Il n'y avait jamais de place pour les Mestre dans les histoires que l'on racontait aux enfants, c'était toujours des chevaliers, des grands guerriers et de belles dames. Le savoir n'était guère une valeur vantée par les contes et les légendes, pourtant Eleanor avait toujours été curieuse de cet ordre de vieil homme en habits étranges. Elle se souvenait avoir questionné le Mestre de Castral Roc à propos de chaque maillons de sa grande chaîne, pour qu'il lui explique quels métaux correspondaient à quoi. Aujourd'hui, elle n'arrivait plus à se souvenir exactement des réponses mais elle avait gardé en tête quelques métaux, comme l'or qui représentait la maîtrise de l'économie – et qu'il était impératif de trouver sur un mestre qui travaillait pour les Lannister.

Le Grand Mestre était une autre sorte d'énigme. Pour la jeune femme, il devait forcément s'agir du plus sage des membres de l'ordre, que l'on mettait à disposition du Roi en personne. Il avait sans aucun doute – ou presque – accès au plus grands secrets de cet ordre dont les chefs véritables restaient dans leur grande tour de Vieillevile. Curieuse comme elle pouvait l'être, surtout depuis son arrivée à Port-Réal, Eleanor ne pouvait laisser passer l'occasion de chercher. Arrivée la veille, elle avait décidé de saisir la moindre chance d'effacer son anxiété de se retrouver si loin de chez elle, et pour cela elle explorait les moindres coins du château, de fond en comble. Aujourd'hui, son regard s'était posé sur la roukerie, qu'elle devrait bien connaître à l'avenir si elle prévoyait d'envoyer des messages jusqu'à Castral Roc.

La pièce surmontait les appartements du fameux Grand Mestre et si elle ne pouvait pas espérer en apercevoir les étagères et les secrets, elle pouvait au moins espérer voir ce que la roukerie pouvait cacher. Elle se souvenait avoir admiré, enfant, l'un des fameux oiseaux de la Citadelle : un corbeau tout de blanc vêtu dont la taille excédait presque par deux fois celles de ses congénères. On disait qu'ils ne vivaient qu'à la Citadelle, mais peut-être une exception pouvait être faite pour le Grand Mestre Pycelle, non ? Eleanor avait bien conscience qu'elle se berçait d'illusion, mais c'est ce qu'elle avait raconté à sa servante pour la convaincre qu'il ne s'agissait pas d'une nouvelle escapade irréfléchie. Il n'était pas digne d'une Lady d'agir ainsi, aurait dit sa Septa mais heureusement ici elle n'avait pas de septa pour veiller sur elle. Les Clegane n'était pas assez importants pour qu'on lui assigne ainsi une gardienne.

La jeune Clegane abandonna sa fidèle servante au bas des escaliers, arguant qu'elle ne risquait pas de croiser son frère à la roukerie. Pour ne pas salir sa belle robe sur les marches pleines de poussière, Eleanor releva légèrement sa jupe et commença à grimper. Même si elle ne portait qu'une robe légère et sans extravagance, elle ne tenait pas à l'abîmer en allant trop vite ou même en frottant trop contre les murs de pierres de l'escalier en colimaçon. Et puis, si elle croisait quelqu'un – comme le Grand Mestre – il ne serait pas dit qu'elle ne savait pas comment se comporter. C'était peu probable car la plupart des gens devaient encore se reposer d'avoir assisté au procès qui avait eu lieu aujourd'hui et continuerait demain, le Grand Mestre ne serait donc pas là non plus.

Dès qu'elle arriva en haut cependant, Eleanor vit que l'endroit était déjà occupé et avant même de chercher à reconnaître la personne, elle laissa retomber les pans de sa robe pour recouvrir ses chevilles et fit la révérence. Malgré sa taille, le simple geste de s'incliner était empli de grâce et étrangement délicat. Elle releva de doux yeux gris vers la personne qu'elle avait probablement dérangée et vit une femme qu'elle ne connaissait pas.

- Pardonnez le dérangement, milady. Je ne pensais voir personne.

Pour réaffirmer ses excuses, elle se fendit d'une seconde révérence polie et sourit à la femme. La jeune Clegane avait des lèvres pleines qui dessinaient toujours un très beau sourire et Lady Lefford lui avait conseillé de l'utiliser aussi souvent que possible.

Elhenna venait tout juste de quitter Eddard Stark lorsqu'elle s'était rendue compte qu'elle n'avait toujours pas envoyé la lettre rédigée pour sa mère au sujet d'Orys. Et bien qu'après cette entrevue, elle ait un millier de choses à ajouter à sa missive, elle décida d'envoyer d'abord celle-ci avant d'en rédiger une seconde plus tard, où elle lui raconterait sa rencontre avec leur Suzerain.

