La maison.

Ades ne put empêcher un sourire d'apparaître lentement sur ses lèvres, alors que les tours de Fort-de-Glace à l'horizon. Ils avaient cheminé sans presque aucune interruption depuis le Mur, ne s'arrêtant que pour la nuit dans quelques auberges, et ainsi ils avaient atteints le domaine Overton aussi vite que possible, du moins, à six et une prisonnière. Ayant abandonné le chariot, la sauvageonne avait été installée sur le destrier de Vasgard, juste devant lui. L'homme avait sa large épée bâtarde à la ceinture et portait dans son dos un arc taillé dans un barral. Ades avait insisté pour qu'ils le conservent avec eux.

Le silence était de mise depuis le début de la journée, mais à l'approche de midi, l'excitation se faisait sentir à mesure qu'ils approchaient. Au loin, la pierre noire du château se détachait nettement sur le fond gris du ciel. Et plus ils approchaient, mieux on le distinguait. C'était un immense bâtiment, qui n'était certes pas à la mesure de Winterfell, mais qui dégageait une étrange impression de puissance ; il était là depuis tellement longtemps, il semblait tellement … indestructible. Bien sûr, ce n'était pas exactement le cas, mais tout de même, plusieurs légendes courraient sur ce château. Notamment sur sa couleur de nuit ; certains l'attribuaient au feu des dragons d'Aegon, bien qu'il n'y ait eu aucun mort dans la maison Overton au cours de la Conquête. On prétendait toutefois que les dragons étaient venus, mais qu'après que l'enfer se soit déchaîné, la famille Overton et ses gens étaient ressortis du château sans aucune blessure. Les mestres prétendaient que ce n'était jamais arrivé, mais tout de même … tous les témoignages précisaient que le château n'avait jamais été aussi sombre que depuis la Conquête.

Avec un vague sourire, le jeune homme se tourna vers la prisonnière.

« Tiens-toi tranquille et tout devrait bien se passer, on t'amènes au château. »

Leur convoi arriva quelques temps plus tard devant une première muraille de pierre brute, qu'ils franchirent au niveau d'une première porte, pénétrant dans le village qui entourait Fort-de-Glace. Ils ralentirent alors considérablement, les rues étaient étroites, ce n'était clairement pas un endroit conçu pour circuler à l'aise, le village était très vieux et s'était construit au fur et à mesure autour du château, sans véritable organisation. Ades aurait aimé reconstruire mais ça demanderait des moyens qu'il n'avait pas, il se contentait donc de dégager un peu la route centrale ; celle qui menait au château. Ils perdirent presque une heure, essentiellement parce que le jeune homme s'arrêtait de temps en temps pour s'adresser à quelques personnes. Notamment le forgeron, un vieux bonhomme à la longue barbe grise mais au torse aussi large que celui d'un taureau, qu'Ades connaissait depuis qu'il était tout jeune. Il s'avança à pas lourd pour frapper l'encolure du cheval d'Ades.

« M'sire, elle s'est bien passé c't'expédition, j'vois qu'z'avez ramené un joli souvenir. »

Le jeune homme rit doucement en suivant le regard du vieil homme, qui observait Luevan.

« En effet, nous avons passé quelques temps de l'autre côté du Mur. Tous s'est bien passé entre temps, Robert ?  »

« Pas d'problème, vot' père est en pleine forme. Et vot' cousin du coup ? »

Le sourire de l'héritier Overton s'effaça, et sa voix se fit nettement plus basse, il se contenta d'un laconique.

« Tombé pour protéger les Royaumes. »

L'homme acquiesça gravement puis se recula pour les laisser passer. Le même genre de conversation se répéta plusieurs fois, sans compter ceux qui parlaient à Vasgard, avant qu'ils n'atteignent enfin le lac gelé qui créait l'autre limite du village, ils n'eurent alors qu'à suivre sa rive pour atteindre les murs immenses du château, puis la herse qui se souleva dans un bruit lugubre alors qu'ils entraient au pas.

« Tiens-toi tranquille et tout devrait bien se passer, on t'amène au château. »

Luevan relève la tête et roule des yeux, sans répondre. Comme si elle n'avait pas entendu ça plusieurs fois par jour depuis son enlèvement... Et comme si elle avait causé le moindre problème.

