Ashara fut plutôt fière de sa déclaration et plus fière et contente encore que Willem acquiesce, elle lui sourit. Mais si elle avait toujours été douée avec les mots, il n’en était pas moins que les grandes déclarations et les beaux discours n’étaient rien, ne valaient rien. Seuls les actes comptaient, et dans ce monde la loyauté, la droiture et l’honneur ne pesaient pas lourd face aux manœuvres politiques et aux mensonges des puissants et des ambitieux. Du haut de ses treize ans, elle en était à peine consciente, elle apprendrait à s’en prémunir avec le temps, elle apprendrait même peut-être à en jouer, à comploter elle aussi, certainement. Mais pas pour son profit personnel car telle n’était pas sa nature, elle était née pour le Val et ferait, toujours, tout ce qui serait en son pouvoir pour le Val et ses habitants car elle portait son nom : Arryn.

Cependant, pour le moment, elle était simplement décidée à ne pas tomber sous les coups bas, décidée à ne pas renoncer à ce qu’elle était, décidée à protéger son peuple et à développer sa région. Et, n’en déplaise aux hommes et à leurs si précieuse parties, elle avait en cela un atout qu’ils ne possèderaient jamais. Elle était une femme. Non. Pas de celles qui écartent les cuisses pour obtenir de l’influence. Elle avait certes du charme et un joli minois, elle ne l’ignorait pas, mais elle était aussi une jouvencelle et comptait bien le rester jusqu’à son mariage, pour offrir à son époux ce qu’on ne peut avoir qu’une fois. Non. Elle avait un autre atout. Elle pouvait douter, reculer, s’excuser et même louvoyer si c’était nécessaire, sans qu’on lui reproche un manque de virilité…


Leo tenait un licol à la main quand il entra dans l’écurie et sourit à Willem en l’apercevant avant de lui dire :

__ Ah, Ser ! On m’a dit que je vous trouverais là. Suivez-moi je vous prie. »

En passant la grande porte, ils croisèrent Eogan qui salua les deux hommes et entra dans l’écurie où il devait s’occuper des chevaux. Ils longèrent ensuite le pré ou Barristan, Ronan et Creighton étaient afférés à démonter l’imposante tente. Tous trois adressèrent un signe de la main à Willem en guise de bonjour. Le grand blond ayant lâché un des piquets qui soutenait l’ensemble pour se faire, la lourde toile s’affala sur Creighton qui jura en essayant de se dégager, bientôt aidé par Ronan, pendant que le Tallett, écroulé de rire, s’excusait entre deux hoquets. La brune était invisible, Neraron aussi. Ils arrivèrent devant l’écurie où se trouvait Honneur la veille et entrèrent.

__ J’ai ici les destriers qui pourraient convenir. Ils sont entiers bien sûr, vous m’aviez dit que vous le destiniez en partie à la reproduction. »

Vent d’Est était à droite en entrant, puis venaient un puissant cheval d’un noir de jais avec les crins longs et ondulés, un grand bai qui renâclait avec un air mauvais, un alezan presque rouge et un autre presque blond, tous deux avaient une belle allure mais semblaient de conformation plus légère que les autres. A gauche, on pouvait voir un autre bai avec des épaules puissantes, un bai brun un peu plus fin, un gris pommelé à l’encolure arquée et à la crinière fournie, un imposant rouan et au fond, un box vide. Leo laissa quelques instants à Willem pour observer les chevaux, mais il finit par briser le silence entrecoupé des soupirs des équidés.

__ Hum, vous ne m’avez pas parlé de prix hier. A moins que votre budget ne soit illimité, cet élément est pourtant crucial… »

Bien que relativement plus fins, les deux alezans et le bai brun étaient tout de même des destriers, il ne s’agissait pas de vendre un palefroi ou un coursier à un homme qui voulait un cheval de guerre, ni de lui faire payer le prix d’une telle monture pour un canasson qui ne se montrerait pas à la hauteur de la tâche. Certains chevaliers préféraient des chevaux plus lourds et plus puissants, d’autres un peu moins, d’autres aussi, qui n’avaient pas toujours les moyens de se payer plusieurs chevaux préféraient des montures plus légères et plus polyvalentes. C’était le cas de ces trois-là qui étaient assez forts pour porter un chevalier en armure, pas trop lourde, sur un champ de bataille, mais pouvaient aussi convenir pour voyager. Alors que, par exemple, le Rouan et le Noir seraient incapable de porter un cavalier sur de longues distances même s’ils seraient nettement plus impressionnants et efficace lors d’une charge et pour porter un chevalier en armure intégrale de plate.