La jeune louve avait donc pris la direction de la roukerie. Tandis qu'elle regardait l'oiseau s'envoler au loin, elle soupira légèrement, se rendant compte qu'à présent l'excitation de la journée retombée, elle était vraiment très fatiguée. Combien de temps s'était écoulé entre cette simple constatation et les bruits de pas dans l'escalier ? Elle n'aurait su le dire. Toujours était-il qu'elle se retourna en posant son regard gris en direction de l'entrée pour y voir une demoiselle apparaître.

Ce qui frappa tout d'abord Elhenna, c'était la taille impressionnante de l'intruse. Elle avait beau chercher dans sa mémoire, elle n'avait jamais vu une femme aussi grande. Elle dépassait même une grande majorité des hommes de Tertre-Bourg et des alentours. Mais il y avait quelque chose de gracieux chez elle, dans sa manière de se mouvoir et dans son visage.

La fille de Barbrey lui adressa un léger signe de tête puis lui rendit son sourire en lui répondant :

- Je vous en prie. Je ne dispose pas d'un accès privé à la roukerie, vous pouvez très bien vous y rendre également.

L'héritière de Tertre-Bourg continuait de détailler la nouvelle venue de son regard curieux, cherchant à deviner à qui elle avait affaire. Elle portait une robe simple et élégante mais rien qui ne permettre de définir clairement son statut.

*Une demoiselle de compagnie issue de la petite noblesse, certainement.*

La jeune louve épousseta d'un geste distrait la robe aux couleurs de sa Maison tout en se présentant d'une voix claire et aimable :

- Je suis Elhenna Dustin, de Tertre-Bourg.

Elle ne pu retenir un sourire en voyant la demoiselle qui lui faisait face faire une seconde référence. *Décidément, les gens du Sud sont pleins de curieuses manières.* Dans son cher Nord, on ne se courbait pas autant et certainement pas aussi souvent. Et c'était une chose qui lui allait très bien. La fille de Barbrey aurait difficilement supporté l'idée de devoir vivre la tête baissée.

Ce n'est qu'une fois les formalités d'usage terminées que la jeune Clegane se décida à relever les yeux pour détailler du regard son interlocutrice. Elle ne la connaissait pas, ce qui ne signifiait rien à Port-Réal, si ce n'est qu'elle n'avait pas rencontré la Reine ou une Lannister. La jeune femme qui attendait là avait des cheveux bruns bouclés qui retombaient jusqu'à ses épaules et des yeux gris qui n'étaient pas sans rappeler les siens. Elle portait une robe aux couleurs ternes pour une jeune fille de bonne famille mais peut-être était-ce là les couleurs de sa famille. Pour Eleanor, il était assez évident qu'il s'agissait d'une femme issue d'une famille plus importante que la sienne : sa robe n'était pas trop surchargée mais elle était clairement plus travaillée que celle que portait actuellement la Clegane. La sienne était toute noire et simple, et seule la broche en forme de chien rappelait sa famille.

La jeune femme ne la rabroua pas et lui rendit même son sourire et Eleanor se redressa complètement. Elle devait baisser les yeux pour regarder le visage de son interlocutrice mais c'était quelque chose dont elle avait pris l'habitude. Poliment, la jeune Clegane la laissa se présenter et ne fit que quelques pas dans la salle. Le nom ne lui dit rien au premier abord. Dustin ? Ce n'était pas une famille dont on lui avait souvent parlé et pendant un temps, elle se retrouva à chercher dans sa mémoire où elle avait put entendre ce nom. Pour ne pas paraître idiote, elle répondit tout de même.

- Enchantée, milady. Je suis Eleanor Clegane.

Tertre-bourg, ce n'était pas une ville qu'elle connaissait bien. Il fallut quelques instants de plus avant qu'elle ne se souvienne. Les Dustin était une famille du Nord, ce qui expliquait qu'elle connaisse si peu leurs maisons mais aussi les couleurs arborés par Elhenna. Les Nordiennes n'étaient pas connues pour leurs goûts des étoffes vives et colorées. Ce qu'Eleanor trouva dommage en posant de nouveau son regard sur l'héritière Dustin. Elle était très jolie, jugea-t-elle maintenant qu'elle était plus près, et son sourire aimable ne gâtait rien. On lui avait toujours raconté que les gens du Nord avaient les trais durs et taillés par le froid mais cette Elhenna avait un visage doux et ses yeux n'exprimaient pas le froid qui faisait la réputation du Nord.