Les frères noirs à qui le petit noble a livré le chariot de vivres se sont montrés haïssables, pourtant. A la fois agressifs et émoustillés, ils ont carrément proposé à Overton de « s'occuper de la prisonnière », ce qui signifiait sans ambiguïté aucune, rires gras à l'appui, un certain nombre de sévices sexuels avant sa mise à mort. Heureusement, le nobliau a poliment décliné leur offre, qui lui aurait pourtant ôté une épine du pied. Vasgard était furieux, d'ailleurs... comme à chaque fois que son maître perd une occasion de tuer la sauvageonne.

Elle remue sur la selle, tout le corps douloureux de la longue chevauchée en équilibre sur l'arçon de devant. Comme à chaque fois qu'elle bouge, le demi-géant derrière elle lâche un grognement qui se veut bougon mais qui cache mal son embarras. Un sourire moqueur apparaît sur les traits tirés de la captive. Le fidèle garde du corps n'est finalement pas de bois, hmm ?

Elle lève sur la citadelle et ses murs de suie un regard méprisant. Ces gens du Sud... Pourquoi se donner un tel mal pour construire des machins aussi immenses, et les faire si laids ? Tant qu'à employer des années, des tonnes de pierraille et la sueur de milliers d'hommes, à leur place, elle aurait construit quelque chose où il fasse bon vivre, plutôt que cette sinistre falaise noire qui semble jeter sur leur approche un regard furibond. Ça lui rappelle le Mur, qui n'a pour lui que ses proportions surhumaines et la matière dont il est fait. Ça lui rappelle aussi Châteaunoir, qui porte bien son nom.

Luevan serre les dents au souvenir de la traversée du quartier général corbeau. Le crachat de Luna est bien vengé... Elle n'a pas compté ceux qu'elle a reçus, ni les insultes, ni les menaces, ni les remarques obscènes. Pourtant, comme avec les éclaireurs, elle s'est obligée à garder le silence et à fixer un point de l'horizon, sans leur donner matière à un lynchage. Les reproches de leurs supérieurs et l'autorité glacée du petit noble ont fait le reste, réduisant à un silence impuissant et courroucé cette bande d'anciens criminels, voleurs, violeurs, assassins, soi-disant absous et purifiés par leur nouveau costume.

Ce souvenir la rend à des sentiments plus indulgents pour le village qu'elle traverse, et son regard bleu-gris, curieux, se met à scruter les pierres comme les visages. Ici, au moins, les gens la considèrent avec curiosité, sans plus. Elle lève ses deux mains liées pour ouvrir le col de sa veste fourrée, dévoilant une chemise de laine brute. Jamais elle n'a connu une chaleur aussi accablante ; l'abandon de sa pelisse à capuche, deux jours auparavant, ne l'a guère soulagée. Pourtant, les gens ici sont emmitouflés comme s'ils partaient pour une randonnée dans les Crocgivre...

« M'sire, elle s'est bien passée c't'expédition, j'vois qu'z'avez ramené un joli souvenir. »

Luevan décoche un sourire torve au forgeron, l'air de dire « ha, ha, ha, c'est malin ».

« Je suis pas joli souvenir, je suis petit biscuit pour Vasgard », rétorque-t-elle en désignant de ses pouces joints l'homme assis derrière elle sur la selle. Avec un grand sourire innocent, elle ajoute :

« Lui dur comme pierre depuis début voyage. J'ai bleu dans le dos. »

Un silence inquiétant derrière elle. Luevan donnerait cher pour voir sa tête... Le nobliau, en tout cas, ne relève pas et poursuit sa conversation avec le forgeron. « Protéger les Royaumes »... Pfft. Quelle absurdité. A moins, bien sûr, que le cher cousin ne soit tombé face aux Marcheurs Blancs.

Laborieusement, la petite troupe finit par atteindre la herse, juste au moment où Luevan est sur le point de hurler d'exaspération. Est-ce qu'il est vraiment obligé de papoter dix minutes avec tous les pécores qui croisent son chemin ?

Le ferraillement sinistre de la grille amène un frisson dans son dos. C'est maintenant qu'elle va apprendre ce que signifie vraiment « être prisonnière ». Être enfermée entre quatre murs de pierre... Un destin inconcevable pour la sauvageonne, habituée au ciel libre. Une seule question la taraude : combien de jours y survivra-t-elle ?

