Port-Réal, Tour de la Main
7ème jour de la 13ème lune, an 298

Eddard se massa l'arête du nez, sourcils froncés. Être Main n'était pas une tâche de tout repos, il s'en rendait bien compte. Mais surtout, ce qui l’écœurait plus qu'il n'aurait su le dire, c'était qu'il avait l'impression d'être entouré de traîtres et d'incompétents. Entre les colères stériles du roi Robert, les dissimulations permanentes de Varys, les jeux politiques de Baelish, Pycelle et consorts, Eddard était fatigué au-delà de ce que les mots auraient pu décrire.

Sans compter le fait qu'Eddard allait probablement sous peu devoir condamner à mort sa belle-soeur pour le meurtre de son père adoptif. Et tenir l'épée qui exécuterait la sentence par-dessus le marché.

En fait, en cet instant précis, dans son bureau de la Tour de la Main, il n'avait qu'une envie : aller parler à Catelyn... Elle avait toujours su se montrer compréhensive et ferme à la fois. Elle l'aurait écouté, aurait compris ce qu'il ressentait, et ensuite lui aurait dit qu'il savait ce qu'il avait à faire. Et Eddard serait reparti vers son devoir, le cœur plus léger.

Ou bien aller dans le bois sacré de Winterfell. Il se serait agenouillé devant l'arbre-cœur, et aurait partagé ses doutes, en ouvrant totalement son cœur aux anciens dieux du Nord et des Premiers Hommes. Mais Catelyn et les dieux du Nord étaient loin, très loin de lui, et il était seul, dans cette pièce où même la douceur de l'air l'agaçait de manière diffuse. Dans le Nord, le froid tranchait, pelait les gens à vif : on savait assez vite s'ils étaient fiables ou non. Une fois l'hiver venu, on savait qui parlait bien et qui était réellement digne de confiance. Mais à Port-Réal, l'hiver devait être aussi doux et onctueux qu'un sourire de Varys et les vipères pouvaient y prospérer en toute impunité. Et chaque fois qu'on retournait une pierre et qu'on en trouvait une, deux autres se révélaient dans la foulée.

La preuve lui en avait encore été administré pas plus tard que cette après-midi : Lysa Arryn confessait facilement le crime qu'elle avait commis. Trop facilement, d'ailleurs... Elle était incroyablement honnête, ou folle, ou suicidaire. Et dans la foulée, le doute se portait sur Varys, Pycelle, ser Hugh du Val...

*Ne suis-je entouré que de vipères ?*

Il avait espéré se reposer après avoir ajourné ce procès. Il lui fallait aussi essayer de parler à Robert pour lui dire de modérer ses ardeurs. Et discuter aussi de cette menace de passer les gens à la question. Lorsqu'on faisait une menace, il fallait être prêt à les exécuter, et Eddard Stark n'était pas prêt à recourir à la torture. Nul doute qu'en brisant suffisamment d'os à un homme il finissait par dire tout ce qu'on souhaitait entendre, mais c'étaient là des aveux sans grande valeur. Et Eddard était de ceux qui pensaient qu'on ne combattait pas un serpent en s'allongeant dans la poussière à son niveau. Seulement, avant d'aller aborder ce sujet, il convenait d'attendre... au moins trois heures. Le roi s'était très probablement isolé pour noyer sa rage dans l'alcool. Il boirait pendant une demi-heure avant de s'effondrer. Sa Main viendrait le trouver lorsqu'il aurait la migraine et la vue trouble, parce qu'après, il avait bien l'intention de dormir un peu. Robert n'apprécierait pas qu'on vienne le déranger, mais il était roi, c'était sa responsabilité. Il conviendrait aussi de discuter du fait qu'il ne pouvait plus se passer de son vin, même en public. C'était mauvais, très mauvais, et cela donnait une impression détestable. Il commençait à se plonger dans les finances du royaume... Il s'attendait à une catastrophe, mais c'était encore pire que ce qu'il avait imaginé. Et qu'un émissaire de la Banque de Fer s'aperçoive que le roi passait son temps dans l'alcool et la débauche, il ne repartirait pas rassuré sur la solvabilité des Sept Couronnes.

On frappa à la porte. Il releva la tête, balayant d'un regard égaré son cabinet de travail et les parchemins étalés sur le bureau. Cela lui revenait, tout d'un coup. Il avait promis à Elhenna Dustin de la revoir après le procès. Elle était, officiellement parlant, sa pupille, et au centre d'un autre écheveau politique qui, lui, concernait le Nord.

Fille de William Dustin et de Barbrey Ryswell, elle était censée épouser Domeric Bolton, avant le décès de celui-ci. Eddard Stark n'avait pas été à proprement parler ravi de cette nouvelle, néanmoins, elle lui avait apporté un certain soulagement. Les relations entre la Maison Dustin représentée par la veuve de William Dustin et la Maison Stark étaient tendues depuis ce jour où Eddard avait été rendre à la dame le cheval qu'elle avait offert à son mari, mort en héros à la Tour de la Joie. Et s'il n'avait jamais eu à se plaindre des Bolton, Eddard n'était pas à l'aise en compagnie de Roose Bolton. Son teint et ses yeux pâles, sa voix aussi basse qu'un murmure et ses sangsues... Il n'inspirait pas la confiance. Une union des maisons Dustin et Bolton aurait créé des soucis à leur seigneur suzerain.

Et maintenant, Lady Dustin née Ryswell envoyait sa fille Elhenna à Port-Réal comme pupille d'Eddard Stark avec pour tâche notamment de lui trouver un mari. Il soupçonnait que la dame ait l'intention d'exploiter l'influence de la Main pour réussir une alliance favorable. Eddard avait accepté tout en prenant grand soin de ne rien promettre. Il n'appréciait pas d'être ainsi utilisée mais... C'était la fille d'un homme qui l'avait suivi jusqu'à Dorne au lieu de rentrer chez lui en triomphateur, et était mort pour sa sœur. Les désirs d'un homme, fût-il une Main, ne pesaient rien à côté de cela.
Sans quoi il aurait tout bonnement refusé. Il ne voyait absolument pas comment gérer cette tâche en plus. A Winterfell, oui, mais à Port-Réal... Seulement c'était la fille de William Dustin, et il avait une dette à payer.

Les coups résonnèrent à nouveau, plus insistants.

Entrez !

La jeune fille qui allait entrer pouvait se révéler être une bouffée d'air frais, ou bien un souci de plus, cela restait à voir.

Sacrée journée que celle-ci ! Elle avait débuté pour Elhenna par le procès de Lysa Arryn lors duquel elle avait fait sa première entrée à la Cour.
Elle y avait revu Ades et Logaan ; rencontré Lyonel Corbray, sa femme et quelques autres et surtout, elle y avait aperçu le Roi et Eddard Stark. Elle avait ainsi concentré la majeure partie de son attention sur l'homme du Nord, se cherchant des ressemblances avec lui. Et elle en avait trouvé.

Le procès lui avait fait l'effet d'une terrible mascarade ou tous se jetaient tour à tour la faute au visage. Elle ne les aimait résolument pas, ces seigneurs du Sud mielleux. Et elle n'aimait pas non plus la sœur de Catelyn Stark. Cette femme sans honneur et sans courage dégoûtait la jeune louve. Comment pouvait-on se laisser ainsi manipuler par un homme ? Mais l'avait-il manipulée ? Et dans quel but ? Il y avait encore trop de candeur chez la fille de Barbrey pour qu'elle saisisse le lien qu'il pouvait y avoir entre Lysa Arryn et Petyr Baelish. Elle n'en aurait d'ailleurs été que plus offusquée.

