[Années 298 – Douzième lune – Semaine 2 – 1er jour / Demeure Lannister]

Cette nuit là, pour une fois, Tyrion avait dormi dans la demeure Lannister. Pourtant, l'idée de fuir comme les jours et les nuits précédents l'avait tenté. Mais il attendait un visiteur dans la matinée et se devait d'être présent et surtout présentable. Cela faisait une semaine et demi que le nain était rentré de son voyage dans le Nord et le rendez-vous de la semaine précédente avait été oublié à cause des événements qui avaient marqué la fin de la onzième lune. Cela faisait plusieurs semaines que Tyrion ne s'était pas exercé et il sentait que son cerveau s'était ramolli. Il était temps d'y remédier.

Quelques jours plus tôt, donc, après avoir discuté un moment avec Lord Ambrose, Tyrion avait croisé son partenaire dans la cours du Donjon Rouge et lui avait rappelé leur « entretien du 1er » comme ils se plaisaient à l'appeler. Ce matin là, donc, premier jour de la semaine, Tyrion attendait son invité. Il s'était habillé simplement dans une tenue d'intérieur agréable. Il voulait être à son aise. Il avait interrompu les courses effrénées des domestiques pour rappeler qu'il voulait que la grande bibliothèque soit préparée avec la table et une collation. Lord Tywin n'était pas attendu avant encore quelques jours, les derniers préparatifs étaient moins pressés que de donner une bonne image à l'invité influent et manipulateur qui allait se présenter.

La pièce fut donc arrangées et installées comme à l'accoutumée. Leurs habitudes voulaient qu'ils se voient une semaine sur deux l'un chez l'autre. Tyrion étant à l'initiative de la reprise des entretient, il avait proposé que les échanges se passent chez lui. Une fois son petit déjeuner avalé et sa mise satisfaisante, il alla vérifier que la bibliothèque était comme elle devait l'être. Il eut un sourire de satisfaction puis retourna dans ses appartements. Il ouvrit une armoire en bois de barral et fouilla un instant avant d'en ressortir un petit coffre ouvragé aux couleurs Lannister et Targaryen. Il n'y avait bien qu'avec son ami qu'il pouvait encore utiliser ces trésors. Personne d'autre à Port Réal y serait sensible de manière positive autant que lui.

Revenu à la grande bibliothèque, il déposa le coffre près de la table à damier et entreprit de l'ouvrir et de le vider. Près de la table, il déposa des petites dalles de couleurs faites en riches bois teintés et décodés de feuilles d'or ou d'argent. Puis il sorti le premier groupe de pièce : Or gris et Rubis. Les éléphants pesaient leur poids. Quant au Dragon, c'était un Lion rugissant. Il installa l'armée blanche d'un côté de la table. Il disposa ensuite les combattants noirs de l'autre côté. Onyx et Améthyste. Le Dragon avait trois tête... L'horloge sonna. Il n'allait pas tarder. Tyrion se servit une coupe de vin et s'installa dans l'un des fauteuils pour le siroter en attendant.

Allait-il encore lui laisser les blancs ?

Un homme occupé... Varys n'aurait su être plus clair et Tyrion trouvait presque désagréable que son compagnon de jeu lui rappel aussi peu subtilement que ses faits et gestes étaient espionnés. De plus, il avait surtout passé son temps chez les putes... Le nain fronça les sourcils. Varys se gaussait-il de lui ? Etait-ce une manière détourner de lui rappeler qu'il vivait sa vie en dilettante ? Il n'avait vraiment pas fait grand chose ces deux dernières semaines à part... à part... Ses pupilles se dilatèrent sur le coup de la surprise. Pour ne pas perdre contenance, il servit le vin. Varys savait-il pour Rolf Snow ? Savait-il qu'il avait envoyé un espion dans les geôles du Donjon Rouge ? Savait-il que cette mission avait deux buts : servir les desseins du Mur et tester le mercenaire ? Que savait Varys exactement ? C'était toujours délicat... Toujours...

Camouflant ses sentiments, il présenta le vin que le maître des chuchoteurs prit le temps d'apprécier. Finalement, les commentaires de l'homme concernant le liquide vermeille aidèrent Tyrion à chasser ses inquiétudes et à se détendre de nouveau pour se concentrer sur le jeu à venir. Il but une longue gorgée avant de demander la clémence de son adversaire. Celui-ci se drapa d'humilité en prétendant être incapable de malmener son ancien professeur. Foutaise ! Varys avait déjà plusieurs fois ruiné la forteresse de Tyrion et mis ses armées en déroute.

Quand le jeune homme demanda à combattre les lions, l'eunuque plaisanta sur la présence marquée du symbole des Lannister dans leur demeure. Tyrion sourit.

Si seulement ce n'était que ça, marmonna-t-il. Puis, à l'adresse de son comparse. Vous n'ignorez pas que mon bien aimé père ne va pas tarder à arriver en ville. Il vient voir sa petite fille, d'après Cersei... Il marqua une pause, indiquant son scepticisme face à cette raison officielle. Serez vous surprise d'apprendre que je ne me réjouis pas de cette nouvelle ?

Après un sourire significatif à Varys qui venait de déplier le paravent, Tyrion se pencha sur son jeu et observa un instant les pièces noires aux couleurs Targaryen pour chercher comment les organiser. S'il voulait apprécier d'affronter le Lion, il devait avoir un jeu agressif. Le terrain serait son défenseur, les unités seraient toutes attaquantes. Il devait prendre en compte le fait qu'il n'avait pas l'initiative, il aurait donc des pertes dès le premier tour. Il plaça donc des appâts et fit une dernière revue de son armée avant de reprendre son verre et d'en boire une longue et agréable gorgée.

C'est bon pour moi, annonça-t-il.

Varys retira le paravent et Tyrion eut d'abord un sourire entendu, l'organisation du terrain était évident puis il se pencha en avant avec intérêt.

Oh ! C'est osé !

Un sourire carnassier éclairait son visage. Il sentait qu'ils allaient s'amuser. Observant attentivement le plateau, il chercha quels seraient les premiers coups joués. Arriverait-il à se débarrasser des trébuchets et catapultes pour faire une percée efficace dans l'armée de l'araignée. Mais quelque chose le gênait. Il ne comprenait pas pourquoi certaines pièce étaient là où elles étaient... Que lui réservait Varys ?

Les premiers appâts ne firent pas tous mouche mais certains ouvrirent comme prévu les lignes ennemis et Tyrion entama un jeu agressif auquel il était assez peu coutumier. Après avoir lancé sa première attaque, le nain se pensa d'avantage à son aise sur le plateau malgré un positionnement étrange de certaines pièces de Varys qui le dérangeait encore. Il allait devoir chambouler ses troupes. Il se détendit dans son siège et se servit largement sur le buffet à leur portée. Soudain, une idée lui vint.

C'est à Myrcella que je devrais apprendre ce jeu. La pauvre petite s'ennuie à mourir dans cette chambre dont Cersei ne la laisse pas sortir... Elle reçoit peu de visite, quel gâchis... Mais je ne suis pas certain qu'elle aurait la patience nécessaire à l'apprentissage du Cyvosse. Pourtant, elle ferait une bonne joueuse... Peut-être Tommen apprécierait le jeu... D'ici quelques années... Que n'y a-t-il donc pas de Martell à Port Réal ! Heureusement que je vous ai, Lord Varys, pour combler mon besoin de jouer ces parties entraînantes... et pour me donner sa cavalerie !

D'un geste théâtrale, il retira deux unités de la table... Et le regretta amèrement au coup d'après...