Malgré son apparence toujours aussi imperturbable, Isaar n'était pas bien à son aise sous cette tente, et les raisons en étaient assez simples. Les sauvageons issus de différents clans avaient l'habitude d'être hostiles les uns envers les autres ; Isaar ne dérogeait pas à cette règle élémentaire qu'il avait suivi toute sa vie pour assurer la pérennité de son clan. Ses regards envers Styr étaient toujours empli d'une profonde animosité qui lui partait des entrailles ; il n'aimait pas cette homme, pas plus qu'il n'aimait Mance, et c'est pourtant pour ce dernier qu'il avait décidé de ne pas faire de vague en ce jour. Il était... curieux. Oui, c'est le mot. Curieux de voir comment un homme pouvait rassembler tous les clans de sauvageons dans une unique et puissante armée en risquant constamment l'implosion de celle-ci. Leur alliance était trop jeune pour se prétendre solide, et Isaar observait avec intérêt ce que lui n'aurait jamais su faire. Pour autant, il ne respectait pas particulièrement Mance, seul son propre clan lui importait.

Luna fit finalement entrer Rodrik au bout d'un moment. Mais au lieu de concentrer son regard sur celui qui venait faire sa proposition, Isaar s'attarda sur sa protégée. Malgré son silence, il lui fit comprendre sa volonté qu'elle ne quitte pas la tente, le souvenir du retour de la jeune femme encore trop frais pour qu'il ne l'affecte pas. Il perçu l'intérêt furtif de Styr pour la jeune femme, et probablement le lien entretenu avec son chef de clan, et heureusement pour lui il se garda de poser la moindre question à ce sujet. L'homme au visage de glace se rapprocha de sa protégée jusqu'à se tenir à ses côtés ; elle était la seule bonne compagnie dans cette tente. Rodrik lui avait rendu de bon service, mais il ne restait qu'une relation "de travail" à ses yeux. Mal à l'aise, il avait besoin de se rapprocher d'elle, son odeur familière le rassurant quelque peu. La discussion s'engagea alors entre Styr et Rodrik, et pour mieux profiter du spectacle Isaar fouilla dans une sacoche pour en sortir quelques lambeaux de viandes fumées qu'il commença à déguster.

« - Songez aux profits d’un pillage de cette ampleur. Quant à moi vous connaissez déjà mon intérêt là-dedans.
- Oui, songes y, Styr... »

...si tant est que tu en sois capable, se garda-t-il d'ajouter. Mais Styr n'avait pas besoin de l'entendre pour le deviner, de ça Isaar en était persuadé. Il n'avait eu que faire de ce pas en avant qu'avait fais le sauvageon ; il n'y avait pas de règle à ce propos pour Isaar. Il était rare qu'il sorte de son mutisme, mais là l'occasion était trop belle, c'était presque comme s'il avait attendu ce moment depuis qu'il était là à attendre avec ces hommes qu'il n'aimait pas. Il attrapa un nouveau morceau de viande qu'il mâcha férocement, les yeux rivés sur Styr à attendre sa réponse à la proposition de Rodrik. Proposition qui, d'ailleurs, semblait absurde pour Isaar ; bien qu'il n'aimait pas les corbeaux, voir les haïssait, il ne voyait pas d'intérêt à les éliminer de façon définitive. Au plus profond de lui, il en avait presque besoin, car il les connaissait depuis toujours, ils avaient toujours fais partie de sa vie. Mais son avis n'avait aucune importance au fond.

Intérieurement, Luna commençait à avoir de plus en plus de mal à garder son calme. Beaucoup de chose s’insinuait dans son esprit, remarquant à peine Isaar qui s’était approché d’elle. Ses yeux pourtant cherchèrent au bout d’un instant le contact des siens, un peu effrayée mais aussi rassuré de sentir dans son regard quelque chose qu’elle partageait à son tour. Cette proposition, elle n’en voulait pas et lui non plus. Elle aurait presque pu esquisser un sourire si elle en avait encore été capable mais elle resta de marbre, reposant ses yeux sur l’assemblée, sur Mance en particulier, il se disait roi du mur et avait réussi l’impossible en réunissant une majorité des clans en un même lieu, elle avait énormément de respect pour lui et attendait qu’il s’oppose à tout cela mais il restait spectateur, silencieux, ne faisant qu’ajouter de la rage au fond de son cœur. Attaquer le nord, attaquer le mur, c’était une chose à laquelle elle ne pouvait se lier. Au-delà du fait qu’il y avait une personne en particulier qu’elle ne souhaitait pas voir mourir, il y avait surtout cette soif qui l’avait toujours habité : Ces lieux, aussi dur et froid, c’était chez elle. Et rien ni personne ne pourrait le lui enlever. Attaquer le mur…Pourquoi ? Pour vivre où ? La vie ne serait pas meilleure de l’autre côté, combien d’armée se mettrait en marche pour les éliminer ? Personne ne voulait d’eux, et personne ne voulait de ces terres, partir, c’était les abandonner, les laisser à ces marcheurs blancs, une chose que la fierté trop mal placé de la sauvageonne ne pouvait admettre.