Et maintenant, elle allait le rencontrer. Enfin. Elle attendait ce moment depuis des semaines. Depuis son départ de Tertre-Bourg. Elle avait envie de courir jusqu'à sa porte, d'ouvrir cette dernière à la volée et de se planter devant lui, sans plus de cérémonie. Juste pour voir comment il pourrait bien réagir en la voyant. Elle avait envie de lui poser mille questions sur son père. Sur ses pères.
Mais bien sûr, elle ne le ferait pas et refrénait ses ardeurs, gardant un pas mesuré qui ne trahissait pas toute l'impatience qui l'étreignait à ce moment là.

Elle avait peur aussi. Peur qu'en la voyant, il la rejette de manière catégorique. Peur qu'il n'écoute rien de ce qu'elle pourrait lui dire. Mais que lui dirait-elle d'ailleurs ? Plus elle approchait, plus ses pensées lui paraissaient confuses. Dire qu'elle y avait réfléchi durant tout son voyage ! Lorsque le moment fatidique arrivait enfin, elle oubliait tout ce qu'elle s'était promis de lui dire et tout ce qu'elle avait juré de ne jamais évoquer avec lui.

Elhenna était rapidement repassée dans ses appartements et s'était changée, quittant la robe d'un gris lumineux qu'elle portait pour le procès pour une autre aussi sobre et élégante, aux couleurs de la Maison Dustin. Elle avait complètement relâché ses longs cheveux bruns qui tombaient sur ses épaules nues et avançait, uniquement accompagnée par Orys et quelques hommes de Lord Stark qui étaient venus l'escorter jusqu'au bureau de ce dernier. Berthold avait quant à lui disparu juste après l'avoir raccompagnée à sa chambre et la jeune louve se demandait bien où il avait pu passer, lui qui semblait habituellement si enclin à la suivre dans chacun de ses déplacements.

Alors qu'ils arrivaient devant la grande porte de bois massif, Elhenna aurait voulu prendre quelques instants pour souffler un peu, se calmer et rassembler ses esprits. Mais c'était sans compter sur les Nordiens l'accompagnant dont l'un deux, déjà, frappait pour annoncer leur présence.

Alors que l'on s'effaçait pour la laisser entrer, la jeune louve jeta un dernier regard à Orys qui l'attendrait dans le couloir. Elle redressa les épaules en prenant une grande inspiration avant de franchir le seuil du bureau. Elle entendit la porte claquer derrière elle tandis qu'elle approchait d'un pas décidé. Arrivée devant lui, elle inclina légèrement la tête pour le saluer.

- Lord Stark.

Sa voix était claire, ne trahissant rien de tout ce qui pouvait se passer dans la tête de la jeune femme à ce moment là. Elle releva alors vivement son visage curieux et planta son regard gris dans celui de l'homme qui lui faisait face.
Si, durant le procès, elle avait pu l'observer à la dérobée, il fallait bien admettre que ce n'était rien comparé à ce qu'elle pouvait voir maintenant qu'elle était si proche de lui et que lui aussi la regardait.

Lord Stark.

Le ton était de froide courtoisie. Eddard ne savait pas ce que lady Dustin avait pu raconter à sa fille à propos de son seigneur suzerain : il n'ignorait pas qu'elle le tenait responsable de la mort de son mari. Il aurait bien aimé pouvoir dire que c'était absolument faux, mais en réalité... Ses six compagnons l'avaient suivi jusqu'à Dorne alors que la guerre était pour ainsi dire finie. Juste sur sa demande. Pour tomber sous les coups des trois chevaliers en armure blanche qui gardaient la Tour de la Joie. Alors, oui, c'était de sa faute. Mais la jeune fille ne semblait pas lui tenir rigueur de la mort de son père.

Ce fut la première chose qu'il vit sur son visage. La deuxième fut qu'elle était le portrait vivant de Lyanna Stark. Les cheveux, le visage... jusqu'à l'attitude et la démarche. C'était presque un reproche vivant.

*Promets-moi, Ned.*

Et il avait promis.

Il cligna des yeux, se levant pour s'avancer vers la visiteuse. Il ressentait presque physiquement le loup-garou brodé sur sa tunique sur laquelle était épinglé l'insigne de sa fonction de Main. Mais ensuite, il reporta son attention sur la nouvelle venue. Puis esquissa un léger sourire, cependant que ses yeux gardaient une expression indifférente, solennelle, presque triste.

Lady Dustin.

Il la salua courtoisement, mais resta droit, debout, immobile. Il n'avait jamais été très enclin aux manifestations d'amitié, même s'il éprouvait déjà une certaine sympathie pour la jeune Elhenna - la ressemblance physique, peut-être, mais aussi la franchise et la droiture de son regard qui semblait plus typique des Stark que des Dustin, ou même des Ryswell.

Heureux de vous voir. Je suis désolé de ne pas vous avoir parlé plus tôt. Je suis arrivé ici peu de temps avant vous et...

Il balaya du regard la pile de documents empilés sur le bureau. Ils parlaient d'eux-mêmes.

Ma prise de fonction ne m'a guère laissé de temps en-dehors des affaires d'Etat. Mais la fille de lord William Dustin est toujours bienvenue chez les Stark. Le Nord se rappelle. Asseyez-vous.

Sans qu'il le réalise, sa voix s'était faite autoritaire. Malgré tous les efforts qu'il faisait pour mettre sa visiteuse à l'aise, il était aussi le seigneur suzerain de la plus grande région des Sept Couronnes, et en tant que tel, il était habitué à commander. Il lui avait fallu apprendre rapidement, après la mort de Brandon, mais il avait appris.

D'abord, si vous souhaitez à boire ou à manger, dites-le moi. Comment se passe votre séjour à la capitale ?

Questions de pure politesse, aurait-on pu penser, mais lord Stark était réellement intéressé par la réponse. Il ne savait pas de quelle manière il avait pu déplaire aux dieux pour que ceux-ci le condamnent à être nommé Main du Roi, mais il était sincèrement curieux de savoir comment une Nordienne de noble naissance qui n'aurait pas eu cette infortune pouvait percevoir Port-Réal. Les questions de mariage viendraient plus tard. Parce qu'il fallait être honnête : si Lady Dustin envoyait sa fille Elhenna comme pupille d'Eddard Stark à Port-Réal, ce n'était pas pour qu'il lui apprenne la vie. Elle était déjà une femme faite. C'était bien pour qu'il lui trouve un bon parti. Mais, sans avoir de certitude à ce sujet, Eddard se disait qu'elle tiendrait plus que beaucoup d'autres filles de son âge à avoir un droit de regard en la matière.

*Un Karstark serait parfait. Ils sont nos parents, ils ont des fils, de bons fils, braves, aimables et droits. De vrais Nordiens. Ce pourrait faire un mariage heureux, et calmer un peu l'hostilité de la maison Dustin. Harrion ou Eddard, par exemple, des enfants de la branche aînée.*

Mais il n'organiserait pas ce mariage comme on vend un poulet au marché. Il prendrait le temps de faire les choses correctement, en faisant au mieux dans l'intérêt de toutes les parties présentes.

Les yeux d'Elhenna courraient sur Eddard Stark aussi vite que les règles de bienséance pouvaient l'y autoriser. Elle détaillait tout ; chaque point de son visage, son air solennel et le léger sourire qu'il avait lorsqu'il la salua. Tandis qu'il s'excusait de ne pas l'avoir reçue plus tôt, la jeune louve fit un effort intense de concentration afin de lui accorder toute son attention, sans se perdre dans une béate observation.

- Oh... Je comprends, lui répondit-elle dans un sourire.

Car même si le temps lui avait paru décidément bien long avant qu'ils ne se rencontrent enfin, la fille de Barbrey était assez intelligente pour savoir que la Main du Roi avaient de plus urgentes affaires à régler que celle de rencontrer la fille de l'un de ses vassaux, fut-t-elle d'une incroyable compagnie.

« Le Nord se rappelle. » A cette phrase, une lueur différente passa dans le regard gris de la jeune femme. C'était une référence à son père de nom, bien sûr. Ses yeux brillèrent tristement un infime moment, tandis qu'elle avait une pensée toute particulière pour cet homme dont elle portait le nom et assurait l'héritage et duquel, pourtant, elle n'avait rien.