Une fois arrivé dans la cour, la jeune femme sent deux poignes de fer se refermer sur ses épaules et la soulever un bref instant avant de la jeter sans ménagement à bas du cheval. L'immense Vasgard saute à ses côtés, un sourire mauvais aux lèvres ; apparemment, il ne goûte pas vraiment la plaisanterie. Un ordre sec vient interrompre cet instant de moquerie, effaçant instantanément le sourire du maître d'arme.

« Pas de ça, ici. Vasgard, elle est prisonnière mais aussi invitée. Relèves-la. »

Manifestement, Ades se méfie encore assez de la jeune femme pour ne pas trop s'approcher ; même les mains attachés, elle reste plus forte que lui sans doute, et plus entraînée au combat. Il laisse donc à Vasgard le soin de la relever, avec un grognement mécontent, néanmoins le guerrier ne prends pas le risque de contredire son jeune maître, l'ayant déjà assez énervé avec cette histoire. Il se fige soudainement, son regard noir tourné vers l'une des plus grande porte qui mène à la cour. Celle-ci vient en effet de s'ouvrir sous l'impulsion de deux gardes, qui laissent ainsi apparaître deux figures du lieu.

Le premier est un grand homme, légèrement affaissé toutefois, à la fois par le poids des années et par la maladie. Heureusement, aujourd'hui, Lord William Overton semble être plutôt en forme, comme l'a indiqué le forgeron. Le simple fait qu'il soit présent dans la cour est une bonne nouvelle, il arrivait parfois que le père d'Ades ne puisse pas quitter son lit pendant des jours entiers. De longs cheveux tombent sur ses épaules, d'un brun très clair, alors que son fils se rappelle très bien de les avoir vus beaucoup plus sombre quand il était tout jeune. Son visage est bien différent de celui de son enfant, beaucoup plus dur, plus carré et plus massif. Seul ses yeux sont d'un bleu aussi vifs que celui d'Ades, mais contrairement à lui, ils semblent fatigués, les paupières lourdes et le regard parfois vide pendant de brefs instants. La gorge du jeune homme se serre mais il n'ose rien dire, plutôt soulagé de voir son père debout. Il porte même son armure, cette plate noir, rehaussée d'argent et d'or, avec une longue cape légère et grise qui descend jusqu'au sol. Elle paraît moins impressionnante que dans ses souvenirs d'enfant, mais elle permet tout de même de souligner la carrure, qui fut un jour imposante, du seigneur des lieux.


« Père., annonce-t-il en inclinant la tête. »

« Ades, je suis content de te revoir. Je vois que tu ne t'es pas contenté d'amener ce que je t'avais confié. »

Les yeux bleu fatigués se posent doucement sur Luevan, la scrutant un moment avant de revenir vers son fils, interrogatif.

« Une Sauvageonne, sans doute, Messire. Capturée au sud du Mur ? »

L'homme qui vient de parler est enveloppé dans une robe de bure qui n'est rendue que plus imposante que par la lourde chaîne qu'il porte au cou. Bien plus âgé que Lord Overton, il est pourtant le moins courbé des deux, et semble encore en bonne forme pour son âge. Ses yeux gris se sont fixés un instant sur Luevan mais se sont rapidement concentrés sur Ades.


« Elle appartient au Peuple Libre, en effet. Et capturée au Nord, les Frères Jurés avaient besoin qu'on apporte quelques objets à des collègues. Nous ne sommes portés volontaires, puisque nous étions-là. »

« Voilà qui est bien peu raisonnable, mon fils. Tu nous ramènes donc une prisonnière. »

« Je fais préparer une cellule ? »

« Une chambre plutôt, nous en avons plusieurs de libres si je ne m'abuse ? »

Le jeune homme acquiesce doucement, apparemment satisfait que son père le propose directement. Le vieux mestre ne répond que par un hochement de tête, avant de se reculer pour aller faire préparer la chambre. Les yeux du maître des lieux se reposent alors sur son fils, avec un peu plus de dureté.

« On est tombés sur deux sauvageonnes, elle et une autre. J'ai préféré garder une otage pour être certain de ne pas être attaqué ensuite. »

Le vieil homme acquiesce doucement.

