Roose ouvrit les yeux, confortablement installé contre le corps de Bethany allongé à coté du sien dans leur lit sous la grande tente de Lord Bolton. Roose caressa la nuque de son épouse et l'embrassa délicatement pour ne pas la reveiller tandis que l'aube pointait au travers des épais draps noirs qui servaient de " murs " à cette tente. Voilà plus de trente-jours que le Seigneur Sangsue et sa douce Lady avait quittés la douceur de leur foyer, Fort-Terreur, pour se rendre à Tertre-Bourg, chez les Dustin, afin d'y retrouver son fils Domeric, pupille chez sa belle-soeur et amie d'enfance, Barbrey Ryswell Dustin. Le lord de Fort-Terreur se redressa et passa sa main sur son visage, la couverture en peau de bête se levant avec lui et la douce brise du matin s'engouffrant dans la tente tandis que Roose sortait du lit. Bethany se redressa et s'adressa à son époux d'une voix fatiguée.

- Mmmmh...Roose ? Tu te lèves déja ? Quelle heure est-il ?

Roose fit le tour du lit et caressa le visagede sa chère et tendre avant de l'embrasser. Malgré le temps, Bethany avait gardé la beauté de son enfance, la beauté qui avait tant séduit Roose quand ce dernier. Elle fût sa première fois et aujourd'hui, elle était toute à lui et il était tout à elle. Elle sourit à son époux qui lui répondit d'une voix un peu plus éveillée.

- L'aube approche, mon aimée. Notre dernier jour de voyage avant d'arriver à Tertre-Bourg...

- Mmmmpf...Pourquoi fallait-il que ma chère soeur épouse un Dustin...Ils vivent si loin...Père aurait pu lui trouver un époux plus plus proche...Dit-elle avant de se rallonger.

- Je te rappelle que de vous deux, tu as épousée le seigneur le plus éloigné des Rus. Et puis, le plus éloigné, certes...mais celui qui a duré le plus longtemps. Dit-il en prenant ses habits puis en remettant la couverture sur son épouse afin qu'elle n'ait pas froid.

Roose s'habilla d'une tunique, de son pantalon et de ses bottes, de ses gants, de son long manteau noir orné de fourrure et de son gambison avant de sortir de la tente tandis que le soleil, encore orangé, éclairait l'horizon et illuminait le campement de la Maison Bolton. Les serviteurs et les gardes qui s'affairaient à préparer à nouveau la caravane de Lady Bolton, saluèrent leur seigneur lorsqu'il passa à proximité, Roose se rendit à un feu de camp où ses hommes discutaient et se fit servir un bonne patte de lapin qui cuisait, le doux crépitement de la graisse de l'animal qui tombait dans le feu, ainsi que le fumet qui s'en dégageait mettait l'eau à la bouche du seigneur de Fort-Terreur. Il mangea rapidement avant de terminer de superviser lui-même, les derniers préparatifs au voyage. Un des gardes s'approcha de Roose lorsque celui-çi retournait à sa tente pour aller y chercher sa femme.

- Mon sire, nous arriverons à Tertre-Bourg en fin de matinée, devons-nous envoyer un corbeau pour prevenir Lady Dustin de notre arrivée ?

- Je ne pense pas que cela soit nécessaire, que le convoi se tienne prêt à partir dans la quinzaine.



Lorsque le convoi Bolton entra à Tertre-Bourg, il fût accueilli par la plèbe des Dustin et fût escorté aux portes du Château de la Tertrée. Roose, à cheval sur son destrier noir, une fière créature du Nord, était escorté de ses portes-bannières et d'une escorte d'une dizaine de soldats, suivi du carrosse de Lady Bolton, de la garnison d'escorte et des serviteurs ainsi que des chariots de nourritures et de victuailles. Roose, en entrant dans la cour, observa le baroud d'honneur fait pour son arrivée avant de poser pied à terre et de s'approcher de ce qui l’intéressait : Barbrey, Domeric, Elhenna et...la Fer-Née...Roose avait presque oublié que sa belle-soeur avait eu ce " poids " à domestiquer. Il s'approcha en souriant, les bras grands ouverts.

- Où est mon fils ? Dit-il en se mettant à sa hauteur.

Domeric s'éloigna de sa tutrice et se jetta dans les bras de son père qui le prit dans ses bras et le serra affectueusement avant de le reposer sur le sol et de marcher à ses côtés.

- Père, Père !! Où est Mère ? Demanda Domeric.

- Oh...et bien...Elle n'a pas pu venir...Dit-il en prenant un air sérieux et triste.

- Elle est dans le carrosse, c'est ça ?

Roose soupira avant caresser la tête de son fils.

- Tu es bien trop malin, Domeric. Va donc aider ta mère à descendre.

Le fils Bolton courut jusqu'à la calèche et sauta presque dans les bras de sa mère qui le serra contre elle avec amour tandis que le Lord Bolton regardait ses hôtesses.

- Barbrey....Dit-il en lui faisant la bise.

- Et je suppose que tu dois être Elhenna, ma nièce, je me trompe ? C'était bien ton anniversaire que je suis parti de Fort-Terreur pour venir te voir non ? Et bien, je crois avoir pensé à un petit cadeau, désolé de te le remettre après un mois mais tu comprendras que ce n'est pas le genre de choses que j'aurai pu transporter par corbeau. Amenez-les !

