Luevan fronce les sourcils avec un "ts !" dédaigneux.

"Balivernes. Les Autres n'ont pas les yeux blancs, mais d'un bleu luminescent, tout le monde sait ça."

Elle pose son coude sur la table et son menton dans sa main, regardant le vide d'un air contrarié.

"Un peu comme ceux de Luna, à ce qu'on dit. Vous avez remarqué ses yeux, peut-être ? Ça m'en coûte de l'admettre, mais il y a des imbéciles superstitieux aussi, de notre côté du Mur. Ils prétendent que Luna appartient aux Marcheurs Blancs et qu'ils reviendront la chercher un jour. Que la couleur de ses yeux en est le signe."

D'un geste agacé de la main, elle évacue le sujet.

"Je suis quasiment une des seules à oser l'approcher. Parce que nous avons peur des Marcheurs Blancs... et à raison, je crois. L'hiver vient, comme diraient vos Stark. Le plus terrible hiver depuis la Longue Nuit. Et vous savez ce que dit la légende à propos de la Longue Nuit, n'est-ce pas ?"

Elle change de position pour fixer Ades dans les yeux, tâchant de lui communiquer son sentiment de danger.

"Vous avez dit que vous aviez besoin de savoir certaines choses pour affronter l'hiver... Mais vous considérez les Autres comme des créatures imaginaires. Que craignez-vous, alors ? Que le Peuple Libre tout entier déferle sur le Mur et envahisse les Sept Couronnes ?"

Elle va pour continuer, puis change d'avis, sans doute dangereusement près de révéler quelque chose sur les plans de Mance Rayder.

"Le Peuple Libre est une bien faible menace pour vous, comparé aux Autres. Et les Autres existent. Les sorcières prédisent leur retour depuis des années. Il y a trop de récits alarmants, trop de villages dont tous les habitants se volatilisent en une nuit."

Elle avale péniblement sa salive et ajoute :

"Ils se sont réveillés."

Un sourire échappa au jeune homme en entendant Luevan rabrouer les superstitions des Nordiens, elle avait sans aucun doute raison, et la plupart des Nordiens le savait aussi. Néanmoins, son œil blanc soulevait toujours des questions, où qu'il aille, et beaucoup lui avait apposé cette légende pour se moquer. Ades aimait à croire que c'était aussi parce qu'ils le craignaient pour certains, à juste titre ; le jeune Overton avait des projets pour sa famille qui ne souffriraient pas de rester enclaver dans les mêmes principes que depuis les derniers siècles. Si pour redevenir la grande famille qu'ils avaient été, les Overton devait faire perdre un peu de prestige à quelqu'un d'autre, alors il en serait ainsi, et ce serait dommage pour les perdants.

Écoutant d'une oreille distraite les propos sur l'autre sauvageonne, Luna, Ades n'osa pas y répondre. A vrai dire, il n'aurait sut quoi répondre, il existait des imbéciles superstitieux partout, il fallait vivre avec. Il ne comprenait pas bien comment une enfant aurait put être au Marcheur Blanc mais se promit de poser la question plus tard. Lui-même était considéré par beaucoup comme quelqu'un qui aurait dû mourir. Dans une autre famille, il aurait été abandonné à la naissance, trop faible. Mais pas chez les Overton, il s'était accroché, et à présent, une bonne partie du domaine considérait cela comme un bienfait. Cela n'empêchait pas qu'il resterait un gamin avec un œil et une patte en moins, le genre qu'on abandonne dans la forêt dès qu'il devient une bouche en trop à nourrir.

Les questions finales le firent sourire de nouveau, et le tirèrent de sa rêverie. Il se pencha doucement vers la jeune sauvageonne.

« J'ai dit que les gens les considéraient comme des êtres de légendes, je n'ai pas dit ce que je pensais moi. »

A vrai dire, elle venait justement de lui confirmer ce qu'il pensait, et c'était très préoccupant. Le jeune homme fronça les sourcils en se renfonçant doucement dans son siège, il semblait à présent voir au-delà de Luevan.

« On ne peut pas simplement dire que quelque chose est une légende parce que personne n'en a jamais vu. Un jour, les mestres prétendront que les dragons n'ont jamais existé, comme les Marcheurs. Mais les récits … Sont trop clairs, ils sont effrayés. »

Il poussa un soupir, son regard vairon trouvant de nouveau celui de Luevan.

« Nous venons de vivre l'été le plus long de mémoire d'homme. Et à un long été, suit un hiver plus long encore. La Longue Nuit … c'est bien possible qu'elle approche. »

Des Direwolf au Sud du Mur, dans la maison Stark. Des déserteurs de la garde de nuit qui raconte des monstruosités, et maintenant des villages de sauvageons qui disparaissent en une nuit. Et si les Marcheurs Blancs était déjà là ? Un frisson parcourut lentement le dos du jeune homme, il avait été abreuvé toute son enfance de légende à leur sujet, il savait à quoi s'en tenir. Il connaissait les histoires. Il savait ce qu'il adviendrait si la Nuit arrivait réellement. Et il avait bien peur que Fort-de-Glace ne soit jamais prêt pour ça.

« Si l'Hiver vient vraiment, nous devons faire au plus vite. Commencez, dites tout ce qui vous semble important. »

Posant sa plume sur la papier, il se tourna à demi vers elle, attendant doucement.

La sauvageonne prend une grande inspiration et son regard se fixe sur un point en l'air, tandis qu'elle rassemble ses souvenirs.

"Tout d'abord, il faut que je vous dise que je n'en ai jamais rencontré, que je n'ai jamais parlé à quelqu'un qui les aurait vus, et que tout ce que je sais vient de la tradition. Ou presque.

Mon frère est monté voir un des villages en question et il m'a raconté. C'est loin dans le Nord, chez les Thenns. Une dizaine de maisons autour d'une salle commune, le village libre typique. Il y avait des traces de lutte et du sang dans la neige, mais aucun cadavre, aucun blessé. Les chevaux et le bétail, introuvables aussi. On dit que les êtres vivants tués par les Marcheurs Blancs deviennent des Autres à leur tour, et franchement, je n'arrive pas à trouver une autre explication.

