Spoiler:

D'un regard appuyé en direction de son interlocuteur, le Gouverneur de l'Ouest acquiesça silencieusement les paroles - visiblement éclairées - de ce dernier. Patiemment, Tywin écouta le patriarche de la famille Stark résumer brièvement les raisons l'ayant poussé à réclamer audience auprès de la Main du Roi. Une entrevue dont le vieux Lion se serait volontiers passé, à l'instar d'Eddard, mais qui se révélait, hélas, d'une importance capitale. Le Loup semblait en être pleinement conscient car, en dépit des rivalités assumées qui unissaient - depuis des années, déjà ! - leur maison respective, ne manqua pourtant pas d'assurer Tywin du soutien militaire et politique de la Couronne qui, menacée par l'offensive Fers-Nées, se devait de réagir. Une déclaration dont se languissait le Sire de Castral Roc depuis des semaines, et qui le conforta allègrement dans ses intentions prochaines : cette seconde révolte ne resterait pas impunie.

Malheureusement, le Trône de Fer jamais n'est généreux. Tywin le savait parfaitement, pour avait été à sa tête des années durant. Si les manières, lentes et sirupeuses, de la cour avaient tendance à l'horripiler au plus haut point - surtout dans l'imminence d'une guerre - le vieux Lion savait néanmoins s'en accommoder. Négocier n'était pas un problème : il avait quelques arguments pour obtenir ce qu'il désirait. Mais la frilosité de la Couronne, si elle était légitime, l'agaçait quelque peu. Si Robert ne s'était pas entiché de ce Stark, nul doute que les troupes Baratheon marcheraient déjà en direction de l'Ouest.

« Seriez-vous en train de suggérer, Lord Eddard, qu'une vulgaire histoire de financement serait en mesure de remettre directement en question la paix du Roi ? »

Un sourcil arqué, Tywin planta durement son regard dans celui du Nordien. La Justice.. Stark était intraitable sur ce sujet, lui et son inflexible sens de l'honneur. Comment pouvait-il donc, lui, le fier Seigneur du Nord, oser la marchander de la sorte ? Si le Loup paraissait s'adapter relativement bien au rythme de vie Port-Réalien et à ses tribulations, ce rôle de magouilleur de bas étage ne lui seyait guère.

« J'ose espérer que ce n'est pas le cas, Lord Eddard. Car, si l'on suit votre raisonnement, rien ne serait en mesure d'empêcher les différentes provinces des Sept-Couronnes de se rebeller contre le Trône de Fer. Après tout, si la paix du Roi peut être violée sans crainte de représailles - et ce, au nom d'un prétendu problème de rentabilité - à quoi bon observer la loi, et courber l'échine ? »

Il se tût, ses yeux toujours résolument plongés dans ceux de son interlocuteur. Tywin était prêt. Prêt à en découdre avec quiconque souhaitait le priver de l'appui qu'il entendait obtenir. Prêt à jouer ce personnage d'intrigant pour s'assurer du soutien de la Couronne. Prêt à affronter les négoces du Gouverneur du Nord, si tel était son désir.

D'un œil passablement dédaigneux, Tywin observa le Loup s'offusquer silencieusement de ses remarques précédentes. Les raisonnements du Gouverneur de l'Ouest ne semblaient guère être au goût du Nordien qui, à en juger par son attitude, faisait de son mieux pour contenir son amertume. Sans piper le moindre mot, le vieux Lion assista à la démonstration du Seigneur de Winterfell, le visage crispé dans une expression de mépris courtois. La suffisance malséante du Stark lui arracha un haussement de sourcil sceptique. Que pensait-il donc provoquer en exhibant son poing de la sorte ? Son admiration ? Son enthousiasme ? La situation aurait presque pu être comique, si elle n'était pas singulièrement ridicule, et relativement offensante. Cette condescendance assumée, Tywin ne la supportait pas. Et si ses opinions - politiques et militaires - divergeaient grandement de celles de son homologue, au moins le Sire de Castral Roc avait-il eu l'exquise politesse de ne pas s'adresser à son rival comme au dernier des idiots.

Avec précaution, le patriarche se redressa légèrement sur son siège, la nuque raide, l’œil indiscutablement mauvais. Les différentes tirades faussement moralisatrices de la nouvelle Main du Roi commençaient doucement à l'agacer, à l'instar de ses allusions prétendument innocentes sur la maison Lannister. Conciliant, Tywin l'était indubitablement resté jusqu'à présent. Mais sa patience, comme toute chose, avait certaines limites.