Sur les mots de leur seigneur, deux hommes de la Maison Bolton arrivèrent dans la cour du château en courant, tout en tirant deux superbes étalons du Nord, déja sellés et prêt pour la chevauche. Chacun d'entre eux ayant une couleur blanche comme pour représenter la pureté, l'aspect immaculé de la jeunesse des deux descendants des deux maisons. Des commentaires et murmures jaloux, admiratifs et faisant étalage de la générosité de Lord Bolton se faisaient entendre dans la foule du château. Il y en avait un mâle robuste et fier pour son fils et une superbe et délicate jument pour sa nièce. Roose s'approcha des deux animaux majestueux et attendit que son fils et sa nièce le rejoigne pour faire les présentations.

Domeric et Elhenna semblaient ravis de leur présent mais ce n'était que le plus gros de tous ceux qu'il avait à leur offrir. Le Seigneur Sangsue lança un regard rapide à la Fer-Née, il n'avait pas vraiment voulu lui offrir un présent mais Roose était quelqu'un qui aimait que tout le monde soit sur un pied d'égalité alors...

- Dis-moi, petite Fer-Née...Sais-tu monter ?

Et à ces mots, un troisième soldat Bolton arriva avec un autre grand étalon de couleur grise. La bête fût apportée auprès des deux premières et Roose lui demanda de s'approcher, un de ses hommes restant prêt à agir si elle tentait quelque chose contre Lord Bolton, après tout tandis que Robert et Eddard incendiaient Pyke, Roose et son armée mettaient à sac les villages et les ports tout en tuant et écorchant tous les Fer-Nés qu'ils croisaient et sachant cela, la jeune fille aurait pu être tentée de s'en prendre à lui. Le sire de Fort-Terreur se mit à la hauteur des enfants et leur adressa la parole d'une voix tendre mais froide.

- Ces bêtes sont des étalons nordiens de très grande beauté, veuillez en prendre grand soin autant qu'ils prendront soin de vous. Domeric, ce male majestueux a été le plus dur à capturer, il est fougueux et imprevisible mais je sais que tu sauras l'apprivoiser. Elhenna, cette merveilleuse jument, que ma Dame a affectueusement appelée Neige, est une créature calme et douce mais qui court aussi vite que le vent. Dit-il à la jeune fille.

Puis il regarda le visage d'Elhenna, l'observant avec attention et soin. Il prit son menton avec délicatesse et regarda l'enfant avec attention, comme si il avait decelé quelque chose de précis. Il n'avait vu des trais similaires à ceux de la jeune fille qu'avec deux personnes mais l'une de ses personnes n'était pas William Dustin, la vérité sortit du puits dans l'esprit du noble mais Roose savait qu'aborder ce sujet comme cela détruirait Barbrey Dustin et cela, c'était hors de question. Lorsqu'il comprit ce qu'il cherchait, il tourna son regard presque accusateur vers sa belle-soeur puis ramena son regard vers sa nièce.

- C'est indéniable, tu tiens bien plus de ta mère que de ton père. Dit-il dans un sourire presque paternel.

- Profite bien de ton cadeau.

Puis il se tourna vers la Fer-Née.

- Quant à ton animal, c'est également un mâle que j'ai fait capturer et que j'ai ramené à Fort-Terreur, mes hommes m'affirment qu'ils ne sont pas parvenus à le dresser mais je ne doute pas qu'une Fer-Née saura tisser un lien avec une bête de sa nature. Dit-il avant de relever.

Roose s'approcha de Barbrey et Bethany, observant les enfants et leurs nouvelles montures. Il s'adressa à sa belle-sœur en reprenant un air sérieux et froid comme il en si bien l'habitude. Il prit ses distances avec elle à ses cotes pour pouvoir parler plus calmement et en toute intimité. Il s'éloignèrent de la place, tandis que le bon peuple du château retournait à ses affaires et que les soldats Bolton s'installaient dans la cour.

- Tu as une très belle fille...Mais comment l'as-tu expliquée à feu Lord Dustin ? Prend garde ou bientôt tout Westeros jasera sur tes mœurs légères, ma chère Barbrey...Si je te dis cela, c'est parce que nous savons tous les deux que ta fille n'est pas celle de ton défunt mari, ose me dire le contraire...Je l'ai bien observée et j'ai vu ce que tu voulais cacher mais je te rappelle que, tout comme toi, j'ai été un Cœur du Nord...Et je n'ai connu qu'un seul être aux traits similaires...

Roose accompagna Barbrey dans la grande salle du château, Roose demanda à ce qu'on les laisse seuls et qu'on verrouille la porte derrière eux. Une fois seuls, il pût laisser éclater sa surprise et sa colère.

- Aimer Brandon Stark ne te suffisait pas, il a fallu que tu lui fasses une fille ! Et une fille qui ressemble trait pour trait à Lyanna Stark ! Non pas que cela me dérange ou que cela me surprenne mais...j'avais espéré un peu plus d'intelligence de ta part. Tu as toujours été une des plus ingénieuses d'entre nous...Même quand nous étions jeunes...Elhenna est la dernière descendante vivante de Brandon Stark et je suppose que Ned t'a proposé de la prendre comme pupille ? Qui d'autre est au courant ? Dit-il avant de marquer une pause pour lui permettre de répondre.

- Quand le jeune Elhenna va grandir...Que crois-tu que va faire Ned Stark ? Il a un fils, Robb...Tu es une de ses amies d'enfance et tu as la mainmise sur les Rus et Tertre-Bourg...Quand leur enfant naîtra, il aura le plein contrôle du Nord...

Roose soupira et alla à la fenêtre, voyant si les enfants étaient encore avec leurs nouveaux chevaux.

