Bien qu’au vue de ses murailles et de son armée Port-Réal ne soit pas un endroit susceptible d’être pillé, mes hommes appréciaient de s’y rendre.

Il faut dire que ses bordels valaient le détour. Cela les changeait de leurs femmes-sels.

J’y trouvais là une façon particulière de les récompenser et également de les punir. Car il fallait bien que des hommes restent à surveiller le navire.

J’avais laissés les fautifs en question sous le commandement de mon maitre d’équipage. Tout comme moi il n’avait plus tellement l’âge de ce genre d’activité.

Quant au tournoi il ne représentait aucun n’intérêt à nos yeux de fer-nés. Soit on s’entrainait soit on combattait réellement c’est-à-dire en risquant notre vie. Et seulement dans le dernier cas vous méritiez une récompense.

Il faut admettre aussi personne sur nos îles n’était assez bon cavalier pour se distinguer durant ce genre d’exhibition.

Pourtant notre présence durant cet évènement n’était pas une coïncidence. Les grandes familles des sept couronnes accouraient à la capitale pour l’occasion. J’y voyais une opportunité de glaner quelques informations de voir où en était de l’unité du royaume.

Nous en profitions aussi pour acquérir du matériel notamment de l’armement.

Mes hommes étant déjà bien « repu », nous entamions donc cette activité. Certains avaient entendu parler d’une forge réputée. Je les laissais prendre de l’avance attiré par le chant de ménestrel.

La musique ne m’a jamais passionnée outre mesure. Je n’y ai jamais vu rien d’autres qu’un enchainement de son vaguement distrayant.

Dans le cas présent mon attention était retenue par les paroles très révélatrices de l’ambiance actuelle. Ça racontait l’histoire d’une lionne arrachant les testicules d’un cerf. Difficile de ne pas comprendre l’allusion.

D’ailleurs l’attroupement autour riait aux éclats. Ainsi les lannisters au lieu de conquérir le trône par les armes recourrait à une méthode digne d’eux. Une famille de banquiers, et marchands voilà ce qu’ils étaient.

Parfois j’avais l’impression d’être une nourrice gardant des enfants. A peine avais-je quitté mes hommes l’espace d’un instant que déjà ils causaient des problèmes.

Et qui allait devoir encore glisser des pièces discrètement dans la poche des manteaux d’or afin que nous puissions tous regagner le navire au moment prévu ?

En me rapprochant je me rendis vite compte que la situation allait au-delà de la petite rixe habituelle.

Déjà les « camarades de jeu » de mes hommes n’étaient pas de simples citadins, mais des hommes d’armes. Et la tension semblait particulièrement vive. Certains avaient même la main sur le pommeau de l’épée.

Qu’est-ce qui leur prenaient à tous ?

En m’approchant j’eus un début d’explication. Les soldats portaient l’aigle des mallister, une famille ayant laissé un mauvais souvenir par chez nous.
Un souvenir encore vivace si on écoutait les commentaires.

« Dès que vous nous avez vu, vous avez fait sonner votre cloche comme un gamin appelle sa mère. »

« Ça nous a pas empêché de vous renvoyer à la mer à coup de pied au cul. »

Je parais au plus pressé à savoir Gunther, l’un de mes vétérans. Il avait servi Rodrik Greyjoy de nombreuses années avant que le chef de la maison mallisters ne le tue. Il bouillait littéralement de rage.

Je le pris par l’épaule et lui murmurais :
"Ce n’est pas le bon moment."

Ça le calma… un peu. Ensuite je fendis mon groupe et dis d'une voix solennelle :
"Que se passe-t-il ?"

Comme si je ne le savais pas déjà. Mais il est parfois nécessaire de ménager ses effets.

Un homme apparut peu de temps après moi. Quelqu’un de mon âge, et visiblement un noble d’après sa tenue. L’assurance dans son intervention indiquait clairement, qu’il dirigeait le groupe.

L’intervention d’un chef compétent pouvait arranger mes affaires. Je le laissais faire et remarquais que Gunther l’observait lui aussi avec insistance. Comme si cet homme avait quelque chose à lui apprendre.

En tous cas moi il me déçut. Au premier abord il tenta lui aussi de tempérer les ardeurs. Hélas il se permit une petite provocation.

Personnellement j’avais passé l’âge de me cogner pour un oui ou pour un non. Surtout que dans le cas présent cela ne se limiterait pas à une simple bagarre à poings nus. S’il n’en avait tenu qu’à moi, je lui aurais laissé le plaisir de sa remarque. Elle ne valait pas la peine de verser mon sang. Sauf que je n’étais pas seul.

Nous les fer-nés étions un peu comme ces meutes de loups dont j’avais lu l’organisation dans un livre nordien. L’alpha-mâle ou chef de meute devait toujours tuer durant les chasses afin de justifier sa place. Cette pratique était éreintante à la longue mais nécessaire. Elle empêchait que des incapables arrivent par chez nous au pouvoir à cause du hasard de la naissance. Les targaryens auraient pu en prendre de la graine et ainsi éviter que leur trône n’échoie à un fou.

