An 299, Lune 1, Semaine 3, jour 3

La fenêtre à demi-ouverte laissait entrer dans la chambre une brise fraiche. Assise près d’une table de bois, une silhouette fine parée d’une robe de velours bleu canard venait de finir de poser sur le sommet de son crane la coiffe voilée assortie à sa tenue.
La jeune fille prit délicatement le collier de petites perles qui reposait dans le coffret et l’attacha autour de son cou. La parure des sa mère refleta un instant la lumière matinale du soleil timide qui filtrait au travers des vitraux de la chambre. Valena s’était toujours levée avec l’aurore, cette heure précoce n’était donc pas contraire à ses habitudes, à ceci près que cette nuit-là, elle n’avait presque pas dormi. Tout comme la veille et ce, malgré la fatigue. La Tyssier mettait cela sur son manque d’accoutumance aux voyages qui éprouvaient si facilement sa santé, mais aussi au fait de s’être retrouvée dans un univers totalement nouveau.

A vrai dire, cela faisait plusieurs semaines maintenant qu’elle avait l’impression de voir sa vie completement bousculée. La mort de sa mère l’avait énormément affectée, pour sur, mais le plus inquiétant pour elle était de voir à quel point sa vie jusque là plutôt tranquille et somme toute banale s'accélérait à une vitesse effrayante. Son père, plus froid que jamais, qui souhaite tout d’un coup la voir mariée, puis ce voyage aussi long que rude...Par les Sept, elle espérait que ces mouvements soudains dans sa famille ne présageaient rien de mauvais.

Sa main s’éleva doucement jusqu’à toucher sa tempe douloureuse. Elle ferma un moment les yeux alors qu’elle la frottait doucement. Le long voyage qu’il lui avait fallu faire depuis Froide-Douve ne l’avait pas épargnée, et une migraine atroce en était née; une migraine qui s’accrochait à elle avec une persévérance qui la fatiguait d’autant plus.
Malgré tout, elle s’était forcée à se lever ce jour-là, car elle en avait assez de passer ses journées alitée et que l’impatience de visiter le Donjon Rouge la tenaillait. Son frère lui avait d’ailleurs promis de visiter avec elle les lieux les plus importants du bâtiment, ce qu’elle ne souhaitait pas retarder encore et encore. Le Septuaire de Baelor serait néanmoins son objectif principal. Elle souhaitait en effet y prier, et y rencontrer des Septons avec qui elle aimerait discuter, voire débattre. Car malgré sa fragilité physique, l’esprit de Valena était aussi vivace que piquant et elle ne se sentait jamais mieux qu’en se plongeant dans des discussions infinies - à condition qu’elles ne soient pas toujours basées sur des sujets futiles, car la religion et la politique la passionnaient aussi.

Elle quitta donc son miroir pour s’approcher de la fenètre. La chambre qu’on lui avait attribuée n’était pas la mieux placée du domaine, aussi elle ne pouvait voir depuis ce perchoir qu’un autre pan de batiment de briques rouges. Il lui fallait véritablement se penchait par dessus la balustrade pour ne serait-ce qu’apercevoir la mer dont les sons remontaient pourtant si facilement jusqu’à sa chambre. Mais, même si elle mourrait d’envie de pouvoir mieux contempler l’etendue d’eau, elle avait d’autres projets pour la journée à venir.

La brune s’éloigna de l’ouverture pour traverser la petite pièce.
Malgré sa détermination, elle ne put s’empecher de s’arreter sur le pas de la porte, prise d’une hésitation pleine d’appréhension. Ses grands yeux bruns fixèrent un instant la porte, troublés, avant de retrouver un éclat plus joyeux à la pensée qu’Owen l’attendait quelque part dans le château. Ce fut à deux mains qu’elle se saisit de la poignée pour ouvrir la porte et qu’elle s’engouffra dans le couloir dans une froissement de jupons, le sourire aux lèvres. Là, juste de l’autre côté, elle tomba sur deux hommes que son frère avait chargé de sa surveillance. Elle leur adressa un léger “Bonjour messieurs”, quelque peu timide. Il fallait dire que ses deux gardiens avaient une toute autre allure que la septa qui l’avait accompagnée jusque là, et que leur carrure ajoutée à leur air malcommode n’inspirait pas vraiment confiance à la jeune fille. Lorsqu’elle se mit en marche, aussitôt suivie par les deux soldats, elle tenta de rester digne et de marcher le plus lentement possible. Cela lui était très difficile, car la sensation d’être suivie par ces deux hommes la rendait nerveuse sans qu’elle n’y put rien. Alors qu’elle descendait les étages accompagnée de son escorte, elle baissa soudainement la tête et ferma les yeux un instant, soudainement énervée contre elle même. Elle se mordit les lèvres et ses joues pâles rosirent; son poing se ferma. Elle avait oublié son livre sur son lit et s’en voulait car elle imaginait déjà ne pas trouver son frère au point de rendez-vous et devoir attendre sans rien faire, les bras ballants, comme une cruche, alors qu’elle aurait put se réfugier derrière les pages du roman. Une angoisse bien futile pour une jeune demoiselle venue à Port Réal pour rencontrer le beau monde. Evidemment qu’elle souhaitait faire la connaissance de nouvelles personnes, d’ailleurs elle n’avait pas de base un naturel timide, bien au contraire, mais elle ne se sentait pas encore à l’aise dans cette ville si différente de celles qu’elle avait connue jusqu’à présent dans le Bief. Aussi, chemin faisant, elle se contentait d’incliner poliment la tête devant les nobles qu’elle croisait et qui la saluaient, se faisant la plus discrète possible. Peu à peu ses pas la conduisirent jusqu’à l’entrée du Donjon Rouge. Son teint se fit encore plus pâle qu’à l’ordinaire alors qu’il lui semblait arriver dans un endroit totalement inconnu ( ce qui n’etait, pour tout dire, pas tout à fait faux ).Comme elle le craignait, son frère était en retard. Et cette grande allée qui menait tout droit au Septuaire, encore vide des nombreux promeneurs qui viendraient bientôt la parcourir, dans sa solitude lui semblait si longue qu’elle craignait de ne jamais arriver à l’autre bout toute seule.
Si elle garda une contenance pleine de noblesse, on pouvait déceler dans son regard l’éclat nerveux qui signifiait qu’elle pestait interieurement de tous les jurons qu’elle connaissait contre le sacripant qui lui servait de fratrie. En retard. Cela était normal ceci dit, pensa-t-elle. Lui, ne devait pas avoir perdu de temps pour se faire des amis, ou des ennemis, aussi ces derniers devaient l’accaparer quelque peu. Entre ses doigts fins, elle tortillait un ruban qui parait l’un de ses manches, melant dans ce geste l’inquiétude et la promesse rageuse de faire payer son attente à ce gredin d’Owen.