A mesure qu'elle réfléchissait, l'esprit d'Eleanor s'emplissait de question et sa curiosité maladive revenait la hanter. Elle fit quelques pas légers – qui l'amenèrent très vite devant l'une des cages en hauteur où se reposait un corbeau de belle taille – et fit mine de ne pas regarder Elhenna quelques secondes, avant de craquer.

- Pardonnez moi si je me trompe, Lady Dustin, mais votre maison est du Nord, n'est-ce pas ? Vous avez du faire un long voyage pour parvenir jusqu'ici.

Sa question ne comportait aucun sous-entendu, elle craignait simplement de s'être trompé sur les origines de la jeune femme rencontré. Malgré sa légère gêne, la jeune femme conservait un petit sourire et elle avait de nouveau tourné ses grands yeux gris vers Elhenna pour observer sa réaction. Elle ne voulait pas la déranger plus longtemps, mais la curiosité était décidément trop forte.

Elhenna haussa légèrement un sourcil lorsqu'elle sentit les yeux d'Eleanor sur elle, qui la détaillaient. Car ce regard, elle ne le connaissait que trop bien. Elle avait le même, lorsque la curiosité la dévorait. Alors la louve ne se priva pas pour l'observer de la même manière, tandis que la jeune femme faisait quelques pas à l'intérieur de la roukerie.

Elle avait presque l'air de venir d'ailleurs, avec sa haute stature et la manière qu'elle avait de se déplacer. Elle avait quelque chose qu'Elhenna n'était pas habituée à voir chez elle, dans son Nord. Une sorte de douceur diffuse mais bien présente et tellement différente de celles connues jusqu'alors. Car Barbrey savait être une mère douce, mais d'une toute autre façon. Toujours en restant ferme et en tenant son rang. Ce qu'elle avait en face d'elle, la louve le sentait, c'était tout sauf pétri de fermeté. Et Thyra... Thyra et Elhenna, ce n'était pas exactement une histoire de douceur. C'était une histoire d'amour en fusion. Intense, brûlante et parfois douloureuse. Et aujourd'hui, ça l'était. Parce que l'éloignement de sa sœur de cœur lui déchirait les entrailles, à l'heure où elle aurait tant eu à lui confier.

Mais avec le corbeau qui venait de s'envoler en direction de Tertre-Bourg, au moins, c'était Orys qu'elle gardait à ses côtés. Hors de question de le renvoyer à la Tertrée ! Qui serait là pour elle alors ? Sa mère pensait-elle réellement que lui envoyer ce Berthold serait suffisant ? C'était simplement hors de question. Son plus fidèle serviteur resterait à Port-Réal à ses côtés, que Barbrey le veuille ou non. C'était déjà bien assez que de devoir supporter l'air putride de la Capitale et ses gens sans honneur, la louve ne voulait pas le faire seule. Sans jamais se confier à Orys, le regard bienveillant de ce dernier sur elle suffisait – du moins pour le moment – à l'apaiser lorsqu'elle sentait le brasier de son caractère s'enflammer de plus belle.

Lorsqu'ELeanor se tourna de nouveau vers elle pour la questionner, un autre petit sourire vint ourler les lèvres d'Elhenna. Le nom de cette fille lui disait vaguement quelque chose mais sans qu'elle se souvienne pourquoi. Elle appartenait certainement à une Maison dont Barbrey lui avait déjà parlé. Mais il y en avait tellement et l'esprit de l'héritière de Tertre-Bourg était si vite accaparé par toute autre chose lorsqu'elle était encore enfant... Impossible donc pour elle de situer avec précision l'endroit d'où étaient originaires les Clegane et cela, même en se concentrant sur la question.

Elle fit un pas de plus en direction de la jeune femme, en relevant le menton pour lui répondre, les yeux dans les yeux :

- Vous avez parfaitement raison, je suis bien Nordienne. *Toute entière. Chaque millimètre de ma peau appartient au Nord. Chaque goutte de mon sang, chacun de mes souffles. Je suis au Nord.* A cette pensée, la poitrine d'Elhenna se gonfla d'orgueil. Et oui, mon voyage jusqu'à Port-Réal a été long mais j'ai eu la chance de le faire bien accompagnée.

Son esprit vagabonda un instant au creux de tous ces inoubliables moments partagés sur la route, avec Logaan et leurs compagnons. L'aventure comme elle ne l'avait encore jamais vécue alors. Voyager incognito en faisant tout pour ne pas être remarqués dans les endroits qu'ils fréquentaient... L'ambiance avait été tendue, durant les premiers jours, tant qu'ils étaient encore dans le Nord. Puis peu à peu, même si la vigilance des hommes l'entourant ne semblait jamais se relâcher, elle avait senti qu'une relative confiance s'était installée. Ils avaient certainement été rassurés de voir qu'ils n'emmenaient pas avec eux une héritière fragile et maniérée. Elhenna avait toutes sortes de défauts, mais pas ceux là.