Bon. Le plus important, je suppose, c'est leurs points faibles. Les armes classiques ne font rien aux Marcheurs, à ce qu'on dit, mais ils sont vulnérables au verredragon. C'est pour ça que je tiens beaucoup à mon poignard d'obsidienne. D'ailleurs, c'est une sorcière qui me l'a donné pour que je puisse me défendre contre les Autres. Elle en a fait autant avec tous les jeunes du clan.

Ils n'aiment pas le feu non plus. Il faut brûler les morts pour éviter qu'ils ne se relèvent. Le Peuple Libre incinère ses défunts depuis toujours, j'imagine que c'est lié."

Luevan reste ensuite silencieuse un moment, cherchant ce qu'elle aurait pu oublier.

"On dit que leur approche se signale par un froid intense, et qu'ils ne laissent pas de trace dans la neige."

Elle regarde Ades avec un léger sourire un peu forcé.

"Si vous avez des questions, je peux essayer d'y répondre."

A l'instant même où la sauvageonne a pris son élan pour commencer à parler, la plume s'est mise à danser sur le parchemin. Le jeune homme écoute attentivement les informations données par sa prisonnière, prenant des notes sans même la quitter des yeux. Il semble prendre au sérieux ce qu'elle dit, même si beaucoup dans le Nord comme dans le Sud qualifieraient ça d'élucubrations de dingues. Il acquiesce de temps en temps, sa plume continuant de tracer de belles lettres, précises et grandes. Parfois, c'est une phrase entière, tout simplement couché par écrit, parfois, c'est un mot ou une expression employé par la jeune femme. Mais rien n'est oublié, tout est inscrit sur la feuille de papier, dans un désordre notoire, quoique le jeune homme semble avoir organisé cela exactement comme il le voulait.

Lorsqu'elle termine, Ades est en train de replonger la plume dans l'encre, il prend donc le temps de tracer quelques mots de plus, soignant particulièrement le terme « brûler ». Grand bien lui en prend car elle reprends quelques secondes plus tard, le jeune Overton s'empresse donc de rajouter une petite ligne. Ce n'est qu'à ce moment qu'il détourne le regard de la jeune femme et observe un moment ce qu'il vient de tracer à l'encre noir. Tout lui semble clair, il n'aura plus qu'à organiser tout ça quand il en saura plus. Satisfait, il se retourne paisiblement vers son invitée.

« Des questions ? Oui … Tu dis qu'on t'a donné le poignard pour t'en protéger, y a-t-il eu d'autres … initiatives dans ce genre-là dernièrement ? »

Un nom s'est déjà imposé dans l'esprit d'Ades Overton ; Mance Rayder. Si ces légendes étaient vraies, et si l'hiver approchait, alors peut-être que le Roi d'Au-delà du Mur le sait aussi, et s'il cherche à s'en protéger … La peur conduit parfois à faire plus de bêtises que la colère. Pour l'heure, le nouveau Roi sauvageon s'était montré plutôt calme selon la Garde mais cela pouvait tout aussi bien dire qu'il préparait quelque chose. Et si c'était bien le cas … quelles étaient les chances que cela concerne les Marcheurs Blancs ?

« Je veux dire … êtes vous beaucoup à craindre leur retour ? A le craindre vraiment, j'entends. »

Dans le Nord, il sait que personne, ou presque, ne croire un seul instant à pareilles inepties. Actuellement, les gens ont d'autres sujets de préoccupations, même lui est très occupé avec ses différents projets pour le domaine Overton. On ne commencera à réagir qu'à l'approche de l'hiver, quand il sera trop tard.

La jeune femme devient écarlate, sans qu'un muscle de son visage ne bouge.

"Oui. Il y en a eu. Mais je ne vous en dirai rien car mon serment ne va pas jusque-là."

Très consciente d'en avoir révélé beaucoup plus par ce refus de parler que par une confession complète, la jeune femme pousse un soupir désabusé. Puis, brusquement, elle semble se décider et ajoute sur un ton pressant :

"C'est une question de survie pour le Peuple Libre. Je vous en prie, si vous avez une once d'influence... Nous ne sommes pas si nombreux que ça... Je suis sûre que nous ne remplirions même pas les zones désertées du Don. Entre les Marcheurs et nous, il n'y a rien. Vous ne devez pas nous en vouloir d'essayer de mettre le Mur entre eux et nous."

Accablée, elle noue ses mains entre ses genoux et les fixe.

"Si j'osais... Je vous demanderais de mettre ma famille à l'abri. Ma mère n'est pas une guerrière, et ma sœur est toute jeune. Mon père et mon frère souhaiteront sans doute être en première ligne... Grand bien leur fasse, ils sont libres et je les rejoindrai probablement... Mais nos combattants ont la fâcheuse habitude de trimbaler leur foyer avec eux, tente, mobilier, conjoint et marmaille compris. Non seulement ça les rend vulnérables, mais ça expose les faibles parmi nous."

Brusquement elle s'interrompt et reprend, avec un sourire en coin :

"Surtout, ne dites jamais à ma petite sœur que je l'ai traitée de faible."

Son visage immédiatement redevenu aussi sérieux que celui du Grand Septon en pleine cérémonie, elle enchaîne :

"Vous demandez si nous sommes nombreux à craindre leur retour. Oui, nous sommes nombreux, au point que les sceptiques font figure d'exception."

Elle relève vers le Sudien - Nordiste pour tous les autres - un regard implorant.

"Qu'exigez-vous en échange de l'hospitalité, Ser Overton ?"

