Ambiance

Calme...
Le port était calme en cette fin de journée. Pas d'agitation anormale, pas de retombée sur cette course-poursuite sur les toits de la ville portuaire. Pas de nouvelle sur cet emprunt de tapis pour enrouler la tueuse masquée. Pas vue pas prit comme on dit. Davos avait encore des affaires à voir avant d'embraquer et partir à Volantis en mer à bord du Nayan. Départ au lendemain et surlendemain surement. Pour faire parler la fille masquée c'était ardu. Point de mot sorti de sa bouche malgré les menaces ou promesses. Vasloo le savait, elle parlait la même langue puisqu'elle avait prit le temps d'écouter les échanges entre le capitaine et le meneur de la Compagnie Dorée. Peut-être passera t-il à la vitesse supérieure ce soir ou cette nuit. La torture. Pratique qui ne faisait pas peur pour un pirate formé aux rudes manières pillardes depuis l'enfance. Pourquoi ne pas passer sur une visite intérieure pour commencer ? Ca éviterait de passer aux bordels douteux du port. Pour l'instant le jeune capitaine du Nayan prend l'air sur le gaillard d'arrière, non loin du pont et de la passerelle. Vasloo hume un peu de tabac et fait quelques pas en direction d'Otto de quart-surveillance.

- Tu as déjà des retours à bord ?
Otto: - Aucun. Ils ont tous l'air de bien s'amuser à quai. Et toi capitaine, je t'ai vu revenir avec mon frère. Les courses aux marchés sont terminées ?
- Je te ferai un topo plus tard Otto. Disons que nous aurons quelques passagers spéciaux. Si tu veux sortir ce soir, Olaus peut prendre ton tour.

Les deux hommes parlaient tout en baladant leurs yeux sur les badauds du port lorsque leurs regards s'arrêtent sur une personne en particulier. Une femme. Une Noire. Un être qui les projetait deux ans en arrière et bien plus. Une connaissance commune comme une connaissance de plus de la moitié de l'équipage. Non, ça ne pouvait pas être elle ! L'ancienne compagne de l'ancien capitaine. Celle qui le conseillait, prévoyait, devinait. Seule chose qu'elle avait loupé... la mort Pietros Nayan. Depuis elle s'était isolée, perdue dans ses pensées lui avait-on dit. Chagrin, remords, déprime, nouvelles aventures ? Vasloo n'en savait rien. Même de loin il pouvait la reconnaitre entre mille. Elle prenait bien la direction du Nayan... puis celle de la passerelle. Clac clac le clapotis sur le bois annoncent sa montée. Le pirate de garde se retourne et reste sur place la bouche ouverte. D'un coté les avis sur elle divergeaient. Crainte par certains superstitieux, respectées par les membres Noirs et hait par d'autres. Pour Vasloo c'était bien compliqué. Il va à sa rencontre en la détaillant des pieds à la tête.

- TIA !? Tiaaaaaa !

Sourire oui. Expression faciale qui se transforme en interrogation.

- Pour une surprise... s'en est une. On ne te savait pas sur Lys. Tu viens pour... pour récupérer tes affaires dans ta cabine ? Tu sais, elle est toujours scellée. Personne n'a osé l'ouvrir.

Même pas lui.
D'autres pirates sur le pont et faux-pont s'approchent. Otto reste sur place et lève un sourcil. Même les nouveaux avaient entendu parler d'elle comme une vieille légende. Elle faisait partie du Nayan comme de son histoire.

