Walda regretta que les manches de sa robe ne suffissent pas à dissimuler totalement les meurtrissures qui ornaient à présent ses poignets, elle aurait préféré que son interlocuteur ne les remarquât point. Néanmoins, la sympathie qu'il lui témoignait ne semblait pas feinte et incitait la jeune femme à baisser quelque peu sa garde.

― Oh, il est intelligent, déclara-t-elle. Certes, d'autres le surpassent en finesse d'esprit, mais mieux vaut ne pas le sous-estimer.

Si la blonde ignorait quelles rumeurs concernant Walder le Noir contenaient un fond de vérité, elle ne l'en soupçonnait pas moins d'avoir lui-même lancé le bruit qu'il entretenait une liaison avec sa belle-sœur Janyce, de sorte que des dissensions naquissent entre elle et Edwyn ; si cela s'avérait, il s'était habilement assuré que le couple ne concevrait aucun fils.

― J'admets que mes frères, Lothar et Walder Rivers, seraient plus dangereux que lui, poursuivit la Grêlée. Ils savent mieux cacher leurs intentions. Cependant, soyez rassuré : les Lake et les Woolfield n'ont rien à craindre ici. Mon père entend bien tisser des liens favorables avec les Nordiens et tous les Frey tremblent à l'idée d'éveiller son courroux.

Bien que de nombreux membres de sa parentèle ne connussent guère le détail de son projet, même ceux-ci avaient certainement compris que le Tardif n'avait point décidé de marier la dame aux iris céladon à Bard Lake sans avoir mûrement réfléchi cette alliance. Il désirait qu'une autre de ses filles convolât avec l'héritier des Stark et il allait de soi qu'un malheur frappant l'un des vassaux de ladite maison au sein de la citadelle compromettrait grandement ce dessein.

Les lèvres de la demoiselle des Jumeaux décrivirent une discrète courbe, un sincère sourire éclairant le visage de celle-ci. La promesse du jeune homme l'avait profondément touchée, malgré qu'elle sût qu'il déconseillerait à son maître de l'épouser s'il venait à douter de son honneur ; après tout, si la vertu de la promise se trouvait remise en question, la famille qu'il servait en serait affectée. Pourtant, même si elles dissuadaient Walda de se confier à lui sans retenue au sujet son petit-neveu, les paroles de Loris n'en traduisaient pas moins sa loyauté envers son seigneur et sa sollicitude envers son interlocutrice. Du regard de jade que cette dernière adressa au garde, transparaissait une réelle gratitude.

Elle ignorait tout du Nordien avec qui elle allait unir son destin et ce qu'elle savait de Lord Danal et de Lady Léliana ne l'aidait guère à anticiper ce que serait sa vie, une fois mariée. Certes, le sire du Pont avait laissé entendre à sa fille qu'il espérait qu'elle participât à la gestion de leur domaine le moment venu, puisque son fiancé ne paraissait point se soucier de ces choses-là ; toutefois elle ne pouvait prédire ce que seraient les relations qu'elle nouerait avec les Lake. Trouverait-elle grâce à leurs yeux ? Parviendrait-elle à couler des jours heureux parmi eux, à s'adapter à son nouvel environnement, au climat ? Son futur époux se montrerait-il cordial à son égard ou ne la verrait-il que comme une matrice pourvue de jambes ? Réussirait-elle à combler les attentes de son géniteur ? Ces interrogations lui causaient grand tourment ; elles s'étaient sournoisement insinuées en son esprit et la piquaient davantage à mesure que les noces approchaient.

― Vous êtes tout excusé, annonça-t-elle au brun. S'il ne s'était agi de cette charogne de Walder le Noir, j'en aurais peut-être pris ombrage, mais je ne m'offusquerai guère d'ouïr pareils termes pour le désigner. En revanche, je vous conseille de ne point le faire en présence d'autre membres de la maison de mon père, cela pourrait vous attirer des ennuis.

