En tant que Main du Roi, Jon avait trop peu de temps à consacrer aux affaires du Val pour être efficace, aussi avait-il chargé Ashara de se tenir disponible auprès de ses vassaux pour régler les problèmes, rendre la justice et bien sur l’informer. La jeune fille entretenait donc une correspondance régulière avec son oncle, les Lords de la région, grands et petits et elle voyageait beaucoup pour aller à leur rencontre et s’il lui demandait audience. Elle vivait toujours chez son grand-père refusant de s’installer aux Eyrié car elle trouvait cela un peu prétentieux et pas très correcte envers le Suzerain, bien qu’il le lui ait proposé. Mais elle ne pouvait imposer à Lord Yohn Royce ses invités, aussi préférait-elle se déplacer elle-même et à ce titre, le Faucon lui avait dédié une Garde personnelle constituée d’une vingtaine de chevaliers aguerris, d’une trentaine d’hommes d’arme. A cela s’ajoutait une vingtaine de personnes, de l’écuyer à la dame de compagnie en passant par le page, le conseiller, le mestre, la septa, les femmes de chambre et cela faisait une sacrée cohorte quand elle se déplaçait, de celles qui ne pouvait passer inaperçues. Évidemment elle ne prenait jamais une décision sans consulter l’avis des conseiller dépêchés par Lord Jon, c’était d’ailleurs eux qui tenaient les rênes, mais pour des raisons de protocole, c’était elle qui s’exprimait, son nom ayant valeur d’autorité suprême en l’absence de Jon. Et grâce à eux et à leur sagesse, elle apprenait beaucoup et se montrait une intendante consciencieuse et une élève vive et agréable, apportant d’ailleurs de plus en plus sa propre pierre à l’édifice, et ce avec intelligence et discernement.

En tant qu’Intendante du Val, elle était bien sûr reçue en grande pompe dans tous les châteaux où elle séjournait, et prévenait par corbeaux de son arrivée, plus par courtoisie que pour qu’on lui réserve les honneurs dus à son rang, même si c’était souvent le cas, spectacles et banquets en prime. Elle ne demandait donc rien, mais elle appréciait néanmoins, aimant depuis toujours qu’on lui témoigne le respect dû à son rang autant pour le plaisir de voir les gens s’incliner devant elle que pour la fierté de voir le sens du devoir de ses gens s’exprimer. Elle se rendait à Rougefort ou le seigneur des lieux lui avait demandée l’aider et  d’arbitrer une sombre histoire de vol qui avait tourné au massacre, des familles entières ayant été retrouvés baignant dans leur sang et leur demeure dépouillée de tous biens de valeur. Seulement en chemin, un imprévu retarda leur avancée et après plusieurs heures à essayer de régler le problème, elle se retrouva à devoir changer ses plans pour la nuit. Elle envoya donc un corbeau à son hôte pour le prévenir que le convoi avait été retardé et qu’elle passerait le lendemain et des messagers à la forteresse la plus proche qui se trouvait être celle de l’ancien écuyer de Yohn le Bronzé et chevalier émérite dans la garde de Jon désormais devenu Lord. C’est ainsi que cinq cavaliers arrivèrent à Aiglefort, ils gravirent la route qui menait à la forteresse au triple galop, toute bannière ciel et blanche au faucon et à la lune déployée...

« Nous sommes les chevaliers de la Garde de l'intendante du Val ! » s’annoncèrent-ils avant de reprendre «  Lady Ashara Arryn requiert l'hospitalité du Seigneur d'Aiglefort pour la nuit. »

A quelques lieues de là, la brune jouvencelle de quinze ans, en selle sur Honneur, un majestueux palefroi gris, donnait ses ordres. Un charriot s’était embourbé et en essayant de le dégager, le charretier avait affolé ses chevaux l’un d’eux avait brisé ses traits et s’était enfuit en brisant un antérieur à l’autre cheval. Celui-ci s’était cabré et, en retombant sur le brancard, avait fait glissé le lourd tombereau qui alors recula jusqu’au ravin avec un seul animal encore attelé et incapable d’en retenir le poids sur cette pente raide. Le cocher avait lui, eut le temps de sauter, mais cheval, charriot et biens étaient allés s’écraser plusieurs centaine de mètres en contre-bas. Certains étaient chargés de remonter les affaires, d’autres de les répartir entre les deux autres voitures pour le reste du trajet et quelques cavaliers étaient allés rattraper le cheval en fuite. Les chevaliers et quelques archers montaient la garde, attentifs au moindre bruit car leur position les rendaient très vulnérables et même si normalement de ce côté si des montagnes les Clans ne venaient pas, il pouvait toujours y avoir quelques infiltrations. Heureusement tout se passa bien et au bout de quelques heures, la colonne put se remettre en marche, bien que ralentie par la surcharge des tombereaux et l’extrême prudence dont faisaient maintenant preuve les conducteurs…

