Au coin du feu

298 - Treizième lune - semaine 2 - jour 5
Réfectoire de Châteaunoir.

Le sol était recouvert d’un épais manteau blanc où la neige s’amoncelait depuis plusieurs heures. Le ciel était obscurci par les nuages qui l’occupait et par la nuit qui s’annonçait. Quelques flocons virevoltaient dans les airs sous l’influence du vent qui soufflait doucement. Le silence régnait dans cette zone de la forêt ; seuls s’entendaient les croutch, croutch des pas des patrouilleurs qui marchait dans cet endroit enneigé et aux allures mystérieuses. Emmitouflés dans leurs chauds vêtements noirs, les trois hommes avançaient rapidement. Le froid les saisissait et l’image de la chaleur du foyer les poussait à hâter la cadence. Leur mission de reconnaissance terminée, l’envie de rentrer au bercail se faisait de plus en plus forte. La seule idée de s’installer auprès du feu et de manger quelque chose de chaud les réjouissait.

Au loin se dressait le Mur, fière bâtisse de glace traversant les siècles. Leur domicile. Les trois patrouilleurs marchaient en sa direction, et Kohàn se trouvait à leur tête. Il avait été désigné pour diriger cette mission de reconnaissance et l’équipe des frères jurés avaient quadrillé tout le secteur qui lui avait été attribué, sans trouver quelque chose de bien inquiétant pour la Garde de Nuit. Les sauvageons se tenaient à l’écart ces temps-ci et cela était plutôt une bonne nouvelle. L’ordre n’était ainsi pas menacé mais cette absence pouvait amener plusieurs questions qui demeuraient actuellement sans réponse. Où était cette peuplade de l’Au-Delà du Mur ? Même en remuant dans tous les sens les éléments qu’il possédait, il ne parvenait pas à trouver cette raison. Que se passait-il donc au Nord, au-delà du manoir de Craster ? Et pourquoi certains fuyaient vers le Sud ? Des hypothèses se formaient bien dans son esprit mais certaines lui semblaient absurdes. Il songeait aussi aux dires du dernier déserteur en date, décapité par lord Eddard Stark – il avait oublié le nom de ce frère. Celui-ci avait prétendu voir les Autres, ce qui paressait invraisemblable. Cependant, depuis l’attaque du Viel Ours en pleine nuit par un frère décédé, tout portait à croire que les Marcheurs Blancs étaient de retour. Il n’avait pas assisté au combat, mais le récit du jeune Snow lui suffisait parfaitement. Serait-ce là la raison de la fuite des sauvageons ? Peut-être ; il soupira, exaspéré par l’incertitude qui régnait ces derniers temps. Il se doutait également que quelque chose se tramait chez le peuple libre car leur inactivité ne présageait rien de bon. Il souffla, et un petit nuage blanchâtre se forma devant sa bouche. Pourquoi les frères jurés et la peuplade nordique devaient-ils s’opposer ? Pourquoi tant de haine, alors qu’ils feraient mieux de s’allier pour lutter contre les Autres ? Tant de questions qui demeuraient en suspens mais il persévérait. Sa rencontre avec Luna prouvait qu’une entente était possible mais cela relevait de son rêve utopique. Qu’importe, son optimisme lui permettait de continuer.

Le tunnel creusait l’édifice de glace afin que les frères jurés puissent aller au nord de Mur. Dans la situation des trois hommes, c’était surtout l’accès au foyer et à la douce chaleur du feu dansant dans l’âtre. Ils allaient bientôt pouvoir se restaurer, se réchauffer et se reposer. Malheureusement, cela ne serait pas aussi rapide pour Kohàn, qui, en tant que chef de patrouille, se devait de faire un rapport de la situation observée dans leur secteur attribué. Cela n’était pas fastidieux mais la faim le tenaillait, si bien qu’il décida de remettre son devoir à plus tard. L’envie de manger était plus forte que tout. Les patrouilleurs parvinrent enfin au tunnel et prirent le monte-charge.