Elle reprit peu à peu contenance, suivant l'échange entre la fillette et Loris. Les propos de ce dernier ne manquaient pas de bon sens : malgré que les habitants du château fussent liés par le sang, l'affection ne les attachait point tous les uns aux autres et il arrivait fréquemment qu'un Frey réservât un mauvais coup à un autre. Par conséquent, il fallait faire preuve de circonspection au sein de cette citadelle. Les Jumeaux offriraient à Thylane un avant-goût de la capitale : Perwyn avait déclaré à la jeune femme que si la résidence du Tardif abritait un certain nombre de guêpes, Port-Réal se révélait en soi un gigantesque nid de frelons.

― Il n'y a pas de mal, répondit la dame à la chevelure ambrée à l'homme de Froidlac. Cependant, il me paraît exagéré de recommander à votre protégée de porter une arme ici.

Malgré qu'elle sût que cela était inévitable pour les garçons, l'idée de voir un enfant équipé d'un instrument de mort lui déplaisait fort ; d'autant plus qu'une jeune personne avait vite fait de se blesser accidentellement avec une lame.

― Je reconnais la sagesse de vos paroles, toutefois votre vigilance et celle des autres gardes qui sont venus avec vous suffiront à assurer la sécurité de Lady Thylane, je n'en doute point.

La Grêlée décela la détresse dans les prunelles de la petite et se pencha vers elle avec un sourire empreint de douceur maternelle ; le contact de bambins éveillait en elle une tendresse qui témoignait de son désir de concevoir. Malgré les clans qui divisaient sa parentèle, elle faisait toujours preuve d'affabilité envers les plus jeunes de ses membres, bien qu'elle les réprimandât lorsqu'ils se conduisaient mal.

― Tout va bien, rassura-t-elle la Nordienne, vous n'avez rien à craindre.

La demoiselle aux iris couleur de jade avait pesé ses mots et Loris n'avait pas semblé deviner ce qu'elle dissimulait lorsqu'elle avait laissé échapper le seul qui aurait pu la compromettre. Ainsi, que la fillette eût menti ou non ne revêtait aucune importance. La blonde prit délicatement la main de cette dernière afin de mieux la rasséréner ; une étreinte de la part d'une étrangère eût pu effrayer cette timide enfant plus qu'autre chose.

La jeune femme dirigea ensuite son attention sur le brun.

― Vous souhaitiez me parler de Lord Bard, articula-t-elle. J'imagine que Lady Thylane peut entendre ce que nous dirons.

Évidemment cet homme ne dévoilerait aucun détail gênant au sujet de ses maîtres, même s'il en existait ; et qui reprocherait à un serviteur et ami sa loyauté ? Pourtant, ce qu'il révélerait apaiserait certainement un peu l'anxiété qui habitait Walda depuis quelque temps.

Thylane resta longuement les yeux levés. Ils semblaient parler de trône et d'avenir.. Mais l'enfant qu'elle était laissa glisser ses mots sur son innocence. Elle se sentait fautive, au combien il était dur d'envisager que l'on puisse tuer au nom de la curiosité enfantine. Seulement ici, les mots, autant que les actes précipitaient l'action. Le jeu n'était pas de se cacher pour trouver, mais bien de trouver et de cacher dans la même optique que celle qui avait constituée l'âme grise des premiers hommes. Thylane sourit, mais resta désormais muette.

Son petit coeur lui disait d'oublier les dires et de laisser pour les "grands" les affaires de ce jeu dont elle trouvait les règles bien idiotes. Voyez-vous, Thylane faisait encore partie de ces gens simple et généreux croyant sans cesse à l'honnêteté du monde. Parler sans vices, sans se cacher, sans ignorer. Quel doux rêve que voilà .. même si rien de cela n'était digne de figurer dans le monde réel. Thylane se frotta timidement le nez. Elle observa un instant Loris, puis sourit de nouveau à la jolie Frey. Cette jeune demoiselle avait décidément bien des vertus apaisantes sur la gamine ! Sans nulle doute que son mari en aurait d'autant plus l'utilité et le plaisir de le constater ! Thylane rougit d'ailleurs à cette idée. Imaginer un instant le regard d'un homme comblé par les courbes fines d'une si jolies créatures tirait du roman à l'eau de rose ,mais c'était aussi tout ce que la petite fille souhaitait à la jolie dame..