- Et vous ? D'où venez-vous ? Vous ne ressemblez pas aux autres femmes de la Cour.

Elle avait dit tout cela d'un ton à la fois tranché et curieux. Car il fallait bien l'admettre : Eleanor Clegane intriguait la jeune louve. Qui était-elle vraiment ?

On lui avait toujours raconté que les Nordiens étaient des gens froids comme la neige mais fiers comme des lions. Ce qui avait quelque chose de paradoxal puisque les véritables lions étaient ceux qui habitaient Castral Roc et eux-même n'étaient pas peu fiers. Peut-être les loups géants, symboles de la famille suzeraine du Nord, étaient aussi des animaux très fiers ? En tous cas, si Elhenna Dustin ne lui avait pas donné une impression de froideur démesurée, elle venait de montrer qu'elle pouvait se montrer fier. Eleanor ne pouvait pas manquer le bombement de sa poitrine et elle sourit en l'attribuant d'abord à une simple fierté mal placée. Puis elle pensa que peut-être il s'agissait plutôt d'une sorte de nostalgie. Le Nord lui avait toujours été décris comme une région lointaine et froide, alors sans doute une nordienne devait-elle se sentir assez loin de chez elle ici. Son sourire s'adoucit à cette pensée.

Elle songea à l'interroger sur ce fameux voyage. Pour venir à la capitale, les nordiens devaient traverser la moitié de Westeros, et l'on disait que le Nord était aussi vaste que les 6 autres couronnes. Quoiqu'elle ne connaissait pas du tout la famille Dustin, peut-être Elhenna vivait-elle juste au-dessus du Neck et auquel cas le voyage n'aurait pas été si long. Mais si elle vivait tout au Nord, près du fameux Mur, alors il en allait tout autrement. Finalement, la jeune femme n'eut pas le temps de poser sa question que déjà c'était Elhenna Dustin qui l'interrogeait.

La jeune Clegane fut sincèrement surprise et faillit en perdre le sourire. Il était rare qu'on lui demande d'où elle vient, même si sa maison n'était pas à proprement une grande maison, la renommée de ses deux frères faisait de la famille Clegane une famille bien connue. Elle n'avait pas pour habitude d'avoir besoin de s'expliquer. Mais le plus surprenant restait la remarque sur les dames de la cour. Disait-elle cela parce qu'elle ne portait pas une robe aussi jolie et bien faite que celles des Dames de Port-Réal ? Ou simplement parce qu'elle était trop grande ? Pourtant, elle ne semblait pas le dire méchamment.

Un peu prise de court, la jeune femme se retourna poliment vers Elhenna et croisa les mains sous sa poitrine.

- Je viens de Castral Roc, milady. Ma maison est vassale des Lannister de l'Ouest. Mes frères sont Ser Gregor Clegane et Sandor Clegane, le protecteur du prince Joffrey.

C'était souvent ce qu'il y avait de plus efficace pour que les gens situent mieux qui elle était. Le nom de Gregor était connu de presque tous et toutes. Eleanor enchaîna un peu plus timidement.

- Je viens d'arriver au Donjon Rouge et je ne suis qu'une dame de compagnie. Ce doit être pour ça que je ne ressemble pas à une dame de la cour.

Devoir ainsi se justifier devant une nordienne la surprenait un peu. Sans trop savoir pourquoi, elle s'était toujours imaginé que les habitants de cette région glacée n'appréciait pas beaucoup le faste de la cour royale. Cette jeune fille là semblait y être bien adaptée pourtant avec sa belle robe et ses manières de gentilles dame.

Elhenna dévisagea plus intensément encore Eleanor. Gregor Clegane, ça lui disait bien quelque chose, oui. Mais de quelle histoire était-il le héros ? Impossible de s'en souvenir. Et son autre frère était donc chargé de la protection du prince Joffrey. Un habile combattant certainement. Elle hocha simplement la tête d'un air poli tandis que la jeune femme poursuivait ; donnant le motif de sa présence à Port-Réal.

La louve sentit, au ton de sa voix et aux mots employés que peut-être, ses paroles à elle avaient été mal interprétées. Barbrey avait définitivement raison : elle devait tempérer ses propos ici. Les gens de la Capitale n'étaient pas habitués à l'entendre parler depuis l'enfance. Ils ne pouvaient pas deviner que c'était son caractère bouillant et sa curiosité qui s'exprimaient parfois maladroitement, lorsqu'elle n'y prenait pas garde. Elle pinça légèrement les lèvres avant de répondre, en lui allouant un sincère sourire :

- Ce n'est pas un mal, de ne pas leur ressembler, vous savez. Moi-même, je préfère les tenues sobres à tout cet étalage de plumes et de froufrous.

