Gretchel était dans la charpente de l'écurie: l'hiver ne tarderait plus et les chevaux y passeraient quasiment tout leur temps, aussi fallait-il s'assurer qu'aucune poutre n'était pourrie et que le toit n'avait pas de fuite. L'humidité pouvait faire moisir paille et foin et abimer les sabots des bêtes. La vigilance s'imposait donc, car un cheval aux pieds pourris ou malade comme un chien à cause d'un aliment avarié ne valait déjà plus grand chose. La jeune femme inspectait donc chaque poutre avec un grand soin, debout sur le plancher du grenier à foin. Tom, le garçon d'écurie, petit et léger était monté dans les solives les plus hautes ce qui lui permettait de regarder le toit en même temps.

Sauvage, le principal étalon de son élevage hennit deux mètres sous ses pieds. Par une fente large entre les lattes, Gretchel pu le voir secouer sa crinière noire. A l'autre extrémité de l'écurie, le deuxième entier, Trèfle, tapait du sabot. Interpelée, l'éleveuse s'interrompit dans son inspection: ce genre d'agitation impliquait qu'ils sentaient un autre étalon ou une jument en chaleur. Les siennes ne l'étant pas, quelqu'un devait approcher de l'élevage. Gretchel leva le nez vers Tom. Le gamin n'était pas aussi habitué qu'elle aux chevaux et avait du mal à tirer des conclusions de l'agitation des étalons et du soudain arrêt de sa patronne.

"On a de la visite." expliqua-t-elle, alors que des bruits de sabots raisonnèrent sur les pavés de la cour comme pour appuyer son propos.

Elle s'approcha de la trappe qui donnait sur l'écurie alors que Tom quittait son perchoir en quelques sauts. Un homme se tenait dans la cours, tenant un cheval par la bride. De là où elle était Gretchel avait du mal à voir à quoi il ressemblait, mais sa monture, qu'elle voyait mieux, lui était inconnue. Elle lança un regard à Tom pour lui indiquer de ne pas bouger, puis descendit avec la rapidité de l'habitude l'échelle du grenier à foin.

"Je suis là..." déclara-t-elle en ajoutant sur un ton aigre, sonnant comme une insulte: ...ser.

Les gens de guerre la crispaient, c'était plus fort qu'elle. Gretchel avait un mal fou à être simplement froidement courtoise avec un chevalier. Gonflée de toute sa petite taille, elle se tourna et appela Tom pour le faire descendre: il avait des brides à graisser. Sauvage tapa dans la cloison de sa stalle en essayant de se retourner et c'est alors que Gretchel se rappela de la nervosité que déclenchait le cheval de l'inconnu sur ses étalons.

"Il faut éloigner votre bête de l'écurie, elle tape sur les nerfs de mes entiers. Nous discuterons de ce qui vous amène après." déclara-t-elle en prenant d'autorité la bride des mains du chevalier.

Il voulait un cheval, c'était sur, mais selon le type qu'il voudrait elle risquerait d'avoir du mal à le satisfaire et à l'éloigner rapidement de sa maison. En ce moment Gretchel n'avait à la vente qu'une paire de jeunes hongres sans caractéristiques précise, une jument qui serait très bien adaptée pour une dame et deux poulains en cours de dressage. Ça risquait d'être un peu compliqué, mais chaque chose en son temps. Elle conduisit le chevalier et sa monture derrière la maison: des anneaux pour attacher les chevaux étaient rivés au mur.

Rapidement, tout en ignorant le chevalier, Gretchel passa au cheval le licol qu'elle coinçait dans sa ceinture, puis l'attacha à l'anneau, avant de lui retirer son mors et desserrer la sangle de la selle.

"Je demanderais à mon garçon d'écurie de lui porter à boire plus tard." expliqua-t-elle en se redressant de toute sa taille pour avoir l'air moins minuscule à coté de l'homme. "Qu'est ce que je peux faire pour vous?"