Au début, le jeune homme avait sourit : sa supposition s'était avérée juste, même si Luevan refusait de le confirmer, cela voulait absolument tout dire. Ainsi, Mance Rayder y croyait … et il comptait passer de l'autre côté du Mur. Ades ne pouvait pas savoir comment il compterait s'y prendre mais cela risquait d'être dangereux, selon la méthode du déserteur. Bien sûr, il ne pouvait pas demander plus de détails à la jeune femme, elle en avait déjà beaucoup trop dit et s'en était rendu compte. S'il insistait, elle se fermerait à coup sûr, et il avait promis de ne rien demander sur Rayder et sa bande. Le jeune homme resta donc aussi sage que possible pendant qu'elle déballait le reste.

Jamais il n'aurait imaginé que ce soit à ce point là. La jeune femme semblait sincèrement terrifiée, suffisamment pour demander asile à un homme du « Sud ». Et étant donné ce qu'il savait des sauvageons, et ce qu'il commençait à connaître d'elle, c'était très loin d'être anodin. Il se passait véritablement quelque chose, à présent c'était certain. Marcheur Blanc ou pas, les sauvageons étaient repoussés par quelque chose, quelque chose d'assez dangereux pour les convaincre de marcher vers le Mur. Et s'ils tentaient de le passer en masse … ce serait un massacre, des deux côtés à la fois. Et ça rendrait le trajet plus facile pour les Marcheurs.

Il fallait faire quelque chose, il n'y avait aucun doute là-dessus, mais quoi ? On ne pouvait pas offrir des terres au Peuple Libre, le Don était à la garde, ce serait à la Garde de décider quoi en faire. Le jeune homme poussa un long soupir, réfléchissant lentement. Il avait hébergé une sauvageonne … pourquoi pas plus ? Finalement, il releva ses yeux vairons vers elle, des yeux tristes.

« Je voudrais pouvoir vous aider, vraiment. Malheureusement, je crains de ne pas avoir assez d'influence pour ça. Je ne rien faire pour le Don. »

Il faisait tournoyer nerveusement la plume entre ses doigts, pesant et mesurant l'idée qui lui était venue, ça semblait fou mais ...

« Nous avons … De la place, le domaine Overton n'est pas très vaste, mais il y a pas mal de terres vierges. Aptes à la culture, et nos forêts peuvent servir au gibier. »

Sa dernière phrase, et son dernier regard, achèvent de convaincre le jeune homme qui cède enfin, mais s'empresse d'ajouter des conditions.

« Si nous les amenions jusqu'ici, ils seraient sous la responsabilité et la protection des Overtons … Mais il leur faudrait alors se plier aux règles qui régissent ces terres. Je sais que vous nous appelez les agenouillés, mais on ne peut vivre en communauté si on ne respecte pas les même règles, et vous le savez. … Si mon père est dans un bon jour, il ne demandera rien de plus qu'un serment devant un barral, alors vous aurez des terres, pour les cultiver, ou une parcelle de forêt pour chasser, ou même des terres près de la côte. Ou au village, nous avons quelques maisons libres, et des vieillards qui accepteraient de la compagnie, fut-elle Libre. Mais on ne peut vivre sur les terres d'un Lord sans respecter sa loi. »

Sur ce point, Ades était très clair, mais son regard voulait que Luevan accepte.

« Bien évidemment, il n'y aura pas de la place pour tous. »

Cela, manifestement, il le déplorait.

Luevan scrute de toute son attention le visage du jeune seigneur, un peu comme s'il en allait de la vie de ses proches. Oh, mais, en fait... C'est le cas.

"Qui peut décider pour le Don ?" l'interrompt-elle bientôt, guidée par l'urgence et non dans le but de provoquer. "La Garde de Nuit ? Le Roi ?"

Elle rassemble ses souvenirs un instant.

"Le Don est à la Garde de Nuit par la faveur d'une souveraine des Sept Couronnes, je crois.
Je pourrais rencontrer le Roi. Mance Rayder est un orateur hors pair, mais Robert n'a jamais voulu, ne serait-ce que recevoir une délégation. Si vous m'emmeniez dans vos bagages... Comme garde du corps, comme captive ou comme petit biscuit, peu importe... Je pourrais plaider la cause de mon peuple."

Un sourire incrédule se dessine sur ses lèvres.

"Je ne sais même pas comment j'ose penser à des choses pareilles alors que je ne suis que votre humble prisonnière, messire."

Elle lance un regard innocent vers le plafond.

"Peut-être parce qu'à nous deux, nous pourrions éviter des milliers de morts ? Des centaines de milliers, si ça se trouve."

Puis, plantant son regard résolu dans les yeux vairons :

"Nous ne sommes pas des agriculteurs très doués, tout simplement parce qu'il n'y a pas grand-chose qui pousse, au-delà du Mur. Mais nous sommes de très bons chasseurs. Et puis nous pouvons apprendre.

Il y en aura pour dire que le Don, et toutes les terres au-delà, seraient mieux conquises par la force, et que la force nous permettrait de préserver nos coutumes. Je dis que nous avons un besoin vital de nous allier contre l'ennemi commun. Vous, les Andals, et nous, les Premiers Hommes."

Après cette simplification historique fulgurante, elle se lève et va regarder par la fenêtre.

"Dans mon village, il y a huit maisons. Pas les Maisons avec blasons qui ont tant d'importance aux yeux des Sudiens. Juste de belles bicoques rondes, en pierre. Environ quarante personnes, hommes, femmes, enfants, vieillards. Sur ces quarante personnes, il est très probable qu'au moins quinze refuseront d'abandonner le Nord, de se plier à quelque règle que ce soit, et ne me suivront pas vers vos estivales contrées."

Elle se tourne vers le jeune Overton et sourit légèrement.

"Je crois que j'aurai besoin d'une conversation sous le barral. Avec votre père, tant qu'on y est."

A en juger par son expression, la jeune sauvageonne n'est plus en train de supplier pour la sauvegarde de son hameau. Dans son esprit, les habitants de son village seront de précieux atouts pour qui voudra les accueillir. Qu'elle ait raison ou non, son léger sourire indique une confiance inébranlable.