Loris insista d'ailleurs.. "vous ne serez pas mal traité avec lui , c’est quelqu’un de toute a fait honorable" Thyl sourit à ses simple mots, malgré la petite lumière qui lui disait aussi que "l'honneur" était devenu une définition au sens aléatoire et que bon nombre d'homme avait bien des manière de se dire "honorables". Néanmoins, Thyl apprécia de voir ces mots prononcer par Loris ce qui ajouta à l'estime de cet homme bien plus de vertus que si ils avaient été prononcé par le roi lui même ! Un mariage ? Thyl n'en avait jamais vu.. mais la chose lui était aussi rêvé que l'idée illusoire de pouvoir un jour volé !

C'était une enfant qui ce contentait de bien peu.. et se préparer à la petite vision de ce qui l'attendrait un jour la faisait sourire. La gamine illuminait d'ailleurs son visage à la l'énoncer du mot "mariage" .. Thyl était encore une enfant , les enfants rêvent ( et avouons que c'était bien mieux ainsi ).. " Vous serez sans doute une mariée bien radieuse Lady Frey .. " Dit alors la petite d'une voix fluide et rêveuse. Puisse l'avenir dire vrai, mais Thylane buvait ses idéaux comme le nectars des septs dieux, aussi que fallait t-il en juger ? aurait t-il fallu s'en inquiéter ? l'encourager ? peu importe.. Elle grandirait bien assez vite et le monde se chargerait de cela ..

" Le mariage aura lieu en la demeure de votre père ? , je me demande comment sera votre robe.. " Thyl esquissa de mignonnes joues rouge et zieuta Loris qui s'apprêtait à demander congé .. " Oh tu ne part pas pour longtemps j'espère ? je..enfin tu va me manquer .." marmonna t-elle gênée avant de cacher ses yeux.

 En définitif, Thyl savait désormais qu'elle n'avais jamais aimée les adieux et même s'il ne s'agissait ici que d'un rendez-vous donner pour mieux ce retrouver ,quel vide soudain d'oser d'imaginer une journée sans son ange gardien..

Walda écouta les propos de son interlocuteur avec attention. La description de la physionomie de son promis n'avait que peu d'importance. Si Bard Lake semblait beau à une fille du Nord, il n'en irait peut-être pas de même avec une demoiselle du Conflans ; le caractère subjectif de la beauté empêchait la blonde de se réjouir sur ce point. Si celle-ci trouvait quelque agrément dans l'aspect de son futur époux, ce serait une heureuse surprise, néanmoins.

Pourtant, ce qui intéressait davantage la jeune femme était le comportement de l'homme en question. Elle devrait sans doute s'attendre à ce qu'il allât courir la gueuse, c'était là le lot de la majorité des dames mariées et il lui faudrait s'en accommoder, même si la jalousie la piquerait sans doute parfois. En revanche, apprendre que son fiancé était vertueux la rasséréna quelque peu. À défaut d'aimer son mari, au moins pourrait-elle éprouver du respect à son égard et serait plus à même de nouer avec lui des relations cordiales.

— Je vous remercie Loris, dit-elle avec un léger sourire.

Ce dernier avait eu la franchise de ne point décrire son maître et ami tel un être parfait et la Grêlée se faisait à présent une meilleure idée de ce que serait sa vie à Froidlac.

— Je dois avouer que je suis assez ambitieuse ; je suis la fille de mon père, après tout. Je tâcherai de convaincre Lord Bard de s'impliquer dans la politique du Nord ; en tant qu'héritier de Lord Danal, il ne devrait pas négliger ses devoirs. Peut-être parviendrai-je à un compromis avec lui ?

Les obligations inhérentes au rang de noble ne constituaient pas le seul motif à sa déclaration. Vivre à Port-Réal ne la faisait pas rêver, elle avait ouï dire qu'il s'agissait d'un nid de vipères où il fallait sans cesse intriguer pour se faire une place. En revanche, elle était née Frey et avait grandi dans l'une des plus importantes demeures de la province. Maintenant qu'elle était promise à un homme issu d'une lignée moins prestigieuse, certains membres de sa parentèle risquaient de la prendre de haut, chose qu'elle n'accepterait point aisément. Heureusement, si elle parvenait à remplir la mission que lui confiait son géniteur, le prestige des seigneurs du Long Lac croîtrait ; cela ne suffirait guère pour que la maison de Froidlac égalât celle du Pont, la demoiselle aux taches de son ne nourrissait aucune illusion là-dessus. Cependant, la famille du Nordien à qui elle s'unirait bientôt pourrait gagner en importance dans sa région, même si cela demanderait beaucoup de temps et d'efforts.

