298 - Onzième Lune - Semaine 2 - Jour 3

Ce matin-là Bard se réveilla en sursaut, haletant et suant comme s'il avait fait la course d'ici jusqu'au mur. De désagréables souvenirs de la rébellion des Geryjoy et de l'assaut de Pyke revenez le hanter quelquefois, mais c'était devenu fréquent ces derniers temps... l'image du jeune garçon armé de son arbalète, sur lequel il avait tiré pour l'empêcher d'atteindre de son carreau le seigneur Stark, ainsi que la chute qu'il fit du haut des remparts, une flèche plantée dans la gorge, était sans doute celle qui lui revenait le plus. Il lui était impossible de se rendormir après de tels souvenirs, la seule chose qu'il pouvait faire pour les chasser de son esprit, c'était soit de partir chasser ou bien de boire jusqu'à plus soif et comme il était hors de question de commencer à boire dès le réveil, il se prépara pour partir en forêt.

À force de répéter les mêmes actions tous les matins, s'en était devenu comme une sorte de rituel : d'abord il passait le couloir des chambres sur la pointe des pieds, redoublant de prudence au moment de passer devant la chambre de son frère, ensuite il faisait un détour par la cuisine où les serviteurs prévoyez toujours un petit quelque chose à grignoter pour lui, mais en entrant dans la pièce il fut surpris de n'y voir aucun domestique, chipant une pomme, il partit en direction de la grande porte et en poussa l'un des deux lourds battants qu'il referma après être sorti. Étrangement la brume matinale ne s'était pas encore levée et l'air était un peu plus froid qu'à l'accoutumée, sans compter qu'il faisait légèrement plus sombre... voilà qui annonçait la pluie. Le chasseur se dirigea d'abord vers le domicile de son ami Loris, il arrivait parfois qu'il se joigne à lui lors de ces vagabondages en forêt. Ils avaient pour habitude de se retrouver devant la maison du garde lorsque celui-ci souhaitait venir avec lui, ce qui ne devait pas être le cas aujourd'hui, car il n'y avait pas âme qui vive aux alentours. Et alors qu'il déambulait dans les rues, il se rendit compte que c'était le cas de toute la ville : les commerçants, qui d'habitude étaient en train d'achalandé leurs échoppes, étaient tous fermés et les pêcheurs auraient déjà dû quitter les quais, mais leurs embarcations étaient encore amarrées. Bard prit alors conscience qu'il s'était réveillé bien plus tôt qu'il ne l'imaginait et que s'il faisait gris ce n'était pas à cause du temps, mais uniquement parce que le soleil n'était pas encore assez haut dans le ciel. De toute façon il ne comptait pas faire demi-tour pour retourner au grand hall et y faire les cent pas entre sa chambre et la salle à manger, aussi poursuivit-il sa route, passant le pont qui reliait la cité à la terre ferme, puis il s'engouffra à travers les arbres.

Qui peut dire combien de temps il erra dans cette forêt, recouvrant ses bottes et le bas de son manteau de boue, de brindilles et de feuilles mortes en recherchant la moindre trace de ce qui lui permettrait de suivre la piste d'un animal. Si bien qu'il finit par tomber sur les empreintes d'un cerf qui avait dû passer par là peu de temps avant lui. Il n'en fallut pas plus au chasseur pour traquer la bête en question. Seulement, après quelques minutes passées à suivre les traces du cervidé, la piste s'arrêta soudainement... ou plus exactement quelque chose d'autre avait pris sa place. Les rares empreintes qu'il parvint à distinguer étaient presque illisibles au point qu'il faillit perdre plusieurs fois la piste. Et alors qu'il examinait les dernières empreintes, il eut la désagréable impression d'être épié et alors qu'il se relevait il prit conscience du silence pesant qui régnait autour de lui, aucun chant d'oiseau ni cris d'animaux ne se faisaient entendre, même le vent avait cessé de souffler... ça n'annonçait rien de bon. Tout en portant lentement la main à son carquois, Bard regardait en tous sens pour voir ce qui l'entourait et d'où provenait cette menace... Quand soudain il entendit le craquement d'un morceau de bois un peu plus loin et sans trop se poser de questions, il arma son arc et s'avança en direction du bruit.