« Oui, c'est la Garde de Nuit qui gère le Don, quoique je suppose que le Roi pourrait sans doute en décider autrement, mais rien n'est moins sûr. »

Il ne comprend pas exactement où elle veut en venir, jusqu'à ce qu'elle évoque directement Robert, et l'idée de venir avec lui. Elle n'aurait pas pu parler de cela à meilleure moment : le jeune homme devrait bientôt partir pour Port-Réal justement, mais pas vraiment pour rencontrer le Roi. Il a un petit sourire désolé, tâchant d'expliquer la situation aussi doucement que possible.

« Eh bien … Nous pourrions essayer. J'ai déjà un garde du corps cependant, et un captif attire trop l'attention. Un … Petit biscuit ? * il l'observe un moment sans comprendre, puis finit par rosir * Pourquoi pas une simple servante ? Simplement pour le voyage … Il se trouve que je prévoyais d'y aller. »

Il lève aussitôt la main, intimant à la jeune femme de ne pas se précipiter. La Cour n'est pas un endroit très accessible, même pour lui, alors pour une sauvageonne.

« Je ne sais pas encore qui j'emmènerais. Et rien ne dit que Robert Barathéon t'écoutera, cela risque même d'être dangereux si l'audience est publique. »

Le jeune homme semble en pleine réflexion, se mordillant la lèvre inférieure, les yeux dans le vague. Oui, ils pourraient sauver des milliers de gens, mais ils pourraient tout aussi passer pour des imbéciles aux yeux de tout le Royaume. Mais puisque tout semble vrai … Et puis, un Seigneur n'est riche que grâce à ceux qui vivent sur ses terres, et les terres Overton ne demandent qu'à être pourvues. Ce pourrait être une excellente idée, il faudra la présenter correctement à son père, mais il ne doute pas d'y arriver.

« J'aurais la conversation avec mon père en premier, il ne verra pas forcément les choses aussi bien que moi ... »

Ades inspecte un moment la sauvageonne, elle semble sincère, vraiment. Mais le seront-ils tous, a priori, il aurait dit oui, dans de telles circonstances, mais qui d'autre le croirait parfaitement ?

« Comprend bien une chose : les Nordiens se méfient du Peuple Libre, même si nous sommes sensés avoir du sang en commun, personne ne tolérera la moindre incartade si vous devez venir jusqu'ici. Je sais que vous n'aimez pas ça, mais il faudra respecter les lois, respecter mon père et son autorité. »

Il ne devrait pas avoir de mal à convaincre son père que demander aux sauvageons de s'agenouiller serait une mauvaise idée, un serment serait donc le minimum vital. 25 sauvageons, ce n'est pas grand chose, et c'est pratique pour un test avant de passer à quelque chose de plus grande envergure. Cela pourrait bien marcher.

Aussi vite qu'elle s'est emballée, la jeune femme est soudain saisie d'un complet découragement et retourne s'affaler sur sa chaise, image même de l'abattement.

"Non, c'est une idée complètement stupide. Qui suis-je pour parler au Roi au nom du Peuple Libre, de toute façon ? Seul Mance Rayder pourrait, à la rigueur. Et puis, l'inimitié est trop ancienne. Et puis, je n'ai aucune preuve de la menace."

Haussant les épaules, elle reprend du poil de la bête en s'avisant que pour les habitants de son village, rien n'est perdu. Mais les mises en garde d'Ades amènent une grimace sur ses traits.

"Ça ne va pas être facile. Personnellement, je préfère ma liberté. Mais des gens comme ma mère... Et tous ceux qui ont de jeunes enfants... Ils feront sans doute passer la sécurité en premier. Et les autres seront rassurés sur le sort de leurs proches, donc beaucoup plus efficaces contre les Marcheurs. Je crois que je peux les convaincre."

Elle lève des yeux brillants d'espièglerie.

"Si de votre côté vous arrivez à convaincre votre père. Et si vous me laissez repartir un jour, bien sûr."

Elle retourne s'accouder à la fenêtre, sans doute pour que son visage trop expressif ne soit pas visible.

"En tout cas... Merci. Merci beaucoup."

Après un moment de silence qu'elle occupe à observer les recrues en contrebas, elle ajoute sur un ton beaucoup plus léger :

"Je suppose qu'il est hors de question que je m'entraîne là en bas ? Même avec une épée en bois ou des flèches sans pointe ?"

Le jeune homme a pendant un instant un air désemparé, qui rappelle qu'il a bel et bien dix-neuf ans et qu'il n'est pas encore le Lord plein d'expérience qu'il souhaiterait donner l'impression d'être. Heureusement, l'instant passa rapidement et il reprit un air tout ce qu'il y avait de plus calme, s'avançant un peu vers la sauvageonne. Il prit une voix douce, ne voulant pas enfoncer un peu plus le clou. Elle avait pris conscience de l'impossibilité de ce qu'elle envisageait, mais Ades n'était pas si certain que ce soit inutile. Il ne pouvait évidemment pas la présenter comme ça à la Cour, en demandant de l'aide pour les sauvageons, mais il pourrait faire courir le bruit que les choses allaient empirer dans le Nord, et que peut-être la Garde aurait besoin de renforts. Il était fort peu probable que cela vienne jusqu'au Roi, et que Barathéon réagisse, mais il fallait tenter. Toutefois, ce plan risquait de ne pas plaire à Luevan, il prit donc garde à ne pas trop lui en dire.

« Ce n'est pas si fou. Vous pourriez venir avec moi à Port-Réal, je tenterais de faire passer à des gens … importants, qu'il se passe des choses dans le Nord. Ce ne sera pas aussi direct, mais ça pourrait bien marcher, avec le temps. »

Bien sûr, l'idée reposait sur le fait qu'ils aient du temps devant eux, or ce n'était pas du tout sûr. Il ne précisa toutefois pas cette pensée à voix haute, la jeune femme le savait bien de toute façon. Au lieu de cela, il enchaîna sur le sujet de son village, cela semblait la revigorer un peu. Bien sûr, il ne comprenait pas comment les sauvageons pouvaient s'accrocher aussi fort à leur concept de liberté, comme s'il n'avait aucun chef chez eux. Enfin, il n'allait pas entrer dans ce genre de débat avec elle, surtout que cela finirait probablement par tourner en rond très vite.

