Glenhild voguait dans le détroit depuis plusieurs mois et les calles de la Sirène de Fer étaient pleines. Or et argent, armes, gemmes et denrées, alcools et tissus acquis au Fer-Prix, mais pas seulement, car l’antique voie n’était, pour la blonde, pas la seule voie possible pour les Fer-Nés en ces temps difficiles. Bientôt, à la faveur des vents, l’équipage rentrerait au port, sur les Iles de Fer, à Grand Wyk. Elle y ferait la fierté de son père en revenant victorieuse et riche de sa première expédition et ses hommes ainsi que leur famille pourraient bénéficier des bienfaits de ses arrangements avec le Dieu Noyé, ceux en tout cas qui avaient survécus. En effet, lors de son premier abordage, elle avait perdu tant d’hommes qu’il lui avait fallu dépenser tout ce qu’elle avait gagné pour recruter de nouveaux marins, pour se refaire une santé, elle avait alors décidé d’accompagner des marchands de Tyrosh et de leur faire payer sa protection au prix fort. Ensuite, pendant les mois qui avaient suivis, elle avait fait quelques raids dans les terres disputés, quelques piratages et quelques convoyages, mais il lui avait fallu du temps pour s’éprouver en tant que capitaine et commencer, à rentabiliser son boutre. Peu à peu elle avait acquis le respect de ses hommes et avait pu en recruter d’autres pour compenser ses pertes. Et maintenant, elle se tenait fièrement sur la proue de son navire, une main sur la sirène de bois à la lance de fer qui fendait les flots et l’autre sur la garde de son épée. Dans la bouche de ses hommes et dans celle de ses victimes était né un surnom : la Sirène Sanglante.

Ce qu’elle aimait l’océan, ce qu’elle aimait naviguer, la sensation de liberté que lui procurait le vent dans ses cheveux et l’instabilité du pont de bois affrontant les vagues. Ces vêtements étaient sales, salés, et elle aussi, il n’y avait pas de bains sur la mer, ces cheveux étaient abîmés et ses lèvres gercées. Ces yeux gris fatigués par la réverbération d’un soleil de plomb sur l’eau bleue. Mais qu’importe, elle n’avait jamais été aussi heureuse que depuis qu’elle avait largué les amarres avec son propre navire.
Peut-être était-ce la perspective de revoir les siens et de montrer à tous ce dont elle était capable, ou peut-être étaient-ce ces foutus reflets sur l’eau qui l’empêchaient de voir au loin ? Quoi qu’il en soit, elle ne vit approcher les sept boutres que trop tard. Oh elle essaya bien de fuir, ordonnant rames et voiles à toute allure, mais elle était coincée entre les bateaux et des récifs. Elle s’en voulait des ‘être fait avoir comme une débutante, mais il n’y avait d’autre choix que de faire face et de se battre comme une Fer-Née.

__ RAMES HORS D’EAU ! ABAISSEZ LES VOILES ! AUX ARMES ! » hurla-t-elle alors que les boutres étaient presque bord à bord.

Mais, c’étaient des navires Fer-Nés ? Elle n’en revenait pas. Et ils n’abordaient pas ? Étrange… Sachant qu’elle n’avait quasiment aucune chance à un contre sept voir moins, c’était peut-être une chance d’être tombée sur un compatriote et alors que ses hommes se tenaient serrés sur le pont prêts à recevoir les attaquants, elle entendit quelqu’un demander le capitaine… Elle-même.

Épée au clair elle s’avança, passant entre ses hommes qui s’écartèrent pour al laisser passer, grande blonde, en armure de cuir clouté, et braies de laine qui avaient été vertes avant de devenir grises, ces cheveux tressés. Restant à distance respectueuse du bastingage et donc d’une éventuelle attaque, elle posa son épée sur son épaule et ses yeux sur l’homme qui lui faisait face sur le pont de l’autre boutre et dit :

__ C’est moi ! Et vous qui êtes-vous, il n’est aucun navire des Îles de Fer que je ne connaisse, au moins de nom, et le vôtre ne me dit rien. »

