Helga chantait, les bras enfoncés jusqu'aux coudes dans la vieille biche maigrichonne qu'elle était en train de vider. Sa voix était rauque et enrouée, mais sonnait assez juste en résonnant dans la sinistre forêt déserte, tandis ce qu'elle lançait machinalement les abats à son compagnon, un immense ours blanc à l'air bonhomme qui la fixait, assis sur son arrière train. La jeune femme interompit sa chansonnette et éclata de rire quand il attrapa un bout d'organe au vol dans sa grosse patte.
Dans la petite clairière enneignée se trouvait aussi une cahute aux murs de rondins et au toit de bardots où vivait Helga et son ours. La porte en était d'ailleurs étrangement large pour permettre à l'animal de passer.
La jeune femme recommença à chanter tout en écorchant la biche. Sa peau était rapée et irrégulière, ni belle, ni solide. Elle la tendit entre ses mains en se demanda ce qu'elle pourrait bien inventer pour ne pas la gâcher. Haussant les épaules, elle mit la peau de coté en se disant qu'elle aviserait plus tard et commença à découper la viandes en vaste quartiers, déterminant au fur et à mesure ce qu'elle allait faire sécher pour constituer des provisions et ce qu'elle allait conserver frais dans un trou dans la terre gelée bouché par une pierre à l'extérieur de la maison.
Après avoir terminé son travail, Helga nettoya ses mains et ses avants-bras dans la neige. Il faisait assez froid et neigeux, mais il y avait pas mal de soleil, c'était une belle journée. Elle leva la tête vers le ciel, soudain silencieuse. Un vent puissant se leva et soudainement, un nuage gris masqua la lumière du jour. Le temps béni de l'été était presque terminé. Bientôt la nuit étendrait ses longs bras sur le monde. Helga se demanda pendant combien de temps on ne verrait plus le soleil. Un an, deux ans? Plus? Beaucoup plus? Le dernier hiver avait laissé des traces indélébiles dans l'esprit de la jeune femme. C'était pendant celui là que son père était mort.
Elle soupira en secouant la tête. Elle s'apprêtait à rentrer dans la maison quand un bruit attira son oreille. Les inimitables cliquetis d'un harnachement. Parfaitement silencieuse, elle appela son ours près d'elle, ce cher Hakel qui lui donnait un agréable sentiment de sécurité. Elle attendait l'apparition de l'étranger.

Helga attendit dans un silence de mort. Un homme vêtu de noir apparu alors. Elle constata qu'il était chauve ce qui ne manqua pas de l'intriguer, car il semblait jeune pour perdre ses cheveux. Il était à pied et menait un cheval noir par la bride.
Hakel commenca à manifester des signes d'agressivité. Jusqu'alors couché aux pieds de sa maitresse, il se redressa à demi, grondant après l'inconnu. Ce n'était pas dans son caractère, il était toujours si calme d'habitude! Helga passa un bras autour de son cou comme si elle pouvait retenir un ours blanc d'une tonne comme un simple molosse.
L'homme reprit la parole, disant qu'elle n'avait pas à le craindre, qu'il ne lui voulait aucun mal. La jeune femme éclata d'un petit rire. Haussa les sourcils, une espression radoucie sur le visage, elle baissa la tête et ordonna à Hakel de se calmer. L'ours la regarda comme pour lui demander si elle savait ce qu'elle faisait, puis bascula pour s'assoir sur son arrière-train.

"Peur? Pourquoi j'aurais peur de vous? Mon protecteur est un ours aussi haut que votre cheval et deux fois plus large! C'est plutôt vous qui devriez avoir peur!" elle se détourna, riant à nouveau. "Vous pouvez mettre votre cheval derrière la maison, il va neiger."

Helga ouvrit la porte et Hakel entra en se dandinant. Elle jeta un regard à l'homme au milieu de la clairière avec son cheval et lui fit le geste d'entrer. La pièce qui s'ouvrait derrière elle était petite et en désordre, au plafond bas construite pour la petite taille de son habitante. Devant le petit foyer où brillaient des braises rouges, étaient libéré un grand espace pour permettre à Hakel de se coucher.

"Décidez-vous vite la chaleur sort!"

Il n'était pas dans les habitudes d'Helga de laisser ainsi entrer les gens inconnus chez elle. Mais il était de la Garde de Nuit. Elle devait la vie à un de ces hommes et se sentait redevable à tout l'ordre.

L'homme au crane chauve décida. Il fit le tour de la cahute pour attacher sa monture et revint se mettre à l'abri dans la maison. Helga sourit quand il posa les quelques questions qui s'imposaient. Elle resta énigmatique, occupée à découper en lamelles la viande qu'elle allait faire sécher, debout devant la petite table de bois.
Au bout de quelques minutes de ce petit jeu, elle ouvrit enfin la bouche:

"Tout simplement parce qu'il va neiger d'une minute à l'autre et que je ne voudrais pas être à votre place quand vous serez transi sous les flocons à des kilomètres du Mur! Surtout que la neige va compliquer l'avance de votre bête. Et puis aussi parce que c'est une corneille dans votre genre qui m'a sauvé la vie quand j'était tout petiote et juste par égard pour lui j'laisserais pas un garde de nuit tout seul dehors sous la neige."