« Cela ne peut être que provisoire, si cette situation ne vous convient plus une fois la crise passée, ils pourront aller où ils l'entendent. »

Ce qui sous-entendait nulle part ; a priori personne ne voudrait de sauvageon sur leurs terres. Quoique, personne ne pouvait savoir ce qu'il adviendrait après cette crise, si l'on y survivait. Le fait d'en parler comme si ce serait fatalement le cas semblait rassuré beaucoup le jeune homme, il espérait que cela marche aussi avec Luevan. Avec un petit sourire en constatant son amusement, le jeune Overton prit un air outré, redressant le menton.

« J'ai promis que je vous libérerais, je le ferais, voyons. »

Et il conclut sur un petit rire. Elle le remercia ensuite, ce à quoi il ne répondit que par un hochement de tête, puis elle se mit à regarder au-dehors. Il n'avait pas besoin de se lever pour deviner ce qu'elle observait, d'autant qu'elle posa la question juste après.

« Je crains que non, du moins pas tout de suite. Votre arrivée est encore un peu récente, cela risquerait d'attirer l'attention. »

Et Vasgard n'accepterait jamais. Il n'aimait pas la jeune sauvageonne depuis l'instant où ils avaient décidés de l'emmener, et ne se gênait jamais pour le montrer. Ades n'arrivait jamais à déterminer si le garde du corps était simplement trop rigide ou s'il n'avait pas du tout aimé l'idée qu'elle le menace à coup de flèche. Il se gardait toutefois bien de le lui demander.

« Ce n'est pas si fou. Vous pourriez venir avec moi à Port-Réal, je tenterais de faire passer à des gens … importants, qu'il se passe des choses dans le Nord. Ce ne sera pas aussi direct, mais ça pourrait bien marcher, avec le temps. »

Venir avec moi à Port-Réal... La sauvageonne en reste un moment perdue dans un songe. Port-Réal. Elle a beau savoir que la ville existe, ce nom ne lui évoque qu'un lieu légendaire, invraisemblablement chaud, peuplé de courtisans et nobles dames qui se contentent d'arpenter les dallages en conversant à voix basse et en arborant leurs somptueux vêtements, dominés par la masse du Donjon Rouge qu'elle imagine aussi haut que le Mur.

Avec un soupir, elle réalise qu'elle aimerait beaucoup voir Port-Réal. Non pour y plaider la cause de son peuple, mais pour son propre plaisir. Elle examine un moment cet appétit de découverte et de voyages qu'elle ignorait abriter en elle, en prend acte et le repose dans un coin pour l'examiner à loisir plus tard. Ce n'est pas du tout le moment de songer à faire du tourisme, du reste.

Elle se reconcentre sur la conversation et balaie le refus d'Ades d'un geste distrait.

« Évidemment. Je disais ça comme ça. »

Non qu'elle ait envisagé de s'entraîner en compagnie des troufions de la garde, d'ailleurs. Encore moins sous les ordres du demi-géant. Mais le peu qu'elle sait du statut des femmes dans le Sud, ajouté à l'aversion générale pour le Peuple Libre, la rend pleinement consciente que personne ici n'a envie de la voir avec une arme à la main, fût-elle factice. Sans doute même pas Ades, pourtant plus ouvert d'esprit que les autres.

Elle fixe son regard gris sur le jeune homme et lui adresse un sourire triste.

« J'ai le sentiment que nous allons manquer de temps. Si je m'écoutais, je forcerais mon passage hors de ce château et je foncerais ventre à terre jusqu'à mon village pour ramener ici toutes nos mauviettes.

Je... J'imagine que ce n'est pas envisageable ? De faire cela au plus tôt, je veux dire. Nous pourrions tous devenir votre source d'information. Je promettrai sous le barral de revenir, évidemment. Du reste, c'est dans mon intérêt. »

Elle reprend de l'énergie sous le coup d'une idée soudaine.

« Je pourrais peut-être en profiter pour aller parler à Mance Rayder. Bien sûr, ça rallongerait mon voyage d'au moins une semaine, mais... Je suis sûre que lui aussi préfère un accord avec le Sud à un massacre. »

Puis, avec un petit sourire malicieux :

« Tout le monde peut parler au Roi d'au-delà du Mur. Tout le monde peut lui exposer son avis et remettre en cause ses décisions. Ce n'est pas tout à fait la même chose à Port-Réal, hein ? »

Finalement, le jeune héritier s'est levé pour venir regarder par la fenêtre, mais dès que la conversation reprend, son regard semble se perdre au loin, vers l'horizon. Derrière le rempart, on distingue une partie du lac, la rive qui est opposé au château ; la glace qui recouvre le Lac Gelé depuis toujours reflète la lumière du soleil, donnant parfois des résultats irisés magnifiques. Des silhouettes s'agitent sur la rive, vaquant à une quelconque occupation qui implique probablement le bois proche. De la chasse sans doute. Toujours en écoutant, le jeune homme suit du regard la cime des arbres, cherchant des yeux des feuilles d'un rouge de sang. Il finit par les voir, obligé de se pencher un peu pour les deviner ; le barral est bel et bien là. Une petite fierté aux yeux des Overton, leur bois est l'un des rares où l'on retrouve encore des barral, là où beaucoup de château n'en ont plus que dans leur Bois Sacré.

Il laisse patiemment terminer Luevan, et finit par soupirer, se tournant vers elle. Il arbore un air sincèrement désolé.

« Il y a des séances de doléance, chacun peut venir poser ses problèmes, ses questions, voire ses suggestions si l'on est assez courageux, au Roi. Mais je ne te cache pas que la plupart du temps, les gens vont plutôt voir leur Seigneur directement, sauf les habitants de Port-Réal, et c'est tout naturel, il a un Royaume à gouverner, Sept même, ça réclame du temps. On ne peut pas comparer cela à la situation de Mance Rayder. »

Avec un petit sourire qui se veux amusant, mais qui n'arrive pas à dissimuler l'air fataliste de ses yeux, il explique doucement la situation.