- Ces bêtes que je leur ai offert, il y a une symbolique derrière...La bannière des Ryswell est un cheval à crinière de feu sur fond orange, j'ai voulu te rendre hommage, à toi et à ta sœur avec ce cadeau...La Maison Ryswell s'éteindra quand Bethany et toi disparaîtraient...Le plus tard possible, je l'espère mais à votre disparition, les Rus reviendront aux Stark...Tertre-Bourg également, ils agrandiront leurs terres et leur influence dans le Nord...Nous devons penser à l'avenir de nos enfants, Barbrey...Aujourd'hui....Robb Stark, Elhenna Dustin et Domeric Bolton...Ce sont eux, le Cœur du Nord.

Elle n’avait pas envie d’être là. En avait-elle eu envie une seule fois, depuis qu’on l’avait amené ici ? Sans doute pas. Mais aujourd’hui, plus que n’importe quel autre jour, elle avait envie de disparaître dans un coin du château, s’y cacher toute la journée et n’en sortir qu’à l’heure du coucher. A la place, on l’avait affublée d’une robe ridicule qui lui serrait la taille et une vieille dame avait tenté de discipliner ses cheveux. Le résultat était plutôt honteux, pour la fer-née, qui se sentait terriblement mal à l’aise ainsi déguisée. L’exhiber ainsi aux étrangers comme l’on ferait d’un chien bien dressé était terriblement blessant. Mais Lady Dustin n’était pas une femme méchante, et elle savait que ces efforts lui permettraient de gagner quelques après-midis à vagabonder librement sur le domaine. Thyra savait d’ailleurs exactement ce qu’elle ferait pendant ces heures de liberté. S’éloigner de Domeric était son premier objectif.

Le jeune homme l’insupportait. De plus en plus. Il était une vraie princesse, de celle dont on n’a pas envie de s’occuper, si tant est qu’il existe des princesses dont on a envie de prendre soin. Particulièrement arrogant, frimeur, lèche-bottes par-dessus le marché, il avait tout du parfait petit imbécile. Et Elhenna restait tout le temps avec lui. Elle aussi, était devenue une petite peste. A croire qu’elle faisait tout pour que son Domeric lui prête attention. Thyra la préférait cent fois quand il n’était pas dans les parages pour la changer. Mais il était pupille de Lady Dustin, et passait énormément de temps ici, à Tertre-Bourg. Autant de temps pendant lequel Thyra préférait rester seule, plutôt qu’avec lui. Et aujourd’hui, toute sa famille s’invitait au château. Un long moment à passer, durant lequel la fer-née devait être irréprochable.

Les Bolton, d’ailleurs, ne devaient pas tarder à arriver. Dans la cour du château, Thyra, placée à quelques pas de Lady Dustin, les attendait, nerveuse, impatiente que tout cela se termine. Droite, muette comme une carpe, l’Îlienne comptait bien rester de marbre tout le long de cette entrevue. Elle ne répondit pas à l’attaque d’Elhenna, la foudroyant seulement du regard alors qu’elle se riait d’elle, accompagnée de sa petite princesse, et resta tout aussi silencieuse lorsque la troupe entra dans la cour. Lord Bolton … L’enfant se tendit, impressionnée, peut-être terrorisée aussi, par cet homme. Il avait un quelque chose dans le regard qui le rendait plus grand, plus robuste qu’il ne l’était vraiment. Pourtant, face à son fils, le Lord devenait un père. Un père aimant, qui regardait fièrement son fils. Thyra baissa les yeux, serrant les dents. La vue lui était douloureuse, insupportable. Elle se sentait en colère et triste à la fois. Ses épaules se relâchèrent, alors qu’elle se rappelait avec souffrance de son propre père. Ne pleure pas, ne pleure pas… se répéta-t-elle silencieusement. Pas devant ces gens, jamais. Si les larmes étaient salées comme la mer, ce ne pouvait être qu’un don du Dieu Noyé, et aucune de ses larmes ne sortirait de ses yeux devant des gens indignes de recevoir un tel cadeau. Alors elle garda la tête baissée, fixant ses chaussures, attendant que le temps passe, chassant de son esprit les visages souriants de sa mère, son frère, son père …

Mais la voix de Lord Bolton l’obligea à relever le menton. Petite Fer-née… Respectueuse, elle leva les yeux vers lui, ne pipant mot, attendant la sentence qu’elle s’attendait à recevoir de la part de cet homme. Mais au lieu de cela, il lui demanda si elle savait monter. La peur paralysa son esprit, et elle mit un certain temps avant de comprendre. On lui offrait… Un cheval ? S’approchant de Domeric et Elhenna, Thyra observa les bêtes avec un étonnement qu’elle n’arrivait pas à dissimuler. En d’autres circonstances, elle aurait été vexée, voire en colère face à un tel cadeau. Les fer-nés ne montent pas à cheval. Mais là, face aux Bolton, sous les yeux de Lady Dustin, Thyra ne sut que dire, que faire, se contentant d’admirer béatement l’animal, n’osant s’approcher de lui. Elle écouta avec une attention particulière les explications de Lord Bolton, et baissa maladroitement la tête vers lui pour le remercier.

« Merci… Messire. » Elle n’était pas sûre que l’usage voulait que le Lord soit appelé Messire, encore peu friande des us et coutumes des continentaux, mais au manque de réactions de sa part, la fer-née se dit qu’elle avait sûrement vu juste.

Lorsque les adultes s’éloignèrent d’eux, la jeune enfant s’approcha de l’animal à la robe grise, agrippant les rênes qu’un soldat lui tendit. Elle n’osa pas le caresser, se contentant de l’observer méticuleusement, aussi effrayée qu’il devait l’être. Comment allait-elle bien pouvoir dompter un animal sauvage ? En avait-elle seulement envie ? Bien sûr que non… L’idée de monter à cheval la rebutait, mais le sentiment qu’elle ressentit était bien plus fort que cela. Elle se sentait juste comme cet animal. Emmenée loin de ses terres, pour être domptée par des gens qu’elle ne comprenait pas, auxquels elle ne voulait pas se soumettre.

