Ainsi, assise avec les autres membres de la famille Stark, elle savourait le petit déjeuner en prenant, contrairement à sa voisine, toutes les précautions pour ne pas se salir. Arya était une jeune fille adorable, enfin pour Ashara à qui elle rappelait ses jeunes années, toute sauvage qu’elle était, il allait bien falloir qu’elle se plie aux exigences de son rang, mais cela pouvait bien attendre un peu. L’innocence est si précieuse, et si dangereuse. Ainsi la gamine mal dégrossie fit sourire la gracieuse Lady qui lui glissa à l’oreille : « Prenez garde, si tout le monde sait combien vous aimez la tarte, il est fort probable que vous vous étouffiez avec un jour. Tâchez de ne rien révéler de votre gourmandise et mangez toujours avec le même plaisir, mais dissimulé. Et croyez en mon expérience, c’est encore meilleur quand on prend le temps de déguster. » elle s’écarta, lui fit un clin d’œil et un petit sourire en coin avant de se remettre à manger. Theon, quand à lui, semblait presque sur le point d’oublier qu’il avait lui aussi une part de tarte à engloutir et ne cachait même pas ses regards, regard dans lequel les yeux bleus de la brune finirent par se planter et ce jusqu’à ce qu’il baisse les siens. Ce Fer-Né, tout adopté qu’il soit, restait un potentiel ennemi de la paix du Roi, de plus, il semblait avoir pour les convenances, un respect tout relatif, et pour les femmes un attrait trop marqué. La couronne avait payé un lourd tribut lors de la rébellion de son père, des hommes étaient morts, à cause de la folie de ses gens qui ne semblait respecter que la guerre et les pillages. Sans parler des précédentes guerres et de leur bilan, et du fait qu’à leur place, elle aussi aurait voulut récupérer les terres qui leur apprêteraient jadis, tel le Conflans ou encore l’Île aux Ours. La jeune Arryn ne pardonnait pas facilement, et connaissait trop bien l’histoire et le pouvoir de l’orgueil pour faire entièrement confiance à un Greyjoy, si tant est qu’elle pouvait faire confiance à qui que se soit à part Lord Jon.

« Merci Mon Sieur. J’espère néanmoins ne pas écourter votre repas, si tel est le cas pardonnez moi, je vous laisse finir et je vous attendrais dans ma chambre. »

Elle esquissa un léger sourire alors que Robb se levait et lui offrait son bras pour l’emmener à la roukerie, bras qu’elle accepta fort volontiers, posant délicatement sa fine main dessus avant de sortir le la pièce. Il s’arrêta alors et la regarda de haut en bas. Elle ouvrit de grands yeux étonnés et son visage prit rapidement une teinte cramoisie. Malgré tous les efforts qu’elle faisait pour cacher ses sentiments à tout le monde et faire preuve de retenue, il y avait certaines réactions physiologiques qu’elle ne contrôlait hélas pas très bien. Et ça, ça, c’était un peu trop… trop… heu… Elle n’aurait su dire trop quoi, mais cela la mettait très mal à l’aise. Elle voulut se retourner esquissant un mouvement, y renonça finalement trouvant une telle attitude indigne d’une Arryn. La lâcheté n’était pas une option ! Ainsi, après ce court instant de flottement, elle se tint, droite comme un I, gardant la tête haute et les yeux fixés sur Robb, arrêtant de respirer, si possible jusqu’à ce que mort s’en suive. Et attendit qu’il parle, le visage plus rouge que le donjon du même nom.

Qu’est qu’il fait ? Qu’est qu’il me veut ? Qu’est qu’il regarde ? Il sait tout ! Il sait tout et il va me dire qu’il ne veut pas de moi et que tous mes efforts sont inutiles. Il va me dire que je suis laide et qu’il en a déjà eut de plus belles que moi. Oh non pas ça, par les Sept, pas ça ! Par les Sept et les Anciens Dieux, puissent-ils tous m’entendre, plutôt mourir !

