Une, deux, trois. Une, deux, trois.
Les pieds joints, Tommen sautillait de marche en marche, puis étant arrivé au bas du petit escalier, il remontait les marches à petits sauts. Et ainsi de suite. Parfois, il s’écartait pour laisser passer une servante ou un écuyer.

La matinée touchait à sa fin et le soleil tapait de plus en plus fort sur les dalles, inondant les pièces, les murs du Donjon Rouge qui prenaient une teinte de sang séché. Mère lui avait fait savoir qu’elle était très occupée ce jour-là —tout comme le jour d'avant d'ailleurs, et presque tous les jours, aussi— et lui avait demandé de s’occuper, de ne pas se faire remarquer. Et c’est ce qu’il faisait, escaladant les marches de la cour à pieds joints. Une, deux, trois.

Mais bien vite, ce jeu ne suffisait plus à l’occuper et il se laissa tomber lourdement sur une des marches. Il n’avait pas de leçons aujourd’hui, et Myrcella était introuvable. Peut-être était-elle avec Mère?

Bref, la journée s’annonçait longue. S’il restait sage jusqu’au repas du soir, il pourrait demander des oranges au sucre!
Et c’est en pensant aux oranges sucrées qu’il glissa sa main dans l’une des poches cousues à son vêtement, en ressorti une chaînette de cuivre. Le prince avait trouvé l’objet sous la table lors du déjeuner et l’avait précieusement gardé. La chaînette délicatement travaillée absorba son attention et il l’a contempla longtemps. Occupé ainsi à examiner son trésor, Tommen ne vit pas s’approcher un imposant chat blanc. Un seul regard et il reconnut instantanément l’animal comme appartenant à l’une des dames de la Cour, ces chats au pelage immaculé, qui arpentaient le Donjon Rouge, jetant des regards dédaigneux aux pigeons qui peuplaient le château au lieu de sauter dessus comme les chats de cuisine. Pour le jeune garçon, ce genre de comportement restait un mystère.

Le chat ronronna tout contre lui et Tommen décida de l’associer à sa découverte et partager son trésor avec le félin. Ce dernier s’intéressa gravement à la chaîne et allongea la patte pour toucher le métal, regarda avec étonnement l’objet. Tommen lui en fit un collier. Le matou se montra d’abord tout fier. Il essaya ensuite de l’arracher, mais la chaînette ne céda pas à ses coups de griffes. L’animal se mît en colère, s’affola, cracha et partit en flèche, la queue hérissée et les yeux dilatés par l’inquiétude.

Tommen courut derrière lui pour récupérer son trésor et se glissa dans l’un des nombreux couloirs qui donnaient sur la cour. Le soleil atteignait son zénith et le matou blanc se trouvait maintenant en face du petit prince. A pas feutrés, il s’approcha, le chat continuant sa course, ne se doutant de rien. Ils suivirent un long couloir où il faisait presque nuit pendant un moment. Le pavé en était irrégulier et le prince trébucha plus d’une fois. Le couloir tourna à gauche avant de déboucher sur un petit patio inondée de lumière. Tommen entendait les pigeons roucouler et les colombes leur répondre dans leur propre langage. En vain, le prince leva les yeux, mais il ne pût apercevoir les oiseaux.

Le petit espace aux dalles délavées était bordé de quatre portes cloutées et ouvragées. Au centre, un carré de verdure et sur les murs, grimpait un pied de vigne. Le chat traversa le patio, Tommen le suivant, retenant sa respiration. L’animal s’arrêta, promena un regard sur les alentours puis se mît à tirer sur la chaîne à coups de patte.

Les bras tendus vers le félin, Tommen bondit en avant, poussant un petit cri. Mais le chat fut plus rapide et bondit à son tour derrière l’une des portes qui était entrouverte. Sans y réfléchir, le prince l’y suivit. Le matou s’était glissé sous une chaise, croyant peut-être passer inaperçu, mais son pelage lui interdisait tout camouflage parmi les meubles en bois.
A quatre pattes, le lionceau passa entre les pieds de la chaise, entourant le chat de ses bras. Victoire!

Ignorant les injures que crachait l’animal, Tommen s’apprêtait à ressortir de la chambre quand un bruit l’interrompit. Le félin en profita pour s’échapper et le prince se retrouva seul. Paniqué, il se recroquevilla du mieux qu’il pût sous la chaise, serrant ses genoux contre sa poitrine. A l’intérieur de la pièce, on n’entendait plus les pigeons; le prince pouvait presque entendre son cœur battre.

Aujourd'hui était un jour spécial, comme la veille tout le château était en ébullition alors que se préparait le procès de Lysa Arryn. Et si elle n'avait pu être là pour le premier jour, trop occupée à s'installer dans les quartiers qu'on lui avait assigné, la jeune noble comptait bien se montrer pour le deuxième jour. Avec un peu de chance, elle arriverait même à croiser Myrielle qui devait, sans le moindre doute, se trouver dans la salle avec le reste des invités. Personne au monde ne voulait réellement manquer l'occasion de se montrer à la cour. Eleanor devait admettre qu'elle ressentait une pointe de culpabilité pour désirer ainsi se montrer au cour d'un procès d'une femme qu'elle connaissait à peine. Mais si la justice du Roi s'attardait sur elle ainsi, ce ne devait pas être pour rien.

Elle s'était donc préparée de son mieux ce matin. Des servantes l'avaient aidés à enfiler un corset renforcé et une première couche de tissu la recouvrait, en attendant qu'elle s'habille de sa plus belle robe. Elle espérait qu'elle n'aurait pas trop chaud. Il restait cependant encore quelques heures avant la reprise effective du procès et Eleanor ne tenait pas à attendre dans la salle. Aussi renvoya-t-elle ses servantes pour prendre soin d'elle en attendant. Elle n'enfilerait sa grande robe qu'au tout dernier moment.

La disposition de sa chambre était étrange : elle avait à disposition deux salles mais qui étaient toutes deux plus petites qu'une chambre normale. La première – la plus grande – contenait son lit et les meubles importants, dans la deuxième elle avait installé un petit cabinet avec un miroir et quelques produits offerts par Lady Lefford. Elle s'y était enfermé, sans avoir vu que les servantes avaient laissé la porte de sa chambre ouverte, pour tenter de raviver un peu la couleur de ses joues. Il lui fallut bien un quart d'heure pour arriver à un résultat satisfaisant.

