Le vieil ours qu’ils m’appellent… Je ne pense pas qu’ils se rendent compte de la véracité de cette affabulation. Bien sûr, aucun n’aurait le toupet d’utiliser ce terme en ma présence. Ou, du moins, pas en étant conscient de ma présence. Sur toutes ces années, je devais l’avoir entendu peut-être une ou deux fois, en traversant un couloir ou en entrant dans la pièce. C’était souvent suivi d’un coup de coude et d’un regard appuyé du voisin le plus proche.

Finalement, je trouve ça amusant. Mais je n’en laisse rien paraître.

S’ils savaient à quel point je me sens vieux. Et pas seulement… Fatigué aussi. Ce n’est pas tant l’âge qui prône ici mais le poids des événements. Ah ! Je réalise seulement maintenant que j’approche certainement des 70 ans. Ce que j’aimerais pouvoir juste passer de vieux jours plus tranquilles que ce qu’il se prépare en ces temps sombres.

Mais voilà le jeune Snow qui arrive. Remisons ces pensées pour d’autres nuits sans sommeil. À y penser, Jon faisait un travail plus que remarquable malgré ses premières déceptions du poste qui lui a été remis. Mais je suis certain qu’il en fait un meilleur quand il ne se rend pas compte de son importance. Et les heures qui vont suivre seront certainement d’importance.

Je regarde rapidement le repas apporté. Rien ne me donne d’appétit, ce soir. L’alcool sera de meilleur effet qu’un bout de pain. Je n’y pense pas encore mais je redoute les idées qui seront sorties de cette réunion. Les Stark ont la particularité d’être vifs d’esprit. Ils pensent souvent aux bonnes solutions. Et parfois à une solution originale mais particulièrement redoutable. Mais terrible à mettre en place…

Les autres invités sont là. Seul Snow reste à l’écart, attisant le feu. C’est pourtant à lui que reviendra la parole. Le Maestre et les autres étant là principalement pour leur avis éclairés mais c’est Snow qui dirigera les débats, ou tout du moins les arguments. C’est bien pour cette raison que Mimain n’est pas présent, déjà à d’autres occupations.


« Mon jeune garçon, c’est à toi que reviens en premier lieu la parole. Racontes-nous donc ce qui est ressorti de cette entrevue. »

Autant ne pas mentionner sa famille ou questionner sur leur bien-être, ceci est d’un abord moins conforme à cette réunion et pourra toujours être demandé ultérieurement. Ma mauvaise impression n’en démord pas. Pourvu que j’entende simplement le désir des Stark de participer à garantir l’aide des autres maisons. Pourvu qu’ils aient raisons et que nous exagérions cette menace.

À la première phrase prononcée, je comprenais que mes espoirs, fous ou non, ne seraient pas exaucés. Les Starks n'ont pas d'armées secrètes à proposer, n'ont aucun moyen de pression pour forcer les bannerets à agir et les chances de faire lever une armée par les Rois plus éloignés que Winterfell n'étaient guère difficile à deviner.

*Leur faut-il que le Mur tombe pour qu'enfin, ils comprennent le bien-fondé de nos craintes ? Que leur faut-il ?*

Malgré ma vieillesse, mon expérience et cette soi-disant sagesse, je ne pouvais comprendre que l'on puisse estimer plus urgente matière que celle-ci. A quoi bon quelques lieux à ajouter à une terre ou quelques hommes de plus dans sa force armée si ces terres sont rendues arides et ces hommes sans famille... Sans raison pour combattre ?

Revêtir le noir signifiait d'éviter tout contact avec le monde extérieur. Mais le monde extérieur, lui aussi, évitait tout contact. Je m'en accommodai jusqu'ici mais voici qu'une nouvelle lueur prenait place en moi : la colère. Pourquoi ne pas ouvrir les portes et laisser ce mal descendre sur le Sud. Peut-être comprendront-ils alors ?

Snow continua son rapport. Avait-il noté la tristesse, le désespoir et la colère passé sur mon visage ? Certainement pas. C'est le genre de réaction qu'un bon chef se doit de garder pour lui.

*Mais peut-être me fais-je trop vieux pour ce geste d'apparat*

Cependant, voici que l'idée des Starks prend son ampleur.

« Une alliance... avec les... Sauvageons...? »

Malgré toutes les idées saugrenues auquel je m'attendait, celle-ci fait figure de trophée.
je laissai le jeune Loup défendre cette idée avec plus d'ardeur que nécessaire pour défendre la famille. Il pensait vraiment à cette initiative.

« Mon garçon, je reconnaît bien là les Starks. Dont tu es, il n'en est nul doute, l'engeance... Je reconnais être désappointé du manque cruel de mains pouvant tenir une épée pour défendre le Mur. Je reconnais également m'y être attendu et avoir espéré une solution miracle proposée par Winterfell. Mais cela est absolument unique et inattendu. »

Voulant pousser le jeune à continuer sa démonstration, j'alimentai cette flamme passionné qui brillait devant moi.