Ainsi c’est avec un immense soulagement et un soupir qu’elle ne put taire après avoir trop longtemps retenu son souffle qu’elle accueillit la remarque de Robb. Effectivement s’il faisait bon dans le château, il fallait d’après ses souvenirs traverser la cour pour aller à la roukerie et elle risquait fort d’attraper une pneumonie. Et c’est à ce moment là qu’elle se rendit compte qu’elle avait oublié sa cape sur le banc de la salle à manger en sortant. Décidément, il lui faisait ses esprits. Que pouvait-elle bien dire après une telle démonstration du fait que, bien heureusement, le ridicule ne tue pas ? Elle fit oui de la tête et essaya de sourire. Au bout de quelques secondes elle ajouta à l’attention du domestique : « Prenez ma fourrure et mon surcot, mes dames vous diront lequel. »

Finalement, cela, bien qu’imprévu, arrangerait presque ses plans, elle n’aurait pas besoin de repasser par le château pour prendre un manteau plus chaud avant de se rendre au Bois aux Loups. Si tant est qu’il accepte de l’y emmener ce qui n’était pas encore gagné. En tout cas, avec le surcot de brocart noir et or, son manteau bordeaux et sa cape de fourrure blanche, elle n’aurait pas froid.

« Suis-je bête, évidemment, il faut passer par l’extérieur, vous voyez sans vous je serais déjà perdue, et probablement congelée. » Elle fit semblant d’être un glaçon, se figeant sur place les mains recroquevillées en ouvrant la bouche en signe d’agonie, puis émit un petit rire. « Mon manteau est dans la salle à manger, un instant je vous prie. » En tout cas elle était ravie qu’il ne lui ait pas dit qu’elle était laide et elle pensa : [i]Mais non, je ne suis pas laide, comment pourrais-je l’être, je suis une Arryn, et ma mère était une Royce. De toute façon si je l’étais mon rang seul suffirait, mais en plus, je ne le suis pas, je suis jolie, belle même, on me l’a déjà dit. Que m’arrive-t-il donc pour que j’en arrive à douter de moi ainsi ? Nan mais franchement Ash, il va falloir te montrer un peu plus finaude que ça !/i]

Mais alors qu’elle allait se retourner, il lui posa une question, elle resta donc, au moins le temps de répondre. « L’audace aurait été d’essayer de m’effrayer en éteignant les torches Sieur Robb. » Répondit-elle avec un grand sourire qui découvrit de belles dents blanches et bien alignées. Elle reprit, sa voix était douce, solennelle, assez grave : « Un jour, je l’espère, vous aurez l’occasion de venir à Roches Aux Runes constater que bien que plus petite et plus familière pour moi, c’est une forteresse tout aussi obscur et froide que Winterfell. Et nous n’avons pas la chance d’avoir des sources chaudes ! Mais effectivement, si vous vous rendez aux Eyrié, vous saurez ce que lumière signifie. Cependant, j’ai grandit chez mon grand père et non dans la demeure de mon oncle, ainsi mes yeux sont plus habitués à la pierre sombre et aux rares fenêtres qui rendent cette atmosphère si étrange à certains. » Après une courte pause et un petit sourire complice, elle ajouta : « Enfin, Winterfell est si majestueuse que, quand bien même serait-elle inconfortable, elle n’en serait pas moins belle. Nul ne saurait nier le génie de votre ancêtre Bran le Bâtisseur et votre citadelle reflète à merveille l’esprit des Rois du Nord. »

Satisfaite de sa réponse et pour en parfaire l’effet, Ashara planta là Robb et retourna dans la pièce encore animée des bruits d’engloutissement intempestifs de tartes et tartines. Elle prit la cape, s’en couvrit les épaules et ressortit sans avoir au passage oublié de sourire à l’assemblée et d’adressé un clin d’œil à Arya et Rickon. Elle ressortit comme si de rien n’était et se remit à parler à l’héritier du Nord sur un ton détaché.

« Savez vous que j’ai toujours rêvé de me promener dans le Bois Aux Loups ? Une si grande forêt me donne le vertige… Elle s’approcha de lui et se mit à murmurer comme s’ils étaient espionnés par les fantômes remontés des cryptes. « Demain se sera différent, il y aura tous ce monde, trop de bruit, les chiens, les chevaux, les gardes. Mais aujourd’hui, allons y puiser la paix sereine qui semble habiter votre père, cette paix que je crois apercevoir dans vos yeux. » Elle plongea son regard dans celui du jeune homme. « Me feriez-vous l’honneur de m’y accompagner ? En chemin vous me raconteriez ce qu’il représente pour vous. J’aimerais tellement le voir avec vos yeux, sentir l’âme du Nord, des Anciens Dieux et des Premiers Hommes dans ses frondaisons. »