Glenhild grogna en guise de réponse à la remarque du jeune homme, elle en supportait pas très bien qu’on remettre en cause sa connaissance de la mer et les bateaux des Iles de Fer en faisaient partie. Mais effectivement, elle ne se souvenait pas de ceux-là, preuve qu’ils devaient avoir quitté les Îles de Fer depuis pas mal d’années, et cela l’irritait beaucoup. Pas qu’ils aient quitté les Îles de Fer, mais de ne pas s’en souvenir. Cela la rendait plus que méfiante vis-à-vis de son compatriote, bien que, et elle en était parfaitement consciente, s’il avait voulu aborder la Sirène et tuer tout l’équipage, vue les forces dont il disposait, il n’aurait pas hésité. Aussi était-elle intriguée, mais toujours méfiante, telle une panthère attirée la curiosité et l’odeur du sans frais qui se retrouveraient devant un autre prédateur. Il était en position de force, c’était el moins qu’on puisse dire, et elle devait négocier, or elle n’aimait pas spécialement ça. Quoi qu’il en soit, elle était prête à mourir en défendant son boutre si cela s’avérait nécessaire.

__ Sept Bateaux Fer-Nés dis-tu ? Je veux bien te croire. Mais pour que je n’en connaisse ni les noms ni aucun membre d’équipage, tu as dû te perdre. » Dit-elle en crachant un bref ricanement.

La blonde n’était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds, même si elle savait que, se faisant, elle prenait le risque de froisser son interlocuteur. Elle l’écouta néanmoins se présenter, et son air arrogant disparut de son visage pendant un instant. L’amiral des corsaires en personne…

__ Rien que ça ! » Se moqua-t-elle par rapport au nom pompeux qu’il venait de lui donner.

Evidemment elle était impressionnée, elle en avait déjà entendu parler et plus encore de la Maison Noirmarées et de son héritier en exil. Et voilà qu’elle le rencontrait. Quelle merde ! En infériorité numérique flagrante. Maudit soit-il.

__ J’ai pas souvenir non. Pi si c’était le cas, il te manquerait au moins un doigt ou une couille. Je ne peux pas vérifier pour les couilles, mais je compte dix doigts… »

N’empêche il prenait un malin plaisir à se maquer d’elle et ça l’énervait en même temps que de l’amuser. Elle regarda l’un des hachettes qui pendaient à sa ceinture et fit un petit sourire en coin avant de reprendre :

__ Un Drame ? Non, je m’en fous des héritiers moi, tout ce qui m’intéresse, c’est l’océan. Et comptes pas sur moi pour te donner du Messire. » . Elle désigna les hommes de la pointe de son épée d’un air nonchalant. « Pi tu me feras pas croire que tous tes hommes sont des Fer-Nés. Ni que ces bateaux sont tous des boutres construits sur les Îles. »

La jeune femme avait beau être de noble naissance, elle se fichait des titres et des familles, pour elle, tout ce qui importait c’était de faire ses preuves sur mer et sur terre, de se battre, de naviguer. Raison pour laquelle elle n’avait pas précisé son nom de famille en premier lieu. Elle n’avait aucune considération pour les Lord restant bien au chaud dans leurs châteaux, qu’ils soient Fer-Nés ou des vertes contrées. Aucune considération pour Balon. Par contre, Ragnar ne faisait pas partie de ses couards qui envoient les autres se battre pour eux, elle avait un certain respect pour ça, même si elle ignorait comment prendre le fait qu’il ait fui et qu’après toutes ces années il ne soit toujours pas revenu. Reposant sa lame sur son épaule, elle s’approcha du bastingage pour mieux l’observer et le jauger, le dévisager, le regarder de haut en bas et de bas en haut.

__ Mais, bon, d’accord t’es un Fer-Né. Mais j’étais gosse quand t’es parti, et enfermée dans les Geôles de mon père qui voulait m’empêcher d’aller casser la gueule des verts ! Alors bon. »

Elle cherchait des excuses, mais en même temps le souvenir de cette période lui faisait serrer les dents et lui donnait envie de faire couler le sang. Elle grogna de nouveau, regard noir un instant absorbé par l’horizon au-delà des bateaux.

__ Je suis une Bonfrère de Cormartel, mais ma confiance ne me vient pas de mon nom, elle me vient du sel, du fer et du Dieu noyé. »

__ Donc j'avais raison, c'est pas 7 boutres Fer-Nés, c'est normal que je les connaisse pas... »

Bien que Glenhild trouvât très étrange d’avoir des guerriers aux yeux étranges, des mecs de toutes les couleurs et pire encore des archers, elle écouta sans rien dire. Elle aussi, après quelques batailles et lourdes pertes elle avait dû recruter sur Essos. N’empêche, les archers c’est pour les pédés… Mais bon, elle tut cette remarque, elle n’avait pas tellement envie de se prendre une flèche. Un accident est si vite arrivé. Quand à prendre les bateaux qu’elle piratait, elle essayait, mais elle avait le plus souvent eut trop peu d’hommes pour manœuvrer les deux navires. Donc elle les coulait, c’était plus simple.