Elle ouvrit donc la porte pour revenir dans sa chambre et à peine eut-elle fait deux pas qu'un éclair blanc lui passait entre les jambes. Elle trébucha mais par chance la jupe qu'elle portait n'était pas assez longue pour gêner ses grandes jambes et elle retrouva bien vite l'équilibre. La grande jeune fille s'agenouilla alors pour mieux voir le responsable : c'était un beau chat blanc, qui s'était réfugié contre le mur et sifflait contre elle. Eleanor avança prudemment la main, jusqu'à réussir à le toucher, doucement. Elle avait toujours su y faire avec les quelques animaux qu'elle avait croisé. La pauvre bête était paniqué car elle portait un petit collier de cuivre.

- Je vais t'enlever ça bonhomme, attends.

Sitôt dit, sitôt fait et le chat blanc rassuré vint se frotter contre les longues jambes de la Clegane. Elle en profita pour l'attraper correctement et se redressa enfin. C'est alors qu'elle aperçut le deuxième intrus.

La petite silhouette d'un enfant était cachée sous une chaise et tremblait. Peut-être le propriétaire. Elle s'approcha rapidement et s'agenouilla de nouveau pour paraître moins effrayante – car elle savait que sa taille pouvait impressionner les jeunes enfants. Mais c'est elle qui fut effrayée. Eleanor reconnut au premier coup d’œil la tignasse blonde et l'habillement du petit garçon. C'était le prince Tommen, le second fils du Roi Robert. La jeune femme en resta un instant bouche-bée, puis hoqueta quand le petit chat se mit à remuer contre elle.

- Mon... prince, bégaya-t-elle.

Elle déglutit pour se resaisir, tout prince qu'il était, c'était un enfant et elle devait savoir comment s'en occuper. La jeune Clegane prit sa voix la plus douce et avança un peu la tête pour mieux le regarder de ses grands yeux gris.

- Mon prince, tout va bien ? Vous avez l'air effrayé, ce chat est à vous peut-être ?

Tommen ferma les yeux et essaya de se serrer un peu plus sous la chaise, essayant aussi de se convaincre qu'ainsi il pouvait se rendre invisible. La voix entendue appartenait sans doute à la propriétaire du chat. Qu'allait elle dire en remarquant la chaîne dont était prisonnier son animal? Et, allait-il un jour revoir son précieux trésor?

De petits sons de pas se firent entendre, de plus en plus proches. Un frisson secoua le petit prince. Maintenant, il le savait, la personne se trouvait juste devant lui. Il essaya de se persuader que s'il ouvrait les yeux, c'était Mère qu'il trouverait, ou mieux encore, Myrcella!


Sous le coup de la surprise, Tommen ouvrit les yeux malgré lui et au lieu de tomber sur les prunelles vertes auxquelles il était si habitué, c'est deux immenses océans de gris qu'il rencontra. Il cligna des yeux. Les traits de la jeune femme devant lui lui étaient étrangement familiers, c'en était presque troublant.



Son regard paniqué passa du chat à la dame. Il se mordilla la lèvre inférieure, ses bras se serrant encore plus autour de ses jambes. Il prit une profonde inspiration, une vaine tentative pour se calmer et, lentement, détailla le visage de la dame, examina attentivement les légers creux que dessinaient ses joues. Quelque chose en cette personne lui inspirait confiance et quand elle parla de nouveau, Tommen sentit la panique le quitter.


En un geste hésitant, il tendit la main vers le chat. L'animal était dans les bras de la jeune femme et le prince ne pouvait voir s'il portait toujours la chaîne ou pas. Sa main dessina un vague mouvement en direction de l'animal. Tout était de sa faute! S'il n'avait pas décidé de s'enfuir avec son précieux bijoux, Tommen n'en serait pas là, caché sous une chaise dans la chambre d'une inconnue. Le jeune Baratheon était conscient que l'objet n'avait pas une très grande valeur, mais le simple fait de posséder quelque chose qui n'était qu'à lui et que lui seul pouvait décider quoi en faire rendait la chaînette à ses yeux comme le plus inestimable des trésors. A son poignet, le simple cuivre devenait l'or le plus pur. Jamais plus il ne partagera ses découvertes avec ces chats de la Cour!
Après un moment de silence, le lionceau articula avec difficulté:

Dès qu'elle approcha, le petit garçon recula et se protégea instinctivement derrière ses bras. Il n'avait vraiment pas des manière de prince, se dit la jeune femme, mais c'était pour le mieux. A son âge, il devait d'abord se comporter comme un petit garçon avant de jouer au prince. Tommen Baratheon semblait craindre qu'elle le dispute pour être entrée dans sa chambre et il accusa le chat d'être responsable. Il avait sûrement poursuivi la bête dans le couloir jusqu'à ce qu'elle se réfugie dans les quartiers alloués à Eleanor. La jeune femme tenta de lui sourire pour lui faire comprendre qu'il n'avait rien fait de mal et qu'il n'avait rien à craindre d'elle.

Le prince tendit la main et articula quelque chose que la jeune Clegane ne comprit pas, puis elle se souvint de ce qu'elle avait retiré au chat et compris. La chaînette bien sûr, ce devait être Tommen qui l'avait avant que le chat ne l'emporte – sans doute parce qu'on lui aura donné. Heureusement, elle l'avait gardée dans son autre main. Eleanor tendit donc la main dans laquelle pendait la petite chaînette de cuivre. Elle ignorait si elle avait le droit de porter ainsi la main sur une personne de sang royal mais la question n'était pas là pour le moment. Doucement, elle ouvrit sa paume devant lui pour montrer la chaînette.

- Le chat me l'a rendu, mon prince. Tenez, prenez-là.

Elle attendit que le prince prenne une décision pour ramener ses deux mains autour du petit chat pour le tenir de façon plus confortable. Le félin était toujours effrayé et promenait ses grands yeux à travers toute la salle mais il se calma à mesure que la Clegane le caressait. Ce ne devait pas être le chat du petit garçon, sinon il aurait dit son nom, mais il appartenait à quelqu'un, c'était certain. Sa fourrure était trop propre et trop douce pour qu'il s'agisse d'un chat de gouttière. La bête s'agita un peu entre ses mains mais elle le rattrapa contre elle pour lui gratter le ventre.

- Savez à qui appartient ce petit, votre Altesse ?

La jeune femme regarda soudain vers la porte en s'attardant à voir débarquer des gardes. Le prince devait bien avoir une escorte avec lui, pourquoi personne ne l'avait-il suivit dans cette chambre ? A moins qu'il n'ait faussé compagnie aux gens chargé de le surveiller, tout le monde faisait cela au moins une fois dans sa vie et même Eleanor ne faisait pas exception – même si ça c'était le plus souvent soldé par des échecs. Elle attendit que le chat se mette à ronronner pour retirer sa main gauche de la fourrure douce et la tendre lentement sous la chaise pour l'offrir au prince.