Elle fit un pas de plus vers Eleanor en ajoutant d'un ton tout ce qu'il y avait de plus solennel, tout en plongeant son regard gris dans celui de la jeune femme :

- Vous êtes très élégante.

Elle le pensait sincèrement. Malgré sa grande taille et son air parfois peu assuré, on ne pouvait décemment pas dire qu'Eleanor Clegane ne faisait pas attention à être bien mise et à rester bien droite. Même ici, à la roukerie.
Puis elle marqua une courte pause avant de reprendre, d'une voix tranquille :

- Je suis arrivée au Donjon Rouge il y a peu de temps également. De qui êtes-vous la dame de compagnie ?

Elhenna n'avait pas encore été amenée à beaucoup côtoyer les dames de la Cour et encore moins les Lannister. Elle se demandait donc aux côtés de qui Eleanor pouvait bien se tenir, songeant qu'elle devait dénoter dans ce paysage surfait.

Étonnamment, la mention de l'un et l'autre de ses frères ne sembla pas éveiller la moindre réaction chez la jeune nordienne. Là où la mention de Gregor Clegane avait tendance à faire hausser le sourcil même de l'homme le plus brave qui soit. Peut-être les récits concernant le géant Clegane n'avait-il pas atteint le Nord, ou au moins le territoire de ces Dustin. Eleanor ne savait trop si elle devait prendre cela pour une bénédiction ou une vexation et elle choisit finalement de n'en pas tenir compte du tout. Elle aussi ne connaissait pas bien la famille de son interlocutrice après tout.

Comme si elle avait perçut la gêne de la jeune femme, Elhenna explicita sa pensée concernant sa ressemblance ou non à une dame de la cour. La remarque fit sourire la Clegane, elle avait donc vu juste quand elle avait supposée que les nordiens n'appréciaient pas forcément le train de vie de la cour. Eleanor inclina de la tête en souriant pour abonder dans le sens de la jeune nordienne.

- Une tenue sobre raconte parfois bien plus de chose que les froufrous les plus abondants, milady.

La jeune femme ne sût pas immédiatement comment réagir au compliment, c'est qu'elle n'en avait jamais reçu de quelqu'un qui soit extérieur à sa maisonnée. Finalement, Eleanor se fendit d'un sourire charmé et charmant pour répondre, en ajoutant un autre compliment.

- Merci, lady Dustin. Vous êtes vous-même ravissante.

Il ne s'agissait pas que de simple politesse mais bien de ce que pensait la jeune femme. Malgré ses couleurs ternes et sa tenue sobre, la nordienne dégageait une sorte de beauté, de visage et de corps, qui ne pouvait passée inaperçue.

Un peu plus à l'aise, Eleanor se rapprocha de son interlocutrice, sans plus faire mine d'observer les corbeaux. Elle ne s'approcha cependant pas trop, car sa grande taille mettait souvent les gens mal à l'aise quand elle se trouvait trop près d'eux. A une distance raisonnable, elle pouvait continuer à discuter de façon parfaitement naturel avec eux.

- Je suis la dame de compagnie de Lady Myrielle Lannister, fille de Ser Stafford Lannister et de Lady Garett Lannister.

La jeune femme ne doutait pas que sa petite protégée devait être connue à la cour, depuis le temps qu'elle y était venue pour accompagner la reine. Mais peut-être la nordienne ne la connaîtrait pas, si elle venait seulement d'arriver. Ce qui surpris Eleanor d'ailleurs, elle supposait qu'elle était arrivé avec la suite de la nouvelle Main du Roi.

- Qu'est-ce qui vous amène à la cour, Lady Dustin ?

- Une tenue sobre raconte parfois bien plus de chose que les froufrous les plus abondants, milady.

Elhenna hocha la tête. Sa mère elle-même était toujours une femme séduisante, malgré ses robes et son chignon sévères. Si elle n'avait pas eu ce redoutable caractère, il y aurait sans doute eu foule de courtisans à Tertre-Bourg.

- Merci, lady Dustin. Vous êtes vous-même ravissante.

