Du haut de ses dix-sept ans, Talla, qui se serait bien passée de venir à ce tournoi, essayant de faire bonne figure aux côtés de son père et de tous ces nobles damoiseaux et damoiselles qui se faisaient la cour avec aisance. Mais ni son voile pudique ni son sourire crispé et son manque absolu de conversation du à son malaise au milieu de toute cette foule n’aurait pu charmer qui que ce soit, au grand damne de son père qui comptait bien sur l’évènement pour lui trouver un époux. Les joutes étaient une torture pour elle tant elle redoutait qu’un chevalier ou même un cheval soit blessé, les saltimbanques la faisait sursauter et dès qu’un jeune homme l’approchait, elle perdait tous ses moyens. Pourtant son père continuait, encore et jours à la trainer dans tous les tournois auxquels il participait pour lui trouver un époux alors qu’une invitation personnelle et un rendez-vous en tête à tête aurait été plus approprié au caractère discret et timide de la jeune femme. Elle faisait tout pour lui cacher sa peur et pour être digne de lui et de sa maison, mais dès qu’il le lui autorisait, ou en tout cas qu’elle en saisissait l’occasion, elle fuyait la foule pour des coins plus tranquilles un peu à l’écart des festivités et de la ville bondée.

Randyll festoyait devant sa tente avec les chevaliers qu’il connaissait et avait invité pour le déjeuner, certains d’entre eux seraient des bons partis pour la jeune femme qui logeait, avec les autres femmes de la maison, dans la tente d’à côté. Pour l’occasion, elle fut fagotée comme une chariote volée, une robe rouge très moulante voire serrée jusqu’à la taille dévoilant la naissance de sa poitrine et ses épaules dans laquelle elle pouvait à peine respirer. Elle se prit une gifle quand, trouvant sa tenue trop osée, elle eut l’audace de demander à son père de couvrir ses épaules avec un voile. Encore un affront de la part de cette mocheté dont personne ne voulait alors que Leyïa encore trop jeune pour envisager des fiançailles attirait déjà tous les regards. Il lui semblait que sa petite sainte ni touche de fille ainée cherchait les coups et les humiliations, ne méritant aucun égard, c’est pourquoi sa sécurité passait en dernier plan et qu’il laissait ses hommes se moquer d’elle et parier sur sa virginité. Talla accueillit les invités un à un aux côtés du Sire de Corcolline ainsi vêtue et trop maquillée à son gout avec des bijoux ostentatoires, ses longs cheveux réunis sur le haut de son crâne en un chignon complexe dont des longues mèches descendaient jusqu’à ses hanches. Elle eut plus l’impression de ressembler à une catin qu’à une jouvencelle, mais se plia aux courbettes et aux sourires figés d’usage du mieux qu’elle put. Mais dès que tous furent trop occupés à parler de leurs exploits, elle s’éclipsa pour aller lire au calme.

Talla trouva le lieu parfait et s’adossa à un arbre, lisant en silence jusqu’à ce que, relevant la tête un instant, elle aperçoive un homme se soulager à quelques mètres de là, chausses ouvertes et membre à l’air. Rouge comme une tomate, elle lâcha son livre et mit de longues secondes à reprendre son souffle. Ainsi, pendant que le pisseur s’excusait, elle se contenta de le regarder dans les yeux en ouvrant et en fermant la bouche sans qu’aucun mot n’en sorte, essayant à tout prix de ne pas baisser les yeux vers ce qu’elle venait d’apercevoir.

__ Par… ce… je... vous... je n’ai rien vu non plus ! »

MENSONGE ! Elle rougit de plus belle et se releva en hâte, époussetant sa robe et baissant la tête pour se perdre dans la contemplation du sol en oubliant de lui dire de se relever. Sous l’émotion et la honte, son cœur battait la chamade et elle eut besoin de respirer plus fort, mis sa robe l’en empêchait, c’est ainsi qu’elle perdit connaissance et s’affaissa sur le sol.