- Vous ne voulez pas sortir, votre Altesse ? Cette place ne convient pas à un prince de votre rang.

Elle tentait de le regarder dans les yeux même si sa position rendait difficile d'apercevoir les petite prunelle vertes. La jeune femme se voulait rassurante. Elle ignorait comment le prince était arrivé là mais quoiqu'il en soit elle se devait de l’accueillir et de s'adresser à lui comme une personne de sang royal.

Très vite, Tommen saisit la chaînette dans ses mains, les yeux toujours fixés sur la dame. Les paumes jointes, il baissa le regard pour admirer sa précieuse chaîne, les yeux brillants de soulagement. Le chat ne l'avait pas abîmée. Portant les mains à son cœur, il serra très fort le bijou contre sa poitrine, levant un regard plein de gratitude vers la jeune femme.

Puis, elle lui demanda s'il savait à qui appartenait le félin —le "votre Altesse" passa sans qu'il n'y prête d'attention. Pendant un bref moment, le prince fronça les sourcils. L'animal n'appartenait pas à cette jeune lady? Quand Tommen l'avait suivi vers le petit patio puis la pièce entrouverte, il avait était presque persuadé que l'animal le menait vers son maître ou sa maîtresse. Là, il aurait pût demander sa chaînette au propriétaire. Tout en observant le mouvement continu de la main de la dame sur la fourrure du chat, il se dit que l'animal appartenait alors à l'occupant d'une des chambres voisines. Lentement, il fit non de la tête, les yeux toujours grands ouverts.

C'est là qu'elle tourna la tête vers la porte et les lèvres du prince s'entrouvrirent. Attendait-elle quelqu'un ? Que dirait un nouveau venu s'il le trouvait là, caché sous une chaise dans les appartement d'une dame qui lui était inconnue ? —il n'arrivait toujours pas expliquer la familiarité troublante de ses traits. Ou pire! Et si c'était quelqu'un qu'il connaissait ... Joff ?! Ou peut être sa septa qui l'aurait suivi. On lui avait donné la permission de s'amuser dans la cour mais on ne tarderait sûrement pas à remarquer son absence. Les ronronnement du chat le tirèrent de ses réflexions paniquées et la jeune femme lui tendit la main.


Cette fois le titre le fit grimacer. Brièvement, il se demanda si Joffrey, quand il serait roi, accepterait de faire quelque chose pour limiter toutes ces drôles de manières qu'on prenait en sa présence. Même à son âge, il n'arrivais vraiment pas a comprendre pourquoi tout ceci était nécessaire. Toutefois, il avança la main vers celle tendue de la lady inconnue et la laisse le remettre debout.


Une fois remis sur pieds, il épousseta ses vêtements. Ses jambes, engourdies par la position inconfortable dans laquelle il était, semblaient prêtes à se dérober sous lui et il tendit la main vers la chaise pour se redresser. Son regard passa d'un coin à l'autre de la pièce puis vint se poser sur la dame. Le premier détail qui le frappa fut la taille impressionnante de l'occupante des lieux. Soudain, le chat miaula et, instinctivement, Tommen resserra son poing, les maillons de la chaînettes s'enfonçant dans sa paume et, timidement, le prince baissa la tête en une révérence incertaine puis offrit un petit sourire hésitant à celle qui l'avait aidé à se relever.

Enfin, le prince se décida à lui prendre la main et elle aida tant bien que mal le petit bonhomme à sortir de sa cachette. Il s'aida de la chaise d'une main, mais gardait l'autre bien serrée contre lui, avec la petite chaîne de cuivre qu'elle venait de lui rendre. Sans trop savoir de quoi il s'agissait, Eleanor comprit que le petit prince y tenait pour une raison ou pour une autre. Preuve en fut la façon dont il resserra ses doigts dessus quand le chat se mit à miauler. Cela fit sourire la jeune femme : peut-être Tommen Baratheon craignait-il que le vilain matou ne tente à nouveau de lui dérober son bien. Elle commençait à comprendre ce qui était arrivé pour qu'elle se trouve avec un prince royal dan sa chambre.

Comme il s'inclina poliment pour la saluer, elle fit de même. Le geste fut un peu plus gauche que d'habitude car elle portait toujours contre elle le chat prisonnier – qui ne se plaignait pas de sa position, mais elle conservait un port gracieux. Ses lèvres pleines se fendirent du sourire le plus aimable qu'elle pouvait offrir et elle s'agenouilla délicatement pour être à la hauteur du jeune prince.

- C'est tout naturel, mon prince. Je suis Eleanor, de la maison Clegane.

Elle ignorait quelle pourrait bien être la réaction du petit garçon, peut-être n'aurait-il aucune idée de qui elle était mais elle devait se présenter quoiqu'il arrive, devant une personne de sang royal. Et puis, Tommen devrait tout de même connaître son frère Sandor, qui servait de bouclier-lige au prince héritier. Cette pensée raviva ses questions précédentes : elle se trouvait face à un prince, le fils même de Robert Baratheon, le roi des Sept Couronnes. Comment se faisait-il qu'il soit entré ici et qu'aucune escorte ne soit déjà venu le chercher. Il n'était pas dérangeant bien sûr. Bien qu'il soit prince, il était aussi timide et poli qu'on pouvait l'attendre d'un garçon de son âge, mais Eleanor s'inquiétait de ce qu'on dirait si quelqu'un arrivait finalement ici pour retrouver le prince.

- Vous n'aviez pas de garde, messire ? Cela vous aurait évité d'avoir à poursuivre ce gredin jusqu'ici, vous ne pensez pas ?

Elle rajusta le chat dans ses mains et lui grattouilla l'arrière de la tête pour le rassurer. Le matou bailla à s'en décrocher la mâchoire et darda ses prunelles dorées sur le petit prince.

Une fois agenouillée, la dame semblait moins intimidante.
Elle se présenta, le chat toujours dans les bras, et, légèrement surpris, Tommen pencha la tête d'un côté, clignant des yeux une ou deux fois. Clegane ... Tout comme le bouclier lige de Joffrey. De distants souvenirs d'anciennes leçons lui revinrent à l'esprit, l'image floue d'un blason au fond jaune vif lui traversant la mémoire. Une cousine du Limier? Le petit prince n'arrivait pas à se rappeler si Joff ou quelqu'un d'autre avait un jour mentionné un membre de la maison Clegane qu'il ne connaissait pas. Ne trouvant quoi dire, Tommen hocha de la tête et lui rendit son sourire, un soupçon de timidité encore présent dans ses gestes.