Châteaunoir. L’un des seuls endroits encore habités sur le Mur. Il s’agissait de leur demeure, de leur foyer. Sur leur vie ils avaient juré de le protéger. Le monte-charge arriva à destination et les trois hommes gagnèrent la place principale du fort. Ils échangèrent quelques mots puis se séparèrent. A présent, chacun allait vaquer à ses occupations en attendant la prochaine mission où ils se retrouveraient. Le concernant, Kohàn alla d’un pas rapide vers le mess, saluant du regard les quelques frères qu’il croisait. Jamais les effectifs de la Garde de Nuit n’avaient été aussi bas, et rares étaient les volontaires. Depuis quelques temps, seuls les criminels rejoignaient les rangs, préférant prendre le noir plutôt que de perdre un membre comme sentence à leur délit. Oh, il ne les critiquait pas, loin de lui cette idée ; il trouvait juste regrettable que les recrutements se fassent ainsi. Loin était la période où toutes les familles nobles envoyaient l’un de leurs fils rejoindre les rangs des Corbeaux. Seuls les Stark de Winterfell avaient conservé cette coutume. Kohàn eut un sourire intérieur puis entra dans le mess qui était presque désert. Il alla se servir son repas puis s’installa à une table proche de l'âtre du feu, en face d’un adolescent aux cheveux d’un brun sombre. D’un sourire amical, il lui lança une petite boutade :

abc« Alors Lord Snow, on s’accorde une petite pause ?

Les deux hommes se connaissaient depuis plusieurs mois désormais et une amitié s’était tissée entre eux deux. Kohàn le taquinait souvent avec quelques plaisanteries mais cela n’était jamais bien méchant.

De la neige à foison.

298 - Treizième lune - semaine 2 - jour 5
Réfectoire de Châteaunoir.

Le jeune intendant lui rendit sourire, puis secoua la tête d’un air faussement dépité avant de retrouver son ton enjoué.

abc- Juste un repas bien mérité, Kohàn. Je suppose que tu viens tout juste de rentrer de ta dernière patrouille, ta barbe est encore pleine de neige… Raconte-moi donc ce que tu as vu.

A ces mots, le patrouilleur passa sa main sa barbe afin d’en chasser la neige, puis la secoua pour enlever les perles d’eau de ses doigts. Il laissa un petit rire s’échapper de sa gorge puis réfléchit à la demande de son ami. Qu’avait-il vu ? Hum… comment pouvait-il répondre sans lui déclarer qu’il n’avait que de la neige et des arbres ? Ces derniers temps, il était bien rare de croiser le chemin des sauvageons : ces derniers semblaient avoir disparu du Nord. Il ne parvenait à imaginer quelle était la raison de cette absence qu’il qualifiait d’étrange. Il n’arrivait pas à trouver la cause de ce changement presque soudain. Il en redoutait cependant les conséquences. Peut-être que le peuple libre se rassemblait sous une seule bannière ? Bien que cela semblait ridicule et complètement absurde, il ne pouvait s’empêcher d’y songer : il s’agissait là d’une éventualité comme une autre, avec certes une probabilité moindre. Il ne devait pas omettre cette possibilité, sous aucun prétexte. Peut-être l’éliminerait-il plus tard, mais pour l’instant elle demeurait plausible.

Durant ses petites réflexions, il mangeait son plat pendant qu’il était encore chaud. Déjà que ce n’était pas fameux, il ne valait mieux pas le déguster froid. Cependant, la faim le tenaillait et cela faisait quelque temps qu’il ne faisait plus attention au goût. La Garde de Nuit ne manquait pas de nourriture, c’était là l’essentiel : les frères jurés allaient devoir faire avec.

abc- Ce que j’ai vu ? Hormis la neige tu veux dire ?

Il lui lança un nouveau sourire pour accompagner cette nouvelle boutade. Il aimait bien taquiner le jeune Snow, qu’importe la situation. C’était devenue une habitude au fil de leurs discussions et cela était toujours plus fort que lui, il ne pouvait s’en empêcher, parfois au grand dam de l’intendant. Celui-ci n’avait d’ailleurs pas une de chance lorsqu’il était devenu un frère juré à part entière : lui qui avait rêvé de marcher dans les pas de son oncle aujourd’hui disparu se retrouvait intendant du Lord Commandant. Cela était un poste honorifique et important mais le jeune n’avait guère été de cet avis-là lors de sa nomination. Il avait cependant bien fallu qu’il s’accommode à cette décision car elle était visiblement irréversible. Le patrouilleur trouvait cela dommage car l’adolescent était doué au combat et il aurait fallu tirer profit de ses capacités. Même si Kohàn prônait la paix et l’arrêt des conflits, il savait pertinemment que certains combats seraient inévitables. Peut-être aurait-il été plus efficace en patrouille mais peut-être le Viel Ours avait des projets ? Il ne pouvait le savoir.