Lorsqu'il lui demanda de s'asseoir, la louve s'exécuta sans broncher, malgré le ton autoritaire employé. Elle avait été élevée par Barbrey Dustin et, la Dame de Tertre-Bourg, si elle savait parfois être douce était aussi une femme de poigne, dirigeant ses terres et ses gens avec une implacable autorité. Eddard Stark ne risquait donc rien à employer avec elle cette voix-là. A vrai dire, elle préférait même cela. Elle aurait été déçue de rencontrer un homme effacé ou sans ascendance. Et elle était bien plus sensible à son regard chargé de solennité qu'à sa manière de parler.

La jeune femme secoua la tête en signe de dénégation lorsqu'il lui proposa à boire et à manger. Elle en aurait bien été incapable pour le moment tant cette rencontre lui importait. Elle ne voulait pas être distraite par quoi que ce soit.

Comment son séjour se passait ? Elle hésita un court instant avant de lui répondre, pendant lequel elle sonda son regard gris, le même que le sien. Pouvait-elle lui dire la même chose qu'à Ades ? Elle ne devait pas oublier qu'il était son Lord Suzerain. Devait-elle se perdre dans de fausses allégations ou dans des vérités convenues ? Résolument non. Elle allait lui dire ce qu'elle en pensait vraiment, de cette ville puante et rongée par la pourriture. Bon, peut-être en y mettant un peu plus de formes.

- Mon séjour se passe bien même si je n'ai, pour l'heure, eu qu'un bref aperçu de Port-Réal et de ces gens. Elle poursuivit : J'ai eu l'occasion de me rendre à la bibliothèque du Donjon Rouge, elle est remarquable.

Son regard se fit plus intense tandis qu'elle ajoutait : Mais si je peux être tout à fait franche avec vous, je n'aime pas cette ville. *Je n'aime pas ces gens non plus*, faillit-elle lâcher avant de se raviser. Elle ne pouvait pas baser son avis simplement sur ce qui s'était passé durant le procès. Il y avait certainement des hommes honorables ici aussi.

- Je préfère l'air du Nord. Elle avait prononcé sa dernière phrase avec tant de sérieux qu'elle se serait elle-même fait rire, si ce n'était Eddard Stark qui se trouvait face à elle. Mais elle n'y pouvait rien après tout, si depuis les rues de Port-Réal émanait un parfum si repoussant.

- Et vous, Lord Stark, comment trouvez-vous la Capitale ? La phrase lui avait échappé et elle se pinça les lèvres en le réalisant. Il n'avait certainement pas ni l'envie, ni le temps de lui raconter cela. Mais encore une fois, la curiosité de la louve avait été la plus rapide et la plus forte. *Heureusement que mère n'est pas là !* Elle songea à l'air décomposé qu'aurait arboré Barbrey si elle avait entendu sa fille parler ainsi à leur Suzerain. Elle qui entretenait avec un plaisir certain la plus froide des relations possible avec lui !

*-Comment trouvez-vous la capitale ?

-Oh, j'adore la bibliothèque.*

Rien que cette simple réponse en disait long. On sentait clairement la jeune lady qui mettait en application ses leçons de politesse, de tenue et de courtoisie alors qu'en réalité, ses pensées étaient nettement moins courtoises. Elle était plutôt bonne à ce jeu-là. Presque autant que Sansa, et bien meilleure qu'Arya.

Eddard adressa à Elhenna un sourire entendu, le genre qui disait "Nous nous comprenons". Il avait essayé de la mettre à l'aise, mais il savait bien qu'il intimidait, dans un certain sens. Non qu'il ait l'air particulièrement menaçant ou méchant, mais il avait sa fonction de seigneur de la Maison Stark chevillée au corps, et était incapable de l'oublier ne serait-ce qu'un infime moment. Parfois, il enviait Arya même si, la concernant, il aurait préféré qu'elle l'oublie un peu moins souvent. Il hocha la tête. Quand à la remarque sur l'air du Nord, c'était assez clair : la plupart des nordiens préféraient l'odeur des bois sauvages à celle de la merde et de la pisse de cheval.

Oui, tu peux être franche avec moi, et tu pourras toujours l'être.

Dans un sens, elle lui facilitait la vie.

Je n'ai moi-même que peu de sympathie pour cet endroit, mais c'est parce que tout mon temps se passe à essayer de maintenir le Royaume à flot.

*Attention maintenant, Eddard. Elle n'a pas besoin de connaître les détails des soucis du Royaume. Les nouvelles vont vite.*

Il s'installa confortablement sur son siège, et inspecta la jeune fille d'un long regard pensif. Elle se tortilla un peu, manifestement mal à l'aise, mais ne réagit pas, attendant qu'il ait fini son examen. Un regard franc qui donnait une impression de vitalité, des traits bien dessinés, une robe élégante et sobres au couleurs de la maison Dustin... Et, ce qui était assez important si l'on devait parler mariage, des hanches bien galbées. L'impression générale était plutôt bonne.

Tu es tout le portrait de ma sœur Lyanna. Je suppose qu'on a déjà dû te le dire.

*Et si dame ta mère pense que cela va me rendre, moi ou Robert, plus bienveillant à ton égard, elle se trompe du tout au tout. Tu ferais mieux de rester loin de Robert, d'ailleurs. Les rois ont tendance à désirer des femmes plus qu'à les aimer. Il planterait un bâtard dans ton ventre et réduirait à néant tous vos projets de bon mariage.*

Eddard avait les mots sur les lèvres, mais les retint. Sa loyauté envers Robert, celui avec qui il avait passé son enfance, surpassait celle qu'il vouait à la mémoire de William Dustin. Mais de peu.

Bon. Puisque nous sommes francs l'un envers l'autres... Dame ta mère m'a envoyé à moi en tant que pupille. C'était une proposition que je lui avais faite il y a quelques années, et elle avait refusé. Pourquoi est-ce qu'elle t'envoie à moi maintenant ? Lorsque je te regarde, je vois une femme faite, et qui n'a plus besoin d'un tuteur pour son éducation. Et les relations entre la maison Dustin et la maison Stark ont été notoirement tendues depuis la mort de ton père. Alors, pourquoi ?

C'était là le test qui allait déterminer de la suite de leur relation. Eddard, en bon nordien, regardait avant tout, lorsqu'il devait collaborer avec une personne, si celle-ci était digne de confiance. Les menteurs, les hypocrites et les lèche-bottes pouvaient éventuellement se voir gratifiés d'une salutation diplomatique, mais rarement d'une aide réelle au-delà du minimum nécessaire.

En bref, nombre de réponses, y compris le très brutal "Je n'ai pas à discuter des projets de ma mère" seraient mieux reçues qu'une flagornerie ou un mensonge pur et dur. Mais il aimait le regard de la jeune fille, et espérait donc que son comportement serait à la hauteur de ses attentes.

Au sourire entendu que lui adressa Eddard, Elhenna s'était détendue. Il comprenait. Lorsqu'il lui dit qu'elle pouvait être franche avec lui et qu'elle pourrait toujours l'être, elle plongea son regard gris dans le sien. Elle n'avait pas tant espéré de sa part mais en même temps, en l'observant, elle ne pouvait pas attendre moins. Il avait ce visage solennel qui ne souffrait pas la compromission, l'injustice et le mensonge. Et elle aimait ça. Il était comme elle l'avait imaginé. Peut-être même mieux.

- Je n'ai moi-même que peu de sympathie pour cet endroit, mais c'est parce que tout mon temps se passe à essayer de maintenir le Royaume à flot.

La jeune louve hocha la tête, faisant onduler ses longues boucles brunes tandis qu'elle lui répondait d'une voix claire, sans le quitter des yeux :

- J'imagine que si toutes les affaires que vous traitez ressemblent au procès de Lysa Arryn, ça ne doit effectivement pas être une partie de plaisir.

