D’aucuns diront que le Nord était un endroit déplaisant. Que ce n’était qu’une contrée humide au sol boueux, peuplée d’habitants austères et neurasthéniques. Si la première partie de cette rumeur était avérée, la seconde était infondée. Les Nordiens étaient des gens accueillants et hospitaliers. Tyrion avait passé un très bon séjour à Winterfell, ses hôtes ayant fait de sorte qu’il ne manque de rien. A bien y réfléchir, il y avait pourtant une chose qui lui manquait : le soleil. En effet depuis qu’il se trouvait sur les terres des Stark, il n’avait pas aperçu un seul de ses rayons. D’épais nuages sombres confluaient au dessus du château, et la fine bruine qu’ils déversaient rendait le tableau davantage déprimant. Et puis, il y avait ce froid. Un froid si mordant que tous les vins et toutes les filles de joie de Winterfell n’étaient pas parvenus à estomper.

Voilà ce qui animait les pensées du nain à une heure si matinale : la météo de Winterfell. Après avoir fait le tour du problème, il en arriva à la conclusion qu’il serait incapable de vivre ici. D’un bond, il sortit des draps qu’il avait partagé la nuit précédente avec une charmante créature, et renfila ses vêtements. Il déposa une pièce d’argent sur l’oreiller de la jolie rousse, encore endormie, avant de rejoindre l’extérieur du bordel. Il fut accueilli par cette sempiternelle pluie, aussi, il se réjouissait intérieurement de quitter les lieux le lendemain même. Pour autant, Tyrion n’avait aucune intention de regagner le sud avec le reste du cortège royal ; au contraire, il avait décidé de s’enfoncer un peu plus loin dans le Nord. Il profiterait du départ de Jon Snow - le fils illégitime de son hôte - et de Benjen Stark pour le Mur. Il avait lu de nombreux ouvrages à ce sujet, ainsi que sur la Garde de Nuit, mais il n’avait jamais eu l’occasion de s’y rendre en personne. La nain savait que ce pèlerinage s’annonçait long et éprouvant ; mais sa soif de connaissances était intarissable. Au point qu’il était prêt à repousser ses limites et braver le froid pour découvrir le lieu que gardaient les frères jurés de la Garde de nuit.

Il n’avait pas encore informé sa famille de ce projet. Il prit la direction de la partie du château que les Nordiens avait mis à leur disposition, afin d’y remédier. En longeant l’endroit où le petit Stark avait chuté des remparts, il ne put s’empêcher de lever la tête. Bran était tombé de très haut. Ses chances de s’en tirer étaient minces, mais s’il était épargné des Dieux, il resterait sans aucun doute paralysé à vie. Tyrion n’avait pas réellement échangé avec le petit garçon depuis qu’il était à Winterfell, mais il se sentait concerné par son sort. Qui était mieux placé que lui pour savoir quel effet cela faisait de vivre dans le corps d’un infirme ? Mais Bran avait plus de chance que le nain. Contrairement aux Lannister, la famille Stark semblait soudée, même si certains antagonismes n’avaient toutefois pas échappé à un esprit aussi éclairé que le sien.

Il finit par arriver aux appartements réservés à la suite royale, et pénétra dans le petit salon. Jaime et Cersei n’étaient pas présents. Joffrey non plus, mais cela n’avait aucune importance. Au plus son neveu grandissait, au plus il devait infecte. L’avant veille, il l’avait tellement poussé à bouts que pour la première fois depuis qu’il était venu au monde, Tyrion avait perdu son sang froid et lui avait levé la main dessus. Il s’était d’ailleurs étonné de ne pas recevoir de réprimandes de la part de sa charmante sœur ; peut-être Joffrey ne lui avait rien dire par honte. De toute manière, le nain n’en avait que faire !

En apercevant la petite Myrcella, son visage se fendit d’un sourire. S’il n’appréciait pas l’héritier au trône, il était en revanche très attaché à elle et à Tommen. La princesse lui tournait le dos, les pointes de son épaisse chevelure dorée retombant sur le fauteuil où elle était assise. Tyrion s’approcha d’elle lentement, et posa une main sur son épaule, se servant de l’autre pour caresser ses longs cheveux « Comment va ma petite princesse, la plus jolie fille de Westeros ? » Puis, il pris place face à elle. « Est-ce que tu sais où est ta mère ? J’ai quelque chose d’important à lui faire part. » lui intima-t-il, sans se départir de son sourire.

Tyrion appréciait la petite Myrcella. Elle était très jeune, mais elle faisait déjà preuve de beaucoup de discernement ; une qualité sine qua non pour gouverner, et qui faisait cruellement défaut à son frère aîné. Il était d’ailleurs bien dommage que Joffrey soit venu au monde le premier. De fait, il était assuré d’occuper la pole position dans l’ordre de succession au trône. Si Myrcella était née avant lui, nul doute qu’elle aurait fait une très bonne souveraine. Plus intelligente, plus bienveillante et plus sage. Autant de superlatifs qui faisaient définitivement pencher la balance du côté de la cadette, aux yeux de Tyrion.