__ Fer-Prix ! » Dit-elle en levant brusquement son épée.

Elle sourit, elle l’aimait bien finalement, bon l’instant d’après, elle l’aima beaucoup moins car il venait de se foutre de sa gueule.

__ Je me souviens pas des cons… Mémoire sélective. » Répondit elle sans broncher en pensant très très fort CONNARD

Oui, la blonde avait le droit de charrier, mais personne n’avait le droit de la charrier en retour, mauvais caractère. Enfin ça dépendait qui cela dit, mais pas un inconnu. Surtout que ce dernier fit rire quelques hommes derrière elle, ce qui l’énerva d’autant plus, et elle mit un grand coup à son second du plat de l’épée. Il recula d’un petit pas en faisant un « outch » et les autres s’arrêtèrent. Pas qu’ils croient que leur capitaine était une idiote, mais la grimace de Ragnar était véritablement drôle.

Alors qu’il plongeait son regard dans le sien, elle sourit, pas un sourire de Lady, celui d’une guerrière que la situation amusait follement et qui se demandait à quel moment ça allait dégénérer. D’ailleurs, et il avait raison, la menace était très claire. Elle fit mouche, les hommes de la blonde grognèrent ou sortir leurs armes ou les deux et avancèrent d’un pas. Elle écarta le bras d’épée pour les arrêter.

__ Balon est un gros con, mais c’est pas le cas de tous les Greyjoy. Je me contre-fous de crever en défendant mon boutre, et depuis la table du Dieu noyé, mes hommes et moi on se marrera bien quand la flotte de mon père te trouvera et te plongera sa lame dans le cul. »

Glenhild savait que son père l’adorait et que si elle disparaissait en mer, il viendrait la chercher, bon, par contre, comment saurait-il que c’était la faute de cet homme, bonne question, mais elle s’en fichait. Cependant, elle faisait la maline, mais il était clair que s’il décidait d’attaquer, ils mourraient tous et si elle ne tenait pas spécialement à sa vie, elle tenait au moins à celle de ses hommes. Elle savait qu’ils étaient tous prêts à la donner pour la Sirène de Fer, mais les envoyer dans une bataille perdue d’avance, ça l’ennuyait. Elle avait son boutre depuis seulement quelques mois et à vrai dire elle l’avait déjà fait, et malgré toute sa hargne au combat et son gout du sang, elle apprenait de ses erreurs.

__ Pi m’est avis que si tu voulais nous tuer, t’aurais pu le faire avant de piailler. A moins que tu sois une de ses gonzesses du sud qui préfère parler des heures avant de tuer quelqu’un. »

Le pari était risqué, mais elle était joueuse.

__ Vous, vous bougez pas. » Fit elle en se retournant vers son équipage et en les désignant de la pointe de sa lame.

Elle grimpa prestement sur le bastingage de son boutre et sauta sur celui de Ragnar épée toujours au claire au cas où. En sautant sur le pont, elle dit :

__ Négocions. T’as bien une cabine et de quoi picoler sur ton gros rafiot. »

Elle était parfaitement consciente qu’elle venait de se jeter dans la gueule du loup, enfin, du Fer-Né, d’ailleurs Beron, son second avait fait un pas en avant dans l’espoir vain de la rattraper et dodelinait désormais de la tête en signe de désapprobation. Les voies de la capitaine de la Sirène de Fer sont impénétrables. En réalité, le plan était simple, forcer ces hommes à laisser la cargaison sans combattre. Le seul moyen de se faire était de se livrer elle-même, car pour sauver sa vie, ils pouvaient mettre leur testostérone de côté, par contre pour sauver la leur, non. Elle le savait car elle fonctionnait exactement de la même manière.

__ Désolée d’pas avoir demandé la permission de monter à bord Cap'taine. »

Ajouta-t-elle en arrivant devant Ragnar en rengainant son arme.