Elle devinait bien à quel point ce devait être délicat pour lui d'ailleurs. C'était sa belle-soeur que l'on accusait de ce crime odieux. Et de ce qu'Elhenna avait pu en voir, la Tully avait l'air sacrément coupable et étrangère au moindre remord.

Il l'observa pensivement un long moment durant lequel Elhenna soutint son regard sans sourciller avant qu'il ne reprenne :

- Tu es tout le portrait de ma sœur Lyanna. Je suppose qu'on a déjà dû te le dire.

- Oui, on me l'a déjà fait remarquer quelques fois.

Et comme elle ; elle était une louve, féroce et douce à la fois, un centaure sauvage et noble lorsqu'elle chevauchait Ardent.

- Bon. Puisque nous sommes francs l'un envers l'autre... Dame ta mère t'a envoyé à moi en tant que pupille. C'était une proposition que je lui avais faite il y a quelques années, et elle avait refusé.

Elhenna se redressa brusquement à ces mots. « Elle ne m'en a jamais rien dit » laissa-t-elle échapper, les sourcils froncés tandis qu'elle se penchait un peu plus en avant sur son siège et que ses yeux gris brillaient de colère. Combien d'autres secrets Barbrey pouvait-elle bien avoir encore ? A ce moment là, Lyanna disparu un peu des traits de la jeune louve pour laisser place à la moue si caractéristique de Brandon Stark. Celle qui précédait généralement ses plus grands emportements.
Non pas qu'elle regrettait son enfance passée entre Domeric Bolton et Thyra Volmark mais elle en voulait à sa mère de ne pas l'avoir mise dans la confidence. Elle avait une idée des raisons qui l'avaient poussée à refuser. La rancoeur qu'elle éprouvait à l'égard de son Suzerain et aussi la ressemblance d'Elhenna avec Lyanna Stark certainement. Mais ça ne la pardonnait en rien de lui avoir caché cette vérité. Elle était son sang, sa fille unique, son héritière. Elle lui devait la transparence la plus totale, même sur ces vieilles histoires. Et là-dessus, l'avis de sa fille était catégorique et sans concessions. Elle refusait d'être un simple jouet dans les manigances de Barbrey.

- Pourquoi est-ce qu'elle t'envoie à moi maintenant ? Lorsque je te regarde, je vois une femme faite, et qui n'a plus besoin d'un tuteur pour son éducation. Et les relations entre la maison Dustin et la maison Stark ont été notoirement tendues depuis la mort de ton père. Alors, pourquoi ?

- Je pense – elle marqua une courte pause – qu'elle m'envoie à la Capitale avant de m'envoyer à vous. Mère dit que je suis restée bien assez longtemps cloisonnée *ce qui est un comble, vu que c'est elle qui m'y a assignée* à la Tertrée et elle espère qu'à Port-Réal je puisse faire des rencontres. Elle aimerait, entre autres choses – elle eut alors une moue dépitée, tandis que son regard se durcissait – me voir faire un bon mariage, avantageux pour Tertre-Bourg.
Et je suis persuadée que si elle a fait appel à vous, c'est sans aucun doute parce qu'elle estime que vous avez une dette envers elle et sa famille.

Ses yeux gris étincelèrent de nouveau, tandis qu'elle relevait le menton et concluait :

- Et vous êtes à présent la Main du Roi.

Ce-disant, elle ne baissa pas les yeux. Il lui avait dit qu'elle pouvait être franche avec lui ? Et bien ce n'était qu'un début, quitte à mettre en péril les projets de sa mère. Son sang bouillait encore de colère à l'égard de cette dernière. Qu'elle lui découvre encore un autre secret et elle aurait bien du mal à se contenir.

En voyant les réactions de la jeune fille, Eddard ressentait une sorte de tristesse diffuse.

*Elle tient plus des Stark que des Dustin. Ou même des Ryswell.*

Elhenna avait clairement ce qu'Eddard appelait du "sang de loup". Brandon en avait. Lyanna aussi. Et cela avait mené les deux à une mort prématurée et injuste. Le sang de loup ne faisait guère de bien à ceux qui en étaient dotés. Mais l'expliquer ne servait à rien : on ne luttait tout simplement pas contre sa nature. C'était la raison de son indulgence envers Arya : il avait grandi avec un frère et une sœur dotés de ce caractère, et savait bien qu'aucune punition n'aurait pu changer leur manière d'être. Cette Elhenna avait tout de l'apparence de Lyanna, mais avec les expressions de Brandon. Sa colère en apprenant que sa mère avait refusé de l'envoyer à Winterfell était assez caractéristique de Brandon Stark.

Il eut un léger soupir, mais la jeune fille au tempérament de feu répondit enfin à sa question, avec une honnêteté qui dépassait ses attentes, d'ailleurs. C'était une bonne chose.

Je pense qu'elle m'envoie à la Capitale avant de m'envoyer à vous. Mère dit que je suis restée bien assez longtemps cloisonnée à la Tertrée et elle espère qu'à Port-Réal je puisse faire des rencontres. Elle aimerait, entre autres choses me voir faire un bon mariage, avantageux pour Tertre-Bourg.
Et je suis persuadée que si elle a fait appel à vous, c'est sans aucun doute parce qu'elle estime que vous avez une dette envers elle et sa famille. Et vous êtes à présent la Main du Roi.

Bon, la jeune fille n'avait aucune envie de se marier, c'était évident. Pour elle, "mariage" était synonyme de "rester cloîtrée dans un château quelconque à allaiter ses enfants". Eddard aurait bien aimé ne pas être d'accord, mais lorsqu'il repensait à Catelyn, force était de constater que ce n'était pas tout à fait faux.

*Peu importe. Elle est l'héritière, et elle fera son devoir.*

Pour autant, quitte à faire son devoir, autant essayer de le faire avec un minimum de plaisir. Autre que la simple satisfaction d'avoir joué son rôle au sein de la famille. En voyant Robert et Cersei, Eddard se disait que, si avantageux politiquement soit-il, un mariage malheureux pouvait être problématique. Pour autant, cela ne signifiait pas laisser la donzelle se marier avec le premier beau prétendant qui provoquerait quelque émoi en elle. Un mariage heureux était surtout affaire de patience, de travail, de partager des valeurs en commun. On ne le construisait pas sur un regard ou un sourire. Il le savait bien, vu le temps qu'il lui avait fallu, avec Catelyn, avant d'arriver à trouver un fonctionnement de couple satisfaisant pour les deux. La première fois, ils avaient à peine échangé trois mots. Catelyn lui en avait parlé, bien plus tard : après Brandon, le froid, solennel et taciturne Ned Stark l'avait mise mal à l'aise pendant plusieurs mois. Mais Catelyn était femme de devoir et elle s'était acquittée de ses devoirs conjugaux quels qu'aient été ses sentiments.


*Si elle est femme de devoir, elle saura se satisfaire d'avoir servi sa famille.*

Ni Cersei Lannister ni Robert Baratheon n'étaient gens de devoir, et cela, ainsi que leur mésentente, posait problème. Qu'un seul de ces éléments soit corrigé, et la question pouvait être réglée.

*Franchise, a-t-on dit.*

Ned Stark eut un de ses rares sourires à la fin de la tirade d'Elhenna, et son visage s'éclaira brièvement.

Merci de votre honnêteté. Pour ce qui est du mariage, j'ai quelques idées. Mais rien ne presse.

*C'est faux. L'heure est tardive, déjà. L'Hiver est sur nous.*

Enfin, disons qu'il faut nous en occuper bientôt, mais sans pour autant se précipiter. Cela étant, mon opinion est qu'un mariage heureux fonctionne toujours mieux qu'un mariage malheureux, si intéressant politiquement soit-il. Vous êtes l'héritière de la Maison Dustin, il est donc de votre devoir de vous marier, pour votre famille. Que cela vous plaise ou non. Pour autant, je préfèrerais que cela vous plaise. Je pense cela dit qu'un Nordien serait le mieux qui puisse vous convenir. Dans le sud, les femmes paradent dans de jolies robes et leur sujet de conversation principal est le type de coiffure qu'elles arboreront à la soirée suivante. Nous... nous sommes du Nord.

