Si son oncle ne répondit pas à ses paroles bercées d’ambition, Silithia capta toutefois les doutes et fiertés qui pouvaient l’habiter. Certains de ses sourires étaient cyniques, certains coups d’œil teintés de fierté. Celle qui bientôt serait lionne était la digne descendante des Farman, la plus pure de tous, et elle le savait. Tous les Farman étaient de grands ambitieux, mais elle était dotée d’une audace à toute épreuve, d’un culot sans pareil. Elle n’avait pas peur. Était-ce du courage ? De l’imprudence, de la folie ? Elle était dotée de quelque chose que son père n’avait pas, elle le savait, et Cleyton l’avait décelé. Peut-être était-ce ce brin de folie qui la poussait à aller plus loin, toujours plus loin…
Toujours est-il que Silithia n’avait pas peur. Pas peur des lions, pas peur des puissants, pas peur des conséquences que pourraient avoir ses actes et ambitions.
Elle releva légèrement la tête vers lui lorsqu’il rit à ses paroles. Elle ne voulait pas croire en ses mots, en ses paroles plutôt encourageantes. Profiter de sa jeunesse pour vivre la passion, vivre l’amour… Elle sourit en coin, amère. Très amère. Elle avait voulu vivre la passion, vivre l’amour, connaître tous ces plaisirs. Elle s’était perdue entre les bras d’Alessander, avait connu cet étrange sentiment qu’elle n’avait pourtant jamais souhaité connaître. Elle avait vu la faiblesse de son père face à sa mère, elle avait vu sa détresse lorsqu’il l’avait perdue. Puis elle-même avait connu cette détresse, sans jamais en parler à qui que ce soit.
Une demoiselle de haute naissance comme elle pouvait-elle se permettre de tomber amoureuse d’un homme auquel jamais elle ne serait mariée ? Pouvait-elle se permettre de lui offrir son corps, son honneur, son cœur ? Elle avait perdu celui qu’elle aimait, et si elle avait été déjà faible de ressentir de tels sentiments, elle l’avait été plus encore en portant son deuil. Celui-ci était encore tout récent, il lui arrivait encore de le pleurer parfois. Ses yeux s’étaient encore voilés d’une profonde tristesse.
Le cygne noir était mort, Alessander Desdaings était mort, et Silithia devait avancer. Elle devait encore et toujours avancer.
— Je ne veux pas aimer, admit-elle. L’amour rend faible, il rend malheureux, il détruit. Et je ne veux pas de tout ça. J’aimerai un jour mes enfants, et j’aimerai toujours ma famille. Mais je ne souhaite pas connaître d’autre type d’amour.
Ses sourcils se froncèrent – elle ne voulait plus. Elle songeait à la liberté que lui offrait ce manque d’amour – elle n’avait pas à se soucier d’un autre, seulement d’elle. Et en tant que femme, en tant que noble encore plus, elle avait déjà si peu de liberté – toute sa vie elle devrait vivre sous la coupe d’un homme. Un père, un frère, un époux… Peut-être même un jour un fils. Elle pinça les lèvres à cette idée. Ils la trahiraient tous, ces hommes. Elle ne voulait pas vivre sous la coupe de qui que ce soit. Elle s’était délivrée de l’influence de son père par la manipulation, et comptait bien continuer ainsi toute sa vie.
Et un jour, elle serait libre. Personne à aimer, personne à qui rendre des comptes. Elle seule compterait, elle se l’était promis.
Elle écouta les mots suivants de son oncle, un sourire fleurissant sur ses lèvres. Il voulait donc emmener ses fils à Castral-Roc, en échange de la protection qu’il lui offrirait… Cela arrangeait la blonde, qui sourit, dévoilant ses dents tandis qu’il acceptait. Elle hocha la tête.
— Vos fils seront accueillis comme il se doit à Castral-Roc. Ils n’y seront pas accueillis comme n’importe qui, ils sont des Farman après tout. L’un de ses sourcils se haussa, conférant à la demoiselle une mine arrogante. Les Farman n’étaient pas n’importe qui, non. Dès à présent, les Farman seraient l’Ouest. Et l’Ouest dépendrait des Farman. Nous partirons après mon mariage, donc d’ici moins d’une semaine. Et… J’espère toujours pouvoir vous compter parmi les invités présents à la cérémonie. Vous êtes de ma famille, ser Cleyton, vous êtes mon oncle. Je ne laisserai jamais un seul Farman hors de ma vie, il faut que vous le sachiez. Je n’abandonnerai jamais mon sang, et j’aimerais que vous fassiez partie de ma vie, comme chaque Farman.
Elle eut un sourire délicat – rien ne comptait plus pour elle que sa famille, et elle voulait que Cleyton le sache et le comprenne. C’était comme une promesse à l’égard de tous ceux de son sang ; ils passeraient à jamais avant tout le reste, ils seraient toujours au centre de ses préoccupations et de sa vie.
« halloween »