« Pauvre bête … » murmura-t-elle en fixant l’animal qui soufflait, lâchant de légers nuages de buées par ses nasaux. Elle souhaitait plus que tout le relâcher, lui rendre sa liberté. Là peut-être aurait-elle eut envie de s’en approcher, d’apprendre à le connaître, à instaurer un lien mutuel qu’il aurait décidé aussi. Mais il était hors de question qu’elle fasse affront à Lord Bolton en refusant son cadeau. Elle n’était qu’une otage fer-née, une petite chose dont les continentaux pouvaient disposer à leur convenance. Et si Lady Dustin était une femme aimante, nul doute qu’elle n’accepterait pas un tel comportement. Thyra se sentait coincée. Un soupir lui échappa, interrompu par Elhenna.

- Comment tu vas l'appeler ?

La fer-née se tourna vers l’héritière des Tertres alors que le rouge lui montait aux joues, sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi. Un nom ? Elle n’avait pas d’idées. Et à vrai dire, elle ne voulait pas lui en donner un sans le connaître. Peut-être qu’à force, elle finirait par lui en trouver un qui lui correspondrait parfaitement. Pour l’instant, elle préférait ne pas avoir à le nommer.

« Aucune idée. Je ne sais pas ce qui lui irait le mieux... - l’enfant marqua une pause, pendant laquelle elle se tourna à nouveau vers l’étalon, l’observant pensivement – Je ne pense pas que je le monterais. S’il ne veut pas l’être, je ne l’obligerais pas. Il a l’air tellement… Terrorisé. »

L’animal était magnifique, vraiment. Si la fer-née avait toujours dit détester ces bêtes, elle devait tout de même reconnaître que celui-là était majestueux. Sa crinière était aussi noire et indiscipliné que celle de l’enfant, et sa robe grise tirait tantôt vers le noir, tantôt vers le blanc. Il semblait robuste, fier, indomptable. Pourtant, ses yeux semblaient renvoyer la peur. Lentement, Thyra approcha sa main vers lui, paume vers le ciel, tenant les rênes fermement dans l’autre. S’ils devaient cohabiter, autant que les deux apprennent à le vouloir tous les deux. Sinon, elle le savait, elle n’aurait pas le cœur à le discipliner comme les continentaux avaient coutume de faire avec tout et n’importe quoi. Dans sa tête, rapidement, Thyra le compara à la mer, invincible, impétueuse, insoumise. Les fer-nés ne domptaient pas la mer. Ils ne faisaient que l’apprivoiser, et ce pour un temps seulement. Jamais maître des océans, toujours serviteurs de ses humeurs et de ses colères.

« L’Histoire raconte que le premier roi du Sel et du Roc s’appelait le Roi Gris, premier héros des Îles de Fer. On raconte qu’il le devint après avoir tué une gigantesque dragonne et qu’il a régné mille et sept ans, sur les Îles et sur la mer… commença Thyra, songeuse, à l’attention d’Elhenna. La couleur de cet animal me fait penser à cette histoire. Je ne sais pas pourquoi on l’appelait comme ça, mais je trouve ça drôle. Enfin, c’est pas un nom pour un cheval, mais je trouvais ça chouette de repenser à cette légende. »

Roi Gris n’était définitivement pas un nom pour un animal. Thyra ne savait pas trop pourquoi elle s’était confiée à Elhenna, d’autant qu’elle ne connaissait pas grand-chose sur ce mythe et n’avait rien d’intéressant à fournir à l’héritière. De toute façon, cela ne devait pas l’intéresser.

« En tout cas, ta jument est vraiment magnifique. Tu vas pouvoir aller te balader avec Domeric et peut-être le battre à la course, si elle est aussi rapide que le dit Lord Bolton. »

Thyra sourit à la jeune enfant, mais le cœur n’y était pas. Cette rencontre, tant avec la famille de Domeric qu’avec l’étalon, l’avait rendu triste. Elle se sentait terriblement seule et rêvait de pouvoir s’isoler, loin de tous, pour se recroqueviller dans un coin en attendant la nuit. Pourtant, elle le savait, elle devait encore faire bonne figure. Tournant la tête vers Domeric, déjà en selle, prétentieux et fier sur son cheval, Thyra soupira et reprit.

« Tu crois que Lord Bolton est venu pour que Domeric reparte à Fort-Terreur ? C’est quand même bizarre qu’ils se soient déplacés si nombreux juste pour venir le chercher, non ? »

Thyra espérait vraiment qu’il allait repartir, et peut-être qu’Elhenna comprendrait que la question n’était pas innocente. Mais après tout, elle n’avait jamais caché son aversion pour lui.

Roose plongea son regard dans celui de la Dame des Tertres. Il connaissait son hôtesse depuis leur tendre enfance et il se souvenait encore des longues parties de cache-cache, de chasse et autres joyeusetés avec les autres membres du Coeur du Nord : Brandon, Lyanna, Benjen, Bethany, Barbrey et lui-même. L'enfance des Stark, des Ryswell et des Bolton avait et aurait toujours eu un poids sur l'avenir du Nord, d'où le nom qu'ils avaient donné à leur fraterie. Mais quand Brandon et Lyanna Stark passèrent de vie à trépas...C'en était fini du glorieux avenir de la Maison Ryswell...Bethany épousa Lord Bolton, comme prévu avec la mort de sa première femme mais Barbrey...Elle ne pût jamais porter le titre de Stark et vivre aux côtés de son bon seigneur, le véritable suzerain du Nord, Brandon Stark...La situation du Nord aurait été radicalement différente...Lyanna Stark serait devenue Barathéon, Barbrey, une Stark, Brandon aurait régné et Elhenna serait la première descendante souveraine du Nord et elle épouserait Domeric Bolton, ce qui, sans autre héritier mâle parmi les Stark, aurait donner le pouvoir de diriger le Nord à la Maison Bolton. Tout aurait été aussi si simple...Maudite guerre...