« Et l'autre ? »

« Rassurez-vous, M'sire, il l'a laissée partir aussi. »

Le ton n'est pas sans humour, mais légèrement agressif tout de même. Vasgard, qui était jusque là agenouillé, s'est relevé. Lord Overton sourit doucement et s'avance pour tapoter l'épaule de son maître d'arme, tout juste s'il ne lui donne pas une accolade virile.

« Toujours aussi dur, Vasgard. Ades a bien fait, j'en suis sûre. Lord Stark ne cesse de nous apprendre à bien traiter nos prisonniers, avec honneur. »

« Lord Stark n'est pas mon suzerain, vous, si. »

« Certes … mais il est mon suzerain. »

Sans attendre de réponse, il se tourne vers son fils.

« Et Théodore ? »

Le jeune homme déglutit, avant de lêcher prudemment les lèvres, cherchant manifestement les mots pour l'expliquer à son père.

« Il est … devenu patrouilleur, comme il en rêvait père mais … il est tombé, lors d'une patrouille. »

William Overton ne réagit pas, ses yeux se baissant un instant vers le sol, avant de se fermer. Il ne répond pas immédiatement, et tente manifestement de ne rien montrer, mais Ades est bien placé pour comprendre que c'est une aiguille de plus enfoncée dans le cœur du pauvre homme. Il n'y a plus guère d'Overton en vie à présent, et il se sait malade, ainsi que son frère, le père de Théodore.

« Je vois. * se mettant face à Luevan * Je ne te demanderais pas de t'agenouiller, jeune fille. Mais donnes-moi donc ton nom. Tu l'as sans doute comprit, je suis Lord William Overton. »

« Luevan, M'sire. »

« Bien, Luevan. Mon fils va te conduire à tes quartiers, nous te trouverons une occupation plus tard. »

Sans un mot de plus, il se tourne vers son fils, tout en reprenant sa marche, apparemment vers la sortie du château.

« Une fois que tu auras finis, j'ai laissé quelques papiers dans ta chambre, ça concerne Port-Glacé. Je vais voir le Capitaine de la garde, je serais de retour d'ici ce soir. Vasgard, viens-donc avec moi, vieux frère. »

L'immense maître d'arme se détache aussitôt de Luevan, avec beaucoup trop d'empressement pour que ce soit honnête.

« Mikken, Rick, avec moi. »

Les deux hommes, plus jeunes et beaucoup moins imposants que le dernier gardien de la sauvageonne, se campent autour d'elle. Le jeune homme vient lui faire face, en restant à distance raisonnable tout de même.

« Nous avons un bois sacré, tu veux peut-être t'y recueillir un peu avant de rejoindre ta chambre ? »

Une fois jetée à terre, la sauvageonne décoche à Vasgard une œillade que ne renierait pas une courtisane, assortie d'un sourire enjôleur.

« Ooooh, monsieur aime la violence », susurre-t-elle, amusée, avant de se lasser aussitôt de la joute, et de reporter son attention sur le petit noble. Le battoir que Vasgard comptait refermer autour de son cou reste, de toute façon, immobilisé en l'air par les ordres d'Overton.

Une invitée... ? C'est comme ça qu'ils appellent leurs otages, chez les Agenouillés ? Luevan a effectivement entendu parler d'une histoire de ce genre. Les habitants d'une île de pillards s'étant pris la pâtée, le seul fils du suzerain de ces pirates aurait été élevé avec les Stark, presque comme un de leurs fils. Mais Luevan n'a rien à voir avec leurs histoires de noblesse, de haute naissance et autres imbécillités. Aussi ferait-elle bien de ne pas se fier au destin de Theon Greyjoy.

L'arrivée des deux hommes âgés accapare un moment son attention. C'est fou comme ils ne peuvent pas s'empêcher, ces gens du Sud, d'afficher leur statut sur leur corps. Cela dit, elle ne va pas se plaindre : c'est d'autant plus facile pour elle d'identifier le Lord et son mestre.

« Père. »

Confirmation. Luevan observe attentivement le vieil homme dont dépend son sort, et se trouve, malgré elle, impressionnée par sa présence et sa dignité, au cœur même de la maladie et du chagrin. Il n'a même pas besoin de cacher les deux derniers ; au contraire, il semblerait que son stoïcisme face aux épreuves lui vaille un surcroît de sympathie.