« Les ressentiments des Dorniens ne m'intéressent nullement, Lord Eddard, tout comme ceux du peuple de Port-Réal. Les déboires financiers de la Couronne ne sont dû qu'à la frivolité de celui qui la porte. En outre, il me semble m'être déjà suffisamment montré généreux vis-à-vis de notre souverain. »

Généreux.. Un doux euphémisme. A cet ivrogne de Robert, Tywin avait cédé sa fille. Une fille que ce bon roi s'était, à de nombreuses reprises, permis d'humilier en courant ouvertement la gueuse à travers tout Westeros. S'ajoutait à ce mariage les innombrables crédits que le vieux Lion avait charitablement accordé à l'aîné des Baratheon : des sommes colossales, qui, visiblement, ne servaient qu'à engraisser et aviner Robert, plutôt qu'à fortifier son armée et assurer la sécurité de ses sujets. Et l'on osait encore exiger de lui de nouvelles faveurs ?

« Cette énième révolte des Fers-Nés n'impacte pas seulement les Terres de l'Ouest, mais les Sept-Couronnes dans leur entièreté - aussi bien symboliquement que dans les faits. Vous désiriez un argument pour légitimer une nouvelle levée des impôts ? Le voici. La plèbe geindra, comme elle a tant l'habitude de le faire. Mais ramenez lui les têtes des Greyjoy, et son sacrifice sera rapidement oublié. »

Cette proposition, Tywin le savait, ne satisferait en rien ce borné de Stark. Le Nordien était têtu - sans doute autant que lui. Cependant, la situation à Port-Lannis devenait urgente, tous deux le savaient parfaitement. Un détail qui, malheureusement, ne jouait nullement en la faveur du Gouverneur de l'Ouest. Le vieux Lion en avait pleinement conscience, tout comme du fait qu'il ne pouvait se passer de l'aide de la Couronne. Mais la Couronne ne pouvait pas non plus se passer de son or.

Ils étaient dans une impasse.
Et, pendant ce temps, les rebelles décimaient ses gens, brûlaient son fief, et outrepassaient impunément son autorité.

« Je n'ai plus le luxe de pouvoir me répandre en joute verbale, Lord Eddard. La réussite de l'offensive contre les Fers-Nés dépend des forces de la Couronne. Mais la survie de la Couronne dépend de mes financements. Ayez donc la décence de me dire clairement ce que vous attendez de Castral-Roc. »

Ils dépendaient l'un de l'autre. Mieux valait le reconnaître et trouver une solution équitable, plutôt que de se perdre en enfantillages.

« Vous ne vous moquez pas du tout du ressentiment du peuple et des seigneurs. Vous êtes le seigneur suzerain des Terres de l'Ouest et vous avez été Main du Roi pendant des années. Nous savons tous deux que vous êtes plus intelligent que ça. »

Un haussement de sourcils perplexe accueillit la tirade prétendument perspicace du Nordien. Venait-il réellement de remettre ouvertement en doute la légitimité de ses discours, et de son discernement ? A en juger par la courtoisie mièvre avec laquelle Stark enroba sa palabre suivante, la réponse ne pouvait être plus évidente. Hélas, si il était légitimement irrité par les remarques douteuses de l'audacieuse Main du Roi, la position délicate dans laquelle se trouvait actuellement sa Maison empêcha Tywin d'articuler la moindre diatribe indignée. Une œillade glaciale embrassa néanmoins physionomie revêche de son interlocuteur en guise d'avertissement - qui, bien qu'informulé, n'en demeurait pas moins explicite : certaines bornes ne devaient être dépassées.

Le regard toujours résolument planté dans celui, tout aussi vif, de son hôte, le Sire de Castral Roc se surprit à ruminer silencieusement les douces paroles du Nordien. Dans son insolence éhontée, Stark n'avait pourtant pas tord. En sa qualité d'ancienne Main du Roi, Tywin aurait été bien sot de vilipender le pouvoir politique qu'était en mesure de faire valoir le peuple dans la cruelle et sensible balance du Jeu des Trônes. Mais, n'en déplaise au Loup, ce mépris orgueilleux que se targuait d'entretenir le Lion vis-à-vis de la plèbe n'était nullement orienté en direction de cette dernière, mais des vieilles et intarissables rancœurs que celle-ci se bornait à manifester à l'encontre de sa propre famille. Des rancœurs infondées, que les Port-Réalais semblaient chaleureusement partager avec l'ensemble du peuple Dornien.

Une lueur menaçante s'alluma progressivement au fond des prunelles émeraudes de Gouverneur de l'Ouest, tandis que son interlocuteur daignait enfin lui faire part de ses attentes au sujet de Castral Roc. De toute évidence l'heure n'était plus aux homélies sentimentales, mais aux négociations financières. Noyé dans un mutisme pour le moins hostile - et quelque peu inhabituel -, Tywin écouta cependant les revendications de la Main.. Cette histoire de financement total des dépenses militaires de la Couronne, en plus de l'humilier sensiblement, ne le séduisait guère. Cette guerre, bien que localisée, n'impliquait pas exclusivement les Terres de l'Ouest : en débarquant à Port-Lannis, c'était sur l'ensemble des Sept-Couronnes que les Fers-Nés s'étaient amusés à cracher. Mais Tywin avait-il seulement le choix ? Assurément pas. Et Stark le savait pertinemment.