La louve était également peu habituée à recevoir des compliments. Elle savait que la nature et son hérédité l'avaient gracieusement dotée de nombre d'atours. Mais à Tertre-Bourg, on n'en faisait jamais tout un cas. Tout juste sa mère y faisait-elle parfois allusion en lui disant qu'elle n'aurait pas de mal à charmer un potentiel futur époux. Mais la jeune fille avait été promise si tôt à Domeric Bolton que la question de se mettre en valeur et de faire attention à son apparence ne lui avait jamais paru plus importante que cela. Ils avaient grandi et s'étaient roulés ensemble dans la boue. Ils étaient rentrés ensemble crottés et égratignés un nombre incalculable de fois. Avec lui, nul besoin de se déguiser.
Puis il était mort. Et sa mère lui avait alors appris avec plus de fermeté comment s'habiller et se tenir devant d'autres nobles et devant ses gens.

- Je suis la dame de compagnie de Lady Myrielle Lannister, fille de Ser Stafford Lannister et de Lady Garett Lannister.

Elhenna avait vaguement entendu parler de Myrielle Lannister mais elle ne l'avait pas encore rencontrée. Et à vrai dire, la Maison de Lord Tywin ne lui était pas vraiment sympathique. Sa mère les abhorrait. Et elle lui avait dit de se méfier de la Reine. Mais on ne jugeait pas une personne à sa seule famille. Il y avait des fruits pourris partout et les exceptions étaient également légion. Peut-être cette Myrielle était-elle une jeune femme charmante après tout.

- Je n'ai pas encore eu le plaisir de la rencontrer, répondit-elle donc simplement d'un ton courtois. La connaissiez-vous avant d'arriver à Port-Réal ?

A ce moment là, la fille de Barbrey songea un court instant à Thyra. Si seulement elle avait pu la rejoindre ici. Mais sa mère ne le voudrait jamais, elle en était persuadée.

- Qu'est-ce qui vous amène à la cour, Lady Dustin ?

Elhenna se rembrunit un peu à la question d'Eleanor, songeant à sa toute récente rencontre avec Eddard Stark et surtout à ce dont ils avaient parlé. Puis elle se détendit de nouveau en répondant, d'une voix claire mais dénuée d'enthousiasme :

- Ma mère m'envoie à la Cour afin de bientôt me marier.

Et fuir ce bâtard, surtout.

- J'y suis en tant que pupille de la Main du Roi.

Elle s'interrompit un court instant, réfléchissant à ce qu'elle pourrait bien ajouter pour justifier le fait que Lord Stark s'occupe du mariage d'une jouvencelle, fut-elle issue d'une importante Maison noble.

- Je n'ai pas de frères aussi c'est moi qui hériterai de Tertre-Bourg.

Et cela modifiera l'équilibre des forces nordiennes, qui que j'épouse.

Et comment qu'elle la connaissait avant de venir à Port-Réal, songea la jeune femme. Cette seule phrase suffit à lui ramener à l'esprit tous les souvenirs de Castral Roc, tous les moments passés avec la fratrie de Myrielle, et surtout avec cette dernière. Myrielle était sa petite sœur, même si c'était là une chose qu'elle ne pouvait dire à voix haute. Elle l'avait vu grandir, elles avaient partagés rires, pleurs et déception. De tous les habitants du château, c'était Myrielle qu'elle connaissait le mieux. Même si elle ne l'avait pas vu depuis deux ans, cela n'avait rien changé ni pour l'une ni pour l'autre. Port-Réal ne serait pas non plus la source d'un changement, elle en était persuadée.

- Je la connais depuis mon enfance, Lady Dustin. J'ai été pupille de Ser Stafford depuis très longtemps maintenant.

Une seconde, la Clegane craint d'avoir offensé la nordienne car à voir l'expression qu'elle afficha à la question, Elhenna ne semblait pas heureuse d'y répondre. Elle répondit tout de même et Eleanor comprit quel était le problème. Elle était envoyée ici pour se trouver un mari et bien que ce soit là le destin de toutes les nobles dames, elles n'étaient pas obligés de le prendre avec le sourire. La ouestienne hésita à faire un geste compatissant mais jugea que la fierté nordique empêcherait peut-être son interlocutrice de comprendre son intention. Elle choisit donc de lui sourire gentiment, et opina de la tête avec compassion.

- Vous avez de la chance de connaître Lord Stark, on dit qu'il n'existe pas homme plus honorable que lui.

Dans sa région, on disait d'autre chose en complément de celles-ci, mais ce n'était pas le genre de chose que l'on disait à la Cour, et encore moins en présence d'une nordienne. Cela n'empêcha pas Eleanor de sourire, amusée. Eddard Stark avait une sacrée réputation et il fallait sans doute un cas exceptionnel pour qu'il s'occupe du mariage d'une femme qui n'était pas de sa lignée. Si Elhenna était la seule héritière alors son mariage pourrait changer beaucoup de chose dans le Nord, c'était sans doute la raison de sa venue à la cour. Cherchait-elle à se marier avec un homme du Sud ? La Clegane préféra ne pas poser la question.