Le mestre l'appelle sauvageonne et le jeune Overton rectifie : « Elle appartient au Peuple Libre, en effet. » Malgré toutes ses préventions contre les ennemis d'au-delà du Mur, elle a presque les larmes aux yeux, de reconnaissance... Avant de se mépriser pour être tombée si bas.

« Une chambre plutôt, nous en avons plusieurs de libres si je ne m'abuse ? »

La jeune femme reste bouche bée, incapable d'assimiler ce qu'elle entend. Une chambre et pas une cellule ? Ce n'est pas possible, elle a dû se tromper : elle connaît si mal la langue des Sudiens... Et puis, après réflexion, quelle est la différence ? Un matelas un peu mieux garni de paille et moins infesté de punaises ? La porte sera verrouillée, de toute façon.

« On est tombés sur deux sauvageonnes, elle et une autre. J'ai préféré garder une otage pour être certain de ne pas être attaqué ensuite. »

Voilà qui est remarquablement objectif. Luevan scrute avec attention le visage du patriarche, qui se contente de marquer son approbation de la tête. La sauvageonne ne parvient toujours pas à se faire une idée : Ades est-il un fils de noble pourri-gâté à qui on passe tout, ou un peu plus que cela ?

« Et l'autre ? »

« Rassurez-vous, M'sire, il l'a laissée partir aussi. »

Oooh... et revoilà son compagnon de chevauchée, plus aimable que jamais. Luevan en profite pour lui envoyer un battement de cils d'évaporée, suivi immédiatement d'un sourire féroce. Décidément, entre le garde du corps et elle-même, une relation s'est établie, qui porte même un nom sous toutes les latitudes : ennemis intimes.

Elle sourit largement au Lord Overton lorsqu'il mouche le maître d'armes en lui rappelant les principes de Lord Stark. Non qu'elle souscrive si peu que ce soit à leur système féodal. Mais c'est un tel plaisir de lire la frustration sur les traits de Vasgard... Elle prend une pose de victime innocente, bombant le torse et regardant le ciel avec une mine de martyre, si bien que le maître d'armes grince ostensiblement des dents. Heureusement qu'il est là, celui-là... Sinon, les occasions de s'amuser seraient bien rares.

« Je ne te demanderai pas de t'agenouiller, jeune fille. Mais donne-moi donc ton nom. Tu l'as sans doute compris, je suis Lord William Overton. »

Luevan a déjà accordé l'aumône de son nom au jeune Overton et à son escorte, à la faveur d'une étape à l'auberge où elle se sentait particulièrement démoralisée et àquoiboniste. Cela ne servirait à rien à présent de cacher ces deux pauvres syllabes au seigneur des lieux.

« Luevan, M'sire. »

L'appellation respectueuse, en revanche, est sortie toute seule ; la sauvageonne se mord les lèvres, mais trop tard.

« Bien, Luevan. Mon fils va te conduire à tes quartiers, nous te trouverons une occupation plus tard. »

Une quoi ? Une occupation ? Elle frissonne en imaginant les occupations que les hommes du Sud accordent aux femmes : filer, coudre, peindre, jouer de la musique, chanter, lire à la rigueur... Quant à lui confier une arme, ou même un limier, il ne faut pas y compter. Un instant, elle se voit revêtue d'une de ces robes raides et ornementées dont s'affublent les femelles de ce côté du Mur, et un rire bref, comme un aboiement, lui échappe.

Elle n'a pas un regard vers Vasgard qui s'éloigne, preuve s'il en était besoin qu'elle n'éprouve rien pour le semi-géant, malgré la promiscuité imposée par les journées de voyage. Son regard ardoise reste fixé sur l'héritier Overton, qui se campe devant elle à distance prudente.

« Nous avons un bois sacré, tu veux peut-être t'y recueillir un peu avant de rejoindre ta chambre ? »

Ça, c'est la goutte qui met le feu aux poudres, l'étincelle qui fait déborder le vase. Tout soudain, la sauvageonne n'est plus qu'une très jeune fille qui sanglote convulsivement, le visage enfoui dans ses mains liées. Au bout d'un moment qui semblera très long aux trois hommes qui attendent sa réponse, elle balbutie :

« Oui. S'il vous plaît. »

Après quoi, elle s'essuie les joues d'un coup de manche rageur et lève le menton, mettant manifestement le jeune Overton au défi de risquer un commentaire.