Par les anciens dieux, comment peut-on tomber dans un piège aussi grossier ? C'était même ridicule de se mettre ainsi en danger... après tout il était évident que ce n'était point un lapin qui s'était consciencieusement appliqué à faire disparaître les empreintes qu'il laissait derrière lui ! Et ce ne fut pas non plus un lapin qui , tel un loup bondissant sur sa proie, surgit de derrière les fourrés et armés d'une hache qui plus est ! Cet amas de peaux de bêtes recouvert de peinture ne pouvait être que de choses, soit il s'agissait d'un homme des clans des montagnes, mais il n'y avait aucune raison pour qu'il camoufle les traces de son passage ici et n'avait pas de motif pour attaquer Bard. Ou bien alors, c'était un sauvageon ayant réussi à franchir le mur et qui ne tenait surtout pas à ce qu'on puisse poursuivre. L'archer aurait dû s'en apercevoir bien plus tôt, après tout ce n'était pas la première piste de sauvageon qu'il suivait, pendant de nombreuses années il avait assisté Lord Eddard Stark durant ces traques aux sauvages et déserteurs de la garde, il avait déjà pu voir comment procéder le peuple d'au-delà du mur pour se faire oublier. Il aurait tout de suite dû savoir à qui il avait affaire, cette erreur aurait d'ailleurs pu lui coûter la vie. Car à peine sorti de sa cachette, le sauvageon envoya sa hachette en direction de Bard, heureusement ce dernier l'esquiva sans trop de difficultés et tout en tendant la corde, amena son arc en direction de sa cible, à défaut de pouvoir viser correctement il lui placerait au moins une flèche dans le ventre. Mais c'était sans compter sur la rapidité de son opposant qui était déjà parvenu jusqu'à lui, attrapant l'arme afin de l'orienter dans une autre direction que celle de ses intestins et ce juste avant que le chasseur relâche la corde. La flèche fila, sifflant à travers les arbres, sous les yeux médusés de l'archer qui, sous l'impulsion de son adversaire, se sentit partir en arrière.

Trop tard ! Les voilà qui dévalaient à présent le long de la pente, tels des pierres lors d'un éboulement, un corps entraînant l'autre dans un roulé boulé indescriptible qui ne prit fin que lorsque le dos de l'archer heurta un tronc d'arbre couché là. Arrêtant sa course ainsi que celle de son agresseur qui se dressait à présent au-dessus de lui et dont le genou venait s'appuyer vigoureusement sur ses côtes. Il releva alors la tête afin de confronter son regard à celui du sauvageon, mais bien vite l'expression de haine qui l'habitait disparut, laissant place à la surprise, car ce n'était pas un homme qui lui faisait face, mais une femme ! Même si ce n'était pas très évident de trouver une quelconque féminité chez elle... Il faut dire que la boue, les brindilles et l'expression de sévérité sur son visage ne la mettait pas beaucoup en valeur ! Non pas qu'elle soit laide, le côté menaçant en moins, Bard l'aurait trouvé tout à fait à son goût, certes elle n'avait rien de commun avec les femmes qu'il connaissait, mais le côté sauvage et bestial aurait pu lui plaire... Enfin là n'est pas question ! Le plus important c'est qu'elle avait l'avantage sur lui et que s'il n'inversait pas rapidement la tendance, elle le tuerait ! Tout en soutenant le regard de la sauvageonne, il essaya d'atteindre discrètement le couteau de chasse coincée dans sa botte et à l'instant mêmes ses doigts effleurèrent le pommeau de l'arme, il se figea, stupéfait par ce qu'il venait d'entendre !

C'est sur, il ne s'attendait pas à ça ! Surtout de la façon dont s'étaient déroulés les événements ! Le peuple de l'au-delà du mur étant réputé pour son côté sanguinaire, il s'imaginait finir avec l'arrière du crâne défoncé contre le tronc d'arbre... L'idée qu'il s'agisse d'une ruse lui traversa l'esprit, mais alors qu'elle s'écartait de lui, s'éloignant avec méfiance, il comprit que ce n'était pas le cas. Attendant qu'elle soit suffisamment loin, mieux ne valait pas trop l'inquiéter, il se releva aussi lentement qu'il le pouvait sans pour autant la quitter des yeux. À peine était-il debout qu'il vacilla jusqu'à en perdre l'équilibre, s'étalent face contre terre, à croire que sa dégringolade ne lui avait pas réussi. Et le voilà qui maugréaient à présent, le visage à moitié couvert de boue.

Vu l'état dans lequel il était, il lui était impossible de tenter quoi que ce soit contre la sauvageonne, pas même de la suivre ! C'était peut-être préférable... jusqu'ici il avait eu de la chance, mieux valait ne pas trop insister.