Année 297, première lune, première semaine, jour 4

Comme toujours, malgré les protestations bruyantes de mon frère Olyvar, nous avions fait le trajet depuis Wyl à cheval. Cela rallongeait le voyage de près d'une dizaine de jours, certes, mais comme toujours Père avait été inflexible. Il détestait les bateaux. Vraiment. Profondément. Et il préférait largement passer une bonne semaine de plus en selle que d'être malade des Osseux a Lancehélion, tremblant comme une feuille et incapable d'avaler quoi que ce soit. Pour être honnête, je n'étais pas mieux.
Notre escorte avait donc sacrifié son confort au profit de notre dignité, et nous avions chevauché à travers le désert.
Ce n'était pas un voyage si difficile, dans le fond. Seule la petite semaine de chevauchée entre Ferboys et la Fléau était véritablement pénible, au milieu des dunes, sans route, avec rien pour nous guider que les astres. Il fallait s'arrêter trois heures, en milieu de journée, et dresser en hâte les tentes qui protégeraient un peu de la brûlure du soleil. A la tombée du soir, nous chevauchions encore quelques heures sous les étoiles, jusqu'à ce que le froid glacial qui étreint le désert durant la nuit ne devienne trop mordant.
Tout cela n'avait rien de bien nouveau pour moi, cependant : L'aversion de mon père pour la mer (un comble, d'ailleurs, car Wyl est bien un port) n'était pas neuve, la mienne non plus, et la plupart des voyages de mon enfance avaient été effectués de cette manière. J'aimais chevaucher, et ma monture ne craignait pas le climat de ma patrie.
Une fois rejointe la rivière, le voyage s'était fait plus plaisante, l'eau rafraîchissant agréablement l'air, les palmiers et les oliviers apportant une ombre bienvenue sous laquelle nous avancions rapidement.
Malgré tout, et même si je n'en aurais jamais soufflé mot à quiconque, j'étais moi aussi soulagée lorsque apparurent enfin au loin les murailles de la capitale.
Ma famille possède en ville un pied-à-terre modeste mais confortable, et nous nous installâmes avec soulagement dans la fraîcheur de ses murs épais. Je pris le temps de faire un brin de toilette, afin d'être un minimum présentable, puis je saluais mon père et marchait lestement jusqu'au Palais Vieux.
Arianne s'attendrait sans doute à ma visite : Après tout, mon père et moi passions chaque année les deux premières lunes à Lancehélion depuis toujours. Elle n'avait cependant aucun moyen de deviner le jour exact de ma venue, et a moins qu'elle n'ait posté des guetteurs, j'avais de bonnes chances de lui faire une surprise. La pensée me fit sourire.
La seule femme de mon age à résider au château de Wyl était la nouvelle épouse de mon père, et dire que nous ne nous entendions pas était un euphémisme. J'avais désespérément envie d'une compagnie féminine avec qui partager un peu de complicité. Chez moi, entourée de mon frère, de mon père et de ses hommes, j'étais l'héritière du seigneur, menant à présent les guerriers à ses cotés, sérieuse, rigoureuse, appliquée. Mes rares moments de féminité, de légèreté, je les partageais avec Arianne et ses cousines quand je venais a Lancehélion. Il me tardait de la voir.

C'est le coeur plein d'anticipation, souriant spontanément à ceux que je croisais, que je parcourus les couloirs et les escaliers du Palais Vieux, sans même réfléchir au chemin que je connaissais par cœur. Le château était immense, du moins par rapport a ce à quoi j'étais habituée, et je m'y étais perdue nombre de fois lorsque j'étais plus jeune, mais à présent ses dédales n'avaient plus aucun secret pour moi. Je marchais jusqu'à la porte des appartements de la princesse, saluait les gardes d'un hochement de tête courtois et frappais trois coups clairs.

La porte s'ouvrit, et histoire de la taquiner, je m'inclinais cérémonieusement avec un sourire au coin des lèvres.

« Princesse, mes hommages ».