscles que représentait un équidé. Elle n'avait cependant pas eu d'autres choix que de s'y habituer, et même si elle n'était naturellement pas autorisée à chevaucher, refuser d'approcher un cheval pour quelqu'un vivant au sein d'un Khalasar était un comportement totalement absurde, que n'importe quel Khal n'aurait probablement pas toléré.
Elle avait donc pris sur elle et masqué sa peur, trop effrayée à l'idée que la Khaleesi ne se sépare d'elle en découvrant sa crainte ; et c'était avec un certain étonnement que la Lysienne s'était finalement rendu compte qu'au final, elle appréciait probablement plus la compagnie des chevaux que de leurs cavaliers. Elle ressentait une certaine sérénité à observer le troupeau brouter paisiblement sous la lueur de la lune, par opposition à la masse menaçante qu'il pouvait constituer une fois les guerriers de Maeri en selle, hurlant et galopant.

S'approchant un peu plus des équidés, la Lysienne émit un doux sifflement, attirant l'attention de l'un d'entre eux qui releva nerveusement l'encolure, ses longues oreilles tournées en direction du bruit. Réitérant son appel, elle tendit doucement la main, paume ouverte vers le ciel, allant à la rencontre de la jument alezane qui vint fourrer ses naseaux chauds et veloutés dans le creux de sa main, reniflant l'odeur de la jeune femme. Tranquillement, cette dernière vint flatter le chanfrein de l'animal, relevant lentement la main afin de ne pas l'effrayer, prodiguant de douces caresses à la femelle qui renâclait doucement. Puis, au bout de quelques instants, une fois l'animal habitué à sa présence, elle appuya légèrement son front contre son encolure, et ferma les yeux.
Elle en était même venue à en apprécier l'odeur, qu'elle retrouvait en partie dans celle de Maeri, mêlée au cuir, aux onguents et à la passion.

Soudain, l'équidé redressa à nouveau ses oreilles, intrigué par une nouvelle présence, qu'Imeah avait également perçue. Elle avait fini par s'habituer à ce bruit de pas familiers et à le reconnaître, entre ceux de Maeri, Namiri, et des autres guerriers et esclaves qui constituaient son Khas.

« Ne devriez-vous pas dormir, Ko Lhasso ? »

Elle ne s'était pas retournée, se contentant de relever la tête. Reculant d'un pas, la jeune esclave flatta quelques secondes encore l'encolure de l'alezane avant de tourner son regard clair vers la silhouette du Dothraki, posté un peu plus en retrait : elle sourit doucement, d'un air presque navré, tout en sachant pertinemment qu'il ne le verrait probablement pas à travers la semi-obscurité du ciel étoilé.

« N'ayez crainte, je ne m'enfuirai pas. »

Elle prononça ses derniers mots dans rire à la fois doux et triste, à la fois amusée et résignée par cette possibilité qu'elle n'envisageait même plus. Sûrement se méfiait-il encore d'elle. Comme la plupart d'entre eux, après tout. Elle n'était que trop différente de tout ce qu'ils représentaient, et les dieux seuls savaient à quel point les Dothrakis haïssaient la différence. Soupirant doucement, la Lysienne finit par se retourner, faisant lentement face au Ko qu'elle dévisagea brièvement avant de baisser respectueusement les yeux.

« Vous devriez retourner vous coucher, vous risquez d'avoir besoin de toutes vos forces demain. » Déclara-t-elle doucement, sans nulle animosité ni insolence dans sa voix aux accents doux et chantants.

Les éclaireurs de la Khaleesi avaient rapporté la présence d'un Khalasar mineur dans les environs, en partie constitué d'anciens cavaliers du défunt Khal Joqo ; pas assez pour représenter une menace, mais suffisamment intéressant pour agrandir les rangs du nouveau Khalasar de Maeri, qui avait fait part de sa volonté d'imposer son autorité et de revendiquer son nouveau statut de Khaleesi sans Khal. L'affrontement était probablement imminent, mais elle se doutait que Lhasso avait probablement été mis au courant de la chose bien avant elle. Elle s'était contenté d'énoncer l'évidence d'une fois presque lasse, relevant à nouveau les yeux pour scruter le visage buriné du Ko.

Lhasso se déplaçait en silence entre les tentes du campement, comme à son habitude. Il ne dormait presque plus depuis quelques mois et il n’arrivait pas à en trouver la raison. Il ne croisa que peu de monde, plutôt alcoolisé pour la majorité. Le Ko n’était pas d’humeur à boire, il songeait à la journée qui les attendait. Un Khalasar devrait arriver sur eux dans quelques heures, il était confiant dans leurs chances de victoire et pensait que cette bataille permettra d’entretenir ses guerriers. Il n’y a jamais assez de combat pour un dothraki.

Le Ko fut tiré de ses pensées par une souhaite slalomant entre les tentes à quelques dizaines de mètres de lui. Il lui était impossible de savoir de qui il s’agissait. En revanche, cela ne pouvait pas être un de ses cavaliers la silhouette étant beaucoup trop mince. Lhasso se mit à la poursuite de l’inconnue, il se dirigeait vers l’extérieur du campement. Un fuyard peut-être.

Arrivé à la frontière du camp, il retrouva l’inconnu ou pour dire la vérité l’inconnue. La silhouette qu’il suivait depuis quelques minutes maintenant était celle d’une femme. Et ce n’était pas n’importe qui puisqu’il s’agissait d’Imeah, l’esclave préférée de Maeri. Ce qui l’intriguait le plus chez elle n’était pas comment est-ce qu’elle avait réussi à devenir aussi importante aux deyeux sa Khaleesi mais il s’interrogeait toujours sur la façon dont elle a pu tuer l’un des sangs coureur de Joqo. Aucun autre esclave du continent ne pouvait se vanter d’en avoir fait autant.

