Des célébrations à venir. Robert dans le Nord puis Ned Stark dans le sud ; les populations et les nobles avaient dû fêter, puis pleurer, puis fêter à nouveau les facéties de leurs suzerains. Peuple apaisé, terre pacifiée ; telle était pour Roose Bolton la marche à suivre. Il reconnaissait à cet égard aux Stark une once de clairvoyance ; l’hiver vient et avant lui l’automne qui de tous temps avait été capricieux.

Or, les festivités présentes avaient été particulièrement  couteuses et les réserves de vin avaient diminué de manière substantielle. Non pas que la populace de Fort Terreur fut prompte à la célébration mais les envois à Winterfell avaient été nombreux. Certes, Lord Bolton avait été gracieusement rémunéré pour cette aide opportune mais les réserves devaient être reconstituées avant que les mers ne deviennent trop périlleuses et que la neige ne bloque tout chemin vers Blancport pour les cargaisons d’importances.

Les quelque vignes du Conflans ne produisaient qu’une boisson fade dont les gardes s’étaient plaint. Lord Bolton n’était point homme à écouter les jérémiades mais s’il y avait bien deux domaines ou la troupe portait un vif intérêt c’était sa solde et la boisson. Tâchant de modérer l’une il fallait bien être plus conciliant sur l’autre. Aussi fallait-il établir des liens plus étroits avec une puissance commerciale qui ne dépendrait ni de près ni de loin des autres seigneurs du nord. Enjoignant à son mestre de recopier ses propos Lord Bolton décrivit la convention qu’il entendait passer :

Citation :

J’ai l’assurance que votre estimée famille sait produire en suffisance des produits de qualité. Dorne ne commerce que peu avec le Nord et je crois que des échanges entre nous pourraient nous être à tous profitables. Je souhaite disposer à terme de 150 tonneaux d’un vin de qualité pour les réserves de mon domaine. Veuillez acheminer par navire la première moitié de ce chargement. Vous serez payé à Blancport lors du déchargement auprès de mon envoyé disposant de mon sceau qui se chargera d'escorter l'ensemble vers Fort Terreur. Si la qualité me convient nous poursuivrons.

Bolton

Le message soigneusement plié fut clos par de la cire rose où le sceau représentant l’écorché était apposé.

La Lady éclata d'un rire cristallin et reposa la lettre sur sa coiffeuse. Il faisait déjà nuit depuis longtemps, mais les journées étant prises par la gestion de la forteresse, les affaires commerciales étaient gérées alors bien plus tard. Elle esquissa un nouveau sourire en relisant cette dernière missive en diagonal.

- "Si la qualité me convient nous poursuivrons", imita t'elle sur un ton solennel où l'on sentait poindre une certaine moquerie, comme si un Nordiens pouvait prétendre à mieux que notre vin. Nos montagnes sont bien plus fertiles que les plaines même du Bief. Et ne parlons pas du Nord ! Seuls les cadavres nourrissent cette terre sèche.

Ses cheveux étaient détachés en une cascade enflammée dans son dos nu, tandis que son corps gracieux était à peine couvert d'une robe légère, rouge et or. Elle prit sa coupe, fin ouvrage d'or, verre et rubis, et la porta à ses lèvres, pour en prendre une lampée délicate.
Décidément, depuis son retour de Port-Réal, les affaires semblaient reprendre. Alors dans un geste désinvolte, elle dicta la réponse :

Citation :

Ser Bolton,
Nous sommes tout à fait ravis de commencer ce commerce avec vous, soyez assurés de notre loyauté.
Malheureusement, nous pouvons fournir votre demande, que par envois de 37 ou 38 tonneaux. Comme vous le savez, les transports maritimes coûtent bien plus cher car ils sont plus sûrs. Nous nous employons donc à n'utiliser que de petites cargaisons. Et j'ai également le terrible regret de vous annoncez que des pirates sévissent sur nos côtés dernièrement, mettant en danger votre cargaison et notre équipage. C'est pourquoi j'espère recevoir de votre part, quelques pécules afin d'assurer la protection de vos biens.
En vous remerciant de cette commande et avec l'espoir d'une amitié nouvelle par ce commerce.