— Je ne souhaite pas priver mon futur époux des loisirs auxquels il s'adonne, toutefois, et j'espère bien m'entendre avec lui, déclara-t-elle à l'attention du garde. Peut-être, en choisissant judicieusement le cadeau que je lui offrirai pour nos noces, pourrai-je le lui démontrer ? Vous me disiez qu'il pratiquait la chasse à l'arc.

Elle se souvenait du récit qu'elle avait inventé lors de sa rencontre avec Hermine ; alors, elle s'était inspirée de ce qu'elle avait pu observer parmi les couples de sa parentèle afin d'en tirer une morale : il faut laisser un peu de liberté à son mari pour qu'une union soit solide.

En entendant la voix de la fillette s'élever, Walda se pencha vers celle-ci, lui adressant un chaleureux sourire.

— Je vous remercie, je ne doute pas que vous-même serez une radieuse mariée. Le mariage aura bien lieu aux Jumeaux ; ma robe n'est encore tout à fait terminée, mais je vous la montrerai avec joie.

Elle en prendrait le temps durant le séjour de la Nordienne, peut-être avant le souper ou le lendemain, lorsque, aidée par Roslin et Jyanna, elle se remettrait à l'ouvrage.

— Ce sera un plaisir de veiller sur Lady Thylane en votre absence, déclara-t-elle à l'attention du brun.

Pour une enfant aussi timide, un séjour dans cette citadelle s'avérerait certainement bénéfique, en particulier s'il précédait une voyage à la capitale. La petite demoiselle se sentirait ainsi probablement moins perdue au milieu d'une foule. Pourtant, malgré le bénéfice qu'elle tirerait de ce séjour, le jeune homme lui manquerait et c'était visiblement pour cette raison qu'elle dissimula ses orbites, afin que l'on ne pût être témoin de ses larmes.

— J'espère que vous vous plairez aux Jumeaux, annonça la Grêlée en posant délicatement la main sur l'épaule de la fillette, tentant de lui apporter quelque réconfort. Je ne doute point que vous passerez d'agréables moments avec les enfants de la maison et peut-être voudrez-vous écouter des histoires en leur compagnie ?

La blonde inventait fréquemment des récits qu'elle relatait à ses plus jeunes parents et s'adonnait avec enthousiasme à cette activité. Elle se réjouissait d'avance à l'idée que la jeune Woolfield ouït ces contes.

La fille du Tardif se redressa, reportant son attention sur Loris, les lèvres toujours courbées dans une expression joviale.

— Je constate que vous ne manquez point d'ambition, annonça-t-elle, amusée.

Il ne s'agissait pas d'un reproche, la dame aux billes céladon était fort mal placée pour lui en faire. Au contraire, elle appréciait de se découvrir un point commun avec lui ; il serait peut-être un allié précieux à l'avenir.

— Vous ne vous engagez guère sur une voie aisée à suivre, vous vous en doutez certainement. Ma famille est anoblie depuis six cents ans et l'on nous considère encore comme des arrivistes ; néanmoins, l'on oublie également un peu vite que les seigneurs du Pont étaient présents bien avant la venue des Targaryen.

La garde savait où il mettait les pieds, cela était évident ; après tout, de par son métier, il connaissait l'univers dans lequel évoluaient les gens bien nés.

— Je vous ferai transmettre la missive, promit la demoiselle à chevelure ambrée. Mon frère Perwyn se trouve en ce moment à Port-Réal, pourriez-vous lui porter un message de ma part ? Je lui parlerai également de vous. Je n'ai jamais mis le pied dans la capitale, mais il s'y est rendu à plusieurs reprises et je pense qu'il pourrait vous fournir de précieux conseils.

Elle évoquerait aussi dans sa lettre sa récente entrevue avec Walder le Noir. Au vue de la situation, elle ne pouvait se fier qu'aux autres enfants de Lady Bethany. Les paroles de son petit-neveu résonnaient encore dans son esprit. Néanmoins, elle estima qu'il valait n'en rien dire à l'ami de son promis.