Ils parlaient, parlaient, trop de mot, pour celle qui passait plus de temps à grogner qu’à articuler de véritable mot, cela commençait à sonner comme un bourdonnement sourd au fond de son crâne. Ses doigts se crispèrent sur son éternelle lance. Son direwolf à ses pieds s’agitait à son tour, sentant probablement la tension qui traversait le corps de la sauvage. Elle ne tint plus une seconde de plus. Sa main agrippa le col du vieil homme à l’odeur de sel, tirant d’un coup sec pour le faire basculer par derrière et ainsi le faire tomber sur le dos. Se plaçant immédiatement par-dessus lui, elle laissa passer un grognement de sa gorge, Maytook prit les devant, le loup-garou se plaçant entre sa maitresse et le Magnar, tous crocs dehors et poil hérissé. La pointe de lance contre la gorge de Rodrik, elle le fixa droit dans les yeux :

« Ce que vous voyez en nous n’est rien d’autre que des chiens à envoyer fatigué l’ennemi pour vous permettre de gagner votre guerre…Mais cette guerre-là n’est pas la nôtre… »»

Le tenant toujours sous la menace de sa lance, elle tourna qu’un bref regard vers Mance. Elle n'avait jamais été si loquace et si elle s'était exprimer en langue commune auprès de Rodrik, c'est en observant Mance qu'elle laissa le son guturale de l'ancienne langue prendre le relais. Maitrisant beaucoup plus l'ancienne langue que la langue commune.

« Vous ! Vous vous faites appeler "le roi d’au-delà du mur" mais vous seriez prêt à laisser votre meute se faire massacrer…Vous m’avez envoyez au Sud, je vous ai dit ce que j’y ai vu, les faiblesses du mur mais nous n’avons rien à gagner de l’autre côté du mur ! Ce n’est rien d’autre que vos souvenirs que vous voulez ! Ces terres sont à nous ! Qu’ils gardent leur sud et leur histoire de chaise ! »»

Finissant par poser ses yeux sur Isaar, elle cherchait peut-être son appuie.

« Nous avons d’autres ennemies à combattre…Je ne fuirai pas… »

Le sauvageon fut surpris de voir Styr garder impeccablement son calme après la demi-provocation qu'il avait lancé. Et tandis que Rodrik et lui poursuivaient leur conversation, Isaar déporta ses yeux sur Mance, un homme qui dissimulait bien mal son amusement. La façon dont il parvenait à tenir en laisse le Magnar l'impressionnait presque, lui qui considérait cette alliance comme une vaste blague. Du moins, il ne voudrait rater pour rien au monde le jour où cette grande armée exploserait en mille morceau dès que les clans se rendraient compte que ce que leur promettait cet homme n'arriverait jamais. Mais il fut bien vite tiré de ses pensées lorsque sa protégée passa à l'action.

Isaar n'esquissa pas le moindre geste pour l'arrêter, ce qui en soi signifiait qu'il approuvait globalement cette réaction. Serait-il cependant aller aussi loin ? Probablement pas. Non pas par peur, mais pour préserver sa réputation d'homme glacial et imperturbable. Pourtant, ce n'était pas l'envie qui lui manquait ; c'était précisément pour ce genre de chose que la présence de Luna était nécessaire. En se laissant aller à de telles extrémités - et encore, trancher la gorge de Styr aurait été parfait - elle laissait transparaître les intérêts de leur clan avec une force et une violence nécessaire, même si dans le cas présent Isaar ne souhaitait pas pleinement s'impliquer dans un plan voué à l'échec.

« Je sais, répondit-il à la femme au loup. Laisse Rodrik maintenant. »

Même si cela l'amusait de voir un homme du Sud en mauvaise posture, le vieux Harloi l'avait suffisamment aidé pour mériter un minimum de respect. En ce qui concernait ses intentions, il pouvait faire ce qu'il voulait tant que cela n'impliquait pas le clan d'Isaar ; plus le nombre de sauvageons tués dans cette attaque stupide serait important, plus le territoire de son clan pourrait s'agrandir. C'était quelque chose à ne pas négliger. Et pourtant, laisser tous ces hommes et femmes mourir pour satisfaire l'ambition de quelques imbéciles laissait un goût amer chez Isaar.