__ Pi je serais pas contre un peu à bouffer, aussi. L'amiral des corsaires à bien un saucisson qui traîne. »

Complètement folle. Les cicatrices qui marquaient le corps de la blonde corps en attestaient. Et elle n’était encore en vie que grâce à son talent au combat, au courage et à la loyauté de ses hommes, certains pourraient même appeler ça de l’amour. Les Bonfrère n’avaient pas la réputation de reculer devant l’ennemi et elle peut-être moins que les autres parce qu’en tant que femme, elle devait toujours prouver qu’elle n’avait acquis sa place ni grâce à son cul ni grâce à son nom.
Du coup évidemment la remarquer du Noirmarée la vexa au plus haut point, mais elle essaya de n’en rien laisser paraître malgré un grognement inopportun.

__ Je me cache derrière personne, mais ça faisait trop longtemps que j’avais pas dis à quelqu’un que je lui foutrais mon épée dans le cul. Vu que ça semble pas être le plan du jour, suis bien obligée de déléguer. J’adore cette phrase. »

N’oublions pas que les Bonfrère portaient des ceintures en peau de chèvre. Il semblerait que la fourrure déteigne sur les hommes et sur les femmes, ou juste le caractère de l’animal. En tout cas peut-être est-ce cette remarque cinglante mais juste de Ragnar qui l’amena à se foutre encore plus dans la merde qu’elle n’était, ou peut-être pas. Mais c’est en tout cas ce qu’elle fit, mettant fin au fou rire général de ses hommes, car tous savaient à quel point, effectivement, elle aimait cette phrase.

Bonne nouvelle, la Capitaine ne s’était pas faite trucidé en arrivant à bord, elle y avait pourtant bien cru quand tous avaient sortis leurs épées. Mais ils avaient rapidement constatés qu’elle n’était pas en garde et surtout, qu’elle était seule et que l’équipage de la Sirène de Fer n’avait pas bronché. Sauf Beron qui venait de se tourner les talons en grommelant et en shootant dans un cordage de rage.
Tuer quelqu’un dans ces conditions, c’était loin d’être amusant, alors ils avaient décidé de ne pas lui faire la peau, probablement. Un peu de chance parfois, c’est fort utile. Le regard amusé qui accompagnait sa démarche chaloupée aussi, certainement. Etre une femme avait de sérieux inconvénients, surtout sur un boutre, mais ça avait aussi des avantages, encore fallait-il savoir en tirer parti au moment opportun. Enfin là, c’était clairement quitte ou double, mais si rien n’était gagné, elle était encore vivante, ce qui la réjouissait au plus haut point.

Glenhild marcha donc fièrement jusqu’au jeune homme en rengainant son épée et se fit inviter à manger. Elle n’avait effectivement d’autre préoccupation dans la vie que de boire, manger et se battre, et baiser aussi. C’était là sa vision de la vie, profiter, car demain, ou même peut-être d’ici quelques minutes, elle pouvait mourir au combat, la plus belle mort selon elle, la seule à laquelle elle aspirait. Vous imaginez à quel point le compliment de Ragnar lui fit plaisir, elle sourit de toutes ses dents et le suivi donc. Elle n’avait strictement aucune idée de plan, si ce n’est qu’elle sentait qu’être tombée sur l’Amiral des Corsaire allait lui coûter cher et qu’elle allait devoir repartir en raid. Elle qui était si fière de rentrer au pays les cales pleines d’un butin chèrement payé pour sa première expédition, ça la faisait chier, mais c’était le jeu et elle avait eu de la chance de tomber sur un mec qui soit pas décidé à les exterminer tous.

La grande blonde s’arrêta quelques instants à l’entrée de la cabine, c’était pas le luxe mais toujours mieux que la tente de toile qui lui tenait lieu de chambre et surtout y’avait plein d’armes. Pour elle ça ressemblait à un rêve d’enfant et elle ne put s’empêcher de regarder les épées, les haches, les dagues, un O d’émerveillement se dessinant sur sa bouche. Elle s’approcha d’une épée particulièrement belle, pas que le fourreau soit orné de pierres précieuses ni que la garde soit d’or, elle était juste superbement bien forgée dans sa simplicité. Elle se retint de la toucher et vint s’installer en face de Ragnar.

__ Nan, tu ne sais pas encore mais à moi seule je vaux dix hommes. Je vais te faire la peau et ensuite je prendrais ton scalpe et le mettrais sur ma tête, tout le monde me prendra pour l’Amiraaaaale des Corsaires et hop, c’est comme ça qu’une Bonfrère se retrouve à la tête de huit boutres. » sourit-elle en plongeant son regard dans le sien et en posant son menton sur ses mains jointes.