Sur les cinq cavaliers, deux étaient des chevaliers de haute naissance, ils inclinèrent légèrement la tête en signe de respect alors que les trois autres l’abaissèrent franchement et ne la relevèrent pas. Ser Marwyn Belmore un grand roux d’une petite vingtaine d’années et propre cousin de l’intendante et Ser Tristan Veneur, un homme trapu aux cheveux bruns et aux tempes grises qui était dans la garde de Jon Arryn depuis plusieurs dizaines d’années et connaissait donc Lord Edward. Les trois autres étaient de simples hommes d’arme, tous au service des Arryn ils portaient la livrée blanche et azure. Les deux chevaliers mirent pied à terre et Tristan offrit son plus beau sourire, bien qu’un peu édenté, à son ex compagnon d’arme et ami. Après la réponse d’Edward, les trois soldats relevèrent enfin la tête et sur ordre de Ser Marwyn, repartirent aussi vite qu’ils étaient venus pour porter la réponse du seigneur à l’intendante du Val.

Les deux chevaux furent pris en charge par un garçon d’écurie et les deux hommes s’avancèrent vers le maitre des lieux. Mais alors que le plus âgé semblait plutôt jovial et prompt à plaisanter un peu avant de passer aux choses sérieuses, le rouquin, lui arborait un visage froid et hautain et repris tout de suite les rênes avec fermeté et un brin de mépris dans la voix.

« Un des chariot du Convoi c’est abimé dans un ravin, heureusement, pas de perte à déplorer à part un cheval, mais un véritable capharnaüm. Les malles ont éclaté sur les rochers et il leur faudra certainement plusieurs heures pour tout récupérer, tout remonter et arriver ici. C’est le temps que vous aurez pour préparer l’arrivée de Lady Arryn, alors je vous conseil de vous hâter Messire. Nous sommes là pour vous aider au mieux et pour vérifier que tout est mis en œuvre pour son bien être et nous assurer de la décence des lieux. Pourriez-vous nous faire visiter le château pour que nous puissions vous dire ce dont nus aurons besoin ? »

Ser Tristan, plus petit d’une bonne tête que Lord Edward mais nettement plus large d’épaules, leva les yeux au ciel devant tant d’empressement et d’irrespect pour le Seigneur d’Aiglefort. Pour couper court à toutes discutions inutile et pouvoir éloigner l’arrogant Marwyn de son ami il s’exclama :

« J’ai une idée ! Pour gagner du temps, Ser Marwyn s’occupera de l’extérieur avec un de tes hommes que tu mettras sous ses ordres et nous, nous verrons pour l’intérieur. Cette organisation vous sied-elle messieurs ? »

Une fois seuls et entrés dans la belle bâtisse, Tristan se relâcha quelque peu.

« Alors mon ami, comment vas-tu depuis le temps ? Excuse le rouquin, il est à peu près aussi insupportable de son père, je ne sais pas si tu te souviens à quel point nous le détestions. Le mieux est d’ignorer ses hauts airs et ses remarques désobligeantes, mais si tu as le courage de le remettre à sa place, après tout, tu es chez toi, ton toit ta loi. Bref, il faut que je t’éclaire sur ce qui t’attends, Ashara risque d’être d’une humeur massacrante vu ce qui est arrivé, il faudra qu’elle se repose un peu avant le diner. En partant je l’ai entendu traiter le cocher d’idiot bon à rôtir et lui promettre de finir comme son cheval s’il ne faisait pas plus attention. Elle a ajouté qu’elle aurait préfère que se soit lui qui aille s’écraser contre les rochers plutôt que le bourrin. »

La bourde du conducteur la mettait en porta faux vis-à-vis des hôtes qui avaient été prévenus de son arrivée et de Lors Crawley, chose qu’elle détestait par-dessus tout. Sans compter le temps perdu, et l’argent, car un tombereau, un cheval, les malles et tout ce qui avait été abimé ou brisé dans la chute, cela faisait beaucoup de pertes matérielles. Elle s’était emportée, mais il y avait de quoi quelque part, seulement quand on la connaissait on n’ignorait pas que si elle avait un grand contrôle d’elle-même, elle pouvait aussi parfois sortir de ses gonds avec violence. Il valait alors mieux laisser passer la tempête et acquiescer, elle finissait par reprendre son air impassible et ses esprits.