- Unir nos maisons est un véritable souhait, Barbrey...Tu ne veux pas que les Stark augmentent leur contrôle du Nord, n'est-ce pas ? Et comme tu l'as sous-entendue...Allier Dustin et Bolton feraient de nos deux maisons, une puissance nouvelle dans le Nord à laquelle se rallierait les plus bélliqueuses maisons à l'égard des Stark...Les Locke...Les Omble...Les Karstark...Des Maisons proches de Winterfell, une petite guerre civile qui aboutirait à la chute de Winterfell et l'exil des Stark dans le Nord...Nous pourrons alors faire s'asseoir nos deux enfants sur le trône du Nord et ainsi...régner...

Roose reporta son attention sur la fenêtre, regardant son fils et sa nièce qui semblaient prendre soin de leurs animaux. Il ne les quitta pas des yeux et reprit la parole.

- Je sais que tu soignes l'éducation de ta fille...Je devrais peut-être l'emmener à Fort-Terreur, afin qu'elle...disons...s'acclimate. Les petites brumes matinales sur la Larmoyante sont très agréables en cette periode de l'année. Bien entendu...Je n'impose rien, tu es libre de décider...Je compte rester un peu à Tertre-Bourg, voir comment Domeric vit ici, ce qu'il a appris de toi, de tes maîtres d'armes, de la région...Et puis, tu dois te douter que je n'ai pas effectué une route d'un mois uniquement pour un simple aller-retour afin d'embrasser mon fils. Je tenais aussi à voir ma nièce et...son amie Fer-Née. Je pense qu'elle peut avoir un grand impact sur la vie de ta chère Elhenna. Et je suis plutôt d'avis de lui accorder un peu plus de liberté, sans pour autant lui laisser pousser des ailes.

Roose marqua une pause dans son discours et observa le trio d'enfants qui s'amusaient avec leurs nouveaux chevaux.

- Bien ! Je suppose que tu dois avoir des choses à gérer, je vais te laisser et puis, tu dois avoir envie de parler un peu avec ta soeur. Dit-il avant de quitter la grande salle de la Maison Dustin.

Roose retourna dans la cour et vit ses divers soldats installer des tentes et des tables dans l'enceinte et autour du château. Sa propre garnison et ses bannières venant se joindre à celles des Dustin. Voilà que l'Ecorché se trouvait aux cotés des Deux Haches Royales Croisées. Roose s'approcha des enfants et demanda d'un ton froid, malgré son petit sourire :

- Alors, vos montures vous plaisent ? J'en suis ravi...Elhenna, j'aimerai parler à la Fer-Née, un petit instant, puis nous irons déballer le reste de vos cadeaux. Jeune fille, peux-tu me suivre, je te prie ?

Roose alla dans le château, il était accompagné de deux de ses soldats, au cas où. Roose avait toujours été un homme qui optait pour la prudence mais cette fois, il allait renoncer à ses principes par amour pour sa belle-soeur et pour sa chère nièce. Il alla à la cuisine et fit sortir les servantes et autres employés du Château de la Tertrée afin de rester seul avec la jeune fille des Îles de Fer. Il s'assit sur un banc et sortit de son ceinturon, une longue dague enveloppée dans un drap gris qu'il garda à la main, se mettant dos à elle, observant la cheminée.

- Comment dites-vous, sur les Îles ? En ce qui concerne le fer..." Payer le prix du fer " ? Vous prenez ce dont vous avez besoin. C'est quelque chose que je respecte chez ton peuple. Mais aujourd'hui, tu es dans le Nord, plus dans les Îles...Et en tant qu'otage, ce qui signifie que pour beaucoup, tu es une étrangère et une menace...Il suffira que les Greyjoy repartent en croisade contre les Six autres couronnes et tout le monde dans le Nord voudra te voir pendue et violée...Et bien que j'ai moi-même ôter la vie à plus d'un Fer-Né, j'ai toujours fait ce qui était néccésaire pour protéger ma famille...

Il se retourna vers Thyra et s'approcha d'elle avant de se mettre à sa hauteur.

- Je sais que tu es très proche d'Elhenna, je le sais très bien...Lady Dustin m'en a fait part. Nous savons tous les deux comment sont les femmes issues du Sel et de la Pierre : Ce ne sont pas des dames de cour mais de faroches combattantes. Je veux te faire payer le prix du fer...Dit-il en lui tendant la dague.

- Si tu prends cette arme, tu t'engages sur ta vie à défendre Elhenna Dustin de toute menace, à protéger ma nièce en toute circonstance et à mourir à sa place si il le fallait. Le prix du fer sera la vie d'Elhenna. Puisse cette lame perforer le ventre des ennemis de la fille de Lady Dustin ou te trancher la gorge si tu manques à ta parole. Prends-la et je saurai que tu feras le necessaire pour la protéger...