Bien sûr qu'il avait des gardes, des manteaux rouges étaient presque toujours présents autour de lui. Pendant qu'il jouait dans la cour, il y en avait trois ou quatre qui discutait à l'ombre d'une courtine mais ils n'avaient pas cherchés à le suivre quand il s'était lancé à la poursuite du chat. Tommen ne savait pas vraiment pourquoi. Peut être le croyaient-ils avec Mère ou sa septa? Tout en réfléchissant, Tommen haussa les épaules, ne s'arrêtant pas un instant pour se dire que ce geste n'était pas des plus polis. Il leva de grands yeux vers Eleanor, une légère confusion présente dans son regard. Une fois de plus, il ne sut quoi répondre. Après un court moment, il se décida à souffler ces quelques mots:


Le chat bailla. Tommen l'avait presque oublié. Son regard se posa sur l'animal, la raison pour laquelle il était là, dans cette chambre. Le prince, les yeux toujours fixés sur le matou, enfila la chaînette à son poignet, une étincelle de défi dans ses yeux émeraude. Mais sans qu'il puisse s'en empêcher, le petit Baratheon avança sa main vers le félin et lui caressa la tête prudemment. L'animal ronronna et ferma les yeux un instant. Un petit éclat de rire s'échappa d'entre les lèvres du prince et il releva la tête vers Eleanor.
Il ne remarqua pas le mince filet de sang qui coula de sa narine que lorsqu'une goutte écarlate s'écrasa sur sa main, coulant jusqu'à son poignet et tâchant le petit bracelet de cuivre.

Les enfants avaient ceci de particulier que le plus souvent la notion de danger était très lointaine pour eux. Eleanor se souvenait encore de balade sur les remparts ou le long des falaises où le moindre faux pas auraient conduits à une mort certaine, quand elle était toute petite. Aujourd'hui, elle se demandait si elle ferait les même balades sans trembler, mais elle en doutait. Le prince semblait partager ce trait avec elle et les autres enfants. A la façon dont il haussait les épaules, Eleanor comprit que s'il avait une escorte, il n'y était pas très attentif, ou inversement. Tommen Baratheon confirma cependant rapidement qu'il était sous la protection des manteaux rouges, les même qui servaient à Castral Roc.

A mesure qu'ils parlaient tous les deux, le prince se faisait de moins en moins timide et cela fit sourire la jeune femme qui tentait de le rassurer depuis son arrivée. Elle le laissa avancer vers le chat, tout en surveillant le félin – il avait l'air fourbe après tout. La caresse se passa bien et le chat consentit même à ronronner gentiment contre la paume du prince royal. Le geste acheva de détendre le petit garçon qui se mit à rire joyeusement. Eleanor aurait partagé le même rire si elle n'avait aperçu une soudaine tache rouge sous la narine du petit prince. Il tenta de l'essuyer mais ne réussit qu'à faire couler le sang jusqu'à son poignet.

- Mon prince...

Elle relâcha le chat au sol et avança les deux mains pour saisir celles de Tommen et en profita pour inspecter son nez. Cela n'avait pas l'air de rien mais l'on ne se mettait pas à saigner du nez comme ça sans raison, si ? En une seconde, elle dégaina un petit mouchoir de tissu – que toute bonne Lady conservait toujours sur elle - et s'en servit pour essuyer vaille que vaille le poignet et la petite chaînette.

- Vous vous sentez bien ?

Elle tentait de conserver un ton calme mais son cœur battait la chamade. Qu'un prince s'invite dans sa chambre à la poursuite d'un chat, cela passait encore, mais qu'il se mette à saigner et on risquait de faire d'elle la responsable. Et ce n'était pas du tout l'impression qu'elle avait envie de laisser durant ses premiers jours au Donjon Rouge.

- Je crois qu'il est temps que l'on aille retrouver votre escorte alors, vous venez ?

Eleanor lui essuya délicatement le nez et attendit de voir si cela continuait de saigner. Une fois rassurée, elle se redressa et tendit doucement sa main vers le petit garçon pour l'accompagner vers la sortie.

Tommen passa sa main sous son nez dans une vaine tentative d'essuyer le sang mais cela ne fit que tâcher ses vêtements de quelques gouttes écarlates. Eleanor sortit un mouchoir et s'en servit pour faire disparaître les tâches rougeâtres.



Le prince clignota des yeux puis renifla. Il se remit à dévisager la dame, se sentant légèrement mal à l'aise, comme s'il était sur le point d'éternuer. Pourtant, il était assez habitué à ces saignements qui étaient plutôt fréquents; Pycelle avait essayé un jour de lui en expliquer les raisons mais Tommen n'avait pas bien saisi le sens des mots du vieux mestre. Il utilisait des termes bien trop compliqués! Perdus dans ses pensées, le jeune garçon avait presque oublié de répondre à la dame et s'empressa de dire:



L'enfant renifla de nouveau. Il observait distraitement le chat qui s'occupait à passer entre les pieds de la chaise et venait parfois se frotter contre les jambes de la dame ou du prince. Qu'allait dire Mère si elle remarquait les traces de sang? Sa septa accepterait peut-être de lui faire changer d'habits sans le dire à la reine, mais la vielle dame essayerait sûrement de lui faire prendre un bain et il n'avait vraiment pas envie de cela! Prendre un bain signifierait qu'il lui serait interdit de sortir s'amuser dans le château pour le reste de la journée; pour éviter qu'il s'enrhume dirait sa septa.


Tommen baissa le tête pour jeter un coup d’œil à ses vêtements. Mais qu'allait dire Mère si elle entendait parler de ça; que son fils s'était retrouvé dans la chambre d'une dame et qu'il y avait ensuite saigné. Le lionceau savait que sa santé était fragile et il savait aussi que cela n'était pas quelque chose dont Cersei aimait informer tout le monde. Les grands chevaliers ne saignent pas à tout bout de champ, pensa-t-il tristement.

Il fit oui de la tête et Eleanor lui passa le mouchoir sous le nez avant de lui tendre la main. Il l'a prit dans la sienne mais avant de faire un pas, leva les yeux vers la jeune dame et demanda timidement :

Le petit garçon ne semblait pas plus effrayé que cela par le sang qui coulait de son nez, mais à son âge il n'avait pas forcément conscience de ce que cela signifiait. Les dangers semblaient toujours lointains quand on les regardait par des yeux d'enfants, sauf ceux qui étaient imaginaires justement. Eleanor continua d'éponger le liquide rouge jusqu'à ce que le flot se calme progressivement. Elle lui sourit alors d'un air rassurant en tapotant délicatement le bout du nez princier. Tommen semblait s'inquiéter pour ses vêtements – certes de bonne facture – plutôt que pour sa propre santé, ce qui fit penser à la jeune Clegane qu'elle avait peut-être paniqué pour rien. Il accepta même de lui prendre la main pour qu'elle l'accompagne retrouver sa suite.