« Vous n'êtes pas sans savoir, Lord Eddard, que l'Ouest aura également besoin de l'argent que vous souhaitez que j'investisse dans ce conflit. Port-Lannis ayant, je vous le rappelle, été réduit en cendres, ce sont des centaines d'individus - des sujets du Roi - que les Fers-Nés ont férocement assassiné. Si la Couronne grimace déjà à la seule idée de venir défendre ses propres terres, que penser de sa réaction lorsque les Ouestiens auront besoin de son soutien pour envisager l'avenir ? »

Et par avenir, Tywin entendait la " reconstruction " des territoires touchés par les assauts rebelles. La fortune des Lannister était certes conséquente, mais le vieux Lion refusait catégoriquement de devoir assumer et le coût militaire, et le coût des dépenses civiles.

« Que la Couronne s'engage à aider l'Ouest à se relever de ces cendres, et j'assumerai entièrement le financement que cette guerre implique. »

A son tour, et non sans un brin de cynisme, le vieux Lion tendit sa main en direction du Seigneur de Winterfell. Ce marchandage, aussi répugnant pouvait-il être, n'en restait pas moins une étape obligatoire pour les deux parties, dont les intérêts politiques convergeaient dans un seul et même but : la destruction des Fers-Nés.

Spoiler:

Lord Eddard, exaspéré ? A en juger par le ton passablement offusqué avec lequel le Nordien eut tôt fait de repousser sa requête, d'aucun, à cette question, se serait empressé de répondre par l'affirmative. La chose n'était pourtant pas évidente ; sur le visage de la Main jamais émotion ne poignait franchement. Une pudeur que Tywin ne pouvait que comprendre et respecter, puisqu'il la partageait volontiers avec son interlocuteur. Point de fadaises aristocratiques entre les deux hommes ! Suaves promesses et ronds de jambe n'étaient, à l'évidence, d'aucune utilité dans pareille conversation. Et si les usages s'avéraient onctueux à l'oreille, la franchise demeurait d'une délicatesse autrement plus appréciable, surtout quand l'on se trouvait à Port-Réal.

Hélas, l'inestimable honnêteté du Loup se révéla d'une saveur bien plus amère lorsque, visiblement bousculé par les précédentes déclarations du Sire de Castral Roc, Lord Eddard se laissa aller à quelques déplaisantes remarques - qui ne manquèrent pas, bien évidement, de déplaire singulièrement à son homologue. Crispé sur son siège, Tywin gratifia Stark d'une œillade pour le moins hostile. Des Lunes, à présent, que l'on avait osé confronter ouvertement le vieux Lion à ses erreurs. Et les derniers qui s'étaient risqués à cette audacieuse entreprise n'étaient, pour la plupart, plus de ce monde pour témoigner de leur bêtise. Aussi l'aigreur suscitée par l'affaire laissa-t-elle rapidement place à une colère des plus sourdes, que le patriarche de la maison Lannister s'efforça néanmoins de contenir le plus possible.

« Dans un Royaume sein, Lord Eddard, un Seigneur peut s'absenter de ses terres sans craindre l'insurrection de ses voisins. Je me suis, en l’occurrence, soustrait à mes obligations pour le bon plaisir de mon souverain. Un souverain qui a confié la suzeraineté de tout un archipel entre les mains d'une poignée rebelles, que le goût pour la félonie a finalement incité à attaquer mon domaine, et massacrer mes gens. En effet. Mais si la sécurité des Sept-Couronnes dépend en partie de ses vassaux, la responsabilité d'une rébellion n'échoie en aucune façon à ces derniers, mais bel et bien à son Roi. »

L'idée que l'on puisse lui imputer cette dite responsabilité l'agaçait autant qu'elle l'indignait. Certes, la dégarnison de ses troupes et le manque de véritables effectifs militaires auprès du Roc avaient contribué aux incidents de Port-Lannis et à la rébellion Greyjoy. Mais les Iles-de-Fer n'étaient-elles pas censées se plier à la volonté et à la justice de Robert ? Ce bon roi eut-il fait preuve de plus de bon sens et d'inflexibilité, peut-être l'absence de Tywin sur ses terres n'aurait-elle pas été un prétexte à l'invasion Fer-Née. Failli à votre devoir, et baissé votre garde.. C'est l'ivrogne devant lequel tu courbes l'échine qui a mis en danger la Couronne, Stark.

« Puisque le Trône de Fer semble plus enclin à financer banquets et tournois plutôt que conflits et batailles, j'assumerai le coup de cette guerre. Et comme l'heure est aux bonnes résolutions, Lord Eddard, je vous encourage fortement à modérer vos propos, à l'avenir, lorsqu'ils me concernent. Je ne suis pas homme à apprécier pareilles.. frivolités. »

Il ne cilla pas, son regard fermement planté dans celui du Nordien. Existait-il seulement créature plus têtue qu'un Stark ?