La grande brune, l’œil vif, ne quittait pas le regard de Roose. C'était presque imperceptible mais son corps entier s'était tendu aux mots du Lord de Fort-Terreur. Car, même si l'idée ne lui était pas étrangère, loin de là, il y avait une vraie différence entre y penser et en parler. Oui, si l'union des Bolton et des Dustin pouvait mettre à mal les Stark, elle ne cacherait pas sa satisfaction. Néanmoins, le risque était bien réel. Les Nordiens n'oublieraient pas si facilement leur attachement et leur foutue loyauté à la Maison Suzeraine du Nord. La Dame des Tertres n'était pas dupe. Heureusement, leurs enfants étaient encore jeunes. Ils ne se marieraient pas avant plusieurs années. Les choses pouvaient changer d'ici là. En leur faveur, elle y comptait bien.

Elle hocha la tête tandis qu'il continuait à parler. C'était décidé, ils uniraient leurs Maisons. Il ne restait plus qu'à rendre tout cela officiel. Puis il lui proposa d'emmener Elhenna avec lui.

- Non.

La voix de Barbrey était sourde. Il s'agissait de sa chair, de son sang. Très certainement du seul enfant qu'elle aurait jamais. Le dernier lien qu'elle conservait encore avec Brandon Stark. Elle était tout ce qui lui restait de lui. Hors de question pour la veuve de William Dustin de la laisser partir à des semaines de voyage. Et bien que l'idée de faire l'affront à Ned Stark de lui refuser la tutelle d'Elhenna au profit de Roose était loin de déplaire à la Dame de Tertre-Bourg, elle ne pouvait se résigner à la confier à qui que ce soit.

- Crois bien que je sais que toi et ma sœur prendriez soin d'elle. Mais c'est au-delà de mes forces. Elle reste avec moi.

Était-ce tout à fait désintéressé de la part de Barbrey ? Bien entendu, on ne pouvait nier son attachement profond à sa fille. Néanmoins, il fallait aussi convenir que tant que cette dernière était sous sa garde, la sœur de Bethany était assurée de garder le contrôle de sa propre existence. Si pour le moment, tout retour aux Rus était exclu, elle ne voulait pas courir le risque de pouvoir être bientôt remariée. Et pour cela, rien de mieux que d'avoir son enfant à ses côtés. Elle appuyait son autorité en tant que Dame régente des Tertres. Et dire le contraire aurait été mentir : Barbrey aimait la sensation qu'aucun homme ne pouvait décider pour elle.

Son regard s'attarda sur Thyra au moment où Roose commença à lui parler de la jeune fille. Décidément, comparé à l'enfant Volmark et à sa propre chair, Domeric avait été facile à éduquer. Un garçon sage, au multiples talents, doux... Il serait un bon Lord et un bon mari pour Elhenna.
En comparaison, sa propre fille était une folle tornade, sauvage... Et l'Îlienne... Sauvage aussi. Brute et pleine de hargne. Mais derrière tout cela, Barbrey avait su voir la tristesse et la profonde brisure. Il lui faudrait du temps, beaucoup de temps pour terminer d'apprivoiser la jeune créature. Mais elle y arriverait, elle en était certaine.

Un vague sourire ourla ses lèvres aux mots de Roose :

- Je suis d'accord.

Oui, c'était certain, Thyra Volmark marquerait la vie de sa fille. La Dame des Tertres ferait tout pour que ce soit en bien uniquement. Il n'y avait plus qu'à espérer que les Fer-nés se tiennent tranquilles à présent.

- L'enfant est sauvage et a été élevé pour être une guerrière. Je lui ai déjà donné un cadre et des limites. Tant qu'elle les respecte, je la laisse s'entraîner presque autant qu'elle le veut. Bientôt, je suppose, elle en aura assez de n'utiliser que des armes en bois.

Barbrey resta un instant songeuse tandis que Roose s'éclipsait. Il avait raison, il fallait qu'elle discute avec sa sœur. La Dame des Tertres s'étonnait que Bethany ne lui ait pas encore donné d'autres nièces ou neveux depuis Domeric. Elle savait qu'un enfant n'avait pas vécu mais pour le reste... Dix ans déjà depuis son fils.

***

Elhenna avait posé sa petite main sur celle de Thyra qui tenait les rênes de l'étalon. Puis elle lui dit, dans un murmure solennel :

- Il a peur parce qu'ici, tout est nouveau pour lui. Et parce que toi aussi, tu as peur.

L'enfant, instinctivement, savait quelle attitude adopter pour que le cheval soit rassuré. Sans se départir de son air sérieux, elle ajouta :

- Moi, je trouve que c'est très bien comme nom. En plus, s'il y a une histoire qui va avec, c'est encore mieux.

La fille Dustin sourit à la pupille de Barbrey en lui répondant :

- Il est très fort tu sais. Mais bientôt, je serais meilleure. Tu pourras venir te balader avec nous quand tu auras suffisamment apprivoisé ton étalon. Je t'aiderai si tu veux.

Si, souvent, les deux jeunes filles se chamaillaient et se méprisaient, il fallait bien convenir aussi que plus le temps passait plus elles semblaient se trouver des qualités l'une à l'autre et plus elles se rapprochaient. Elles étaient différentes mais pourtant semblables, sauvages chacune à leur manière.

Puis Thyra demanda si les Bolton étaient venus pour chercher leur fils. Elhenna eut un instant d'hésitation avant de répondre. Elle ne souhaitait pas – vraiment pas – que son cousin s'en aille.

- Je ne crois pas qu'ils soient venus le chercher. Mère me l'aurait dit. Mais je ne sais pas pourquoi ils sont tous là. Peut-être qu'ils s'ennuyaient.