*Enfin... Vous êtes du Nord. Moi, je suis le Nord.*

Dans le Nord, une femme et héritière de sa Maison ne peut simplement se préoccuper de sa coiffure. Et plus encore avec l'Hiver qui vient sur nous. Or, c'est ce que ces beaux seigneurs du Sud attendent de leur femme. Mais vous avez peut-être vous-même quelques idées sur le choix de votre époux ?

Question intéressante s'il en était. Ce n'était pas que Ned Stark ait spécialement l'intention d'exaucer les souhaits de mariage de la jeune femme, mais il était intéressant de savoir comment elle pensait. Un simple "Êtes-vous femme de devoir ?" n'était pas une question maligne ni honorable à poser : il n'y avait qu'une seule réponse acceptable. En revanche, la jeune fille qui répondrait "Loras Tyrell, parce que ses yeux sont magnifiques" ou celle qui répondrait "Le fils d'Alysane Mormont, parce que nous avons besoin d'une ouverture sur la mer", ou encore celle qui répondrait "Je vous laisse décider pour moi, lord Main", pensaient de manière totalement différente. Il lui fallait mieux connaître sa pupille.

Lorsqu'elle eut enfin fini, Elhenna resta suspendue aux lèvres de son Suzerain, réalisant peu à peu que peut-être, elle en avait trop dit. Le voir sourire tandis que son visage semblait même s'éclairer la rassura.

- Merci de votre honnêteté. Pour ce qui est du mariage, j'ai quelques idées. Mais rien ne presse.

*Mais rien ne presse.* Une sorte de vague soulagement envahit Elhenna à ce moment là. Elle avait eu peur qu'il ne décide de la marier trop prestement, dans les semaines à venir. Quelle que soit l'échéance, elle serait trop rapide. Mais plus lointaine elle semblait être, plus cela paraissait acceptable aux yeux de la jeune louve.

- Enfin, disons qu'il faut nous en occuper bientôt, mais sans pour autant se précipiter. Cela étant, mon opinion est qu'un mariage heureux fonctionne toujours mieux qu'un mariage malheureux, si intéressant politiquement soit-il. Vous êtes l'héritière de la Maison Dustin, il est donc de votre devoir de vous marier, pour votre famille. Que cela vous plaise ou non. Pour autant, je préférerais que cela vous plaise.

Il semblait avoir compris que se marier ne l'enchantait pas. Il était vrai que la fille de Barbrey n'était pas maîtresse dans l'art de cacher ses émotions et ses sentiments. Et ce regard qu'il posait sur elle... Elhenna avait la même sensation qu'au moment du procès le concernant ; on ne pouvait longtemps mentir à de pareils yeux, à moins d'être dénué d'honneur.
Et de l'honneur, du courage et de l'orgueil, elle en débordait. Elle savait qu'il avait raison au fond. Oui, un jour, elle devrait se marier, pour sa famille et pour son nom. Mais, depuis qu'elle savait que William Dustin n'était pas son père, parfois, elle s'interrogeait quant à ses droits sur Tertre-Bourg et à ses obligations d'héritière. Bien sûr, elle aimait ses gens et sa mère l'avait éduquée avant tout pour qu'elle soit en mesure d'administrer ses terres et de les faire prospérer. Mais tout le reste ; le mariage et les enfants, elle s'en serait résolument bien passée.
Cependant, Eddard Stark disait préférer que se marier lui plaise. Elle en doutait et pensait que cela lui déplairait juste plus ou moins, suivant le caractère et l'allure de son futur époux mais que jamais, ô grand jamais, cela ne lui plairait.

- Je pense cela dit qu'un Nordien serait le mieux qui puisse vous convenir. Dans le sud, les femmes paradent dans de jolies robes et leur sujet de conversation principal est le type de coiffure qu'elles arboreront à la soirée suivante. Nous... nous sommes du Nord.

Elhenna ne pu retenir un sourire lorsqu'il évoqua les femmes du Sud et leur passion pour la coiffure. Elle-même avait refusé à Mégara que cette dernière la coiffe comme une Port-Réalaise et aujourd'hui encore, elle avait laissé ses boucles sauvages libres de toute entrave. Et quand elle avait voyagé avec Logaan, elle s'était satisfaite de tenues masculines et d'une tresse on ne peut plus pratique pour leur périple de plusieurs semaines. Oui, elle était du Nord, bien sûr. Sa poitrine se gonfla d'orgueil à cette idée. Il ne serait jamais dit qu'Elhenna Dustin était l'une de ces filles du Sud ; affolée par un peu de boue, de poussière ou le manque de nouveautés dans sa garde-robe. Elle aimait prendre soin d'elle, bien sûr. Être élégante et apprêtée lorsque l'occasion le demandait. Mais elle aimait aussi le contact brûlant de sa terre, de ses arbres et respirer l'air du domaine des Tertres à plein poumons. Elle aimait se sentir vivante. Jamais elle ne pourrait se contenter d'une vie de château, passée à pondre des héritiers.

- Dans le Nord, une femme et héritière de sa Maison ne peut simplement se préoccuper de sa coiffure. Et encore avec l'Hiver qui vient sur nous. Or, c'est ce que ces beaux seigneurs du Sud attendent de leur femme. Mais vous avez peut-être vous-même quelques idées sur le choix de votre époux ?

A sa question, Elhenna s'enfonça un peu plus dans son siège tandis qu'elle fronçait légèrement les sourcils tout en portant sa main droite à son menton. Si elle avait des idées ? Le fait de se marier la rebutait tellement qu'elle ne s'était jamais véritablement posé la question de savoir quel homme ferait un meilleur époux qu'un autre.
Jusqu'à la mort de Domeric, elle n'avait même pas eu à y réfléchir. Ça aurait été lui et elle s'en serait certainement satisfaite sans se révolter. Parce que d'aussi loin qu'elle s'en souvenait, sa mère lui avait toujours dit qu'ils se marieraient. Et si Elhenna l'avait toujours considéré comme un frère plutôt que comme un futur époux, elle ne serait jamais allée contre la volonté de Barbrey et de Roose Bolton si Domeric avait toujours été de ce monde.
Simplement, il ne l'était plus. Il était mort voilà des mois maintenant et elle n'avait pensé à personne d'autre. Aucun n'avait trouvé grâce à ses yeux et à ceux de Barbrey.
Elle se perdit un instant dans le regard gris d'Eddard Stark avant de commencer :

- J'ai... éconduit Lord Caron, le Sire de Serena. Ses mots lui brûlaient les lèvres. Il m'a fait sa demande il y a quelques jours. Sur son visage, on pouvait lire à quel point cette situation l'avait profondément mise mal à l'aise. Je pense que c'est un homme plein de qualités mais... Je ne veux pas épouser quelqu'un au détriment de mes gens. *Et si je me marie, ce sera uniquement pour eux et pour que Tertre-Bourg ne pâtisse pas du manque d'héritiers de la famille Dustin.*

Épouser Bryce Caron n'aurait certainement pas été le pire mariage qu'elle pourrait être amenée à contracter mais elle se serait vite sentie mal de ne vivre que dans l'ombre de son époux et de ne pouvoir voir les siens et ses terres qu'au terme de plusieurs semaines de voyage et de mois d'absence.

Sa main lâcha son menton avant qu'elle n'ajoute finalement :

- Et avant que de me plaire, mon futur époux devra plaire et convaincre ma mère.

Et ce n'était pas chose aisée. Car en plus d'être l'exigence incarnée pour sa fille et Tertre-Bourg, Barbrey aimait vraiment Domeric et aucun de ceux rencontrés jusqu'alors ne lui paraissaient dignes de le remplacer aux côtés de son unique enfant et à la gestion de ces terres dont elle avait jalousement gardé le contrôle depuis la mort de William Dustin.
Et la Dame de Tertre-Bourg était assez féroce pour faire vivre un véritable enfer au gendre qui ne trouverait pas grâce à ses yeux.