« Votre armée a beau être impressionnante en taille, elle ne fera pas le poids face à toute celles qui sont de l'autre côté du Mur. Ce que propose Rodrik peut nous amener à vaincre les corbeaux, mais une fois que ce sera fait, que se passera-t-il ? »

Au fond, chacun connaissait la réponse. Il était rare, très rare même qu'Isaar se montre aussi loquace. Mais en l'occurrence, il s'agissait de la vie de très nombreuses personnes qui étaient en jeu. Des personnes qui existaient et cohabitaient depuis sa naissance. Les corbeaux, les sauvageons... ce qui était envisager allait bouleverser l'équilibre des forces. Plus rien ne serait comme avant après cela.

« Ils s'attendent à ce qu'un jour, une armée venue du Nord vienne les attaquer, fit-il en croisant les bras. Ils n'auront pas peur de vous, qu'importe la stratégie. Le seul moyen de les effrayer, c'est de détruire le Mur, ou y créer une brèche. »

Et évidemment, il n'existait pas une arme assez puissante pour réussir ça au Nord du Mur. Son regard se posa un moment sur Luna. Avec un peu de chance, son intervention les dissuaderait de se lancer dans une attaque qui ne laisserait la place à aucun avenir pour les sauvageons.

Animer par une forme viscérale d’incompréhension et de colère, elle avait bien du mal à s’écarter de Rodrik. Ce fut les paroles d’Isaar qui eurent facilement raison d’elle, un regard vers lui la confortait au moins sur un point, comme il l’avait dit, il savait, et il semblait la soutenir. Elle n’était pas sans connaître la haine profonde des sauvageons pour les corbeaux. Une haine que la louve ne partageait peut-être pas autant. Une douleur au fond de sa poitrine, elle s’écarta du vieil homme, sa lance bien en main et toujours pointé sur le vieillard ( elle ne prendrait pas le risque d’une vengeance ), elle jeta un regard menaçant au Styr, son statut et son rang n’avait aux yeux de Luna aucune valeur, le seul maître dans sa vie n’était autre qu’Isaar et elle pouvait éventuellement respecter ce que représentait Mance mais lui…Sa vie n’avait aucune valeur. Alors qu’elle le dévisageait sans la moindre hésitation, le proclamé roi riait aux éclats. Se calmant et invitant alors leur invité à quitter la tente.

Au pied de Luna, subsistait Maytook, aussi énervé et sauvage que pouvait l’être sa maitresse, tous les crocs dehors et la bave s’écoulant légèrement du bord de ses babines retrouvés. Le Direwolf, de part sa masse et sa taille était amplement suffisant pour pouvoir ôter toute envie de s’en prendre à elle. Il était son ami le plus fidèle et elle parlait de lui comme on parle d’un véritable frère. Aussi, pour calmer l’animal, sa main vint, confiante, se poser sur la frontière de son museau. Il aurait pu, sans aucune difficulté, lui arracher doigt et main d’un coup de mâchoire. Mais au lieu de ça, l’animal sembla se calmer simplement alors que Mance reprenait la parole. Elle avait beaucoup de mal à garder son calme, son sang, plus chaud que jamais ne faisait. Comme n’importe qui, elle aussi avait peur et plus que quiconque. Depuis sa plus tendre enfance, à partir du jour où elle comprit les mots qu’on lui balançait, on l’accusait de maux qu’elle ne pouvait comprendre.

Ils reviendraient la chercher, parce qu’un bébé ne pouvait survivre dans une meute, parce qu’elle aurait dû être des leurs, autant d’histoire qui justifiait la couleur foudroyante de ses yeux et cette étrange lien qui l’unissait à un animal sauvage. Autant d’explication qui pouvait expliquer qu’elle ne soit pas qu’une simple légende conter aux enfants. Plus que quiconque, il n’était pas question pour elle de fuir, elle les combattra, par fierté mal placé peut-être.

« Un louveteau effrayé, voilà ce que vous êtes ! Vous n’êtes et ne serez jamais mon roi, les rois se battent et meurent aux combats… »

C’était à ses yeux l’unique façon de prouver qu’on méritait qu’un peuple entier vous suive…Se battre. C’était ainsi que les meutes agissaient, ainsi qu’elle avait toujours agit et calquer sa vie. Isaar était son chef parce qu’il avait tué ceux et celle qui s’était opposé à son autorité et s’il ne les avait pas tué, il leur avait facilement rappelé qui était le mâle alpha.

« Combien mourront pour ce voyage ? Que ça soit en combattant les corbeaux, en essayer d’escalader le mur et ensuite en survivant à ce qui nous attend de l’autre côté de ce mur ! Et nous mourons en tournant le dos à notre véritable ennemi…En lâche… »

Ses doigts crispées réanimèrent les grognements de Maytook à ses pieds, maintenant sa lance, elle semblait animé d’une véritable rage, grognant plus qu’elle n’articulait en réalité.