Forrest

Elle prit le fin parchemin entre ses doigts blancs, tandis qu'elle reprenait une gorgée de vin. Elle relut attentivement, puis d'un hochement de tête, elle tendit à nouveau le papier.

- C'est parfait. Ajoutez le sceau et nous verrons bien.

Lorsque le mestre lui fit prendre connaissance de la missive, Lord Bolton grimaça. Insolence ou ignorance, son titre avait été remplacé par un « ser » comme s’il n’était qu’un chevalier errant parmi d’autres. Les dorniens avaient décidément des manières particulières ; il ouvrait la voie du Nord à leurs marchandises et était remercié par une négociation grossière sur quelques chiffres insignifiants.

Après tout, la réponse était positive c’était déjà ça et il avait consacré assez de temps à cette affaire pour ce jour. Il dicta au mestre d’une voix calme :

Citation :

Je comprends vos préoccupations. J’accepterais en bonne logique que vous divisiez les cargaisons dès lors que leur arrivée peut être fixée à une date suffisamment certaine, leur nombre me convient si d’autres peuvent suivre. J’ai été plus que généreux en prenant en charge la partie terrestre du transport qui n’est pas non plus dépourvue de risque. Je suis certain que votre famille a su lier des relations suffisamment étroites avec les marins et leurs garants pour éviter à l’avenir que nos échanges ne portent sur ces détails. L’été s’achève et nos réserves devront probablement être agrandies de toutes marchandises, si notre premier échange est profitable d’autres plus nombreux et plus réguliers suivront ; il sera alors temps que nous reparlions des routes empruntées et des risques qui peuvent surgir.

Bolton

Il signa de sa main et referma le message de son sceau.

-Suffit pour ce soir, répondit-il au mestre. Comprenant l’ordre celui-ci partit chercher les sangsues nécessaires au traitement de son seigneur.

- "J’ai été plus que généreux en prenant en charge la partie terrestre du transport qui n’est pas non plus dépourvue de risque. Je suis certain que votre famille a su lier des relations suffisamment étroites avec les marins et leurs garants pour éviter à l’avenir que nos échanges ne portent sur ces détails."

On sentait son sourire dans sa lecture. Mais pas un sourire moqueur cette fois, non. Un sourire disons... intéressé. Elle fit tapoter ses ongles blancs sur le bois de la table, croisa les jambes et pinça les lèvres.

- Ce... Boston ou Borton

- Bolton, Madame.

- Oui, c'est ce que j'ai dis, ne m'interrompez pas inutilement.

- Pardon Madame.

- Je disais donc, ce Bolton, elle inclina la tête vers son intendant pour appuyer le nom, parait tout un coup moins idiot. Et non ! Ce n'est pas uniquement parce qu'il me signale gentiment que nous sommes déjà assez riches comme ça Myles.

Elle jeta un regard oblique à son beau-frère, qui ferma la bouche comme il l'avait ouverte, en quelques secondes.

- Parce que ce Lord bien que du Nord, sait marchander. N'importe quel autre petit seigneur du Sud se serait appauvri chez nous en voulant impressionner ses convives de notre excellent vin. Je pense donc suivre les mots de Borton. Demain vous chargez deux navires de 37 tonneaux. Ce qui lui en fera 74. Et oui, mon cher, 74 d'un coup. Et c'est seulement deux jours après le départ de la cargaison, que nous lui fixerons une date d'arrivée. Bien en retard des estimations. Comprenez moi : il faut donner l'impression que nous faisons le maximum pour que notre vin arrive au plus vite. Avec une lettre envoyée en retard qui prévoit une livraison tardive, voir les tonneaux arriver dans la semaine, ça impressionne toujours.