- Ne devriez-vous pas dormir, Ko Lhasso ? Imeah n’eut comme réponse qu’un gémissement rauque. N’ayez crainte, je ne m’enfuirai pas.

Lhasso esquissa un sourire : - Bien sûr que tu ne t’enfuiras pas.
En réalité, très peu d’esclaves de Maeri avaient tenté de quitter du khalassar. Elle s’arrangeait au mieux pour leur faire comprendre qu’ils étaient mieux ici qu’ailleurs, ce qui n’était pas forcément faux dans certains cas.

- Vous devriez aller vous coucher, vous risquez d’avoir besoin de toutes vos forces demain.

Elle n’avait pas tort, la journée suivante allait être éprouvante, mais Lhasso n’en faisait pas une raison suffisante pour se forcer à dormir. Le Ko ramena la conversation sur son interlocutrice, il se demandait bien ce qu’il la fit sortir de son lit.

- Et toi ne devrais pas, tu être aux côtés de ta reine ? Il semblerait que tu aies autant envie de dormir que moi. Comment as-tu trouvé Maeri ? Comment appréhende-t-elle la journée de demain ?

Impassible : c'était probablement l'adjectif qui pouvait le mieux décrire l'homme qui se tenait face à elle en cet instant présent ; en comparaison de la nervosité et de l'agressivité des guerriers Dothrak, dont ceux de Maeri ne faisaient pas exception, le calme apparent dont faisait preuve le vieux Ko la surprit légèrement. Elle avait pu constater au fil des semaines que ce dernier était effectivement connu pour son tempérament posé et modéré, fait qui ne semblait pourtant guère poser problème au sein d'une horde qui privilégiait la violence et la force. Ou du moins ne posait problème à la Khaleesi, qui paraissait apprécier la compagnie de l'homme plus que n'importe quel autre.
Pour autant, elle ne s'attendait pas à le voir demeurer aussi tranquille et réagir aussi posément à ses paroles, alors que Darcys lui-même l'aurait fort probablement giflée.
Elle était lasse.

Un triste sourire accueillit la déclaration du Ko, comme une réponse muette à l'évidence qu'il mettait en avant. Même lui l'avait compris. Comme si son destin était scellé depuis le début, ne lui appartenait plus. Enchaînée à un peuple envers lequel elle n'éprouvait qu'une allégeance ténue, consolidée par le seul fait que, dans l'éventualité où elle fuirait un jour, elle n'aurait nulle part où aller.
Et elle ne prendrait pas le risque de se voir rattraper par la horde Dothraki et de subir les foudres de Maeri, dont elle avait déjà pu voir l'ampleur des représailles.
Soupirant doucement, la Lysienne baissa la tête, flattant distraitement l'encolure de la jument qui paissait dans son dos, nullement gênée par sa frêle présence.

La question du Dothraki la tira de ses réflexions, lui faisant redresser le menton, surprise. Intriguée, la jeune esclave arqua légèrement un sourcil, tandis qu'elle fixait le Ko, regardant ce dernier avec une pointe d'étonnement et d'appréhension, cherchant à déceler un quelconque piège dans ses paroles.

« La Khaleesi... »

Elle inspira, cherchant brièvement ses mots, tandis que son regard bleu vint se perdre quelque part dans l'herbe, évitant à nouveau celui du Ko. Se demandant ce qu'il pouvait bien lui vouloir, au final, ne l'ayant nullement sommée de retourner au campement.

« Elle se repose. Elle va bien, elle est forte. Elle ne doute pas, jamais. » Expliqua-t-elle lentement, se détournant de Lhasso pour focaliser à nouveau son attention sur la monture alezane qui renâclait doucement et qu'une jument baie venait de rejoindre. « Elle gagnera, comme toujours. »

Un léger silence suivit sa déclaration, posée comme une vérité absolue. Elle ne semblait pas douter de la victoire de Maeri, pas plus que cette dernière ne semblait douter d'elle-même. Mais à la différence de la Dothraki, cette certitude n'était pas due à un excès de confiance ou à une quelconque ambition, mais à la peur.
Elle ne pouvait se permettre de douter, et encore moins d'envisager le fait que la Khaleesi ne puisse revenir. Qu'elle le veuille ou non, elle dépendait d'elle, et d'elle uniquement.
Considérer le fait que Maeri tombe au combat était envisager l'éventualité qu'elle tombe avec elle.
Et la Lysienne refusait d'imaginer ce qui pouvait advenir lorsque la rumeur de sa chute se répandrait au sein du Khalasar.
Elle n'avait que trop subi jusqu'à aujourd'hui.

Déglutissant péniblement, la jeune esclave refoula ses pensées, s'interdisant de continuer à envisager le pire. Elle ne le pouvait. Elle se devait d'y croire, rien qu'une fois. Faire confiance au destin, là où elle avait toujours été malmenée jusqu'ici.
Croire en Maeri, et surtout croire en elle, dans un milieu où tous la considérait comme une étrangère, ou pire, une menace.

« Vous ne m'aimez pas, n'est-ce pas ? »

Elle avait formulé sa certitude sous forme de question plus par principe que par réelle interrogation ; elle le voyait, plus que chez n'importe quel autre Dothraki ; si la plupart des guerriers de Maeri se contentaient de la considérer avec mépris, voire envie, il y avait dans les yeux sombre du Ko une lueur impossible à ignorer, puisqu'elle faisait écho au seul sentiment qui semblait animer chacun de ses propres pas : la méfiance.