- J'ignore où est Dame la reine, mais nous allons la retrouver si vous le désirez.

Elle s'avançait déjà vers la porte, suivie de près par le chat qui s'était semble-t-il habitué à recevoir caresses et câlins, quand elle aperçut son reflet dans un miroir proche. Elle s'arrêta aussitôt et rosit. Elle n'avait pas eu le temps d'enfiler sa robe et si elle portait déjà jupons et petite chemisette, ce n'était pas une tenue pour aller rencontrer la suite princière. Ce n'était pas indécent bien sûr, mais il y avait des règles de convenances à observer.

- Excusez-moi une seconde, mon prince.

Eleanor le relâcha une seconde et se précipita sur une armoire pour en extraire une longue cape de laine jaune. Elle la coula sur ses épaules et la referma bien sur son col. C'était une cape d'hiver, chaude mais aussi très longue et elle cachait admirablement bien sa tenue. Trois chiens noir courraient discrètement sur ses épaules quand elle revint prendre la main du petit garçon.

- Nous pouvons y aller.

Ils ne firent que quelques pas à l'extérieur avant que la jeune femme n'aperçoive un garde au manteau rouge qui stationnaient plus loin. Il était devenu beaucoup plus simple de les rencontrer dans le château car l'on disait que Lord Tywin avait emporté avec lui une bonne part de sa garde au moment de se rendre à la capitale. Eleanor le rejoignit à petits pas pour ne pas perdre ou épuiser Tommen. Elle s'apprêtait à lui poser timidement la question quand elle se souvint qu'elle accompagna un prince, elle redressa alors les épaules et prit un air qui se voulait plus sûre d'elle.

- Mon brave, le prince Tommen désire savoir où se trouve Dame sa mère, le savez-vous ?

Bien sûr, rien ne garantissait que le garde en ait la moindre idée mais peut-être saurait-il où devrait se trouver le prince. Peut-être même faisait-il partie de la garde qui devait s'en occuper.

Tommen fit oui de la tête, lentement, presque à contrecœur. Il lui était impossible d'expliquer qu'aller retrouver Mère était la dernière chose qu'il souhaitait faire à ce moment-là. Il déglutit péniblement, la gorge serrée. Dame Eleanor fit un pas avant de s’arrêter brusquement. Le prince sentit la fourrure du chat lui frôler la jambe. Elle s'excusa et le prince l'observa d'un air perplexe tandis qu'elle sortait une cape et l'enfilait. Trois chiens noirs étaient représentés sur le tissu. Clegane ... Elle reprit sa main et déclara :

Ils sortirent de la chambre, le chat les suivant de sa démarche lente et élégante. Tommen remarqua le manteau rouge en même temps que la dame et il sentit son estomac se nouer. Ils s'approchèrent du garde. Eleanor prit un moment avant de parler et demanda d'une voix claire:


Le garde se retourna et leur jeta un regard ou se laissait voir une pointe de curiosité, surtout quand ses yeux se posèrent sur le prince. Tommen ne le connaissait pas. De toute façon, il y avait bien trop de gardes Lannister au Donjon Rouge et ils donnaient au prince l'impression qu'ils changeaient chaque jour de visages; même si le jeune Baratheon essayait de faire des efforts pour en reconnaître quelques-uns, il n'y arrivait presque jamais. L'homme au manteau rouge resta un moment silencieux puis fit non de la tête.
Tommen leva la tête vers la jeune dame, attendant curieusement sa réaction, mais le garde ne la laissa pas répondre puisqu'il lâcha ces quelques mots d'une voix lasse comme si ce qu'il allait dire était une des choses les plus évidentes au monde :
L'homme jeta un dernier regard à Eleanor et au garçon avant de leur tourner le dos, retournant à sa position initiale.

Quelque peu désorienté par les paroles du garde, Tommen fixait le bout de ses chaussures, essayant de comprendre le sens de ces mots. Un procès ? Tommen n'avait pas vraiment d'amis ni de connaissances qui pourraient l'informer de ce qui se passait dans les sept royaumes; Mère ne l'autorisait pas à s'amuser avec les fils de palefreniers et autres enfants de servants qu’hébergeait le Donjon Rouge, elle trouvait que leurs jeux étaient trop violents. Or, toutes les informations qu'il connaissait, c’était Cersei ou quelqu'un de proche qui l'en informait. Et presque toutes les grandes personnes pensaient qu'il était trop jeune pour être informé de quoi que ce soit.

La réponse du garde ne se fit pas attendre et la jeune femme se sentit aussitôt un peu bête. Bien sûr, le procès, il devait se poursuivre aujourd'hui et elle s'était même préparée en vue d'y aller. S'il n'était pas encore commencé, il était certain que la reine devait se trouver occupée à préparer de nouveau la salle ou simplement à se reposer avant une longue séance. Cersei ne voulait sûrement pas être dérangée. Le petit garçon avait sans doute été confié à une nourrice ou à des gardes en attendant, ce qui expliquait pourquoi il ne savait pas où était sa maman. Eleanor fronça tout de même les sourcils devant le manque d'enthousiasme de l'homme ; elle n'était peut-être qu'une dame de compagnie d'une maison noble mineure, mais à travers elle il s’adressait au prince Tommen. Restant digne, elle le foudroya du regard et se détourna, le dos raide, pour emmener le petit garçon plus loin.

Elle le conduisit à travers un couloir jusqu'à un petit patio. Eleanor ne pouvait pas le savoir mais le prince était déjà passé par là quelques temps plus tôt avant d'atteindre sa chambre. La jeune femme fit installer le prince sur un banc et s'accroupit devant lui pour être à sa hauteur sans abîmer le précieux tissu de ses jupons sur le sol. Elle lui prit les mains avec un sourire rassurant.

- Dame votre mère est occupée, il semblerait. Nous n'allons pas la déranger en plein procès, n'et-ce pas ?

Délicatement, elle arrangea les plis sur les épaules du petit garçon. Sans trop savoir pourquoi, la jeune femme n'était pas dérangée par la situation. Elle ignorait exactement comment se tenir face à un prince à cet âge mais elle appréciait la discrétion du petit bonhomme. Eleanor voulait qu'il retrouve la personne responsable de lui – car il devait bien en avoir une, n'est-ce pas ? - mais elle était aussi heureuse qu'il soit tombée sur elle. Après tout, il y avait des gens dans le château pire qu'elle pour s'occuper du garçon, jugeait-elle.