L'intendant haussa les sourcils, d'un air pas trop convaincu des techniques un peu farfelues de la Lady. Il avisa la coupe de vin dans sa main et du deuxième pichet déjà vide.

- Nous ferons en votre désir, murmura t'il.

- Mais oui mais oui... Sortez maintenant.

Ser Myles Forrest et l'intendant s'inclinèrent bas et sortirent de la pièce, sans un bruit. Une fois arrivés dans le couloir, Forrest demanda d'un air précipité :

- Notre Grâce a passé une mauvaise journée ?

- Deux chevaux sont morts aujourd'hui.

- Accident ?

- Maladie. Il semblerait que toutes les écuries soient contaminées.

- Je vois. Et vous allez faire ce qu'elle a demandé pour le Nordien ?

- Certainement pas, Milord.

En effet, un courrier fut envoyé dès l'aube tandis que l'on réservait déjà les tonneaux, sans les expédier, bien sûr.

Citation :

Lord Bolton,
J'ai pris en considération vos remarques et j'ai l'immense honneur de vous informer que nous vous enverrons deux cargaisons de 37 tonneaux chacune. Vu les conditions actuelles sur les mers, nous estimons l'arrivée de la première cargaison au début du mois prochain et la suivante dans les deux semaines qui suivront l'arrivée de la première. En effet, nous prenons souvent la précaution d'arrêter la seconde dans différents ports. Comprenez qu'en cas de perte de la première par naufrage ou attaque, la seconde ne serait pas perdue, ou du moins, aurait moins de chance de disparaître à son tour.
Avec mon amitié la plus sincère,

Forrest.

Le dornien avait cédé avec plus de célérité qu’on aurait pu le croire. Tant mieux au fond les affaires de commerce peuvent être des plus barbantes quand elles s’éternisent ; mais Lord Bolton ne souhaitait pas se limiter aux simples échanges matériels.

Il lui fallait un interlocuteur direct pour discuter de choses plus pressantes. Le mestre semblait quelque peu hésitant ; pourquoi établir une route commerciale si lointaine avec des gens dont on ne savait rien ; sans parler des bruits qui courraient dans tout le royaume sur la perfidie des dorniens.

Mais il n’était pas question de reprendre Lord Bolton sur ses idées une fois celles-ci décidées, trop de serviteurs à Fort Terreur avaient pu déjà éprouver le mécontentement de leur seigneur. Non que tous furent remis aux soins de l’écorcheur, qui était tout de même rarement dérangé pour si peu, mais beaucoup avait temporairement connu l’humidité des geôles avant de reprendre avec une vigueur renouvelée leur tâche au sein de la forteresse. Il reprit donc les paroles de son seigneur sans n’y rien changer.

Citation :

Je me réjouis de cette nouvelle. Vous retrouverez mon émissaire à Blancport, il accompagnera la cargaison ainsi que votre envoyé jusqu’à Fort Terreur. Je lui remettrais son dû et aurais à m’entretenir avec lui des échanges plus amples dont je vous avais parlé, certaines choses ne peuvent être dites que de vive voix et les corbeaux sont des informateurs précieux pour qui sait les intercepter.

Bolton

Lord Bolton reprit la lettre et rajouta de sa propre main les derniers mots « et les corbeaux sont des informateurs précieux pour qui sait les intercepter ».

Alors qu’il déjeunait d’un pâté de cerf chassé trois jours plus tôt il fit mander son fils, ou celui qu’il se résignait à nommer ainsi.
Il arriva peu de temps après essoufflé pour une raison inconnue suivi d’un des chiens qu’il affectionnait.