- J'espère que Lord Stark vous trouvera un mari digne et aimant, déclara-t-elle poliment.

Une nouvelle étincelle de curiosité brilla dans les yeux gris de la jeune femme.

- Avez-vous assisté au procès d'aujourd'hui, milady ?

Puis elle rosit de honte et détourna le regard avec un sourire pudique.

- Mais je vous retiens peut-être, vous avez sûrement à faire.

Prudemment, elle s'effaça du chemin vers la sortie.

- Je la connais depuis mon enfance, Lady Dustin. J'ai été pupille de Ser Stafford depuis très longtemps maintenant.

A ces mots, le regard d'Elhenna brilla plus fort. Myrielle Lannister avait bien de la chance de pouvoir faire venir à la cour la pupille de sa famille. Elle, elle l'aurait tellement souhaité. Et si la louve n'avait aucune idée du lien qui unissait les deux jeunes femmes, elle imaginait aisément qu'il devait être fort ; à la manière de celui qu'elle avait avec Thyra.

- Vous avez de la chance de connaître Lord Stark, on dit qu'il n'existe pas homme plus honorable que lui.

Elhenna hocha la tête avec un sourire. Bien sûr qu'il était un homme honorable mais il n'était pas que ça. Il y avait chez lui beaucoup de ce qui avait manqué à la louve durant son enfance. Et il y avait leur sang. Il sentait bon la famille, derrière son visage solennel et son double statut de Lord Suzerain et de Main du Roi.

- J'espère que Lord Stark vous trouvera un mari digne et aimant, ajouta la Clegane.

La fille de Barbrey ne répondit rien. Au fond, qu'espérait-elle vraiment de son futur mari ? Un homme fort et investi ne lui laisserait peut-être pas autant de place dans la gestion de Tertre-Bourg qu'elle le voulait. Et un homme trop doux et tranquille l'ennuierait rapidement, elle en était certaine.

- Avez-vous assisté au procès d'aujourd'hui, milady ?

Cette nouvelle question tira soudainement Elhenna de ses pensées. Eleanor semblait gênée de l'avoir posée et la louve contint un sourire en la voyant détourner le regard et ajouter :

- Mais je vous retiens peut-être, vous avez sûrement à faire.

La fille de Barbrey fit quelques pas en direction de la sortie tout en lui répondant d'un ton curieux :

- Oui, j'y étais. Vous également ?

La louve se demandait quels pouvaient bien être les sentiments de la jeune femme qui lui faisait face à ce sujet. Et elle devait avouer qu'elle avait hâte d'être au lendemain pour voir comment tout cela finirait. Elhenna était maintenant très proche de la Clegane et chercha un moment son regard, comme pour essayer d'y lire ce qu'elle pensait réellement de tout cela.

La nordienne n'avait guère envie de parler comprit Eleanor à mesure que ses propres paroles s’égrainaient. Si elle était en mesure de capter les différentes réactions d'Elhenna, elle ne pouvait en comprendre la raison exacte ou même le début d'explication. Elle n'avait cependant pas besoin d'en savoir beaucoup plus, une femme comme Ehenna avait tout à fait le droit de ne pas être enthousiaste que cela à l'idée d'un mariage futur. Le devoir n'était pas toujours une saveur agréable.

En fait, elle ne lui répondit que pour le procès et ce n'était que pour lui dire qu'elle y était. Eleanor quant à elle venait à peine d'arriver au Donjon Rouge, le temps de préparer sa chambre et de se reposer du long voyage qu'elle venait d'entreprendre, elle n'avait pas trouvé le moment pour se rendre à ce procès. Cela promettait pourtant d'être une occasion inespérée pour avoir un aperçu de la cour de Port-Réal, mais cela n'avait finalement pas été possible. Elle ne s'en plaignait pas trop cependant, fatiguée comme elle était Eleanor n'était pas sûre de réussir à se concentrer sur ce qui arriverait dans la salle du trône. D'autant qu'elle n'était déjà pas sûre de comprendre de quoi il était question, avec le peu qu'elle en avait entendu.

- Non madame, je ne suis arrivé que récemment au Donjon Rouge et j'étais trop fatiguée pour me rendre au procès.

Elle baissa assez les yeux pour croiser le regard inquisiteur de la jeune nordienne et rosit de gêne. Elle n'avait rien de particulièrement intéressant à lui raconter et craignit d'un coup d'être ennuyante. Eleanor murmura en désespoir de cause.

- On dit que c'est tout à fait horrible, comme histoire...