- Vous avez peut-être une nourrice ? Non, vous êtes bien trop grand pour ça, répondit-elle en riant. Une Septa peut-être ? Ou êtes vous déjà écuyer d'un grand chevalier ?

Ses yeux gris étaient rieurs. Dorénavant détendue, elle s'adressait toujours à lui avec respect mais pouvait se permettre quelques plaisanteries. Tous les petits garçons rêvaient de devenir chevalier après tout, le prince ne devait pas faire exception.

- Vous voulez qu'on les trouve ?

Elle entendit un miaulement et baissa le regard sur le chat. La bestiole s'était accoquiné d'eux apparemment et frottait sa tête contre la jambe de la jeune femme. Toute noble qu'était le félin, il ne semblait pas pressé de rejoindre son propriétaire légitime. Il n'avait cessé de les suivre depuis qu'ils avaient quittés la chambre et miaulait de temps en temps pour se rappeler à leurs souvenirs.

- Ou peut-être que vous préférez jouer avec cet impertinent ?

Tommen continua de fixer le garde avec de grands yeux, perdu. Mais, Quel procès? Là, Eleanor prit sa main et ils s'éloignèrent. Ils arrivèrent dans le patio qui menait à la chambre de la dame, celui que le prince avait traversé pour atteindre le matou voleur de chaînettes. La jeune Clegane l'aida à s'asseoir sur un banc et s'agenouilla, permettant ainsi au garçon de pouvoir la regarder sans se faire mal à la nuque.

Quand elle referma ses mains sur les siennes, la chaleur du contact fit sourire Tommen.


Le prince hésita une seconde avant d’acquiescer d'un signe de tête tandis qu'elle passait ses mains sur ses épaules, arrangeant ses habits. Tommen était sur le point de poser une question à propos de ce fameux procès quand Eleanor prit de nouveau la parole .


Elle rit et Tommen ne pût s’empêcher de lui offrir un grand sourire. Toutes ses inquiétudes à propos de ses vêtements tâchés, de Mère et de ce procès disparurent instantanément.


Depuis toujours, son plus grand rêve était de devenir chevalier, de porter de grandes épées et de monter de belles et fières montures. Quand je serais chevalier, je serais plus fort que Joff! pensa-t-il.

Quand Eleanor lui proposa de retrouver sa septa, il secoua la tête vigoureusement. Pas question! Il n'avait pas envie de rester entre quatre murs pour le reste de la journée, il préférait largement rester ici et parler de chevaliers! En effet, il avait passé toute sa petite enfance entouré de récits de héros et de grands combattants; quand ce n'était pas Myrcella ou sa Septa qui lui faisaient la lecture, il s'amusait à inventer ses propres histoires dans lesquelles il était souvent le personnage principal et ou l'antagoniste ressemblait presque toujours à son frère aîné.

Un miaulement se fit entendre et le petit prince baissa la tête pour trouver une fois encore le chat qui était la cause de toute cette aventure. Tommen tapota l'espace libre sur le banc et le félin sauta sur la surface, comme pour attraper la main du garçon. Ce dernier étouffa un petit rire dans sa manche. Il passa sa main derrière les oreilles du matou puis reporta son attention sur la dame.


Il leva ses grands yeux verts vers elle, espérant de tout son cœur qu'elle accepterait la demande.

Elle avait touchée juste, exactement comme elle l'imaginait. Tous les petits garçons qu'elle connaissait étaient fascinés par les chevaliers et rêvaient d'en devenir. Quand en plus on avait un exemple aussi flamboyant que Jaime Lannister, on ne pouvait s'étonner de la destinée que se promettait le petit Tommen. Eleanor lui sourit et ébouriffa légèrement les cheveux blonds. Ses gestes devenaient de plus en plus familier, sans qu'elle en prenne réellement conscience. Non pas qu'elle oublie le rang de son jeune interlocuteur, mais elle se souvenait au fur et à mesure de son âge. Il n'était pas utile de le traiter comme un roi déjà, surtout quand il voulait simplement jouer avec les chats et écouter des histoires de chevalier.

A ce sujet, elle avait peut-être touché un peu trop juste. Le but n'était pas de garder le petit garçon avec elle loin de sa septa, mais après tout il n'était pas en danger ici, avec elle. Des gardes n'étaient pas loin et au moins il ne se perdrait pas dans les couloirs. Sa septa ou quiconque en charge du prince finirait forcément par débarquer. Si Tommen voulait entendre des histoires de chevalier en attendant, elle pouvait bien l'en gaver un petit peu.

- Des histoires de chevalier ? Oh j'en connais mais je suis sûre qu'un prince comme vous doit déjà les avoir entendu des dizaines de fois ? Peut-être celle de Serwyn au bouclier-miroir ?

La fable de Serwyn était l'une de ses préférés, même si elle savait sa fausseté. Les événements décrits prenait place bien avait le règne des dragons sur Westeros et pourtant ce Serwyn était un membre de la garde royale.

- Vous ais-je dit que mon frère est un chevalier ? Lança-t-elle à tout hasard. Le plus grand chevalier de tout Westeros.

Elle sourit rien qu'y penser. C'était là une affirmation que personne ne saurait contester : Gregor Clegane était l'homme le plus grand de tout Westeros et de fait il était aussi un chevalier.

- Et par grand, je veux dire, encore plus grand que moi ! Beaucoup, beaucoup plus grand.

Eleanor leva le bras pour donner au petit garçon une idée de l'échelle de laquelle on parlait. Elle hésita une seconde à lui conter une histoire inventée sur son frère mais elle n'était pas ménestrel, elle n'arriverait jamais à inventer pareille histoire. Déjà que ses souvenirs de Gregor étaient plutôt flous. Elle évacua l'idée en secouant la tête et s'agenouilla de nouveau.

- Serwyn alors ?

La jeune femme connaissait plusieurs versions de cette légende célèbre. Elle en raconta une étendue, où Serwyn n'était pas un chevalier de la garde, mais un chevalier ouestien parti au Nord sauver une princesse de Castral Roc. Eleanor tentait de modifier sa voix pour la rendre grave lorsque le chevalier rencontra les géants au nord du Mur, puis elle la fit sage et puissante quand vint la rencontre avec le dragon. Elle termina, comme le veut la tradition, par la mort du dragon après avoir été trompé par le bouclier miroir du chevalier. Et la princesse fut sauvée et put embrasser son grand chevalier.

Plus d'une dizaine de fois qu'il l'avait entendue, celle-là. Mais cela ne l’empêchait pas de savourer le récit comme si c’était la première fois que l'histoire lui était racontée.