« Tu ne t'es pas fait capturer par la bonne personne. Je ne suis pas en mesure de te faire négocier avec Rayder, il me faudrait d'abord parler au Roi, ou au moins au Stark. Or, le Patriarche des Stark est à Port-Réal aussi en ce moment ... »

Non pas que ça ne lui conviendrait pas ; avec la menace à venir, il vaudrait sans doute mieux avoir les sauvageons avec eux que contre eux, car si leurs hordes réussissaient à déferler au Sud du Mur, les Nordiens seraient les premiers touchés. La Garde de Nuit n'est plus assez nombreuse, et elle aussi est déjà sujette aux attaques des monstre venus des légendes ; Ades en avait eu un récit par Jon Snow lui-même lorsqu'il était aller à Châteaunoir. Cependant, le jeune Overton ne pouvait pas, il avait envie de faire confiance à Luevan, mais il était sans doute le seul ici. On ne pouvait pas faire confiance à une prisonnière, surtout si fraîchement capturée.

« Et non, ce n'est pas possible dans l'immédiat. Je te fais confiance pour respecter ton serment ; tu aurais sans doute pu me tuer plusieurs fois depuis que nous avons commencé, sans même que j'ai le temps d'appeler les gardes. Mais cela pourrait tout aussi bien être une stratégie pour partir au plus tôt et te venger ensuite, et c'est ce que mon père supposera. Je ne pourrais t'envoyer faire cela que lorsque tu nous auras prouvé que tu étais véritablement digne de confiance, et cela risque de prendre du temps, je suis navré. »

Le jeune homme pousse un nouveau soupir, retournant son regard vers l'horizon et le Lac Gelé. Le temps ne presse peut-être pas tant que ça ; l'Hiver approche mais nous étions encore en été. Il y aura l'automne entre temps, et cela peut durer quelques années, avec un peu de chance.

« Je devrais t'amener durant mon voyage, tu termineras ainsi de me décrire ce que tu sais, et si tu te tiens tranquille durant toute la durée de notre expédition, tu auras déjà fait des progrès dans la confiance que t'offrirons mes gens. »

Diverses expressions se sont succédé sur le visage de Luevan au long des propos du jeune Overton. Intérêt poli, indignation, saisissement, déception, humiliation. Les joues chauffées au rouge, elle reste un très long moment silencieuse, les yeux fixés sur un point de l'horizon, la lippe boudeuse. Manifestement, elle rumine les paroles d'Ades. Sans doute attend-elle aussi que son bouillonnement intérieur s'apaise, histoire de ne rien dire qu'elle pourrait regretter. Finalement, elle assène d'un ton relativement calme, mais une octave en-dessous de sa voix habituelle :

"D'accord. Je suppose que s'attendre à un coup fourré est naturel, chez vous, les Sudiens. Quelqu'un qui dit ce qu'il fait et fait ce qu'il dit, ça doit vous faire tout drôle.

Avec tout le respect qui vous est dû, vous n'avez pas à me donner l'autorisation de négocier avec Mance Rayder. J'ai juste besoin de savoir s'il est intéressé par une paix avec le Sud en échange du droit de s'installer dans le Don. Dans le cas contraire, ça ne sert à rien de parler avec votre Roi à vous, en supposant qu'on arrive à l'atteindre.

Oh, et pour information, je ne vois vraiment pas de quoi j'aurais à me venger. Mais admettons. Après tout, je suis une sauvageonne. Je suis censée sauter à la gorge des gens, comme ça, sans raison. Je n'utilise pas mon cerveau, c'est bien connu."

Elle tend ses poignets bandés, serrés l'un contre l'autre.

"Vous feriez peut-être aussi bien de me rattacher, ça aurait le mérite d'être clair."

Sans rien dire, l'héritier Overton a laissé la sauvageonne s'exprimer, endurant le ton qu'elle employait sans même ciller. Il la laissa terminer, jusqu'à ce qu'elle lui présente ses poignets. Il les considéra alors pendant de longues secondes, avant de relever lentement les yeux vers elle. Pour la première fois depuis qu'elle l'avait rencontré, elle expérimentait le regard glacé qu'était capable de se donner le jeune homme. Son œil blanc ne faisait que renforcer l'impression étrange et froide qui se dégageait de lui à ce moment et, quand il parla, son ton avait la même température que les neiges des Crocs Givres.

« Oui, tu es une sauvageonne. Et non, personne ne te fera confiance précisément à cause de ça. C'est injuste, je sais, je n'y peux rien. Notre forgeron vient d'un territoire juste en dessous du Don, il a changé de coin après que sa femme se soit faite égorger en tentant d'empêcher un sauvageon d'emmener sa fille. La Garde ne l'a jamais retrouvé. Une de nos servantes ici s'est faite violer quand elle est passé dans le Don après avoir débarqué à Fort-Levant plutôt qu'à Blancport, elle n'est revenu ici que parce qu'elle aurait été jugée trop laide, de ce qu'elle dit. Presque toutes les familles du Nord ont ce genre d'histoire avec les Sauvageons, mon cousin est mort à cause d'une embuscade sauvageonne. Cela fait 8 000 ans que la Garde et le Peuple Libre se combattent plus ou moins ouvertement. »

Il avait tout sorti d'un bloc, connaissant manifestement très bien les personnes dont il parlait, et sa voix avait à peine flanchée quand il avait évoqué son cousin.