__ Du sang neuf donc. Je vois. » Répéta Leo enregistrant l’information pour conseiller au mieux son client.

Il avait, parmi les destriers présents ici, quelques chevaux dont le père ou ma mère venait d’une autre région, ceux-là pourraient mieux convenir à Willem, mais ils étaient aussi plus chers puisqu’il avait dû payer la saillie et faire le voyage avec la poulinière.

__ Le père de celui-ci vient du Conflans. Un excellent élevage. »

Il s’agissait du puissant bai. Gretchel, tel était le nom de l’éleveuse qui avait très bonne réputation dans le milieu et avec qui Leo avait souvent traité. Il s‘échangeaient souvent des saillies ou des poulinières. Il avait toute confiance en elle concernant les chevaux.

__ Ah. Excellent choix, si vous voulez du sang neuf. Il est né d’une poulinière que j’ai fait venir des Terres de la Couronne et d’un de mes meilleurs étalons. Les deux parents étant d’un noir pur, vous avez de bonnes chances d’avoir des poulains de la même robe, une couleur très prisée ! De plus, son père est un excellent reproducteur, un gage de qualité pour la semence de cette lignée. Il fait de parfait destriers tant pour la guerre que pour les tournois, souvent hargneux et difficiles à dresser, mais qui s’avèrent redoutables s’ils sont correctement montés. Il vaut 130 dragons d’or, un très bon investissement. »

Il sourit en gratouillant le chanfrein de l’étalon dont il était question ou plutôt de l’un de ses nombreux descendants qui faisait la fierté de Leo.

Leo fit la moue lorsque Willem lui annonça devoir en parler à un autre homme avant de procéder à l’achat et qu’il ne pouvait l’acheter tout de suite. Pas qu’il tienne à le vendre vite, mais se rendant compte que le Capitaine ne comptait pas marchander le prix qu’il avait un peu gonflé pour pouvoir faire face à une négociation, il s’en voulut un peu. Evidemment, il aurait pu attendre et peut-être gagner un peu plus d’argent, peut-être l’aurait-il fait pour d’autres qu’il savait plus riches ou moins respectueux. Mais le destrier semblait vraiment plaire à Willem, et il pouvait bien faire une petite ristourne à un homme de bien accompagné par Lady Ashara et qui serait probablement un bon maître pour l’étalon noir.

__ Combien vous manque-t-il ? Je peux peut-être faire un effort. » Répondit-il

Alors que Willem terminait l’inspection du bel étalon à la robe de jais qui se pavanait fièrement dans la cour, Ashara arriva au grand galop au bout du chemin menant à l’écurie suivie avec difficulté par Ser Neraron. Montée sur Honneur, son nouveau palefroi blanc, elle semblait s’en donner à cœur joie dans sa robe de lin blanche et bleue ciel dont les longues manches et la jupe ample voletaient et claquaient au vent. Elle arriva devant l’écurie, toujours au grand galop, et ralentis à peine pour faire faire un quasi demi-tour sur les jarrets à son cheval puis tourna autour de Leo, Willem et de l’étalon dans un galop rapide. Arborant un sourire jusqu’aux oreilles, elle se pencha en arrière et glissa les fesses sur leur plat dans sa selle tirant légèrement sur les rênes en se grandissant pour s’arrêter net, plus grâce à son assiette que grâce à ses mains. Son garde du corps semblait bien moins apprécier la démonstration qu’elle qui, toujours en selle sur Honneur qui s’ébroua et dressa fièrement la tête en piétinant, excité par cette folle galopade, les naseaux dilatés et le regard vif, s’exclama :

__ Il est extraordinaire Leo ! »

La jeune fille parlait d’Honneur évidemment, mais cela ne l’empêcha pas d’apprécier la beauté du destrier et d’en conclure, connaissant Leo et le soin qu’il apportait à la formation de ses chevaux, qu’il soit un peu au-dessus des moyens de Fort Etoile. Il suffisait de voir à quel point Honneur était bien dressé, docile, maniable, rapide et beau, pour se douter de ce qu’un destrier élevé et préparé ici pouvait valoir. A voir la mine de Leo, mais surtout de Willem, elle fut presque certaine d’avoir vu juste, mais les hommes ont leur fierté, aussi, elle ne dit rien et préféra attendre avant de se mêler de ce qui ne la regardait pas.