Revenons-en à mes problèmes. Donc je ne pouvais pas me permettre de m’écraser devant mes hommes. Je m’approchais du seigneur avant que quelqu’un d’autre ne prenne une initiative malheureuse suite aux dernières paroles prononcées. La rigidité militaire de l’homme en face de moi suggérait qu’il ne s’agissait pas d’un noble de cours mais plutôt d’un guerrier.

Et évidemment aucun manteau d’or ne montrait le bout de son nez pour nous séparer. Décidément tout se liguait contre moi. Mes mains éloignées de mon arme, je me plantais bien devant mon « confrères » des Conflans.

« Nous ne sommes ne sommes pas sur nos terres effectivement. Mais vous non plus. Par conséquent vous n’avez pas à décréter, qui a le droit y être. » Dis-je d’un ton sarcastique saupoudré d’une pointe de fermeté.

Mes concitoyens préférant généralement les actions aux mots, mes compagnons présent ne saisissaient sûrement pas la globalité de cette joute verbale. Toutefois il demeurait clair que je faisais face. Mon titre était alors préservé.

Ce noble des Conflans fit preuve de plus de subtilité que je me serais attendu de la part d’un simple maitre de guerre. Il calma le jeu sans donner réellement l’impression de s’excuser et su aussi raccourcir la laisse d’un de ses subordonnés trop agressifs.

Puis il m’expliqua indirectement, que la situation n’était pas favorable à mon camp. Il me donnait l’impression de transposer la stratégie militaire à notre conversation. Car cela rappelait la technique consistant en un déploiement des troupes destiné à étaler les effectifs devant une armée ennemie inférieure en nombre. Ainsi cette dernière comprenait, qu’il valait mieux éviter le combat.

On ne pouvait nier l’habilité de la manœuvre. Dommage que son auteur soit de Salvemer. Sinon je l’aurais sans doute félicité.

Mais il y avait plus préoccupant. Le fameux subordonné un peu trop envahissant avait eu le temps de parler. Et le peu qu’il dit contenait des mots malheureux. Quelle malchance ! Jason Mallister en personne me faisait donc face.

D’une certaine façon je fus surpris par la réaction de Gunther un poil tardive. Car Mallister eut le temps de finir son discourt.

Il se rapprocha d’un pas décider la main sur le pommeau, mais la lame encore dans le fourreau. Content de voir que mon autorité conservait encore de la prise sur lui malgré la situation.

« Cet homme a assassiné l’ainé de notre roi. » S’exclama-t-il à l’intention de toutes les personnes présentes.

Ce crétin voulait-il nous refaire l’assaut de Salvemer ? Il fallait peut-être lui rappeler comme cela avait fini.

C’était à mon tour de me lancer dans une diatribe. Et ma prestation avait intérêt à être bonne. Sinon nous courions au carnage.

« Alors nous sommes tous des assassins. » Dis-je la voix haute en m’adressant cette fois aux miens. « Car qui parmi nous n’a pas tué un ennemi sur le champ de bataille ? Nous les fer-nés vivons et mourrons l’arme aux poings, mais aussi avec l’honneur dans le cœur. Nous nous battons aux yeux de tous et sous le regard du dieu noyé. Tuer ainsi dans une rue au hasard d’une rencontre, sans défi, ni ralliement, c’est digne de vulgaires brigands, pas de guerriers. Et moi vivant aucun de mes gens ne bafouera l’honneur des îles de fer.»

Mon effet fonctionna sur tous. Sauf Gunther résistait encore.

« Sire Balon l’avait appelé ainsi en votre honneur. » Répliqua-t-il un restant de rage dans la voix.

« C’est bien pourquoi je préserve mon honneur. » Lui dis-je en posant sur son épaule une main compatissante comme si cela m’en coutait également de renoncer à ce combat stupide.

Décidemment je n’avais dû pas faire assez de dévotions au dieu noyé dernièrement.

J’en étais à croire naïvement que l’incident allait se terminer sans violence. Surtout que le dénommé Mallister y mettait du sien. Sans doute aussi avec l’âge le goût du sang, lui était passé.

Puis il fallut que ce morveux ouvre sa bouche. Et évidemment il appuya là où ça faisait mal.

A cet instant je crus mes efforts réduits à néant. Puis étrangement Gunther se chargea de sauver la situation du moins à sa manière.

« Vous voulez un défi. » Me dit-il d’abord.

« Et bien j’en lance un à cette grande gueule : un duel à l’épée.» Clama-t-il haut et fort en pointant du doigt le gamin. « Encore faut-il qu’il ne soit pas assez couard pour le relever. »

Ainsi Gunther était prêt à se contenter d’une seule mort. A croire qu’il vieillissait également à moins que ma leçon précédente ait porté ses fruits.

Personnellement je décidais de laisser faire. Un pareil affront ne pouvait être ignoré, et la solution m’arrangeait. Elle me dédouanait de toute responsabilité, et m’enfreignait en rien les lois en vigueur à Port-Réal à ma connaissance.