Le nain passait l’essentiel de son temps à Castral Roc. Ses allées et venues à la capitale étaient sporadiques, si bien que des échanges privés avec Myrcella n’étaient pas fréquents. En outre, la fillette était toujours très entourée, que ce soit par ses septas, ses amies, ou par Cersei. Aussi fut-il surpris, mais agréablement, de constater qu’elle prenait son petit déjeuner toute seule dans ce salon de Winterfell. Conscient qu’une occasion comme celle-ci ne se présenterait pas tous les jours, il décida de la mettre à profit afin de partager un moment privilégié avec sa petite nièce.

Il lui faisait face à présent, et cette dernière répondit à son sourire en lui tendant une coupe de fruits. A vrai dire, Tyrion n’avait pas faim ; son organisme n’avait pas encore éliminé tout le vin qu’il avait ingurgité la veille, avec excès. La simple vision de nourriture lui provoqua un haut le cœur, mais fort heureusement, cela n’alla pas plus loin. Il s’en serait sacrément voulu de souiller la jolie robe de Myrcella. « C’est gentil, princesse, mais je n’ai pas faim... » décréta-t-il, tout en accompagnant ses mots d’un signe poli de la main, pour décliner son invitation. Tyrion aimait s’adresser à sa nièce en employant son titre de princesse. Il aimait également la complimenter sur sa beauté, qu’elle avait reçu en héritage de Cersei. Mais, contrairement à la beauté froide de Cersei, celle de Myrcella était innoncente et donc plus touchante, comme si elle ne prenait pas encore la pleine mesure de l’impact qu’elle aurait sur les hommes plus tard.

Tyrion ne put s’empêcher d’élargir son sourire en voyant les pommettes de la fillette s’empourprer. Elle avait raison, le nain avait connu énormément de femmes, au gré de ses déplacements à Westeros. Certaines étaient belles, d’autres l’étaient moins. « Ce n’est pas faux, ma princesse, mais aucune des femmes qui ont croisé mon chemin n’avaient ta candeur. J’espère que tu la garderas pendant très longtemps encore. Parce que rien n’est plus beau qu’une beauté qui s’ignore. » Beaucoup de personnes ne tarissait pas l’éloges à propos du physique de la petite princesse ; mais cette dernière semblait encore douter de ce cadeau que lui avait fait la nature. Il était par ailleurs très étonnant qu’un sanglier de l’acabit de Robert Baratheon ait pu engendrer pareille beauté. Certes, Cersei était très agréable à regarder - Tyrion n’avait jamais disconvenu de ce point - mais son époux n’avait rien d’un bel homme. Les gênes Lannister semblaient prépondérants chez les trois enfants du couple royal. Tyrion haussa les épaules, et se concentra de nouveau sur la nièce, qui venait de reprendre la parole. Le nabot laissait souvent son esprit vagabonder, faire des associations d’idées, parfois loufoques, souvent beaucoup plus pertinentes... rien de surprenant chez lui, pour qui la réflexion était une seconde nature.

Myrcella ne savait pas où se trouvait Cersei, mais elle devait sans doute traîner quelque part avec Jaime. Tyrion se souvenait de l’expression paniquée, mais quasi imperceptible, qu’il avait décelée dans les yeux des jumeaux, lorsqu’il leur avait expliqué que le petit Bran survivrait sans doute à ses blessures. Jaime et Cersei s’étaient alors enquis de son état de santé, et lorsque le nain avait évoqué la probable amnésie qui attendait le jeune Stark au réveil, cette lueur d’angoisse avait finalement disparu de leur regard. C’était comme s’ils avaient une quelconque responsabilité dans sa chute. Depuis deux jours, le nain tournait et retournait cette discussion dans sa tête. Mais ce n’était ni l’endroit, ni le moment de ressasser tout ceci. Il aurait tout le loisir d’y repenser tranquillement, une fois qu’il aurait entrepris la longue route qui le séparait du Mur.

« Je suis simplement venu vous dire au revoir. Je ne rentre pas avec vous dans le sud, comme cela était prévu. Je vais accompagner Jon Snow sur le chemin du Mur. » Le nain capta le regard de Myrcella, prenant tout à coup un ton plus solennel. Il avança lentement sa main en direction du visage de la princesse qu’il caressa affectueusement et reprit « Tommen et toi, vous allez beaucoup me manquer. » Bien évidemment, Tyrion n’avait aucune intention d’imiter Jon Snow et de devenir lui aussi un frère juré de la Garde de Nuit. Il voulait simplement satisfaire sa curiosité personnelle. Mais ça, il se garda bien d'en faire part à sa nièce. Il était d’humeur taquine, et il attendait maintenant de voir quelle serait sa réaction.