La fin de la matinée ne s'était pas réellement déroulée comme convenu, et c'est impuissante que Tia avait assisté à la scène se déroulant dans la cour intérieure de cette taverne. Sa complice Rila, dissimulée au fond de la cour et chargée d'espionner leur cible avait rapidement été démasquée, au sens propre et figuré, par un furet curieux ! C'est là que la devineresse avait reconnu les deux hommes attendant Davos. Et le bond dans le passé était tel qu'il lui avait fallu quelques minutes pour réagir, temps durant lequel la jeune asiatique avait utilisé pour fuir, immédiatement poursuivit par ce jeune moussaillon d'antan qui aujourd'hui était Capitaine du Nayan. Et lorsqu'enfin elle avait dévalé les marches pour rejoindre la rue commerçante de la cité portuaire, il était trop tard. Elle avait perdu de vue sa partenaire pourchassée. Ce n'est qu'après un long moment qu'elle avait retrouvé le contact visuel de ceux apparaissant comme des fantômes du passé.
Olaus et Vasloo. Ils transportaient une sorte de tapis épais ou elle devina qu'ils avaient dissimulé le frêle corps de la mercenaire. En plus de l'échec de cette surveillance orchestrée et qui devait aboutir sur l'élimination de celui qui œuvrait en secret pour s'approprier Lys, elle devait porter secours à sa partenaire. Discrètement, Tia suivit donc les porteurs, longeant les murs et gardant une distance convenable pour ne pas être repérée. La foule plus dense sur le marché animé d'où se dégageait mille senteurs d'épices facilita la filature. Cependant, elle stoppa sa progression lorsqu'elle aperçut les hommes emprunter la passerelle du navire. Rapidement, elle détourna son regard, son cœur s'étant immédiatement resserré en augmentant le rythme de ses battements sourds qui tapaient maintenant dans sa poitrine.

Faisant demi tour, elle erra un long moment, comme déconnectée de la réalité, et du temps surtout, perdue dans des pensées qui la ramenaient plus de deux ans auparavant. Le brouhaha et l'agitation du commerce qui se pratiquait devant les étals de produits de toute sorte se vendant ou s'échangeant sur cette place, ne parvenait plus à ses oreilles. Comme si tout s'était arrêté autour d'elle, elle avançait à l'aveugle entre les passants. Elle percuta même un jeune marin auprès de qui elle s'excusa d'un ton monocorde et sans même s'arrêter, avant de rejoindre la chambre louée ou elle logeait avec Rila.
Une fois seule, elle se laissa tomber de tout son poids sur le lit, avant de fortement soupirer pour tenter d'évacuer le flot d'émotions qui envahissait son corps, sans qu'elle ne puisse les contenir.
Deux ans ...
Plus de deux ans qu'elle avait quitté le navire, laissant son Commandement au jeune protégé de son mari décédé, selon ses dernières volontés. Non pas qu'elle était contre ce choix, bien au contraire, il était sans doute le plus à même de perdurer ce que Pietros avait mis en place durant de longues années. Ce n'était pas du tout pour cette raison là qu'elle avait préféré s'éclipser. Fuir pourrait-on même dire. Parce que c'est bien de cela dont il s'agissait. Elle se sentait responsable de la mort de son mari. Coupable de n'avoir pas su lire et anticiper le drame qui lui avait couté la vie et l'avait arraché à lui. La laissant seule, après toutes ces années de bonheur partagé.
Seulement voilà, s'enfuir n'avait aucunement réglé son problème de conscience, à peine le temps qui continuait de s'écouler avait atténué l'intense douleur de ce déchirement. Ce n'est que dernièrement, et suite à une rencontre particulière avec un homme hors du commun qu'elle avait réussi à passer un cap difficile dans ce deuil.

Autre long soupir, avant de se relever et faire les quelques pas la séparant de la fenêtre ou elle regarda, sans voir, la rue en contrebas. Rue qui descendait jusqu'au port ou elle serait bien forcée de se rendre. Ce qu'elle fit, après quelques heures d'hésitations et de questionnement de toutes sortes, aboutissant toutefois sur une évidence. Elle se devait d'aller au secours de Rila. Pas le choix. Même si cela impliquait de raviver certaines douleurs qui ne seraient jamais suffisamment anciennes pour qu'elles ne la bouleversent plus. Rassemblant son courage, la jeune femme arpentait le chemin menant aux quais moins fréquentés en cette fin de journée baignée par le soleil couchant.
Elle ne put empêcher le temps d'arrêt à quelques mètres du navire face à elle. Toujours aussi majestueux, celui qui lui avait servi d'unique demeure se dressait fièrement devant elle, et elle reconnut le jeune blond et une autre connaissance, le frère d'Olaus déjà entraperçu un peu plus tôt dans la journée.