Sans ton particulier, il finit par continuer après un laps de temps plutôt court.

abc- A vrai dire, il n’y avait rien de particulier dans le secteur qui nous a été demandé de quadriller. Même paysage et aucune rencontre avec le peuple libre. C’est assez calme ces derniers temps et c’est plutôt étrange je trouve. Ce n’est qu’une impression mais je pense qu’il faudrait surveiller l’évolution de cette « absence ».

Puis il termina son repas qui commençait déjà de refroidir.

Alliance.

298 - Treizième lune - semaine 2 - jour 5
Réfectoire de Châteaunoir.

Froid. Il avait trop attendu et la chaleur s’était totalement envolée de son plat. Il se força tout de même à finir de manger pour qu’il puisse récupérer des forces et ne pas s’effondrer sur le sol d’ici quelques heures. Il se retint de soupirer : même les repas qu’il prenait en mer avaient meilleur goût. Non, c’était bien l’une des rares choses auxquelles il ne parviendrait pas à s’habituer, malgré l’ensemble des années qu’il passerait sur le Mur. Mais s’il passait outre, son nouveau style de vie lui convenait parfaitement et il ne regrettait en rien son choix. Découvrir les terres enneigées du Nord était une expérience unique, et même davantage sous son statut de patrouilleur. Cela n‘était que son avis tiré de son expérience personnelle, mais il s’agissait là de son ressenti.

Dès qu’il eut finit de manger, le jeune Snow lui répondit à voix basse, comme s’il désirait que personne ne l’entende. Il évoquait Mance Rayder et son éventuelle armée de sauvageons qui se rassemblait sous une seule et même bannière. Bien qu’il considère cette hypothèse plausible – cela justifiait leur absence dans les zones de patrouille -, il avait dû mal à y croire. Cependant, cette unification lui faisait penser qu’une alliance entre la Garde de Nuit et le peuple libre était sûrement possible. Si eux parvenaient à s’entendre, alors pourquoi pas avec les corbeaux ? Hum… Malgré son optimisme, il demeurait dubitatif. Depuis plusieurs années ils étaient devenus ennemis, oubliant de cette manière la véritable cause contre laquelle ils luttaient, et faire oublier les rivalités du passé serait sans doute compliquée. Puis l’intendant ajouta quelques mots quant à la défense du Mur et les forces armées qui se tenaient dessus, ainsi que les actes des têtes pensantes accompagnant le Vieil Ours. Que de paroles bien pessimistes. Cependant, que pouvaient-ils bien y faire si le Lord Commandant n’agissait pas ? Tant que celui-ci ne donnerait aucune décision quant à la suite des évènements, ils demeureraient bloqués à Châteaunoir en attendant que les sauvageons viennent frapper à leur porte.

Comment agir ? Que devaient-ils faire ? Voilà les questions auxquelles se heurtait la Garde de Nuit. Kohàn avait bien une idée derrière la tête mais il doutait qu’elle fasse l’unanimité au sein de sa famille. Encore son rêve idéaliste qui avait de l’influence sur lui. Quand est-ce que la guerre cesserait-elle et que les divers peuples qui peuplaient Westeros – et Essos par la même occasion – s’entendraient, même de façon cordiale ? Il poussa un léger soupir. Il espérait voir cela arriver mais il doutait de sa réussite. Malgré tout, il continuerait de persévérer, même si cela serait en vain. Il continuerait d’espérer de voir son rêve un jour réalisé.

abc- Oui j’en ai entendu parler : c’est d’ailleurs assez inquiétant de voir qu’une armée se crée au nord et que nous n’agissons pas. On reste planté là, à ne rien faire. Il nous faut agir !

Il hésitait. Devait-il parler de son idée à son ami ? Sans doute. Il ne doutait pas que Jon le comprendrait – et peut-être le suivrait-il dans sa démarche. Son sourire avait été remplacé par une expression sérieuse, montrant qu’il ne plaisantait pas.

abc- Une alliance. Voilà ce que nous devons faire. Même si nous nous battons depuis plusieurs années contre les sauvageons, nous avons une menace commune : les Autres. Si nous nous allions et marchons ensemble, peuple libre et frères jurés, nous pourrons sans doute repousser cet ennemi commun. Nous devrions aller voir Mance pour créer cette alliance.

Il but un peu d’eau pour enlever le goût du ragoût qui lui était resté en bouche, et il ajouta.

abc- Je sais que ce n’est pas sans risque, nous ne sommes pas bien vus des sauvageons. Il nous faudra sans doute faire des concessions mais nous avons tout à y gagner.