« Nous avons donc deux dangers assombrissants nos contrées : ces Marcheurs Blancs et cette armée sous l'égide du autoproclamé Roi des Sauvageons. Et les Starks ne demande rien de moins que de me servir de l'un de ces dangers pour exterminer l'autre ? M'auraient-ils proposer de prendre exemple sur le "Roi de la Nuit" et m'allier aux Marcheurs Blancs ? »

Peut-être avais-je été trop loin dans ces paroles. Le fait que j'édifiais celle-ci d'une voix calme et patiente peut parfois infantiliser mon interlocuteur. Or je ne souhaitait que savoir pourquoi Jon voyait en cette idée saugrenue une véritable solution. Le lui demander ne le ferait que se retrancher derrière cet apparat. Ici, j'avais besoin de son côté sanguin pour qu'il me donne sa véritable vision.

On ne pouvait pas appeler ma petite manipulation une ruse. Mais il n'en était pas moins que celle-ci fonctionnait. Jon s'enflammait pour défendre cette idée et se l'accaparait comme étant sienne. C'est ce dont j'avais besoin en ce moment.
Je refusais à l'accepter mais mon esprit avait déjà tourner cette problématique tant et tant de fois que j'en était arrivé à cette conclusion fatidique : aucune solution.

A moins d'obtenir les forces armées de tout Westeros, nous n'avions aucune solution.

Sauf une.

Une solution à laquelle je ne pouvais me résoudre, une seule raison où je me suis
(inconsciemment)
interdit d'envisager.

Et j'ai poussé Snow à me la présenter avec suffisamment d'ardeur et d'assurance pour m'y faire ployer.

Car je sais... Oh oui, je le sais bien... Aucun argument ne peut la contrer. C'est la solution du dernier espoir. Et, comme j voudrais que nous n'en soyons pas déjà arrivés là...

« Tu ne m'apprends rien à propos de nos possibilités de forces armées, mon garçon... »

Je n'avais plus cette voix dure qui m'avait permis de le gourmander. On y notait bien trop aisément une certaine lassitude.

« Ton point de vue est bien défendu, jeune Snow. Permets-moi donc une question : Toi qui est tant enclin à protéger Westeros et, ne t'en cache pas, Winterfell en premier lieu, que feras-tu si cette alliance libère une horde de Sauvageons sur les Sept couronnes, ouvrant ainsi une voie bordée d'incendie, de pillage et de viol à ces marcheurs blancs ? »

L'image était forte, trop peut-être. Mais il était nécessaire de savoir aussi prévoir et anticiper. Si nous étions forcés à véritablement faire cette démarche - Et les Sept m'en sont témoins, nous le serons certainement, - serons-nous capable d'anticiper la traîtrise, les fuites et leurs conséquences ?

« Robb et toi avez-vous seulement prévu cela dans votre plan ? Car, mon garçon, si nous acceptons cette folle entreprise, nous devons avoir des garanties pour ne pas exposer les vies que nous voulons sauver à bien pire que la mort.»

J'étais conscient du regard appuyé des autres personnes. Certains se résignaient autant que moi. D'autres comptaient certainement refuser une telle folie. Mais, pour l'instant, tous attendaient que cette discussion entre Snow et moi ait épuisé tous les arguments.

Le jeune homme réagissait à mes manigances. En bien ou en mal, allez savoir. Il n'était plus le jeune et naïf bâtard de Ned Stark. Mais il était encore bien loin de toute ses capacités. On pourrait presque regretter qu'un homme comme lui se retrouve au Mur. Bien que, dans la situation actuel, c'était un bienfait car Snow aura très vite
(trop vite)
beaucoup à faire.

J’acquiesçai lorsqu'il confirma son attachement à Winterfell. Je savais que son sens du devoir était aussi grand que son amour pour les Stark. Néanmoins, je me devait aussi de lui rappeler ce sens du devoir nécessaire à notre tâche ici.

J'écoutai Jon dévoiler la situation de Theon Greyjoy, pupille de Winterfell. Mon intérêt fut obtenu lorsqu'il usita du terme otage. Je soutins son regarde avant de finir mon verre et de me lever pour rejoindre le feu, tournant ainsi le dos à Jon et les quelques silencieux Garde de la Nuit.

Après un soupir, je pris ma décision à ce propos.

« C'est un choix intéressant, jeune Snow. Fort peu louable, soit. Mais nous ne sommes pas de ceux à faire des courbettes à la Cour du Roi. Si c'est une solution pratique, c'est une solution envisageable. »

Ce sera néanmoins une chose bien difficile à mettre en place. Les sauvageonnes sont aussi hargneuses que les hommes et peuvent être utilisées au combat. Leurs enfants sont très certainement plein de ressources. La surveillance devra se faire de manière très rapprochée mais, pour s'assurer la bonne volonté du Peuple Libre, ils ne devront pas non plus être traités comme des prisonniers. Ce sera délicat, très délicat de faire accepter cela aux Lords.

« Jeune homme, je me laisse convaincre par cette plaidoirie. Et, croyez-en mon expérience, le silence de vos congénères en disent long sur nos autres possibilités »

Appuyé des deux mains sur la cheminée, le visage éclairé et réchauffé par la rougeur du feu, je ne croyais toujours pas être en train de prendre cette décision.

« En tant que porteur de cette entreprise, certes avec Robb Stark, vous sentez-vous capable de partir au Nord du mur afin d'atteindre Mance Rayder ? Vous ne partirez pas seul, évidemment. »