Comme la bouffe et la boisson arrivait, elle se servit sans vraiment attendre qu’on lui en donne l’autorisation et c’est la bouche pleine qu’elle reprit.

__ Ben à vrai dire, je pourrais bien rester là que pour le saucisson tu sais. J’ai pas grand-chose à gagner à parler, alors autant bouffer à l’œil. En plus il est bon ! » Termina-t-elle en levant une tranche grossière à la santé du Noirmarée avant de l’engloutir.

Tout de même, elle le trouvait bien sérieux d’un coup, et si elle était capable d’affronter la mort, elle ne niait en revanche pas la peur et elle était parfaitement consciente du risque qu’elle avait pris. Elle s’arrêta un court instant de mâcher et dégluti avec difficulté avant d’attraper une chope de bière et de l’avaler cul sec histoire de faire passer le tout et surtout de se cacher derrière le récipient pendant assez longtemps pour reprendre son calme et ses esprits. Elle releva les yeux avec un sourire en coin et reprit du saucisson.

__ Tu devrais manger, t’es un peu maigrichon ! »

Ben quoi fallait bien meubler… Pas si facile de soutenir son regard sans rien dire, même si la bière était sacrément bonne.

__ Ce n’est pas très Antique Voie ça. Enfin bon, j’imagine que tu l’as eu au Fer-Prix et un cadeau est un cadeau hein. Je la pendrais plus tard. »

Glenhild était assise et la bouffe arrivait, rien ne pressait quant à l’épée, en plus peut-être que le jeune homme en voudrait plus la lui donner une fois les pourparlers terminés. D’ailleurs ils s’engageaient désormais et elle l’écouta attentivement, légèrement en arrière dans son siège pour pouvoir plonger son regard dans le sien.

La guerrière l’aimait bien, il était plutôt cool, et pas seulement parce qu’il l’avait laissée en vie, elle ignorait pourquoi, mais elle l’aimait bien. Elle lui trouvait un air fou tout à fait à son gout et il semblait apprécier la vie, tout comme, et le combat, autant qu’elle. Et puis il lui avait donné une épée, même si elle ne l’avait pas encore entre les mains. Or, c’était probablement le plus beau cadeau qu’on puisse lui faire, en dehors d’un bateau. Il commença à parler et elle l’écouta avec attention. Malgré la probabilité importante de décès pour elle, l’évocation de ce combat et de l’éventualité qu’elle en réchappe la fit sourire en coin et prendre un regard des plus sauvage. Enfin, elle était folle, elle adorait se battre, mais elle n’était pas idiote et elle n’avait pas l’intention de mourir, car si elle mourait, ses hommes risquaient fort d’y passer eux aussi. Et puis il était un peu tôt pour mourir, elle avait envie d’en savoir plus sur lui, Ragnar Noiremarée. Si elle se battait aujourd’hui, c’était pour une toute autre raison que d’avoir sa vie, si elle se battait aujourd’hui, c’était pour l’avoir lui.

Les yeux de Ragnar se firent froids et durs d’un seul coup. Cela surpris la Bonfrère qui malgré tous ses efforts pour ne rien laisser paraître, se figea un instant, jusqu’à ce que le capitaine reprenne et qu’elle comprenne qu’il n’en avait pas après elle. Elle se calma et écouta, elle était d’accord avec lui sur certains points, mais si tuer Balon ne la gênait pas outre mesure, elle doutait que ce dernier ne se laisser faire et que sept boutres suffisent, et même avec les quarante de la flotte Bonfrère, cela risquait de faire léger.

__ C’est fou le nombre de gens qui veulent la tête de Balon ces temps si, ça doit être à la mode. »

Dit-elle d’un ton faussement amusé avant de reprendre tout son sérieux. Elle répondit alors sur un ton grave.