Le prince ouvrit tout grand les yeux tandis qu'un large sourire éclairait ses traits. Le plus grand chevalier de tout Westeros? Rien que cette périphrase suffit à faire rêver le jeune garçon. Réussirait-il un jour à se faire appeler ainsi? Le prince ne fit aucune connexion entre le nom de famille de la jeune femme et les deux hommes qui portaient le même, la Montagne ainsi que le Limier qui accompagnait presque toujours Joffrey; le bouclier lige de ce dernier effrayant assez le jeune Baratheon.


La dame leva un bras au ciel, expliquant au prince que son frère était très très grand. Et avant qu'il ne puisse ajouter un mot, Eleanor entama son récit. Tommen renifla, ses vives émotions d'à peine quelques secondes auparavant oubliées. Balançant ses jambes dans le vide sous le banc, le petit prince se plongea complètement dans l'histoire, ne perdant ne serait ce que le moindre mot qui sortait d'entre les lèvres de la jeune dame. Les imitations de cette dernière des différents personnages à travers le récit eurent comme effet de faire rire le prince aux éclats. Enfin, le chevalier put sauver sa princesse et le récit prit fin. Tommen tapait dans ses mains avec enthousiasme.
L'ombre d'un sourire toujours sur ses lèvres, le prince secoua la tête pour se débarrasser des mèches retombées devant ses yeux. Il remercia Eleanor pour l'histoire et hésita quelques secondes avant d'entourer la dame de ses bras en une brève étreinte. Il n’était pas sur qu'un geste comme celui-ci était convenable et approprié mais la jeune Clegane avait réussi à transformer ce qui s’annonçait comme une longue et triste journée en un moment des plus plaisants et il ne put exprimer sa gratitude envers elle qu'avec ce geste là.

Elenaor n'avait mentionné son frère que pour amuser un peu le petit garçon, en évoquant la taille gigantesque qu'atteignait le chevalier Clegane. Elle ne s'attendait pas vraiment à ce qu'il soit pris au sérieux – surtout en comparaison de Serwyn au Bouclier-Miroir – et encore moins à ce qu'il ne demande à devenir son écuyer. Elle s'imagina une seconde le si jeune prince aux côté de Gregor et regretta instantanément l'image. Avant de commencer son histoire, elle fit de son mieux pour régler cette histoire sans peiner Tommen.

- Je crains que Gregor ait déjà un écuyer, mon prince. Et vous êtes bien jeune, mon frère n'a jamais été très pédagogue, encore moins avec les enfants.

Elle ne faisait ici qu'inventer. Elle n'avait jamais rencontré Gregor et ne savait pas de quoi il était capable exactement. Eleanor n'avait que quelques souvenirs de son frère et elle n'était pas sûre qu'ils soient exacts. Elle revoyait parfois un jeune homme barbu aux yeux écarquillés qui n'arrivait pas à la tenir correctement, alors qu'elle était encore un nourrisson. D'habitude, on avait aucun souvenir de cette période de sa vie donc la jeune femme ignorait totalement s'il s'agissait d'un rêve ou bien de quelque chose qui était réellement arrivé. Toutefois, de ce qu'on lui disait de son frère, elle doutait qu'il sache s'occuper d'un écuyer aussi jeune.

- Pourquoi ne pas demander à votre oncle, Ser Jaime ? On dit qu'il est la plus fine lame du Royaume ?

Elle aurait pu en rajouter mais la réputation de Jaime Lannister le devançait et elle doutait que le jeune Tommen ait pu ne pas en entendre parler. Le chevalier de la garde royale était ce qui se faisait de plus doué en terme de chevalier. Elle n'avait pas besoin d'appuyer là-dessus et il serait sans doute plus doué que Gregor pour enseigner.

Une fois ce souci réglé, elle pu commencer son histoire. Elle-même avait parfois du mal à suivre le récit tant elle prenait garde aux réactions du jeune prince. Eleanor se rassura au fur et à mesure comme Tommen semblait apprécier et rire quand il le fallait. Elle n'était pas si nulle pour raconter apparemment. Elle termina donc l'histoire de Serwyn sur un beau sourire et sous les applaudissements de son unique auditeur. Eleanor accepta les remerciements mais fut surprise de se voir soudain gratifiée d'un câlin en bonne et due forme. Par réflexe, elle referma les bras autour du petit garçon le temps d'un battement d'aile.

- Vous me flattez, prince Tommen, sourit-elle en se redressant.

Elle épousseta sa robe distraitement, un peu gênée sans savoir pourquoi. Elle avait grandit avec des enfants bien plus jeune qu'elle – comme Myrielle – et se croyait donc rodée à ce type d'exercice. Avec un prince royal cependant, elle n'était jamais sûre de faire ce qu'il fallait, ou de comment s'y prendre. Eleanor s'agenouilla à nouveau pour lui faire face et lui sourit comme si elle allait proposer une aventure extraordinaire.

- Voulez-vous une autre histoire ? Ou que nous nous mettions en quête de votre Septa ?

En entendant ces paroles, Tommen vit son excitation disparaître aussi subitement qu'elle était apparue, ne laissant à sa place qu'un triste sentiment de vide.


En l'espace de quelques secondes, il s’était imaginé écuyer aux côtés de celui que la jeune dame avait décrit comme étant "le plus grand chevalier de tout Westeros", pour plus tard devenir un chevalier aussi doué que le frère de la dame. Toutes ces pensées éclatèrent comme une bulle de savon heurtant la branche crochue d'un arbre.
Tommen haussa les épaules, les yeux noyés de chagrin et murmura qu'il en parlerait à Mère.
Toutefois, il vit sa tristesse soudaine disparaître à son tour avec le récit de la jeune dame et après cela, quand il sentit les bras d'Eleanor l'entourer, ce geste finit par effacer toute la peine qui avait réussi à lui serrer le cœur quelques minutes auparavant.

La dame se redressa pour arranger sa tenue. Tommen tourna la tête pour voir le chat blanc, allongé sur le banc et baigné par une tâche de soleil qui s’était faufilée parmi les feuilles d'un arbre planté au milieu du petit patio. Il prit le félin dans ses bras, lui ayant pardonné l'incident de la chaînette de cuivre, et passa sa main à plusieurs reprises sur la douce fourrure, recevant comme récompenses pour ces caresses les ronronnements réconfortants de l'animal.

Quand elle se remit à sa hauteur, la main du jeune Baratheon interrompit ses caresses et le prince releva la tête, rencontrant une fois de plus les grands yeux gris d'Eleanor Clegane.