__ Merci Leo. » Elle se pencha et ajouta à l’attention des deux hommes. « Je vais pouvoir semer mes gardiens et les rendre chèvre. » Elle sourit de plus belle et se redressa, Leo semblait ravi de la nouvelle et flatta l’encolure du palefroi en rendant son sourire à la brune.

Neraron venait d’arriver en ronchonnant, Ashara serra les jambes pour s’éloigner des deux autres et rejoindre le Capitaine de la Garde Ailée avant de mettre pied à terre. Le chevalier confia les rênes de son cheval à un garçon d’écurie en grignant et en regardant sa protégée d’un regard noir pendant qu’Ashara, après un sourire à Neraron, flatta l’encolure d’Honneur.

__ Pardonnez-moi Ser Neraron. Il est si rapide et si confortable que je ne me suis pas rendue compte que je galopais vite ! »


Il répondit par un grognement et, dès qu’il put, il appela Ronan pour prendre le relais auprès de la gamine insupportable et mal élevée qui lui servait de protégée et qui plus est d’intendante et partit en silence superviser les autres qui terminaient de tout remballé.

__ Ma Lady. » dit Ronan sur un ton réprobateur.
__ Oui Ser, je suis désolée. Mais vous savez comme il est barbant. N’allez pas trop vite, et gnagnagna, faites attention, vous ne le connaissez pas. Gnagnagna, un caillou, une branche, un brin d’herbe. Croit-il donc que je suis en sucre ? »
__ Il a pour mission d’assurer ta sécurité, il s’inquiète.»
__ Vous aussi, Barristan et Creighton aussi, pourtant aucun de vous ne m’as jamais traitée comme une poupée de porcelaine ?! »
__ Tu ne te souviens pas, mais maintes et maintes fois, nous avons eu peur pour toi, nous t’avons dit de ralentir, de faire attention à une branche basse ou à une pierre. Mais depuis, nous avons abandonné l’idée de te faire rentrer dans le rang et nous avons pu constater que, peut-être, nous nous faisions du souci pour rien. Il n’a pas l’habitude d’avoir affaire à une Lady telle que toi, aussi bonne cavalière et aussi casse-cou, laisse le dire, mais fais un effort, ça n’est pas facile pour lui non plus de s’adapter, surtout si tu ne l’aides pas en te comportant comme une enfant que tu n’es plus. »
__ Pardon Ronan. Je ferais un effort, c’est promis. »

Leo était parti dans ses calculs, 80 plus les neuf dragons personnels de Willem, cela faisait 41 dragons d’or de moins que le prix du cheval, s’il vendait une telle monture à ce prix, il serait bientôt ruiné. C’était difficile à évaluer précisément, car c’était surtout beaucoup de temps passé avec l’étalon, mais entre la saillie, la poulinière et l’entretien du cheval et son dressage, il rentrait à peine dans ses frais. Il soupira, car malgré son envie de faire plaisir, autant à Willem qu’à Ashara, il ne pouvait pas faire un tel sacrifice :

__ Je suis vraiment désolé monsieur, mais je ne peux pas vous le faire à 89 dragons. Pour ce prix ou même quatre-vingt seulement, vous pouvez avoir celui-là. » dit-il en désignant le bai aux épaules puissantes.

Mine de rien, Ashara écoutait en flattant le chanfrein d’Honneur et en le grattouillant derrières les oreilles. Elle jeta un regard à Ronan qui leva les yeux au ciel, sachant très bien ce qu’elle allait faire et se disant que, quand même, il fallait que al jouvencelle apprenne à se méfier, à ne pas jeter l’argent par les fenêtres, et à ne pas payer des cadeaux à tous ces vassaux, sans quoi le Val serait bien vite ruiné.