Lord Stark fronça les sourcils et son visage se durcit. Enfin, son visage était déjà dur la majorité du temps, mais là, il semblait taillé dans le granite et, l'espace d'un instant, ses traits se firent le reflet d'une férocité détachée qui aurait fait passer le légendaire Tywin Lannister pour un amuseur de foire. Mais seulement l'espace d'un instant.

Un prétendant vous a fait directement sa demande sans passer par moi ?

C'était clairement inconvenant, et cela aurait même pu être une insulte si Eddard avait eu la certitude que le prétendant savait de qui Lady Dustin était la pupille. Dans le cas présent, il convenait de lui laisser le bénéfice du doute, mais pour autant, il nota le nom dans un recoin de sa mémoire. L'explication la plus plausible était que, conscient qu'il n'était pas politiquement le meilleur parti possible, le damoiseau ait préféré parler au cœur de la jeune fille plutôt qu'à la cervelle de son tuteur. De ce qu'Eddard avait pu voir de Lyann... d'Elhenna, une telle stratégie était vouée à l'échec dès le début. Il n'empêchait. Pour une question de principes, le procédé lui déplaisait.

Il aurait dû passer par moi. Je suis votre tuteur. Surtout vu les conséquences politiques liées à votre mariage. C'est le sort d'une Maison qui est en jeu. La prochaine fois, veuillez porter ce point à l'attention du prétendant.

Cela étant, si elle n'aimait pas du tout l'homme, à moins qu'il ne soit le mariage rêvé, il ne servait à rien d'insister. Mais il convenait, d'abord de sélectionner les prétendants en fonction des bénéfices du mariage, et ensuite, seulement ensuite, de voir ce qu'en pensait la jeune fille. C'était dans ce sens qu'il convenait de faire, pas à l'inverse.

Je connais dame votre mère.

*Et c'est une femme aigrie et triste. A se demander comment elle a pu élever une fille aussi pleine de vie.*

Et je suis bien conscient des obstacles à surmonter. Tout comme je suis conscient que votre mariage fera de toute manière des mécontents. Les retombées politiques de votre mariage, quand il aura lieu, perturberont de toute manière l'équilibre des forces dans le Nord. Il y aura des gagnants et des perdants. Je suis bien conscient de ces problèmes. Mais je ne vous demande pas qui vous ne voulez pas, mais si vous avez repéré des candidats sérieux.

Tout en parlant, Eddard se faisait mentalement une liste des Maisons du Nord de rang adéquat. Il voulait avoir l'opinion d'Elhenna sur la question parce que si elle avait déjà une idée derrière la tête - elle n'avait pas l'air du genre à laisser les autres prendre sa destinée en main sans insister pour avoir son mot à dire - alors cela en dirait long sur son mode de pensée. Et, qui sait ? Ce pouvait tout à fait être une bonne idée. Elle semblait mûre, responsable et loin d'être idiote. Le mariage serait bien plus facile à faire passer si elle épousait quelqu'un pour qui elle avait déjà des affinités. Après tout, le cas de pas mal de Targaryen, ainsi que de Lyanna - il y repensait souvent, depuis le début de l'entrevue - avait prouvé qu'entre les arrangements politiques et la manière dont les choses se passaient réellement lorsque les émotions humaines détruisaient les beaux plans des beaux seigneurs, il pouvait y avoir un monde.

En réalité, ce n'était pas si différent de commander une bataille : même les plans les plus parfaits étaient mis à l'épreuve dès que la première flèche avait heurté le premier bouclier. Un bon chef prenait cet aspect en compte.

Elhenna hocha la tête.

- Je le ferai.

La figure solennelle qui lui faisait face n'aurait souffert aucune autre forme de réponse, elle en était certaine. Elle comprenait pourquoi sa mère ne l'aimait pas. Parce qu'il était un vrai chef auquel on ne dicte rien. Un vrai chef insensible à beaucoup de choses auxquelles d'autres cédaient bien plus facilement. Barbrey n'avait sur lui aucune emprise, si ce n'était le sacrifice de William Dustin.
Mais de toute manière, elle espérait bien que Bryce Caron serait le premier et le dernier à la demander ainsi en mariage.

Il l'enjoignait à présent à lui dire si elle avait repéré de sérieux candidats. La jeune femme fronça les sourcils. Il ne fallait pas qu'elle pense aux hommes qu'il y avait derrière ces noms. Seulement à ce qui donnerait la meilleure alliance possible à Tertre-Bourg.
Elle se leva soudainement puis commença à arpenter d'une foulée vive le bureau d'Eddard Stark tout en ponctuant chacun de ses pas légers de tout ce qui pouvait lui passer par la tête. Arrivée au bout de la pièce, elle faisait demi-tour, repassait devant le bureau puis continuait.
Parfois elle jetait un regard entendu au frère de Brandon, d'autres fois elle interrompait sa foulée pour prendre le temps de réfléchir un instant avant de poursuivre le même rituel.
Elle faisait tout cela naturellement. Difficile pour la jeune louve de tenir en place. Marcher l'aidait à se concentrer et à calmer le dégoût qui l'étreignait lorsqu'elle pensait que bientôt, elle serait mariée.
Et penser ainsi en terme de Maisons et d'alliances était résolument moins dérangeant que penser à l'hypothétique futur époux. Elle aurait même trouvé cela intéressant et passionnant si son hymen ne se trouvait pas dans la balance des gains pour la famille choisie.

- Il y a les Manderly. C'est une riche Maison, dotée du port le plus important du Nord... Une véritable ouverture sur la mer. Les Locke aussi en ont une... - Elle lança un regard entendu à Eddard. Elle doutait que sa mère apprécie l'idée de la marier à un Manderly alors à l'un de leurs vassaux... Mieux valait ne pas lui en parler. - Et les Overton. - Elle s'interrompit un instant en secouant la tête. Elle ne pouvait se résoudre à imaginer cela. La Maison était en pleine expansion grâce à Ades. Fort-de-Glace aurait encore besoin de lui de longues années pour continuer à prospérer.
Elle reprit son pas, faisant onduler sa longue crinière brune à chacun de ses mouvements.
- Les Bolton n'ont plus d'héritier... Enfin mon oncle est veuf mais... - Elle pinça les lèvres en chassant cette idée de ses pensées. - Par ailleurs, ma mère a déjà refusé de me marier à Cley Cerwyn et à Benfred Tallhart. Elle se souvenait encore de ces ennuyeux entretiens ou aucun des deux jeunes hommes n'avaient su les convaincre de leurs compétences de Lord. Quelles Maisons restait-il ?
- Il y a aussi les Karstark, les Omble et les Flint.
Rien de bien réjouissant. Sa mère serait certainement outrée si elle épousait l'un des fils de Lord Rickard. Elle qui avait voulu être une Stark vivrait sans doute mal le fait que sa fille n'ait le droit qu'à cette branche éloignée de la Maison Suzeraine. Les Omble avaient mauvaise réputation à Tertre-Bourg. Quant aux Flint, que ce soit ceux de la Veuve ou de Pouce-Flint, les Maisons avaient toutes deux des statuts bien inférieurs à celui des Dustin.

Elhenna s'interrompit alors, le visage grave. Elle se trouvait juste face à Eddard et plongea son regard gris devenu aussi solennel que le sien dans celui de ce dernier.

- Pour le Nord, je ne vois que peu d'autres options. *Et aucune n'est réjouissante.*

Il restait d'autres Maisons, bien sûr. Mais trop peu importantes pour que l'on puisse les mentionner maintenant.