Malgré le sourire de la dame et le ton sur lequel la question fût posée, Tommen ne put réprimer un bâillement qu'il essaya de dissimuler derrière sa manche, soudainement conscient de sa fatigue ainsi que d'un faible sentiment de faim. Il se retrouva à penser aux oranges sucrées.
Puis, faisant semblant de réfléchir, il leva les yeux, apercevant cette fois les pigeons et les colombes qui s’occupaient toujours à échanger des roucoulements. Enfin, se retournant vers Eleanor, il murmura,


Le petit prince se laissa glisser du banc pour atterrir sur ses pieds, le chat toujours dans les bras.

Le prince avait été bien plus triste que prévu à l'idée de ne pas être écuyer de Ser Gregor. Cela confirmait qu'il n'avait probablement jamais vu le géant, ou qu'il n'avait pas fait le rapprochement avec Eleanor. Ou simplement qu'il ne connaissait pas assez bien le caractère de l'aîné des Clegane pour comprendre que la jeune femme faisait de lui sauver la mise. Eleanor grimaça en voyant les yeux du petit prince se gorger de larmes, elle aurait voulut le consoler mais ne savait trop comment faire. La Clegane commença donc aussi vite que possible pour son histoire pour permettre de Tommen de penser à autre chose.

Par chance, cela fonctionna à merveille et au vu du câlin auquel elle eu droit à la fin de l'histoire, celle-ci devait lui avoir plu. Pas assez cependant pour qu'il en redemande une, quoique cela devait être dû à la fatigue. Le prince avait les yeux brillants de l'enfant qui ne voulait qu'aller se coucher et il ne pu même réprimer un bâillement. La jeune Clegane se fendit d'un sourire et d'un rire clair et tendait déjà la main pour l'aider à se lever quand il glissa du banc. Le chat était toujours dans ses bras, l'animal semblait s'être bien calmé depuis les péripéties de tout à l'heure et il se lovait à présent dans les petits bras du prince Baratheon.

- Allons la trouver alors.

Ils mirent quelques minutes à déambuler dans les couloirs pour finalement sur une femme âgée qui arborait l'étoile à Sept branches de la foi et qui s'empressa de les rejoindre en apercevant Tommen. Elle devait s'éreinter depuis un moment dans les couloirs à voir son teint et la façon dont elle cria presque de soulagement en rejoignant le petit prince. L'escapade avait semble-t-il duré un peu plus longtemps que prévu et la dame s'en était inquiété, évidemment. Eleanor la rassura d'une voix douce et humble.

- Tout va bien, Septa. Messire Tommen pourchassait un chat. La vilaine bête est venue se réfugier chez moi.

Elle fit une petite révérence polie. Toute Septa qu'elle était, la vieille dame devait avoir été noble ou proche de la noblesse pour être assignée à la famille royale. C'était en plus une religieuse et on lui avait enseigné à respecter sa Septa, alors pourquoi pas celle du prince?

Le rire de la dame résonnait toujours dans son esprit tandis qu'ils parcouraient les couloirs du Donjon Rouge. D'une main, Tommen tenait le chat blanc contre lui et de l'autre, il tenait fermement la main d'Eleanor. Pas après pas, le petit prince comptait les dalles tout en fredonnant. C'est quand il entendit un son de pas précipités qu'il releva la tête pour tomber nez à nez avec sa septa.

Un coup d’œil était suffisant pour comprendre qu'elle avait cherché le jeune Baratheon pendant un bon moment. Le soulagement était apparent sur ses traits ridés. Il se mordilla la lèvre inférieure, se rappelant subitement l'état de ses vêtements.

Tout en évitant le regard de la vieille dame, il essayait de trouver une excuse, une explication convaincante à propos de cette escapade. Au moins, pensa-t-il, le chat cache les taches de sang.

Il n'eut pas à parler puisque la jeune Clegane prit la parole d'un ton doux qui fit presque sourire Tommen:

Eleanor fit la révérence et le chat, apparemment ennuyé par cet arrêt soudain de sa promenade dans les bras du prince, bondit à terre en poussant un miaulement indigné.

La septa remerciait la dame d'avoir raccompagné le prince et Tommen en profita pour glisser à terre, rejoignant le chat à quatre pattes et l'entourant de ses bras pour le rapporter près des deux femmes. La vieille dame soupira en remarquant la poussière sur les vêtements du prince puis l’encouragea à remercier à son tour Eleanor Clegane.

Il sourit et s’avança vers elle puis, les bras tendus, lui présenta le félin qui se débattait.


Il ne pouvait pas laisser le chat tout seul, même si l'animal était l'instigateur de toute cette aventure. Tandis que Tommen attendait la réponse de la grande dame, la septa s’avança, déposant une main sur l'épaule du prince. D'un ton neutre et poli, elle demanda à Eleanor son nom complet.

La vieille dame était évidemment très soulagée de retrouver le petit prince, mais elle n'en oublia pas ses bonnes manières. Elle se montra même très polie en s'adressant à Eleanor pour la remercier. En fait, la jeune Clegane fut assez surprise de voir que la Septa ne la questionna pas plus que ça sur les motifs qui l'avaient amenés à lui ramener le prince. Elle la vit cependant s'attarder sur la poussière et les tâches qui couvraient quelques parcelles des vêtements du petit garçon, alors qu'il allait chercher le chat à quatre pattes. La pauvre dame exhala un soupir las et Eleanor eu bien du mal à ne pas sourire. Elle était sans aucun doute habituée aux escapades princières, mais semblait tout de même soulagé du déroulement de celle-ci.

Comme toute bonne Septa, elle encouragea son jeune élève à se montrer aussi poli qu'elle et Eleanor accepta les remerciements du prince avec une jolie révérence. Elle lui sourit en même temps, voyant qu'il voulait ajouter quelque chose. Il semblait réellement se soucier beaucoup du petit chat, malgré tous les ennuis qu'il avait causé. Eleanor s'agenouilla doucement et tendit les bras pour accepter la bête, non qu'elle imagine la tâche facile mais une requête princière ne saurait être refusée.

- Je ferais de mon mieux pour trouver son chez-lui, mon prince.

Pendant qu'elle se relevait, le chat s'agitait un petit peu entre ses bras, pour s'habituer à son nouveau porteur, mais aussi à sa nouvelle altitude car il gagna pas mal de décimètres. Eleanor tourna son regard gris vers la vieille Septa. Elle voulait savoir qui était cette inconnue qui lui avait ramené le prince et c'était très compréhensible. Avec un sourire timide, la jeune femme répondit d'une voix douce.

- Je suis Eleanor, de la maison Clegane, madame. Je suis une dame de compagnie pour Myrielle Lannister.