L'enfant avait froncé les sourcils, tandis qu'elle réfléchissait. Thyra avait raison : c'était bizarre. Mais la louve ne voyait pas quelle obscure raison avancer pour expliquer leur venue en si grand nombre.

Roose les rejoignit ensuite dans la cour. Elhenna hocha doucement la tête aux mots de son oncle. Bien sûr que Neige lui plaisait, elle était magnifique. Puis l'enfant jeta un regard de côté à Thyra. Pourquoi voulait-il la voir ? La fille Dustin savait que la situation de la Fer-née était particulière et un instant, elle craignit que ce pourquoi il souhaitait s'entretenir en privé avec elle ne soit grave. L'héritière des Tertres n'était sûre que d'une seule chose : elle ne voulait pas que Thyra doive partir. Même si elle faisait tout le temps la tête, au fond, la jeune louve l'aimait bien.

L'enfant observa Elhenna, un sourire mélancolique au coin des lèvres. Elle ne comprenait pas, ne comprendrait sans doute jamais, à quel point l'animal était semblable à l'Îlienne. Thyra le sentait, le voyait dans le regard de la créature. Il n'était pas à sa place ici, entre quatre murs, bientôt sous les ordres de ceux qui n'étaient pas de sa race, pas de son espèce. Des inconnus. Un otage. Était-ce là tout ce qu'elle-même était ? Un animal affolé au milieu de gens civilisés ? Son regard se balada sur le château, sur ses gens, sur Domeric déjà à l'aise sur son bourricot, et enfin, sur Lenna, à nouveau. Elle ressentait beaucoup de haine envers les continentaux, et elle sentait une colère noire gronder au fond d'elle, depuis des mois maintenant. Pourtant, Lady Dustin était douce avec elle. Et Lenna pouvait se montrer gentille, aussi... Peut-être alors qu'à défaut de libérer l'animal, elle pourrait l'apprivoiser, comme Barbrey tentait de faire avec elle... Bien qu'au fond d'elle-même, la Fer-née priait déjà pour que cela se révèle impossible.

Haussant les épaules à la question de Lenna, Thyra jeta un regard à Domeric, quelque peu déçue à l'idée qu'il reste plus longtemps ici. Faire déplacer autant de monde sur des jours et des jours juste parce qu'ils s'ennuyaient ? Ca avait l'air bête comme idée, vraiment. Autant aller chasser ou faire des trucs de continentaux près de leur domaine, plutôt que de faire un si long chemin. D'autant qu'il n'y avait pas plus de choses à faire ici.

« Ils doivent avoir une bonne raison. Un truc plus important que l'ennui, je pense. T'imagines si tout le monde faisait déplacer tout un château chaque fois qu'ils s'ennuyaient ? Y'aurait beaucoup plus de monde sur les routes ! »

Elle sourit, lançant une œillade complice à la fille Dustin, avant de se tourner à nouveau vers sa monture, osant enfin la caresser. Peut-être qu'elle arriverait à lui plaire, à cette bestiole. Pourtant, elle n'avait absolument aucune idée de la façon dont elle pourrait s'y prendre. Ni même s'il existait vraiment une façon de faire.

« Tu... Tu crois que tu pourrais... - l'enfant hésita un instant, presque honteuse de demander, puis reprit, l'air gêné - m'apprendre les bases ? Pour essayer de... »

La fer-née n'eut pas le temps de finir. Lord Bolton s'était rapproché d'elles et les avaient apostrophé. Se tournant vers lui, elle le fixa avec respect, avant d'ouvrir des yeux ronds lorsqu'il lui demanda de la suivre. Qu'avait-elle fait de mal ? se demanda-t-elle d'abord. Le visage de Domeric lui vint alors à l'esprit. D'accord, elle ne l'aimait pas et l'avait souvent fait comprendre. Mais de là à la punir ... Docilement, toute impressionnée par le Lord, elle le suivit jusque dans le château, trébuchant parfois dans sa robe en tentant de suivre de ses petites jambes les rapides enjambées de Roose. Son corps frissonnait, son coeur battait bien trop rapidement. Elle avait peur. Peur qu'on l'envoie ailleurs, peur qu'on la punisse, peur peut-être, de mourir. C'était une sentence à laquelle elle s'attendait depuis qu'elle était arrivée ici. Depuis qu'elle avait compris ce que son rôle d'otage signifiait. Elle était là pour punir les Fer-nés au besoin. Et les fer-nés ne devaient pas avoir grand chose à faire de l'enfant femelle qu'elle était. Était-ce pour cela que la maison Bolton s'était déplacé ?
Arrivée dans la cuisine, Thyra resta incroyablement silencieuse, incapable de dire ou faire quoi que ce soit. Elle fixa obstinément son regard sur Roose, ne faisant pas attention aux cuisinières qui sortaient, ni aux gardes qui disparurent à leur tour. Elle était seule, isolée dans un coin calme, avec lui. Le Lord des écorchés. Barbrey laisserait-elle quelqu'un lui faire du mal ?