La véritable question était : qui des deux était le plus gêné ? Talla probablement qui voyait le loup pour la première fois dans des circonstances auxquelles elle ne s’attendait pas, de toute façon, Talla était toujours gênée, alors elle ne pouvait l’être que plus que les autres. Elle était gênée d’exister, gênée de ne pas être à la hauteur des attendes de son père, gênée de ne pas être parfaite, gênée de ne pas être jolie, gênée de ne pas s’intéresser à la broderie ou aux papillonnages de jeunes filles. En réalité, elle n’avait pas vu grand-chose, pas que Ruffus n’ait rien à montrer, elle ne se serait pas permise, mais elle avait tout de suite détourné les yeux et l’angle de vue ne lui aurait de toute façon pas permis d’étudier la question. Enfin, elle était désormais inconsciente. Foutue robe ! Cela ne lui ferait pas oublier le choc de cette vision. Mais tout inconsciente soit-elle, elle savait que le jeune homme n’y était pour rien et n’avait pas fait exprès d’être surpris pas une jouvencelle, pisser n’était pas un crime, quoi qu’on en dise. De plus, elle n’avait pas vraiment de raison de se trouver là, sans gardes qui plus est, elle avait pris la poudre d’escampette dans cette tenue absolument outrageante pour fuir un déjeuner auquel elle était sensée assister pour trouver un mari. Seulement faire semblant de s’amuser parmi les rustres et jouer de l’œil n’avait jamais été sa tasse de thé. Une bien mauvaise fille pour Randyll Tarly…

Heureusement, le garde-chasse eut le bon réflexe en libérant un peu la poitrine compressée de la grande brune, déjà immense pour son âge elle continuait à grandir et s’avérait plutôt charpentée, faite pour porter des enfants à n’en point douter. Une fois les lacets coupés et son corsage desserré, elle respira à nouveau presque normalement et retrouva peu à peu ses esprits. Les petits oiseaux, les arbres, tout lui rappelait sa douce mare près de Corcolline où elle aimait flâner, lire et où elle s’endormait parfois bercée par le soleil des versants nord des Montagnes Rouges. Alors quand elle ouvrit doucement les yeux, la vision encore engourdie par le sommeil, elle ne s’inquiéta pas tout de suite d’être allongée à même le sol sous les frondaisons. Puis elle se souvint qu’elle n’était pas à Corcolline près de la mare, mais à un tournoi, loin de chez elle. Elle se redressa alors brusquement et toussota en regardant autour d’elle. Elle aperçut Ruffus et remit rapidement ses idées en place, se souvenant du pourquoi du comment elle en était arrivée là. Elle le vit aussi, avec tristesse, souiller son livre avec son vin mais ne dit rien, ne voulant pas le gronder alors que c’était elle qui l’avait surpris et qu’il avait eu l’obligeance de ne pas abuser de la situation.

__Merci d’avoir veillé sur moi. » Dit-elle en se relevant tant bien que mal avec cette robe encombrante. « Gardez le si vous aimez lire… » ajouta-t-elle en montrant l’ouvrage par terre, se disant que ce serait une belle récompense et que de toute façon, elle ne pouvait rapporter chez elle un livre plein de vin.

En se demandant pourquoi elle respirait aussi bien, elle toucha ses lacets dans son dos et découvrit avec effroi qu’ils étaient sectionnés en partie. Elle écarquilla les yeux et couina :

__ Ma robe ! Elle est foutue ! Mon père va me tuer ! » Elle se mit à pleurer et implora Ruffus du regard.

Il avait surement voulut bien faire, et il n’avait pas eu tort, elle était trop serrée et il fallait au moins ça pour qu’elle puisse respirer et reprendre connaissance, mais cela ne passerait pas inaperçu lorsqu’elle rentrerait, comment pourrait-elle expliquer cela ? Il n’y avait qu’un moyen, que Ruffus vienne avec elle et qu’il dise la vérité, toute la vérité, mais si cela la sauverait-elle, Randyll pourrait aussi demander réparation au jeune roturier pour la robe et pour avoir osé toucher sa fille, même de loin. Elle ne pouvait pas accepter une telle chose, même si ce dernier avait mis du vin sur un livre. Ses sanglots se mêlaient à ses pensées pour trouver une bonne excuse à servir à son père, mais elle avait du mal à se concentrer, dépitée qu’elle était. Une pensée lui traversa la tête, grâce à cela, plus jamais elle ne porterait cette foutue robe, elle culpabilisa de penser une telle chose et pleura de plus belle, puis elle se rendit compte que c’était idiot car il suffirait de remplacer les lacets et cela n’arrangea rien.