« Comprends bien cela, je ne t'accuse pas de ces maux, je ne dis pas que vous êtes tous pareils. Je dis simplement que rares sont ceux qui laisserait s'enfuir une sauvageonne pour un serment. Crois-tu que Mance laisserait partir un homme de la Garde avec rien de plus qu'un serment pour garantie ? Il est simple de respecter un serment … Quand peu de choix nous sont offerts. Mais quand on retrouve son chez-soi, sa famille et ses amis, on a tout de suite beaucoup plus de facilité à se trouver des excuses. « Après tout, ce sont des ennemis, je ne vois pas pourquoi je tiendrais parole. » Encore une fois, je ne doute pas de toi, Luevan. Mais je ne suis pas le seul et unique maître à bord ici. »

Poussant un soupir, il lui saisit doucement les poignets, en profitant pour vérifier que les pansements sont toujours bien attachés. Il souffle longuement, tâchant de reprendre son calme, sa voix se fait plus douce.

« Je ne te rattacherais pas, mais je ne peux pas t'envoyer vers Mance. De toute façon, à quoi cela servirait de savoir si Mance est intéressé, si le Roi ne veut rien céder. Le Don appartient à la Garde, et la Garde ne voudra jamais de sauvageon de l'autre côté du Mur. Seul le Roi pourrait les faire flancher … ou un Stark. »

Lâchant ses poignets, il relève les yeux vers elle de nouveau, le regard vairon semblant presque la transpercer.

« Quant à notre propension à craindre les coups fourrés, tu compte essayer de me faire croire que tous les sauvageons sont des êtres purs qui ne mentent jamais, ne trompent jamais et respecte toujours la moindre promesse qu'ils ont faites. Soyons sérieux, les hommes sont identiques des deux côtés du Mur ... »

Après un instant de silence, il rajoute, plus bas.

« Et il serait bon qu'ils s'en souviennent. »

Luevan a écouté la litanie des exactions commises par son peuple, avalant douloureusement sa salive à chaque nouvel exemple, les joues, évidemment, écarlates. Cependant, elle a eu le cran de continuer à soutenir le regard glacé d'Ades, même si des larmes d'embarras ont pointé au coin de ses paupières.

Elle finit par baisser les yeux quand le jeune seigneur lui saisit les poignets, et contemple en même temps que lui les bandages qu'il a lui-même expertement enroulés autour. Long silence. Puis, sur un ton plaintif, sans lever les yeux, elle couine :

"Mais j'ai juré sous le barral."

Manifestement, c'est le seul argument qui lui soit venu à l'esprit pour contrer ceux du Sudien. Elle avale derechef sa salive et se tourne vers la fenêtre à laquelle elle s'accoude. D'un ton aussi posé et conciliant que possible, elle reprend :

"Vous pourrez peut-être admettre que les masques et l'hypocrisie sont un peu moins dans notre culture que dans la vôtre. Peu importe. Nous sommes fiers de ce que nous sommes, aussi. Trop, sans doute. La preuve.

Je ne briserai pas mon serment, mais peut-être qu'un autre de mon peuple le ferait. Soit, je comprends que jurer par ce que j'ai de plus sacré ne suffise pas. Mettez-moi à l'épreuve, puisqu'il le faut."

Après une pause pensive, elle se tourne vers lui, l'anxiété le disputant à une certaine curiosité enthousiaste dans son regard.

"Vous voulez m'emmener à Port-Réal, alors ? En tant que... servante ? prisonnière ? maîtresse ? Qu'est-ce qui est le mieux, à votre avis ?"

Elle semble sincèrement attendre les suggestions, et pas une once de provocation ne s'est glissée dans sa voix.

Faire pleurer une gente demoiselle n'était pas à proprement ce qu'un jeune noble était sensé faire, et ce même si la demoiselle en question était une sauvageonne. Néanmoins, il aurait dut se douter que cela risquait de se terminer comme ça, quoique Luevan restait forte, c'est à peine si les larmes coulaient, mais elles étaient bien là. Ades s'en voulut immédiatement, mais contient tout son instinct, forgé par une longue et difficile éducation, de consoler la jeune femme comme s'il s'agissait d'une lady. Quelque chose lui disait que cela ne lui plairait pas, pas s'il le faisait immédiatement. Il la laissa patiemment s'exprimer, puis osa poser doucement une main sur l'épaule, en une caresse rassurante.

« Je vous crois, et j'ai foi en votre serment. Mais ce n'est pas le cas de tout le monde, et j'ai une image à respecter … A ce titre, vous avez raison, il y a sans doute plus de masque ici que de l'autre côté, donc je me méfie encore plus de ce qui s'y trouve, on ne sait jamais qui en a un et qui n'en a pas. Ici tout le monde en a. »

Il termina sur un petit rire, qui tentait manifestement de détendre l'ambiance, avant qu'il ne poursuive, et aborde un sujet qui ne serait pas forcément agréable. La jeune femme semblait sincèrement curieuse à l'idée de se rendre à Port-Réal, une attitude que le noble ne pouvait que comprendre et apprécier. Il tâcha toutefois de lui présenter les inconvénients de ce voyage.

« Servante me semble le plus approprié, vous serez toutefois obligée de jouer vraiment ce rôle, quand nous serons en public … C'est à dire souvent. »

Puis il ajouta, après un temps de réflexion et en retirant sa main.

« Vous devez également savoir que, même si vous êtes servante, certain supposeront que vous êtes maîtresse. »

Cela ne semblait pas lui poser plus de problème que ça, mais il fallait tout de même la prévenir.

Une image à respecter ? Luevan en reste coite. Elle tente d'imaginer la situation inverse, Ades prisonnier et elle en position de force. Est-ce qu'elle se sentirait tenue de traiter le Sudien en ennemi, si tout le clan avait les yeux fixés sur elle ? Non, décidément, non : "Il a juré sous le barral" suffirait à tout le monde, chez elle. Mais peu importe, elle peut comprendre.

Le geste de réconfort la surprend ; elle sourit pour indiquer que son sursaut ne va pas être suivi d'une gifle réflexe, et se contente d'écouter attentivement, accompagnant même le léger rire final du jeune homme.