Les Premiers Hommes, à l’image de leurs terres étaient des gens durs, froids et austères, mais Ashara, toute Arryn qu’elle soit, avait grandit à Roches Aux Runes, et tout comme Winterfell, la forteresse des Royce avait été bâtie par ses mêmes hommes. S’il n’y avait eut la mer et les vents chauds du sud, les doux étés du Val, les plages et les eaux agités dans lesquelles elle aimait se jeter, les pierres rousses auraient pu être aussi froide que les pierres grises du Nord. Alors contre toute attente de la part d’une native des Eyrié, ici, tout lui rappelait son chez elle en plus grand, plus majestueux, plus ancien aussi, et tout lui criait, chaque mur, chaque porte : « Touches moi, je suis l’œuvre de Bran le Bâtisseur, touches moi et imprègne toi. » Évidemment elle évitait de passer son temps à caresser les murs rugueux, mais elle l’avait néanmoins fait dans sa chambre et s’était étonnée de la chaleur qui s’en dégageait, les sources chaudes qui alimentaient le château faisaient leur office. Quelle ingéniosité !
Elle était donc habituée à tout cela et finalement préférait cette atmosphère à la fausse chaleur de Port-Real, même si les Eyrié, dans leur manteau céleste de marbre blanc veiné de bleu restaient pour elle le plus bel endroit au monde. Non vraiment, la beauté solennelle des lieux et la sobriété rude de ses habitants méritaient grandement ce voyage, la brune était ravie de voir de ses yeux la grande salle, le trône et ses têtes de loups, tout ce qui avait été foulé par les Rois du Nord. Quand aux éloges, ils étaient surtout destinés à contenter leurs hôtes qui les avaient si gentiment invités, la grâce, tout comme la force se passant généralement de tout commentaire. Les mots étant dans un tel cas bien trop vains pour servir leur cause, le mieux aurait été de se taire, simplement et de regarder, mais son rôle d’invitée de haute naissance l’obligeait à un minimum de politesse. On n’était pas chez les ploucs ici, on était chez les Stark, et elle devait tenir son rang, ne serait-ce parce que sans cela, il y avait fort à parier que Lord Eddard et Dame Catelyn s’oppose à un éventuel mariage avec Robb. Mais en arrivant par la poterne, en passant les épais remparts et en regardant les bâtiments, elle en aurait pleuré d’émotion, car quoi qu’en dise les autres, personne ne pouvait rester insensible à la puissance qui se dégageait de Winterfell.

En effet, Ashara avait une soif inépuisable de connaissance, elle en savait déjà beaucoup, mais elle avait toujours estimée que les livres avaient le défaut de ne pas avoir d’âme, qu’il fallait sentir les choses pour réellement les comprendre. Ainsi depuis qu’elle était arrivée dans le Nord et particulièrement à Winterfell, c’était ce qu’elle s’efforçait de faire. Mais son inconscient, lui, était hanté par d’autres habitants de Winterfell, les Loup-Garous, et ce rêve qu’elle avait fait en était le reflet. Ils étaient encore petits, mais il fallait se rendre à l’évidence, ils deviendraient rapidement immenses et si elle prenait soin de ne rien montrer et de faire comme si elle avait eut affaire à des chiens, elle en avait un peu peur. Néanmoins, elle faisait tout pour s’en faire aimer, ou en tout cas éviter de se faire grogner dessus, comment épouser un homme si son loup veut vous manger. Elle leur avait même donné un peu à manger sous la table pour se les mettre dans la poche, mais Vent Gris n’était pas très enclin à s’approcher, et broussaille l’avait mordue, ça n’était pas gagné.

La jouvencelle comprenait parfaitement la fierté de Robb à parler de Winterfell, il y avait de quoi bomber le torse, elle l’écouta donc avec attention. Elle souleva un sourcil amusé à l’évocation des géants, de multiples légendes circulaient aussi sur la construction des Eyrié, mais elles ne les croyaient pas, son esprit avait néanmoins du mal à se représenter comment des hommes avaient pu apporter tout ce marbre si haut, mais elle refusait de croire que c’était magique car elle ne croyait pas en la magie, en tout cas pas sous cette forme. Enfin les géants ça n’était pas de la magie, mais à ce qu’elle savait, il n’y en avait pas dans les Sept Couronnes, d’ailleurs elle doutait même de leur existence au Nord du Mur. Elle répondit, espiègle : « Ah vraiment ? Et vous qu’en pensez vous ? »