Je risquais tout de même de perdre un homme de valeur. Et encore connaissant Gunther les probabilités de sa défaite étaient minces. Surtout si on examinait son adversaire.

Il s’agissait visiblement d’un noble sûr de la supériorité de son ascendance. Sans doute avait-il été formé aux armes. Sauf que Gunther lui avait acquis son savoir sur les champs de bataille et non lors de tournois et autres entrainements.

Tous les regards fixaient à présent l’offenseur. Ce freluquet allait-il payer sa bêtise de sa vie ou préférait-il sacrifier sa réputation ?

Jon avança et sortit de moitié l'épée de son fourreau.

« J'suis ton homme, pirate ! »

Bon sang ! Par les Sept, quel était cet idiot qui provoquait Jon ? Jon, ancien fermier qui avait perdu sa femme, son fils et son logis lors d'un raid fer-né, s'était engagé peu après dans ma garde comme simple soldat. Il était vaillant, revanchard, mais assurément peu doué une lame à la main. De ce que j'en jugeai, j'allais perdre un homme rapidement. Alors j'intervenais rapidement.

« IL SUFFIT !!!», ma voix tonna et je jetai des regards de braises à tout ce petit monde.« Je ne permettrais pas que de telles stupidités arrivent sous mon nez ! C'est hors de questions...»

Je regardai mon capitaine de la Garde et lui ordonnai sèchement, en agitant mon bras.

« Gerold, veuillez prendre l'épée de Jon. Tout de suite. Jon ! Pour ton effronterie répétée, tu perds la moitié de ton solde ...», et avant même qu'il puisse me répondre, j'enchaînais :« ... et si tu conteste tu perdras la totalité !»

Je me tournais vers les fer-nés, notamment leur leader et celui qui avait lancé le défi. Mon regard se fit plus dur encore. Mais je gardais l'esprit ouvert et ma voix resta douce, privé de la colère qui semblait l'animé quelques secondes avant.

« Je ne crois pas que faire couler le sang dans les rues de Port-Réal soit bon pour la réputation des fer-nés. Et toi, qui a lancé un défi sur un coup de colère, pour qui te prends-tu pour vouloir venger l'honneur de Balon Greyjoy ? Penses-tu vraiment qu'il te suffit de brailler dans les rues pour revendiquer un combat ? Je ne tolérerai pas que, demain, le Roi des 7 Couronnes puisse entendre qu'un fer-né et un soldat du Conflans se sont battus à mort dans ses rues. Une objection ?»

J'en appelai maintenant au chef fer-né. S'il était bien le Harloi que je pensais, il serait sûrement capable de resserrer la laisse de son laquais. Je gardais une posture volontaire, prêt à continuer s'il le fallait. Dans mon dos, j'entendais Jon maugrée à voix basse alors qu'il était désarmé. D'un coup d’œil, je m'assurais que Patrek observais attentivement et assimilais la leçon.

Cette fois-ci ce fut au tour du Sire de Salvemer de sauver la situation. Pourquoi il faisait un tel effort pour cet idiot incapable de réaliser le risque mortel qu’il prennait ?

C’était plutôt une tradition des Stark de veiller attentivement sur leurs gens. Sans doute s’agissait-il d’une conséquence du rapprochement entre les nordiens et les habitants du Conflan depuis le mariage entre Catelyn Tully et Ned Stark.

En tous cas la manœuvre était habile. En désarmant dénommé Jon, les ardeurs de Gunther s’en trouvaient réfreinées. Il ne pouvait s’abaisser à un combat si peu risqué.

La mention de la réputation des fer-nés me fit sourire. Nous n’étions pas connu pour notre douceur. Alors une tuerie de plus aggraverait rien. A vrai dire cela même nous plaisait.

La suite du discourt dépassa les capacités de Gunther. Désorienté il me regarda dans l’attente de ma réaction.

« Oui. » Répondis-je à la question finale. « Il est question de l’honneur de Rodrik Greyjoy et non de son père. »

J’aurais peut-être dû m’abstenir de cette touche d’humour. Disons que j’avais besoin de me détendre.

« Bon ce continental n’étant plus en mesure d’assumer ses paroles autant partir. » Ajoutais-je cette à l’attention des miens avec une pointe de mépris dans la voix en désignant le fameux Jon. « Il ne vaut pas la peine de lever ton bras Gunther. »

Leurs orgueils carassés dans le sens du poil, mes chers fer-nés me suivirent l’air fier. Bien que la frustration se lisait sur le visage de Gunther.

Je lançais un petit regard complice à Mallister avant de partir. Après tout entre nourrice d’enfants turbulents nous nous comprenions.

Je comprenais également autre chose. Mon peuple ne supporterait pas indéfiniment la paix imposée par les sept couronnes. Tôt ou tard d’autres incidents bien plus graves que celui-ci allaient se produire, si nous ne trouvions pas une alternative.