- Je vois, répondit Elhenna tandis que dans sa voix s'éteignait le regain d'intérêt suscité par l'évocation du procès. La fille de Barbrey était un peu déçue de ne pas pouvoir confronter au sien le regard d'une autre jeune femme. Elles auraient tout de même pu parler du procès bien sûr mais Eleanor n'y était pas. Elle n'avait pas vu ce qu'il était impossible de décrire. Ce serait bien moins intéressant. Pour elle, comme pour l'héritière de Tertre-Bourg.

L'esprit de la louve s'égara un instant, tandis qu'elle réfléchissait à cela avant qu'elle ne poursuive, d'une voix plus douce mais aussi d'un air plus grave :

- Ce n'est effectivement pas une affaire agréable.

Elle pensait à Lysa Arryn et à Eddard Stark à ce moment là. Au rythme où se faisaient les révélations, son oncle devrait bientôt prendre la tête de sa belle-sœur. Et si Elhenna éprouvait pour la femme de Jon Arryn une antipathie puissante, elle trouvait la situation profondément désagréable. Prendre une vie était une chose. Prendre celle d'un membre de sa famille en était une autre. Peu importait qu'il s'agisse de la plus vile des femmes.

La louve soupira légèrement, sans quitter Eleanor des yeux et en affichant un sourire contrit. La fille Clegane était plus âgée qu'elle et pourtant, Elhenna la sentait moins à l'aise qu'elle-même au fur et à mesure de leur conversation.

- Irez-vous, demain ? lui demanda-t-elle cependant, sans se départir de son air solennel. Si c'est le cas, nous nous y reverrons peut-être, sinon...

La fille de Barbrey marqua une courte pause avant de poursuivre :

- Nous nous croiserons certainement de nouveau au Donjon Rouge, maintenant que vous y résidez. Vous pourrez peut-être même me présenter à Myrielle Lannister.

Elle avait ajouté la dernière phrase, pas tant parce que rencontrer la fille de Ser Stafford l'intéressait que pour clôturer leur rencontre sur une note positive.
Elhenna adressa un signe de tête courtois à la jeune femme, signifiant par là qu'elle se retirait.

- A très bientôt, Eleanor Clegane.

La nordienne semblait extrêmement déçue qu'elle ne puisse pas discuter de ce fameux procès avec Eleanor. La Clegane ne saisissait pas ce qu'il pouvait bien y avoir de si intéressant qui mérite une discussion. Oh bien sûr, c'était une affaire affreuse – tout le monde semblait s'accorder sur ce point - mais justement que pouvait-on ajouter de plus à ce sujet ? La nouvelle Main du roi présidait les troi juges et vu la réputation des gens du Nord, il ne faudrait pas attendre longtemps avant que la chose ne soit tranchée définitivement. Peut-être y avait-il quelque chose qu'Eleanor ignorait et qui perturbait la jeune femme qu'elle venait de rencontrer, quelque chose auquel elle aurait assisté durant la journée ? Si c'était le cas, la jeune Clegane savait qu'elle ne tarderait pas à être au courant et elle pourrait alors en discuter si on lui reposait la question.

Pour l'heure, Elhenna Dustin semblait soucieuse de partir. Non sans proposer poliment à Eleanor de la revoir, comme il était de politesse dans les cercles nobles. La ouestienne s'y plia avec le sourire et un signe de la tête poli.

- Je me rendrais sûrement au procès, nous pourrons nous y voir, Lady Dustin.

Il serait de toute façon compliqué pour Elhenna de rater la Clegane même dans la plus dense des foules. C'était l'un des avantages d'être grand, on passait difficilement inaperçu et vos connaissances pouvaient facilement pour rejoindre dans les lieux bondés comme le serait la salle du trône durant le procès. Quand elle y pensa, Myrielle y serait sûrement aussi, la Lannister n'avait aucune raison de manquer un pareil événement. Ce serait peut-être l'occasion rêvée de la faire rencontrer à cette lady du Nord.

- Myrielle sera sûrement au procès elle aussi, Lady Dustin. Si vous désirez la rencontrer à ce moment.

Bien sûr, tout ceci n'était que mots, même pas des promesses, mais cela faisait partie de la politesse élémentaire que de se parler ainsi. Qui plus est, cette Elhenna avait l'air sincèrement curieuse et plutôt agréable, pour le peu qu'elle l'ait vu. Peut-être que tout cela intéresserait Myrielle.

Eleanor répondit au signe de tête par la même inclinaison polie, avant de se retourner paisiblement vers les corbeaux et leur fenêtre d'envol, qui semblaient d'un coup moins enthousiasmant.

- Au plus vite, Elhenna Dustin. Bonne soirée.