La jeune femme rejeta sa tête en arrière. L'ourse blanche qui se tenait, terrifiante face à elle, et puis l'ombre qui venait à sa rescousse...Un bien vieux souvenir. Cela devait faire plus de dix ans. Onze? Ou douze peut-être? Helga ne savait plus, elle ne tenait pas un compte précis des années. Elle reprit sa tache.

"Votre cheval. J'ai entendu les bruits du harnachement et les pas d'une bête bien nourrie du sud du Mur. C'est pour ça que je donnais l'impression de vous attendre. Ces animaux ne sont vraiment pas discrets. En plus le votre a le poil noir on doit le voir à des lieux dans la neige!"

Son regard se porta sur Hakel qui somnolait dans son coin devant le foyer. Sa démarche à lui était peut-être lourde, mais elle faisait tout au plus un léger bruit feutré et son pelage blanc jaunâtre était tout de même d'une remarquable discrétion dans la neige. Une grande vague d'affection monta dans son coeur. C'était la meilleure bête qu'on pouvait imaginer de ce coté-çi du Mur.

"Mais prenez un tabouret restez pas debout, Crane de Banquise."

"Ce n'est pas la peine je ne connais pas son nom. Il est peut être mort depuis le temps, qui sait? Ca fait plus de dix ans!"

Helga jeta plusieurs lambeaux de viande trop nerveux pour être mangé à Hakel qui les engloutit au vol et se leva pour en ramasser deux qu'il avait laissé passer. La jeune femme entreprit alors d'enfiler les lamelles sur une large ficelle pour les pendre au dessus du feu. Elle éclata de rire. Gente dame. Il l'avait appelé gente dame!

"Drake Burrows...D'accord je ne l'oublierais pas. Moi, c'est Helga, juste Helga. Mais je ne suis pas une gente dame. Je crois que ce que vous appelez une gente dame ne passe pas la moitié de sa vie à courir les bois. Ce n'est qu'une légitime vengeance après tout: je vous ai bien appelé Crane de Banquise!"

Elle laissa échapper un nouveau rire. Gente dame. Les gardes de nuits l'appelaient plutôt "Sauvageonne" ou "Sorcière" et dans son peuple "L'ermite" ou "La fille à l'ours". Mais, ça elle ne l'avait jamais entendu. Helga reprit sa tâche. Découper, passer sur la ficelle, suspendre au dessus du feu.
C'était d'une monotonie! Finalement, laissant un demi-quartier de viande sur la table, elle mit de l'eau à bouillir puis prépara deux bols d'une tisane stimulante, bonne pour lutter contre le froid. Elle tendit un bol à Burrows et s'assit près de lui sur l'autre tabouret. Elle aussi avait des questions à poser.

"Mais dites moi donc. Que faites vous de ce coté du Mur, tout seul? Vous patrouillez en groupe normalement, non?"

Helga voyait souvent des groupes de gardes qui patrouillaient. Elle voyait parfois trois ou quatre hommes, parfois bien plus. La diversité impressionait toujours la jeune femme. Certain étaient richement vêtus, quand d'autre gelaient sous des fourrures miteuses, d'autres brandissaient de belles épées à deux mains, mais d'autres encore d'avait que de courts braquemarts fatigués. Parfois, Helga avait envie d'aller voir le monde de l'autre coté du Mur, mais elle se souvenait que ce qui restait de sa famille vivait de ce coté-çi et que Hakel supporterait très mal la chaleur, alors elle se calmait et décidait de rester bien en place.

Helga refléchit quelques instants. Il y a treize ans elle devait avoir quatorze ans. Hakel était alors presque adulte et ils vivaient tout deux avec une vieille guérisseuse qui apprenait à la jeune fille l'art de soigner, non loin du Mur. Helga avait toujours fait plus vieux que son age et il était qu'elle jouissait déjà à l'époque d'une réputation de fantôme porte-malheur.

"C'est possible, mais cela devait être une rumeur mineure émanant de seulement quelques personnes, car à l'époque, je ne devais pas avoir plus de quatorze ans et je vivais plus loin au nord." la jeune femme but une nouvelle gorgée de son infusion. Elle poussa le deuxième bol vers Burrows: "Buvez pendant que c'est chaud! Maintenant, je ne dis pas. Les plus vieux aiment visiblement faire peur au recrues. C'est déjà arrivé que l'un d'entre vous refuse mes soins car il avait peur de ma réputation!"

Helga haussa les épaules. Les réactions effrayées qu'elle provoquait l'amusait toujours. Voir un gaillard en armure et épée sur un grand cheval de guerre écarquiller les yeux et se retenir de filer au galop, alors qu'elle même n'était qu'une petite femme à pied armée d'un arc. Bon d'accord, une petite femme à pied armée d'un arc et accompagnée par un ours de 2000 livres.

"Vous n'êtes pas loin de chez vous du tout. Le Mur est a une journée d'ici et la course de votre cheval est probablement plus rapide que la mienne."

Hakel manifesta soudain l'envie de sortir. Il avait probablement envie de folâtrer dans la neige et de se chercher un repas plus consistant que les friandises que lui distribuait régulièrement Helga. Elle alla lui ouvrir et constata qu'il neigait maintenant plutôt fort.

"Ce sera fini dans la nuit je pense." dit-elle en refermant la porte.

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