Le chevalier avait une certaine allure, Gretchel était bien obligée de l'admettre et qui plus est, maintenant qu'elle prenait la peine de le regarder, il ne ressemblait pas au genre d'ordure qui boute le feu à une écurie pour s'amuser. Méfiance tout de fois, la jeune femme n'allait pas le quitter des yeux une seconde. On tourne pas le dos à un homme qui porte au coté un couteau de la taille d'un bras, aiguisé comme un rasoir. Toutefois, un autre bon point: il n'avait pas remis en cause son autorité et s'était laissé mener à la bride comme son cheval.

Au moins ses exigences était simples. Gretchel avait craint qu'il n'exige un destrier de combat, mais visiblement il souhaitait simplement acquérir un bon cheval de voyage. Effectivement, ses deux hongres adultes pourraient faire l'affaire. Encore fallait il qu'il ne doute pas de sa virilité au point de vouloir monter un entier à tout prix: cela s'était déjà vu. Typhon et Navire était de bon chevaux, ils pourraient lui plaire. Une formalité d'abord tout de fois:

"Ah au fait. Gretchel." déclara la jeune femme en lui tendant la main après l'avoir essuyée sur sa tunique. "J'ai deux hongres de quatre et six ans à vous proposer. De bon chevaux. J'ai aussi une petite jument mais je pense qu'elle ne conviendrait pas."

Gretchel tourna les talons en lui faisant un vague signe de la main pour qu'il la suive. Ils traversèrent la cours en sens inverse pour retourner vers les écuries. La mère de Gretchel, cinquantenaire revêche sortie entre temps pour arracher les mauvaises herbes du potager, les suivit du regard avec un air mauvais sous son fichu. Au lieu d'entrer dans l'écurie, l'éleveuse fit simplement un petit détour devant pour passer devant son garçon d'écurie. Elle claqua de la langue et pointa du doigt l'endroit où était attaché le cheval de l'étranger.

Le gamin, habitué, se leva de la balle de paille sur laquelle il était assis et fila abreuver le cheval abrité dans l'ombre de la maison. Gretchel contournait pendant ce temps l'écurie: un petit champs clôturé se trouvait à l'arrière. Les deux hongres à vendre et son cheval personnel, Loiseau, s'y trouvaient. Elle sauta la barrière alors que son pommelé trottait placidement à sa rencontre.

"Ceux qui sont à vendre sont plus au fond." indiqua-t-elle immédiatement en pointant les deux silhouettes installées sous un arbre, pour s'éviter tout offre sur son cheval.

Un peu plus timides, les deux bêtes finirent par venir à la rencontre des visiteurs. Typhon était le plus grand des deux, sa robe était d'un beau bai et son allure était élégante, mais il semblait un peu frêle à cause de ses jambes trop longues. Navire avait une robe alezan terne, mais son regard pétillait d'intelligence et il avançait d'un trot léger.

Navire, plus curieux, approcha sans hésiter son nez velouté de la paume de ser Wiver. Gretchel ne pu retenir un sourire satisfait quand il s'extasia sur leur beauté. Ses bêtes étaient bien nourries, bien entretenues et montées au moins deux fois par semaine par elle ou Shaddy pour leur assurer une bonne condition physique. Donc oui, ils pouvaient bien être magnifique après avoir bénéficié d'autant d'attention! Ser Wiver venait officiellement de se mettre Gretchel dans la poche.

"Je peux même vous montrer leurs parents si ça vous intéresse." déclara-t-elle sur un ton neutre, en frottant l'encolure grise de Loiseau.

Après tout, un homme qui aimait les chevaux ne pouvait pas être mauvais. L'éleveuse avait l'impression que son client recherchait autant une monture qu'un fiable compagnon et c'était tout à son honneur. Gretchel n'avait que trop de fois partir ses bêtes entre les mains d'hommes sans considération pour leur monture, qui ne leur réserverait qu'un coin d'étable au milieu des vaches et les feraient courir trop longtemps en ne les nourrissant pas assez. Wiver lui semblait déterminé à prendre soin de sa nouvelle bête et elle avait envie de lui faire confiance, à juger le poil soyeux et l'air éveillé du cheval sur lequel il était arrivé.