A son retour de la grande salle, elle remarqua que le domestique était déjà revenu et reparti, résultat, c’était le jeune homme qui portait les vêtements demandés, elle fut un peu gênée, mais lui ne semblait pas s’en offusquer. Elle le remercia de lui avoir tenu ses affaires voulut lui reprendre le tout sans trop savoir comment elle allait faire pour s’habiller, mais il lui tendit le surcot. Elle prit le lourd vêtement noir brodé d’or et laissa glisser son manteau par terre, elle ne pouvait décemment pas prendre Robb pour un porte manteau et il était déjà assez chargé comme ça. Sauf qu’effectivement, c’était très déplacé de faire ça, elle s’en excusa donc.

« Pardonnez mon impudence, je n’ai pas l’habitude de m’habiller au milieu des couloirs. »

Elle passa les manches avec difficulté puis attacha la ceinture qui le resserrait au niveau de la taille laissant le haut décolleté, il tombait jusqu'au sol et ses manches amples laissaient voir celles de la robe de velours qu’elle portait dessous. Entre temps il était passé derrière elle et une fois qu’elle eut remit le manteau en place, il la couvrit de la cape, chose qu’elle trouva d’un romantisme à tomber, et qui la fit rougir de nouveau. Elle ajusta la fibule d’argent qui retenait la cape pour se donner une contenance, d’autant qu’il venait d’évincer habillement la question du Bois. Ignorant son refus de l’emmener, elle se mit à marcher tranquillement vers la sortie, pour le coup elle savait plus où moins par où c’était. Et dit, le temps de trouver des arguments : « Allons-y. »

Ce refus la mettait dans l’embarras et quand Ashara était dans l’embarras, elle avait la fâcheuse tendance à s’énerver, heureusement, pour le moment elle gardait le contrôle, elle joua donc les ingénues en ouvrant de grands yeux. « Je croyais que le Nord était l’endroit le plus sûr des Sept Couronnes ? Un de vos vassaux m’a même dis qu’une jouvencelle de haute naissance peut se balader seule sans se faire dépouiller dans l’instant. » En réalité, c’était elle qui l’avait dit, mais Ades avait confirmé ! Bon certes, le Bois aux Loups devait certainement être un peu plus dangereux, mais elle avait d’abord pensé que c’était à cause des animaux qui y vivaient. Il semblait qu’elle s’était un peu fourvoyée, mais elle n’avait aucune envie de s’avouer vaincue, d’autant plus que les dernière paroles lui donnait à penser que Robb avait un peu trop bien compris ce qu’elle voulait. Le savait-elle elle-même ? Il y avait le Bois Aux Loups, la perspective d’être seule avec le jeune homme et le fait qu’il prenne un risque pour elle, et tout ça était très excitant, trop pour qu’elle abandonne, mais que faire, que dire. « Nous auront toute une escorte demain et c’est justement mon problème. » Elle baissa les yeux et prit une mine triste. « Ser Rodrick ? Hum… mais ça n’est pas un Stark, vous comprenez, il ne pourra pas me dire ce que vous pourriez m’apprendre. » Elle fit un pas vers lui et releva la tête. « Et puis, je peux prendre mon arc si cela vous rassure, je sais m’en servir vous savez ! Je… » Elle baissa de nouveau la tête, vérifia qu’il n’y avait personne dans le couloir, s’approcha de lui et mit les mains entre sa bouche et son oreille pour lui dire un secret à voix basse : « Je peux même prendre une épée, je ne prétends pas pouvoir battre un homme entrainé et bien armé. Mais un brigand, je pense que je peux. » S’écartant de lui avec une mine déconfite, elle continua : « Mon cheval est rapide, nous pourrons nous enfuir s’il y a le moindre problème. » Et, comme un éclair d’illumination qui éclaira son visage d’un espoir nouveau, elle s’exclama en se collant presque à lui : « Et vous, vous n’êtes pas capable de me défendre contre les bandits ? Vous ne me ferez pas croire que Robb Stark ne viendrait pas à bout de tous malandrin qui se mettrait en travers de son chemin. »

Ils avaient à peine parcourut quelques mètres, s’écartant de la porte de la salle à manger, mais étant encore loin de la sortie.