« Enfin ne t’inquiètes pas, elle est bien consciente qu’elle te prend au dépourvu, donc si tu n’as pas préparé un banquet digne d’une reine, elle ne t’en tiendra pas rigueur. Par contre je crois qu’elle aurait bien condamné le charretier à mort. Tu as une chambre avec une belle vue ? Un grand si possible. Il en faudra aussi une dizaine pour les chevaliers de haut rang qui forment sa garde, et si possible dix autres pour les autres chevaliers, je te conseil d’en choisir une voisine de celle d’Ashara et presque aussi grande et belle pour Marwyn, ça le calmera. De toute façon nous ne resterons que jusqu’à demain matin à priori, tu n’auras donc pas à supporter notre présence envahissante trop longtemps. »

Pendant ce temps dans la cour, le chevalier aux cheveux rouges donnait ses indications comme des ordres, libérant de la place dans les écuries pour les chevaux qui allaient arriver, envoyant certains hommes d’armes et chevalier s’arranger un peu, leur expliquant comment se tenir face à l’intendante, quoi faire si elle leur adressait la parole etc. Des choses que la plupart savaient probablement déjà, mais au moins ainsi, tout était clair. Les simples soldats ne devaient en aucun cas la regarder, les chevaliers devaient s’incliner plus ou moins bas en fonction de leur naissance, mais tous devaient absolument garder leurs distances et ne pas se montrer grivois. Quand aux domestiques, ils devraient accepter l’arrivée de la propre suite d’Ashara dans leurs locaux avec tout ce que cela impliquait de partage de l’espace et des tâches. Mais au moins ils sauraient quoi faire par ceux-là même qui la pratiquaient tous les jours, d’ailleurs ils n’auraient pas grand-chose à faire directement pour elle, il leur faudrait rester disponibles pour les chevaliers, les conseillers et autres mestres, et pour préparer le diner et le petit déjeuner, un bain, etc. Mais ils seraient très peu en contact direct avec elle car il était préférable que se soit ceux qui la connaissaient le mieux qui se charge de la servir, cela éviterait bien des problèmes de malentendus et de protocole.


Près de trois heures après l’arrivée des cinq cavaliers, Ashara fit son entrée dans la forteresse avec toute sa suite, les chevaliers formèrent une sorte de haie d’honneur pour la jeune femme et le porte drapeau annonça d’une vois forte :

« Lady Ashara, Dame de la Maison Arryn et Intendante du Val ! »

Les domestiques descendirent rapidement d’un des deux charriots et commencèrent à se mettre au travail, prenant certaines malles dans les charriots pour les mettre dans les chambres, demandant où se trouvait telle et telle pièce aux gens d’Aiglefort, la ruche mobile était en marche et venait envahir une autre ruche et chambouler bien des habitudes. La brune descendit de son cheval avec légèreté, le confia à un écuyer et s’avançât vers Lord Edward Crawley d’un pas majestueux, mais de nouveau souriante encadrée de deux chevaliers aux armures argentées et écusson au faucon. Elle était vêtue d’une simple robe de lin verte dotée de bandes noires brodées de fil d’or en bas, sur les manches et au niveau du col. Les manches étaient boutonnées à partir du milieu l’avant bras laissant apparaître une fine bande de sa peau claire. Une large ceinture noire brodée de fil d’or ceignait sa taille fine et une cape noire elle aussi bordée d’entrelacs dorés  et attachée par une fibule de bronze finement ciselée recouvrait ses épaules. Elle était coiffée d’un chignon ceint d’une résille dorée décorée de quelques feuilles ciselées en bronze et bordée en bas et en haut d’une bande semi rigide qui formait sur sa tête comme une couronne. Elle était faite d’un épais velours brun-clair brodé d’entrelacs de fils d’or et agrémenté de quelques topazes serties dans des griffes de bronze. Elle attendit que le Lord s’incline puis inclina légèrement la tête à son tour et une fois les formalités d’usage remplies, elle entama la conversation.

« J’ai bien reçu votre message Sire Crawley, je vous remercie de m’accueillir comme ceci à l’improviste. » Ça n’était pas comme s’il avait le moindre choix, mais c’était plutôt gentil de la part d’Ashara de l’en remercier. « Si je ne m’abuse, vous avez été écuyer chez mon oncle maternel, Lord Yohn Royce, et chevalier longtemps chez mon oncle paternel, Lord Jon Arryn. Nous nous sommes déjà vus, mais c’est un honneur de vous rencontrer chez vous, à Aiglefort, c’est un château magnifique, et quelle vue depuis la route ! »

Elle se souvenait de lui au service de Jon Arryn, mais cela faisait plus de trois ans qu’elle ne l’avait vu et à vrai dire, si elle lui avait probablement déjà parlé quelques fois, elle ne se souvenait pas de la teneur des conversations. Elle avait alors douze ans, et elle n’avait aucune responsabilité dans le Val, aussi avait elle plutôt tendance à se tenir à l’écart des chevaliers et à ne parler que le minimum avec tout ce qui n’était pas Seigneur, héritier de son âge ou famille.

« Je suis fourbue. Si vous me permettez, j’aimerais me rafraichir avant le diner. »