« Servante me semble le plus approprié, vous serez toutefois obligée de jouer vraiment ce rôle, quand nous serons en public … C'est à dire souvent. »

Elle grimace, puis finit par hausser les épaules. Ce n'est pas comme si elle devenait vraiment servante, après tout. Ni comme si elle n'avait jamais aidé sa mère à récurer la maison, faire les lits ou battre le linge.

« Vous devez également savoir que, même si vous êtes servante, certain supposeront que vous êtes maîtresse », enchaîne Ades en retirant sa main. Elle le regarde avec surprise :

« Ah bon ? Pourquoi donc ? »

Non que ça la gêne particulièrement, elle non plus, mais...

« Quitte à passer pour une maîtresse de toute façon, pourquoi ne pas m'afficher comme maîtresse dès le départ ? Ça m'évitera les corvées ménagères... »

Elle rit avec naturel, ce qui démontre trois choses : elle fait partie de ces gens qui peuvent passer du rire aux larmes sans transition ; son statut auprès d'Ades lui est, au fond, indifférent, et elle se rangera à son avis même si elle chipote pour la forme ; l'opprobre qui peut éventuellement s'attacher à la condition de maîtresse ou aux seigneurs qui s'en offrent une lui est complètement inconnu.

Le jeune homme reste interdit un moment, se demandant si la sauvageonne pose sincèrement la question, mais elle a l'air parfaitement innocente. Ce n'est finalement pas si étonnant que cela ; les sauvageons ne doivent pas se dissimuler derrière de telles simagrées quand il s'agit de prendre une maîtresse ou un amant. Sur le coup, cela ne fait que confirmer ce qu'elle disait elle-même à propos de son peuple, mais Ades se garde bien de le préciser trop fort, il se contente d'une explication rapide, avec un petit sourire gêné.

« Eh bien … tu es … ravissante. Les gens ont tendance à se faire des idées dès que quelqu'un qui porte un titre, ou est destiné à en porter un, s'entoure de jeune et jolie femme. Enfin, avec un peu de chance, nous serons épargné. »

Manifestement, il n'y croit pas un seul instant. Il hausse un sourcil à la question suivante, ne pouvant s'empêcher de penser qu'elle marque un point. Néanmoins, il ne peut pas accepter de la faire passer pour sa maîtresse ; il y a tout de même une certaine réputation à préserver. Il n'y a que les Dorniens, ou les Rois, pour s'afficher ainsi sans aucune crainte de ce que cela laissera à l'avenir. Or Ades n'est ni l'un ni l'autre. Il adresse donc un petit sourire à la jeune femme, commençant son explication avec un soupir.

« Cela fait partie des obligations quand on porte un masque. Je peux laisser les gens croire que j'ai une maîtresse, ils n'auront pas de preuve. En revanche, je ne peux pas m'afficher ouvertement avec une maîtresse. C'est une question … d'image aussi. Tu saisis ? … Je conçois que ce ne soit pas ainsi que cela se passe chez toi, je ne sais pas si c'est pour le mieux. »

Sans attendre de réponse, il se relève et se dirige vers son tas de parchemin, qu'il range rapidement avant de le caler sous son bras. Le jeune homme se retourne ensuite doucement vers sa prisonnière.

« Si tu es d'accord et que tu n'as plus de question. Je vais aller rendre visite à mon père, je te laisse te reposer. Si tu veux aller quelque part, n'hésite pas à demander à tes gardes, ils se feront un plaisir de t'y conduire. Ce soir, je te ferais accéder au bois sacré et au barral. »

Ades se recule en clopinant vers la porte, scrutant Luevan du regard en attendant de voir s'il lui reste une question.

« Eh bien … tu es … ravissante. Les gens ont tendance à se faire des idées dès que quelqu'un qui porte un titre, ou est destiné à en porter un, s'entoure de jeune et jolie femme. Enfin, avec un peu de chance, nous serons épargné. »

Luevan sent ses joues se mettre à chauffer. Ravissante ? Ada est ravissante, oui. Sa mère est ravissante - ou l'a été. Quoique... Le Sudien n'est pas tout à fait le premier à le lui dire, alors il doit y avoir un peu de vrai. Il faudra qu'elle déniche un miroir, à l'occasion.

« Cela fait partie des obligations quand on porte un masque. Je peux laisser les gens croire que j'ai une maîtresse, ils n'auront pas de preuve. En revanche, je ne peux pas m'afficher ouvertement avec une maîtresse. C'est une question … d'image aussi. Tu saisis ? … Je conçois que ce ne soit pas ainsi que cela se passe chez toi, je ne sais pas si c'est pour le mieux. »

Elle acquiesce pour indiquer qu'elle a compris, les yeux au sol, pendant que le jeune seigneur ramasse ses parchemins.

« Chez moi aussi, il y a des secrets honteux à garder... » commente-t-elle à voix basse.

« Si tu es d'accord et que tu n'as plus de question. Je vais aller rendre visite à mon père, je te laisse te reposer. Si tu veux aller quelque part, n'hésite pas à demander à tes gardes, ils se feront un plaisir de t'y conduire. Ce soir, je te ferais accéder au bois sacré et au barral. »

« Merci », répond-elle avec gravité. Puis, comme Ades semble attendre de voir si elle a quelque chose à ajouter, elle éclate d'un rire léger et ajoute :

« Vous n'êtes pas mal non plus. »

Le rire de Luevan accompagne dans le couloir le jeune homme qui a répondu par un sourire crispé et un rosissement avant de refermer la porte.

Booon... Alors comme ça les gardes ont ordre de l'emmener là où elle veut aller ? Vraiment n'importe où ? Un sourire sadique se dessine sur ses lèvres et se transforme en risette aimable et innocente alors qu'elle rouvre la porte et demande aux gardes :

« Vous peut m'emmener dans cour en bas, s'il vous plaît ? Là où s'entraîne. »

Elle ne pourra peut-être pas tâter d'une arme elle-même. Mais Vasgard sera ravi d'avoir une groupie. Ra-vi.

Précédée et suivie de ses deux cerbères, elle dévale l'escalier avec un sourire franchement carnassier.