Eddard Stark en savait maintenant beaucoup sur sa pupille. Il n'avait pas été éduqué pour le commandement et n'avait jamais possédé l'autorité flamboyante et le charisme éclatant de son frère aîné Brandon -pourquoi pensait-il tant à lui depuis que sa pupille était arrivée ?

Néanmoins, il avait appris quelque chose que son frère avait toujours eu du mal à faire : observer, analyser, avant d'agir. Par exemple, Eddard Stark aurait un minimum assuré ses arrières avant d'aller brailler aux portes du Donjon Rouge comme son frère l'avait fait. Il n'aurait rien fait de déshonorant, bien sûr, mais il aurait paré à certaines éventualités. Et il avait appris à juger assez bien ses semblables, justement en les observant. Chacun de ses soldats avait partagé son repas plusieurs fois, et il savait qui aimait sa femme, qui aimait l'argent, qui aimait son seigneur, qui avait une intelligence politique, qui était mû par son sens du devoir, qui était vantard, qui était loyal, qui était discret, de qui se méfier.

C'était une aptitude importante. Vitale, même, pour un homme dans sa position. Être gouverneur d'une région des Sept Couronnes, à plus forte raison une aussi à part que le Nord, nécessitait de gérer les tensions et de comprendre les gens. Sans compter qu'il avait appris l'histoire sur les genoux des mestres, et une leçon pouvait en être tirée : les Stark avaient eu maille à partir, dans le passé, avec des Sauvageons, des Targaryen, des Lannister, des Greyjoy... Mais plus souvent encore avec d'autres Stark, ou des Bolton. Le couteau qui frappait dans le dos était souvent tenu par un proche.

Donc, il jugeait les gens assez vite. Et assez bien.

Face à lui, une jeune femme qui n'avait rien à voir avec sa mère. Jeune, passionnée, éprise de sincérité, loyale et flamboyante. Dotée d'un fort tempérament et d'une intelligence politique non négligeable également, quoique pas encore parvenue à maturité.
Et qui n'avait aucune envie de se marier, même si son sens du devoir, ainsi que le triple statut de suzerain, Main, et tuteur de l'homme qu'elle avait en face d'elle, lui interdisait d'insister sur ce point. Cela se voyait à l'absence d'enthousiasme dans son ton, et particulièrement à la manière dont elle avait énuméré les partis possibles. Elle l'avait fait sur le même ton ennuyé qu'un enfant qui apprend par cœur la liste des Maisons Majeures et Mineures de Westeros depuis la Conquête. Et elle n'avait pris aucune décision.

Ce qui intéressait beaucoup Eddard. Et ce, pour plusieurs raisons.

La première était que si il avait raison concernant le tempérament d'Elhenna, il serait mieux pour tout le monde que lui et elle s'accordent sur le choix d'un parti, entre deux personnes sensées, plutôt qu'il lui impose son choix comme un père à son enfant. Il serait ensuite beaucoup plus facile de faire accepter leur choix commun à lady Dustin. Toute vieille carne endurcie qu'elle était, il ne la voyait pas résister indéfiniment à son suzerain et à sa fille. Surtout quand le premier était aussi patient et inexorable que la glace, la deuxième aussi irrésistible qu'un incendie.

La deuxième était qu'Elhenna Dustin allait de fait gérer la Maison, et être vassale directe d'Eddard puis de son fils Robb. Autant que les relations entre eux soient cordiales. Entre autres conséquences, cela pourrait clairement influencer le nombre d'épées qu'elle lèverait pour les Stark lorsqu'ils appelleraient à la guerre. Ce qui se produirait nécessairement un jour ou l'autre.

La troisième était qu'il considérait que son devoir en tant que tuteur allait au-delà de chercher dans quel lit sa pupille passerait sa nuit de noces. Si elle pouvait apprendre quelque chose de lui, comme bien diriger son domaine, par exemple, ce serait pour le mieux. Car il lui avait demandé son avis, elle avait cité des noms, mais n'avait pas décidé. Or, elle était de fait la chef de la maison Dustin, et il préférait que ses vassaux soient compétents et loyaux.

Enumérer les possibilités de choix comme elle l'avait fait pouvait sembler long, mais c'était en réalité le plus facile. Le plus dur, sur lequel les gens achoppaient souvent, était de déterminer ce qui était important, et ne l'était pas. D'orienter la réflexion. Une fois cela fait, décider devenait aisé.

Son ton se fit patient, pédagogue. Il n'essayait pas d'obtenir quelque chose, pour le moment, mais il voulait lui enseigner. C'était son devoir en tant que tuteur. Il eut un sourire chaleureux à l'égard d'Elhenna.

Je connais la liste des Maisons importantes du Nord aussi bien que vous. Mais vous me fournissez une liste, et vous êtes suffisamment mûre pour prendre votre destin en main.

Ce discours, il le savait, aurait l'heur de lui plaire.

Donc, quels sont selon vous les critères importants à considérer pour faire votre choix ? Et, à considérer tout cela, qui épouseriez-vous si la décision ne revenait qu'à vous ?

Au sourire chaleureux que lui adressa Eddard, un sentiment nouveau emplit la poitrine d'Elhenna. Sans le quitter du regard, elle se rassit doucement sur son siège en l'écoutant. A ce moment là, elle regrettait vraiment que Barbrey ne l'ai pas envoyée à Winterfell comme pupille. Elle regrettait aussi de ne pas avoir connu Brandon Stark. Peut-être auraient-ils discuté ainsi ensemble également. Si tout avait été différent, peut-être même qu'il l'aurait traitée comme sa fille. Avoir un père. Force était de constater que parfois, cela lui avait manqué. Et plus encore lorsque Ned Stark lui parlait sur ce ton. Non pas que l'éducation donnée par Barbrey ait été mauvaise mais elle avait été promulguée avec la seule sensibilité de la Dame de Tertre-Bourg. Pour l'exigence croissante d'Elhenna, cela commençait à être trop léger.

- Je connais la liste des Maisons importantes du Nord aussi bien que vous. Mais vous me fournissez une liste, et vous êtes suffisamment mûre pour prendre votre destin en main.

La jeune louve rendit son sourire à Eddard. C'était bien la première fois qu'on lui disait qu'elle était assez mûre pour quoi que ce soit. Sa mère lui prêtait toutes sortes de qualités mais certainement pas celle-là. Elle en était d'autant plus heureuse. Et elle avait l'impression que l'homme assit en face d'elle arrivait à la lire avec une facilité déconcertante. Bien sûr, elle n'avait donné qu'une liste. Parce qu'elle ne voulait pas choisir. Parce qu'elle ne voulait donner sa liberté à aucun.
Mais la Main du Roi appuyait là où il fallait pour la sortir de ses retranchements. Elle aurait détesté cela d'à peu près tout le monde. De lui, c'était différent car il n'était pas seulement son Suzerain. Il lui était familier. Elle se retrouvait dans ses yeux gris et dans son visage solennel.

- Donc, quels sont selon vous les critères importants à considérer pour faire votre choix ? Et, à considérer tout cela, qui épouseriez-vous si la décision ne revenait qu'à vous ?

Elhenna entrouvrit la bouche puis la referma. C'était des questions qui méritaient au moins un peu de réflexion. Pour une fois, il fallait qu'elle contienne sa furieuse nature. Elle prit donc quelques instants pour réfléchir avant de répondre :

- La Maison Dustin est solide et bien implantée dans les Tertres. Nos vassaux nous sont fidèles et nous entretenons avec les Ryswell une relation privilégiée.

Elle marqua une courte pause en songeant à son grand-père.

- Lord Rodrik fournit ma mère et notre Maison en chevaux depuis qu'elle a quitté les Rus.

Ses yeux brillèrent un instant d'une lueur sauvage tandis qu'elle pensait à Ardent, son étalon rouge.

- Mais l'on ne peut pas tout faire à cheval, ajouta-t-elle dans un léger soupir. Nous sommes dépendants de Blancport pour emprunter les voies maritimes et nous ouvrir sur le monde alentour. Ce qui est coûteux, ajouta-t-elle en se frottant le menton.