Roose lui tourna le dos, se mettant face à la cheminée. Thyra, elle, ne bougea pas d'un pouce, frigorifiée par la peur. Son visage, pourtant, resta étonnamment neutre, malgré son corps tremblant et le sang qui semblait avoir totalement quitté ses veines, lui donnant un air malade, presque morte. Sa tête, elle, enregistrait aussi bien que cela lui était possible les mots du Lord, alors que la peur grignotait chaque seconde un peu plus ses entrailles. Elle comprit, pendant son discours, que les Greyjoy n'avaient pas agit, que les fer-nés n'avaient pas attaqué à nouveau le continent. Elle comprit aussi, mieux que le reste, que le Lord avaient tué ses semblables. Peut-être même des membres de sa maison ...
Lorsqu'il se tourna vers elle et s'approcha, dague en main, elle eut un mouvement de recul instinctif, qu'elle ne put contrôler. Ses bras qui, jusqu'ici, pendaient le long de son corps, se dressèrent mollement en rempart devant elle. Ne venait-il pas de dire que sa vie d'otage n'était pas en danger tant que les Greyjoy se tenaient tranquilles ? Un instant, elle crut que ses jambes ne pourraient plus la supporter longtemps, alors qu'elle sentait son estomac se retourner. Allait-elle vraiment mourir comme ça ? Elle ne réalisa pas tout de suite qu'il s'agenouilla devant elle pour se mettre à son niveau, se rendant compte tardivement qu'il ne pointait pas la lame vers elle, qu'il ne la menaçait pas. Tendue, elle baissa tout de même les bras sans toutefois dissimulée la peur qui avait prit possession des traits de son visage et qui paralysait sa tête. Elle mit bien plus de temps à comprendre de quoi parlait le Lord, et ne comprit pas tout de suite pourquoi il lui parlait du prix du fer, ni pourquoi il lui tendait une arme, réellement perturbée par la peur de mourir. Elle y avait cru, elle y avait vraiment cru, et les battements de son coeur semblaient incapables de se calmer. Mais bientôt, elle n'y prit plus garde.

Car enfin, l'information la toucha. Protéger Lenna. La protéger au péril de sa propre vie. La garder de toute menace, se battre pour elle, en son nom, pour son honneur. Protéger une continentale... Comme cela lui faisait mal... Non, ce qui lui fit vraiment mal fut de se rendre compte que cela coulait de source, pour elle. Comme si l'année qu'elle avait passé avec les Dustin avait finalement suffit à la rendre docile, à faire d'elle un vrai chien de garde. L'enfant fixa longtemps le Lord, ses yeux bougeant rapidement de droite à gauche, observant l'un après l'autre les deux yeux pâles de l'homme, réfléchissant à toute vitesse à sa décision. Puis son regard se baissa pour observer la lame que Roose lui tendait, brillante, aiguisée, parfaite. Elle hésita, avançant très lentement ses mains tremblantes vers celle-ci. Elle avait l'impression de se trahir, de trahir ses ancêtres, ses parents, son honneur de fer-née. Et pourtant, ses doigts vinrent toucher la lame, avant de la saisir.

Relevant les yeux vers la forme désormais floue de l'homme qu'elle observait derrière le rideau de ses larmes, Thyra entrouvrit la bouche. Ne pas pleurer, ne pas pleurer... L'enfant concentra toute sa force à retenir ses larmes. Elle avait tellement de haine en elle... Et dans ses mains, une arme. Pourquoi le Lord faisait-il cela ? Pourquoi prenait-il le risque de l'armer après lui avoir avoué le meurtre de plusieurs fer-nés ? Et pourquoi, que diable, était-elle incapable de ressentir autre chose que du respect et de la crainte envers lui ? Ses mains tremblaient. Au plus profond de son âme résonnaient les mots de son défunt père. Méfie-toi des hommes. Méfie-toi de ceux qui se pensent supérieurs... Pourtant, face au seigneur sangsue, face à ces vagues de sentiments contradictoires qui l'empêchaient de réfléchir correctement, Thyra fut incapable de respecter les paroles de feu son père. Elle se détestait, elle détestait sa condition, elle détestait sa vie. Mais elle était prête à la sacrifier pour Lenna.
Fermant la bouche, l'enfant prit une grande inspiration, ravalant ses larmes. Elle essuya sans douceur ses yeux de sa manche puis soupira longuement, avant de lancer un regard entendu au Lord. Malgré la mauvaise utilisation des coutumes de l'Antique Voie concernant le fer-prix, Thyra avait parfaitement compris ce que désirait le seigneur. La vie d'Elhenna avant la sienne, pour toujours. Aujourd'hui, plus que jamais, elle sentit le poids de sa condition et de son affection pour les Dustin. Et elle se rendit compte de la douleur que cela allait représenter pour elle, pour le reste de sa vie.

Baissant à nouveau la tête, Thyra ferma les yeux et, dans un murmure, commença.

« Vous voulez parler du fer-prix. C'est une loi de l'Antique Voie, qui dictent à ceux qui la respectent de s'emparer de ce qu'ils désirent par la force plutôt qu'en l'achetant. C'est pour ça qu'on parle de fer, parce qu'on se sert d'armes plutôt que d'or. Alors... Je ne peux pas payer le fer-prix pour Elhenna, car elle n'est pas une richesse dont je peux m'emparer. Elle est... Mon amie, ma seule famille... - L'enfant releva les yeux. Les Volmark respectaient encore l'Antique Voie, du baptême jusqu'aux femmes-sels, et Thyra avait été élevée dans ces conditions, dans ces coutumes. Elle les connaissait par cœur et avait expliqué cela avec respect au Lord Sangsue. Le fixant à nouveau, elle reprit - Je... Je ferai tout mon possible pour elle. »

Se redressant autant que possible, elle se donna plus de contenance, comme pour appuyer ses propos, marquer sa sûreté, prouver sa bonne foi. Elle avait l'impression que tout cela avait été maladroit et précipité, mais, du haut de ses onze ans, elle avait l'impression qu'on lui accordait une confiance sans faille, et cela lui fit du bien. Elle se sentait considérée, comme acceptée. C'était dur d'accepter que cela vienne des continentaux, mais, après tout, cela lui fit du bien.

« Merci, messire. »