__ Quant à savoir ce que les Bonfrère feraient, je ne peux répondre au nom de mon père ni des capitaines de toute sa flotte. Moi, je ne suis que les braves, et là, je ne parle pas de Fer-Prix ni d’Antique Voie, et encore moins de Greyjoy ou de Noiremarée. Je parle du Sel et du Roc, je parle de la survie de mon peuple. Je parle de nos prestigieux boutre, de notre gloire passée, des chansons qui racontent le temps où nous n’avions pas à ployer le genou ni à faire des courbettes aux nobles des contrée-vertes. Ses refrains racontent combien nous étions forts et courageux, et tout ce que le Fer-Prix nous avait permis de posséder. Je parle de qui nous étions et de la crainte que nous faisions naître dans les yeux de ceux qui nous voyaient arriver. Aucune tête ne me fait plus rêver que celle d’un de ces couillons de Lord de mes fesses de Westeros, celle de Balon, la tienne, je m’en contre fous, même si la tienne est carrément plus agréable à regarder que celle de ce taré de Greyjoy. Je suivrais celui qui me fera rêver d’un avenir meilleur pour les miens, je suivrais celui qui me promettra les pillages et les razzias. Je suivrais celui qui me donnera l’océan, car c’est la seule chose, avec mon bateau et mon épée à laquelle je tienne vraiment. La seule et unique chose que j’aime vraiment, plus que la vie elle-même. »

La blonde se leva et se dirigea lentement vers l’épée que Ragnar lui avait donné, elle en caressa doucement la garde puis le fourreau.

__ Les Bonfrère n’ont pas suivi Balon dans sa rébellion, mon père a envoyé un minimum de navires pour éviter les conflits. J’’étais mousse sur l’Écume Sanglante et j’ai fait une mutinerie pour y aller. Le capitaine m’a ramené à mon père et mon père m’a enfermé dans les geôles de Cormartel pour que je n’y aille pas. Il m’a sauvé la vie et pourtant je lui en veux encore. Mais je sais que je mourrais au combat, un jour, tôt ou tard. Il vaut mieux que j’ai un peu vécu avant, que je me sois amusée, que j’ai baisé, gouté à ton saucisson, que j’ai commandé mon propre boutre et surtout que ce ne soit pas pour une guerre perdue d’avance, mais encore moins pour une guerre contre mes propres compatriotes. »

La Sirène Sanglante prit l’épée et la sortie au clair, laissant le fourreau où il était, elle fit quelques moulinets avec pour voir si, comme elle l’avait pressentie en la voyant elle était faite pour sa main. Ça n’était peut-être pas la réponse qu’il attendait et contrairement à ce que son attitude laissait penser, détendue et innocente, elle était prête au combat, si elle laissait la vie sur ce navire, ça ne serait pas sans combattre.

__ T’énerve pas, moi aussi je prends des libertés avec l’Antique voie, t’façon c’est pas gérable autrement avec ce putain de Royaume soit disant unifié et en paix. Tu parles d’une connerie, qu’est qu’on s’emmerde ! J’aimerais bien pirater et piller tous les jours, mais faut bien que mes hommes mangent, alors y’a des fois où je fais payer mes services par d’autres. Bref, j’accepte le cadeau, c’est gentil. J’aime bien ta cabine d’ailleurs. »

Des animaux, oui, ils l’étaient tous deux, en voyant ce regard, Glenhild le sut, elle le saisit immédiatement car elle avait le même quand elle tuait, et putain ce qu’elle aimait ça, tuer. Elle comprit qu’il était fait du même sang qu’elle, un sang de Fer-Né fier et combattif, plus instinctif que raisonnable, plus sauvage que cultivé. Des tueurs, tous deux. Et alors que la lueur de l’espoir d’un grand dessein s’allumait dans ses prunelles pendant qu’elle parlait, elle le vit aussi s’allumer dans les siennes. Ils parlaient d’un temps qu’eux même n’avaient pas connus, un temps depuis longtemps révolus mais dont chacun sur les Îles de Fer rêvait encore sans vraiment y croire. La puissance des voisons empêchait toute reconquête, et ça n’était certainement pas les Rebellions des Greyjoy qui viendraient à bout de la puissance de Trône de Fer, c’est d’ailleurs ce que Ragnar pensait lui aussi. Néanmoins, ça n’était pas, pour Glenhild, une raison pour partir, elle prenait ça pour une fuite, et elle, elle préférait mourir en essayant en vain que de vivre sans essayer. Elle ne put retenir un sourire en coin accompagné d’un regard cruel lorsqu’il parla d’empiler des crânes de crétins de Westeros, elle adorerait le faire. Seulement elle non plus n’avait l’intention de suivre personne, elle comptait bien se débrouiller toute seule et ne s’associer avec quelqu’un que lorsque l’heure de la bataille serait venue, et pas avant. De plus si elle détestait Balon, elle avait en revanche beaucoup de respect pour Victarion et Euron qu’elle considérait comme de vrais guerriers, de vrai marins et de vrais tacticiens.