Tia fixa les hommes en reprenant sa marche qu'elle réussit à rendre plus assurée. Visage impassible lorsque le bruit de ses talons de bottillons claquèrent sur la passerelle d'accès, il se détendit en un sourire discret lorsqu'elle aperçut Vasloo venant à sa rencontre. L'étonnement qu'elle pouvait lire sur son visage la rassura légèrement, elle n'était pas la seule à être quelque peu surprise de ces hasardeuses retrouvailles et le jeune homme la détailla également des pieds à la tête.

- En chair et en os ... Bonsoir Vasloo ... Capitaine Vasloo pardon ...

Echange de sourire poli autant que surpris le temps pour elle d'accéder au pont du Nayan. Le plus discrètement possible, elle expira pour contenir le nouveau flot de sensations qui la submergeait. Alors elle tenta de e concentrer sur le jeune Capitaine. Il n'avait pas changé, bien que la lueur dans ses yeux semblaient plus confiante qu'à l'époque, probablement du fait de son rôle de gestionnaire d'équipage. Qui d'ailleurs arrivaient plus nombreux sur le pont, certainement curieux de revoir celle qui avait partagé leur vie de longues années avant de disparaître.

- Pour une surprise... s'en est une. On ne te savait pas sur Lys. Tu viens pour... pour récupérer tes affaires dans ta cabine ? Tu sais, elle est toujours scellée. Personne n'a osé l'ouvrir.

- J'ignorais également que le Nayan était à quais ...

Celle que l'on avait baptisée autrefois la "Sorcière des Mers" détourna un instant son regard en direction de l'homme resté en retrait, Otto, et qu'elle salua d'un hochement de tête accompagné d'un sourire discret et retenu.
Ses affaires ? Effectivement, elle avait laissé beaucoup de ses objets personnels dans sa cabine, sans réelle certitude de les retrouver ou de les récupérer un jour. Et qui sans nul doute allaient plus encore la ramener à son ancienne vie sur les mers. Autant perturbant que cela puisse être, la femme était cependant ravie d'apprendre que ses effets étaient restés en lieu et place, et ne put retenir un sourire amusé lorsque Vasloo annonça que sa cabine avait été scellée et que personne n'avait " osé " y pénétrer. Pas étonnant, une partie de l'équipage devait éviter de passer devant celle-ci, par superstition, voir par peur que l'un des grigris qui ornaient son espace privé ne jette sur eux un sort maléfique.

- Ce n'était pas à l'ordre du jour mais ... pourquoi pas oui ... avant tout, je souhaiterais que nous parlions, si tu peux m'accorder quelques minutes ? Je suis tout autant surprise que toi, tu te doutes ... et curieuse que tu me racontes quelles aventures t'amènent ici ... Vous arrivez juste à Lys ou bien vous êtes en partance ?

Ses prunelles fixées dans celle du jeune moussaillon d'antan, il avait forcément du comprendre le caractère privé de l'entretien qu'elle demandait.
Comment allait-elle aborder le sujet de Rila sans dévoiler le plan et les réelles raisons pour lesquels les deux femmes avaient fait escale à Lys ? Aucune idée encore. Chaque chose en son temps. Elle devait déjà engager la conversation dans un lieu moins peuplé de tous les regards surpris, choqués pour certains, ravis pour d'autres qu'elle reconnaissait, le cuisinier par exemple, ou ce jeune noir qu'elle avait vu naître et à qui elle avait enseigné la lecture, et l'écriture. Sourire en demi teinte mais franc et sincère, la main féminine effleura inconsciemment le tissu de sa robe au niveau de sa ceinture, là même ou sous les jupons, un écrin de velours contenant l'Œil qui ne l'avait quitté depuis la disparition tragique de son époux était toujours en place malgré tout ...