__ J’ajoute onze dragons d’or ! »

Leo se retourna vers Ashara qui venait de sortir du box de son cheval et s’approchait des deux hommes avec un léger sourire.

__ Il vaut 130 dragons d’or madame. »
__ Leo… »
__ J’ai dis que je pouvais faire un effort, pas que je pouvais le brader. »
__ Certes. 110 alors… »
__ 120, je vous le fait à 120. »
__ 110 Leo, je suis une bonne cliente et je t’amène un nouveau client. »
__ D’accord madame. 110 alors. »

La négociation avait été ardue, mais c’était un prix raisonnable, pour tout le monde. Ashara payait 21 dragons d’or de ses deniers propres, ce qui n’était pas une petite somme, mais elle était loin d‘être ruinée et ainsi, Willem ramènerait le meilleur destrier possible à Fort Etoile. Elle flatta l’encolure de l’étalon qu’elle trouva magnifique.

__ J’ai rarement vu aussi piètre négociateur Capitaine, je ne sais pas si je dois m’en réjouir pour votre honnêteté ou craindre pour l’avenir de Ser Raymar Templeton. » Dit-elle à Willem avec un sourire espiègle.

Alors que Willem saluait sa générosité, Ashara eut un petit sourire en coin.

__ M’assurer que les vassaux de Lord Jon Arryn aient, dans leurs écuries, les meilleurs chevaux pour combattre les ennemis du Val et faire honneur aux Eyrié, et ce, tout en enrichissant un honnête éleveur de chevaux. Faire connaitre la qualité de ses montures par un nouveau client potentiel, et, pourquoi pas, par d’autres, jusque par-delà les Montagnes alors que ce même client se fournissait à un lointain marchand. Je n’appelle pas cela de la générosité Capitaine. »

Lui répondit-elle pour mettre en lumière la démarche socio-économique qu’elle soutenait en aidant Willem à acheter ce cheval, mais le sourire brillant qui pétillait dans son regard trahissait toute la joie qu’elle ressentait à aider Willem à acquérir le destrier pour lequel il avait eu un coup de cœur.
Ce dernier acquiesça et rit de bon cœur à la remarque d’Ashara sur sa façon de négocier.

__ Elles sont évidente, mais je ne dirais rien à personne, d’ailleurs, j’ai déjà oublié ce qui vient de se passer et ne retiens que le fait que vous avez fait économiser 20 Dragons d’Or ! Je n’ai plus de crainte à avoir pour le Chevalier de Fort-Etoile donc. »

Ashara jeta un œil derrière Willem, Leo était en train de revenir, bientôt, le Destrier serait à Willem et d’après la mine impatiente de Ser Neraron qui attendait non loin de là, tout était prêt pour le départ. Elle lui fit un signe de tête pour lui faire savoir qu’elle l’avait vu et ne tarderait plus et appela un palefrenier pour qu’on lui apporte à nouveau Honneur, Embrun suivrait mais elle avait décidé qu’il était temps de devenir une dame.

__ Il est temps de nous quitter Capitaine, faites bonne route et dites à Ser Denys de me donner des nouvelles de Ser Raymar Templeton quand il m’écrira. » Elle se tourna vers Leo. « Comme toujours Leo, vous me comblez de bonheur. Merci et à bientôt. »

Alors que le palefrenier donnait les rênes du palefroi blanc à la jouvencelle, Barristan approcha avec un arc et un carquois qu’il l’aida à installer sur sa selle. Une fois tout installé, l’arc à gauche, était dissimulé par le quartier de la selle et, à droite, le carquois ressemblait fort à une fente tout ce qu’il y avait de plus normal pour voyager à cheval. La brune se mit en selle et rejoignit ses gardes du corps, avec un dernier sourire adressé à Willem. Barristan monta à son tour su son cheval et Willem pu constater qu’il avait, en plus de l’épée à sa ceinture, une autre lame, de belle facture, mais plus adaptée à un enfant qu’à un homme de sa carrure.

__ N’oubliez pas de m’envoyer les archers que vous croiserez ! »

Ajouta-t-elle pour Willem avant de faire un léger signe de la main à Brenn avec un sourire. Le petit groupe sortit des terres de Leo au pas avant de prendre le trot sur le chemin et de s’éloigner pour de bon.