__ Où ça, ici ? Dans les mers du Sud ? Je m’amuse ici, je viens, je pars, je pille, je tue. Mais je rentre chez moi, toujours je rentre chez moi et chez moi, c’est les Îles de Fer. J’aime ce putain de caillou où rien ne pousse. Me demande pas pourquoi, j’en sais rien, mais je l’aime, c’est chez moi, j’y suis née, j’y suis attachée, probablement plus que de raison d’ailleurs. Quand je rentre chez moi, je sens mon cœur s’emballer et mes yeux se mouiller, et quand je rentre les cales pleines, je suis fière de montrer à tous que l’Antique Voie est encore possible et surtout que seule la mer peut nous apporter ce que l’on veut. Pourtant c’est aussi le cas quand je m’en vais, parce que j’aime bien autant l’océan, mais ici c’est pas chez moi, c’est juste mon terrain de chasse. Je crois que j’aime les Îles de Fer parce que c’est comme un bateau en pierre qui peut pas sombrer, tellement perdu dans l’océan et écumeux tout le temps, je m’y sens comme sur la Sirène, mais en plus… stable. Ça fait combien de temps que t’es pas rentré chez toi Ragnar ? »

Elle laissa le temps à Ragnar de répondre, bien qu’elle ignore tout de l’exil forcé, cela faisait plusieurs fois qu’elle n’avait pas vu Cormartel, et malgré son amour pour l’océan sa demeure et sa famille lui manquait.

__ Mes rêves je les réaliserais avec ou sans toi, j’ai besoin de personne, et pas même d’autres navires, la Sirène me suffit, la vie est trop courte pour s’encombrer. Même si aujourd’hui je peux remercier le dieu Noyé d’être tombé sur un Fer-Né plutôt que sur un autre, sans quoi je serais probablement morte, et mes hommes avec moi. Quand j’aurais fait mes preuves, les autres Capitaines de la flotte de mon père me suivrons et on fera des Raids ensemble. J’ai encore tout à prouver en tant que Capitaine, j’ai fait mes classes comme guerrière, comme seconde, maintenant, j’ai mon boutre et j’espère qu’avec lui, j’irais au bout du monde. Mais tu vois, j’ai aucune envie de m’attacher à qui que ce soit, je préfère rester libre avec mon navire, j’emmerde les Greyjoy, j’emmerde mon père tout autant et je t’emmerde aussi, j’appartiens à personne. »

La grande blonde sortit l’épée de son fourreau avec attention et fit tournoyer la lame autour de sa main pour en tester la maniabilité et l’équilibre avant de tendre le ras devant elle pour en observer le fil avec un œil fermé.

__ Mais s’il me demande d’aller tuer du con, j’irais avec plaisir, pas pour eux, mais pour tous les cons qui attendent de voir une femme les tuer en les regardant dans les yeux. »

Elle baissa l’épée et sourit à Ragnar en la rangeant dans son fourreau et en enlevant sa ceinture pour l’y attacher en plus de la sienne, de l’autre côté, juste derrière les deux hachettes coincées dans sa ceinture.

__ Alors, vu que j’aime ton style, si un jour t’as besoin de moi et que je suis dans le coin, tu pourras compter sur moi, surtout si y’a de la baston au programme. »

Glenhild revint vers la table et servit une grande chope de bière et servit aussi son hôte.

__ En attendant buvons à nos Îles, aux guerriers morts au combat et aux noyés. »

La Bonfrère s’enfila presque tout la chope cul sec et s’essuya du revers de la manche.
Ragnar quand à lui parlait d’action, mais Glenhild était loin d’être enchantée à l’idée de tuer ne serait-ce qu’un seul Fer-Né en dehors peut-être de Balon, et encore, elle l’estimait indigne de son titre et de gouverner, mais même lui elle ne le tuerait pas. Pas par manque de courage ou de volonté, non, elle ne voulait pas tuer les sien, même ses connasses putes de sœurs, alors un couillon de Lord Suzerain qui c’était cru plus fort que Robert il méritait probablement d’être déchu, mais pas de se faire buter quand même. Ou si non si, en combat singulier. Mais si cela impliquait de tuer les hommes de Pyk, c’était une belle connerie. Et puis Robert avait vaincu les Targaryen, et à l’époque de la Rébellion Greyjoy, il n’était pas encore l’ivrogne obèse qu’il était devenu d’après ce qu’avait entendu la blonde. Le problème pour elle était bel et bien de s’incliner, même devant les Dragon, cela dit, Harren avait fait la connerie de vouloir les combattre résultat, ils avaient perdu le Conflans.