Un mariage bien négocié avec un Manderly assurerait à Tertre-Bourg de prospérer aisément. Mais il y avait quelque chose qui ne lui plaisait pas dans cela. Et ça n'avait rien à voir avec le fait de se résoudre à épouser Wendel Manderly ; son frère aîné Wylis n'ayant aucun fils à marier.

- Cependant... Elle fronça les sourcils à cette idée. Les Manderly sont déjà une importante Maison du Nord, dotée de nombreux vassaux et de ressources non négligeables. Un mariage avec cette famille reviendrait à étendre leur pouvoir sur toute la région des Tertres.

Elle plongea son regard gris dans celui d'Eddard, en essayant de deviner ce que lui en penserait.

*Cela déséquilibrera complètement les forces du Nord.*

Et éteindre son nom au profit des Manderly lui serrait le cœur. Son orgueil lui dictait de conserver à n'importe quel prix l'héritage de William Dustin.

La jeune fille était plus diplomate que prévu, finalement. Eddard s'attendait à moitié à ce qu'elle lui expose par le menu ses réflexions sur le parti qu'elle avait choisi et la manière dont cela modifierait les rapports de forces parmi les vassaux de la Maison Stark. Mais elle avait choisi une approche plus raffinée, qui disait en substance : "Nous nous comprenons".

Clairement, son choix s'orientait vers les Manderly, afin de s'assurer une ouverture sur la mer. Là encore, le fait intéressant était qu'elle n'avait pas donné franchement sa décision finale. Elle laissait encore les choses quelque peu en suspens, comme si elle avait peur de s'engager totalement. Manque d'enthousiasme pour le mariage, timidité vis-à-vis de son tuteur, ou tendance à réfréner son tempérament entier, difficile à dire. Cela dit, le manque d'enthousiasme s'imposait comme l'explication la plus évidente.

Cependant... Les Manderly sont déjà une importante Maison du Nord, dotée de nombreux vassaux et de ressources non négligeables. Un mariage avec cette famille reviendrait à étendre leur pouvoir sur toute la région des Tertres.

Eddard retint un haussement d'épaules. De toute manière, tout mariage, quel qu'il soit, modifierait significativement l'équilibre des forces. Ce n'était pas forcément une mauvaise chose. Des vassaux grinceraient des dents, bien sûr, mais ce serait de toute manière le cas. Il n'y avait aucun cas de figure où tout le monde pouvait être satisfait. Un dicton lui revint en mémoire.

*Un bon arrangement laisse les deux parties insatisfaites.*

Un bon arrangement laisse les deux parties insatisfaites, dit-on. Votre mariage modifiera forcément l'équilibre des forces et donc, fera des mécontents. Je suis bien conscient du problème mais une décision, même discutable, vaut toujours mieux que pas de décision du tout. Je pense votre choix sensé : les Manderly apprécieraient d'avoir une présence dans la région des Tertres, et une ouverture sur la mer serait largement à votre avantage. Surtout, les Manderly sont une famille qui a bonne mémoire concernant les anciens serments, les anciennes coutumes. Ce sont gens d'honneur, il me semble. J'approuve votre choix. J'avais pour ma part pensé à un Karstark. Il se trouve que Torrhen Karstark est mon pupille. C'est le troisième fils de lord Rickard Karstark. Vous vous seriez bien entendus.... Mais un troisième fils... Dame votre mère m'en voudrait. Écoutez, nous allons prendre notre temps. Votre mère sera très mécontente si je vous trouve un parti trop rapidement, elle me soupçonnera d'avoir bâclé l'affaire.

*D'un autre côté, si cela va trop lentement, elle m'accusera de ne pas m'occuper du cas d'Elhenna et de faillir à la mémoire de William Dustin. Elle m'en voudra quoiqu'il en soit.*

Donc je dis, patience. Prenons notre temps pour y réfléchir sereinement. Et revoyons-nous de temps en temps pour discuter de ce sujet. Ou d'autres. Parfois, un peu de compagnie est bienvenue pour me distraire de mes soucis.

C'était d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il était si tolérant avec Arya. Elle était une bouffée d'air frais, avec son insolence et son mépris des règles. Mais il ne fallait pas abuser de l'air frais non plus. La Main du Roi se replongea dans la lecture de ses parchemins, signifiant par là que l'entrevue était terminée.

Le cœur d'Elhenna battait plus fort, tandis qu'elle attendait la réponse d'Eddard Stark.

- Un bon arrangement laisse les deux parties insatisfaites, dit-on. Votre mariage modifiera forcément l'équilibre des forces et donc, fera des mécontents.

La jeune louve pensa soudainement à son oncle. Son autre oncle. Elle se disait que lui ferait très certainement partie des mécontents. Surtout si c'était une autre importante Maison que la sienne qui s'emparait de la Tertrée, après toutes ces années passées à planifier le mariage de son fils et de sa nièce. Fort-Terreur devait à présent être terriblement lugubre, après les morts successives de Domeric et de Bethany Bolton. Un court instant, l'ombre de Ramsay Snow s’immisça dans l'esprit de la jeune femme avant qu'elle ne la chasse en se concentrant de nouveau sur Lord Stark.

- Je suis bien conscient du problème mais une décision, même discutable, vaut toujours mieux que pas de décision du tout.

Dans le cas présent, Elhenna n'était pas d'accord. Elle aurait mille fois préféré ne pas prendre de décision. Elle était à peine sortie de l'enfance, elle avait encore le temps ! Sa mère était encore jeune et bien vivante ! Et même si son devoir lui dictait de réfléchir pour Tertre-Bourg avant tout, elle aurait voulu pouvoir reporter son choix et les conséquences de ce dernier encore et encore.

- Je pense votre choix sensé : les Manderly apprécieraient d'avoir une présence dans la région des Tertres, et une ouverture sur la mer serait largement à votre avantage. Surtout, les Manderly sont une famille qui a bonne mémoire concernant les anciens serments, les anciennes coutumes. Ce sont gens d'honneur, il me semble. J'approuve votre choix.

Même si cela signifiait que le mariage se rapprochait, la dernière phrase d'Eddard arracha un sincère sourire à Elhenna. Elle n'avait même pas vraiment espéré qu'il l'écoute en venant ici et là, il l'approuvait. Il validait son raisonnement. Et ce qu'il disait des Manderly la rassurait un peu, sans pour autant réussir à la rendre enthousiaste.

- J'avais pour ma part pensé à un Karstark. Il se trouve que Torrhen Karstark est mon pupille. C'est le troisième fils de lord Rickard Karstark. Vous vous seriez bien entendus.... Mais un troisième fils... Dame votre mère m'en voudrait. Écoutez, nous allons prendre notre temps. Votre mère sera très mécontente si je vous trouve un parti trop rapidement, elle me soupçonnera d'avoir bâclé l'affaire.

A ces mots, une vague violente de soulagement submergea la jeune femme. Ils allaient prendre leur temps ! On ne l'expédierait pas à Blancport ou ailleurs comme cela, du jour au lendemain. Elle se détendit un peu en hochant la tête aux remarques d'Eddard Stark. Bien sûr, quoi qu'il arrive, sa mère serait mécontente. Elle ne trouverait jamais personne qui lui plaise autant que son regretté neveu. Et pour la Dame de Tertre-Bourg, il ne fallait pas oublier que l'enjeu était de taille.

- Donc je dis, patience. Prenons notre temps pour y réfléchir sereinement. Et revoyons-nous de temps en temps pour discuter de ce sujet. Ou d'autres. Parfois, un peu de compagnie est bienvenue pour me distraire de mes soucis.

Elhenna se releva alors et le salua en contenant le dernier sourire qu'il venait de lui arracher. Il serait heureux de la revoir pour discuter de nouveau, et pas forcément de son mariage à venir. Sans vraiment réussir à comprendre pourquoi, savoir cela la rendait vraiment heureuse.