Tout en faisant connaissance avec les deux hongres, le chevalier l'interrogea sur les noms des jeunes chevaux

"Le petit alezan c'est Navire, il a six ans donc il est dans la tranche d'age que vous vouliez. Le grand c'est Typhon, il est un petit peu plus jeune." expliqua-t-elle avant d'ajouter pour justifier l'écart d'age: "Ils ont la même mère."

Tout en parlant, elle pointa un pré proche où les trois poulinières de l'élevage, aux robes colorés paissaient tranquillement. Le père de Typhon était l'étalon d'un élevage plus petit situé à quelques heures de cheval. L'animal présentait des qualités remarquables qui n'était que peu passés à son fils, pourtant un bon cheval. Quand à Navire, il était plus banalement issu de Trèfle, le doyen de l'élevage.

"Un forgeron? Oui oui il y en a un après l'élevage, environs cent mètres avant le village." Gretchel repoussa la tête de Loiseau qui essayait de fouiller ses poches et précisa: "Leurs antérieurs son ferrés, mais pas les postérieurs. Vous voulez peut être en monter un pour prendre votre décision d'ailleurs?"

Gretchel sourit franchement, elle prenait toujours beaucoup de soin à trouver des beaux noms à ses chevaux et il était rare que ce soit relevé. Son travail était apprécié à sa juste valeur, du plus petit détail à l'aspect le plus global et cela flattait agréablement son orgueil de maitresse d'écurie.

"Alors je pourrais demander à mon garçon d'écurie de nous préparer les deux comme cela je pourrais vous montrer leur mère pendant ce temps."

Ainsi, elle pourrait aussi lui montrer la forge locale un peu dissimulée puisqu'au bout d'un sentier perpendiculaire à la route principale. Elle pourrait aussi prendre mesure de ses talents de cavaliers et le conseiller sur celui des deux hongres qui lui conviendrait le mieux. Aucun n'avait besoin d'une main vraiment ferme pour se laisser conduire, mais Navire et sa curiosité avaient besoin de rappels à l'ordre fréquents pour rester concentrés. Typhon quand à lui pouvait se montrer un peu peureux et il fallait se montrer rassurant.

Wiver semblait de plus en plus impressionné par l'élevage, ce qui donnait à Gretchel l'envie de lui montrer plus en détails ses ficelles si il le lui demandait. Elle frotta une dernière fois le front du collant Loiseau et s'éloigna de lui.

"Si vous voulez bien venir avec moi, je vais envoyer Tom nous préparer les chevaux et vous montrer le père de Navire. Celui de Typhon appartient à un autre élevage j'aurais donc du mal à vous le montrer c'est malheureusement assez loin."

Gretchel repassa la barrière: l'écurie était largement à portée de voix. Après avoir appelé Tom, elle lui donna ses instructions. Les deux chevaux devaient être prêts et attachés devant l'écurie d'ici un quart d'heure et Shaddy prévenu de sa sortie. En effet si son mari s'occupait surtout de l'administratif et de la vente des chevaux, il arrivait qu'il la sollicite pour l'aider à fixer le prix d'une bête ou lui donner un conseil. Quand Gretchel quittait l'écurie, elle le prévenait ou le faisait prévenir.

Il s'écoula quelques minutes pendant lesquels elle montra Rouille, la mère des deux hongres à Wiver, puis Trèfle, le vieil étalon alezan dont les poils blanchissait déjà autour des naseaux et des yeux. Tom vint alors prévenir que les chevaux étaient prêts. Ravis de partir en promenade les deux hongres piaffaient légèrement, les naseaux au vent.

"Vous voulez commencer par lequel?" demanda-t-elle en détachant Typhon.