__ Je connais un moyen. Mon père m’a parlé d’un truc qu’on faisait dans l’ancien temps. Les états généraux de la royauté. Les Capitaines élisent un Roi. C’est pas comme ces conneries de successions dynastique à deux sous, au moins on sait qui monte sur le trône de grès, on choisit le meilleur, le plus valeureux, le plus à même de remporter la victoire. T’aurais besoin de tuer personne pour t’y présenter… Si on tue les nôtres pour avoir le pouvoir, on ne vaut pas mieux que ces tarés des contrées vertes. »

Glenhild était extrêmement sérieuse, c’est pourquoi la remarque de Ragnar mit du temps à arriver au cerveau. Elle sourit en coin et le regarda sans rien dire pendant quelques instants avec un regard perçant. La proposition n’en était pas une, mais l’idée lui plaisait assez, mais elle avait une tradition, et une folle envie de voir ce qu’il valait épée en main.

__ Si tu me veux, faut me mériter ! »

Elle se leva alors brusquement tout en dégainant son épée. Elle frappa le bureau du plat de la lame avant de monter sur la chaise comme sur un escalier, siège puis dossier pour lui sauter dessus arme en avant.

Un sourire en coin s’esquissa sur la bouche de Glenhild pendant que Ragnar parlait de son exil et il grandit au fur et à mesure qu’il disait le pourquoi : ne pas s’agenouiller devant Balon. Elle pouvait aisément comprendre cela, son père non plus ne l’avait pas fait, et elle non plus, car effectivement, elle préférerait probablement mourir en combattant que de plier l’échine devant cet homme pour lequel elle n’avait aucun respect. Elle qui ne s’inclinait plus devant aucun homme depuis qu’elle était capitaine de son propre boutre et moins encore devant un homme qui n’avait vu la mer que depuis ses hautes tours grises depuis bien trop longtemps. Pas assez salé. Elle n’avait de respect que pour ceux qui affrontaient l’océan et leurs ennemis, jusqu’au bout, et pour elle, le Suzerain des Iles de Fer avait envoyé les autres, fils, frères et vassaux se faire tuer à sa place. Il était un lâche à ses yeux et à moins qu’il lui prouve le contraire, elle n’en démordrait pas, et ne s’inclinerait jamais.

__ Petite ? » Dit-elle en se levant. Car non elle n’était pas petite, une tigresse peut-être, même si les tigresses n’ont pas la réputation d’être très à l’aise sur l’eau, ce qui n’était pas son cas. En tout cas la perspective de se battre aux côtés de Ragnar lui plaisait, elle ne lui casserait donc pas la gueule aujourd’hui, à moins que…

A moins qu’il dise qu’elle pouvait réfléchir quand elle ne voulait… non, même pas, ce genre de pique la faisait rire, elle rit donc, car elle savait parfaitement ce qu’elle valait, bornée, butée, à moitié dingue, téméraire, mais pas idiote, ça non, sa présence ici en était la preuve.

__ Balon non, mais d’autres oui, et quoi qu’en dise Balon il ne pourra décemment pas s’y opposer si une majorité de Fer-Né le réclame, c’est la volonté du Dieu Noyé, au même titre que la vie, la noyade et la mort. »

La suite s’annonçait beaucoup plus amusante que cette conversation…

Ragnar para le coup sans difficulté malgré la rapidité. Elle ne voulait pas el tuer, elle n’avait donc pas mis toute sa force, peut-être une erreur, néanmoins, elle ne voulait pas le blesser, juste le tester. Elle esquiva sa contre-attaque en roulant au sol faisant tomber plusieurs machins qui traînaient sur une étagère. Elle lui tourna autour un bon moment comme une lionne qui tourne autour de son rival avant de fondre dessus, observant, testant, un pas en avant, un pas en arrière, une feinte. Et tac, fente avant pour estoc qu’il parerait sans mal, pour passer sur le côté en tournant et le frapper dans le dos avec le plat de l’épée. Mais cette fois, de toutes ces forces.