-Père vous m’avez…

Roose Bolton, comme s’il s’adressait à un mur, commença calmement à parler comme si Ramsay n’avait été qu’une ombre de plus dans la forteresse :

-Je commerce avec Dorne pour reconstituer certaines de nos réserves. Tu iras avec une troupe de vingt-cinq de nos hommes à Blancport pour prendre le vin qui doit m’être livré. Tu conduiras le marchand avec toi en lui faisant comprendre que son paiement n’est pas entre tes mains et que tu n’es qu’un simple exécutant ?

Les derniers mots avaient sonné comme une sentance alors même que la voix de Roose Bolton était demeurée constante et presque inaudible. Maintenant sa propre rage, Ramsay snow répondit d’une voix contenue :

-Bien père je m’y rendrais quand le navire sera à quai.

-Et, Ramsay, alors que celui-ci quittait la pièce, point de mal à la cargaison.  

La pluie était écrasante. Dans un soupir où l'on sentait un profond agacement, Odard, saisit à nouveau son silex et tenta d'arracher quelques étincelles à sa lame, sans succès. L'acier mouillé ne faisait que perler d'épaisses gouttes, tandis que les cheveux trempés s'agitaient.

- FOUTU PAYS DE MERDE !

De rage, il planta sa dague dans une souche. Il rajusta son bonnet de cuir dans un grognement. Plus loin, les chariots chargés de tonneaux étaient précieusement recouvert d'une bâche, pour ne pas abîmer le bois et dégrader la saveur du vin. Odard eut un regard mécontent, et s'assit au sol, s'appuyant contre le tronc moussus et humide d'un arbre. L'écorce s'effrita sous le frottement et resta coller en quelques copeaux sur la fourrure humide et lourde.

- Même les chariots sont mieux traîtés que nous. Putain mais je l'emmerde c'te Lady de merde !

- Calme-toi Odard, tu vas trop loin.

- Mais ferme ta gueule toi ! Viens pas me faire chier !

L'autre haussa les épaules, habitué au caractère bougon et irascible de son compagnon. La cargaison terrestre devait rejoindre la première à Blancport d'ici quelques jours. Le campement s'était posé autour du White Knife, et les températures humides et froides du Nord, minait le moral des Dorniens, habitués à la chaleur et à la suffocation.

- Moi c'est la sensation du sable qui me manque,reprit un jeune garçon une poignée de terre dans la main.

- Moi c'est les putes, cassa Odard, visiblement pas d'humeur pas à discuter

- Ecoute, ça fait plusieurs mois que tu nous les gonfle sévère avec tes remarques de merde. Tu l'ouvres encore une fois, je plante un couteau dans la gorge.

- Vas-y, essaie ! Je t'attends ! Espèce de baiseurs de cul !

Les deux hommes s'invectivèrent encore un moment mais visiblement, le temps, la fatigue, le moral n'était même plus à la bagarre. Il régnait une ambiance molle, pleine d'affaiblissement. Les armures se rouillaient, le cuir s'abimait, le moral chutait.



Odard éclata d'un rire gras quand enfin, la troupe arriva à Blancport. Ils rejoignirent très vite les bateaux pour saluer leurs compagnons, un énorme soulagement au coeur. On lisait une certaine joie dans leurs yeux quand ils purent s'attabler dans une auberge chaude, avec un feux crépitant joyeusement dans l'âtre. La bière coula à flot, réchauffant les corps et les esprits. Une saine ambiance de retrouvailles régnait entre eux, pendant que leurs fourrures et manteaux séchaient et qu'un lit et une putain les attendais chacun. Le réveil fut un poil plus dur tellement que ce temps capricieux avait encore fait des siennes. Maintenant que la pluie avait cessé, c'était un vent glacial qui régnait, accompagné de quelques flocons. Tout ce petit monde était attroupé autour des chariots et des bateaux, commençant à les décharger.

- Hé, regarde

Odard se retourna, main sur la garde de son épée. En effet, un jeune homme vraiment sinistre les observait, entourés d'un homme vraiment étrange et de chiens.