Ades Overton n'est pas un guerrier, encore moins un bourreau, il n'a quasiment jamais fait couler le sang de sa propre main. Cependant, il peut lui-même se vanter d'être un homme difficilement impressionnable, surtout parce qu'il est extrêmement doué pour cacher ce qu'il pense réellement. Il n'est donc pas vraiment du genre à se retrouver désemparé pour un oui ou pour un non. Et pourtant, il est le premier à se sentir mal à l'aise en voyant la sauvageonne fondre en larme, raison pour laquelle il ne bouge pas d'un pouce. Les deux soldats semblent être beaucoup plus tranquilles, l'un d'eux se fendant d'un grand sourire et s'apprêtant à faire une remarque. Sa voix s'étouffe cependant dans sa gorge en croisant le regard glacé du fils Overton, le jeune homme déglutit et préfère se taire, attendant comme son maître la réponse de Luevan.

Lorsqu'elle relève enfin les yeux, le regard du jeune homme est toujours froid, pas aussi glacé que celui qu'il vient de lancer, mais loin d'être chaleureux. Il ne se permet aucune remarque, se contentant de soutenir son regard ; il serait malvenu de faire preuve de faiblesse devant une prisonnière, on ne sait jamais quand elle pourrait s'en servir.

« Très bien, suivez-moi. »

Il se détourne lentement et prend un chemin différent de celui d'où est venu son père, marchant d'un pas extrêmement souple malgré sa canne. Depuis que le temps s'est fait plus clément, il s'est débarrassé de son large manteau et de sa grosse cape, rendant sa démarche encore plus aisé et plus élégante. Ils entrent un moment dans l'une des tours du château, mais c'est pour ressortir assez rapidement, empruntant un chemin que le jeune homme connaît manifestement très bien, après tout, il est né ici. Les gardes restent étrangement silencieux durant le trajet.

Enfin, ils virent les pierres du château blanchir, tandis qu'ils atteignaient l'emplacement du bois sacré. L'un des rares endroits dont les pierres avaient conservés leur couleur d'origine, certains attribuaient ça à la magie des Dieux, les mestres préféraient l'expliquer par les propriétés de la terre utilisés pour permettre aux arbres de pousser. Ades s'en fichait éperdument, ce lieu était magique, il puait à la magie à plein nez, du moins c'était toujours ainsi qu'il l'avait vu quand il était enfant. Il y avait passer des journées entières, simplement à regarder les arbres, et particulièrement l'immense barral. C'est d'ailleurs vers ce dernier qu'il se dirigea instinctivement, sans même y penser, serpentant rapidement entre les arbres. Plus ils s'enfonçaient, plus la nature reprenait ses droits, ici cela sentait la forêt, cela faisait des bruits de forêt, le château semblait avoir disparu.

Et puis, il fut là. Au détour d'un arbre, on entendit le clapotis d'un ruisseau, et le barral apparut. L'immense arbre déployait ses branches vers le haut en de multiples embranchements. Son tronc extrêmement large semblait bosselé par les années, multiples par endroits, et ses racines sortaient du sol pour courir sur des dizaines de mètres. Il avait toujours été là, depuis les premiers Overton, depuis que ce château était château. Ades osait à peine calculer son âge. Il avait la face d'un vieillard en tout cas, enfin c'était ainsi qu'il la voyait, enfant. A présent, elle lui semblait avenante et pleine de sagesse, invitant à venir parler aux dieux.

Pendant un instant, Ades se retourna vers la jeune femme, ordonnant d'un regard à ses gardes de la laisser prendre un peu de large. Elle ne ferait rien, pas face aux dieux, du moins il l'espérait. De son côté, le jeune homme se retourna vers la face sculptée, les deux mains appuyés sur sa canne, il baissa la tête. Dans la couche d'humus qui couvrait le sol, on jurerait voir la canne s'enfoncer petit à petit.

Luevan emboîte le pas au petit noble, le nez baissé, mortifiée d'avoir laissé voir un instant à quel point la situation lui pèse. Tant que l'ennemi se comporte en ennemi, il est facile d'être dure ; mais qu'on se montre un tant soit peu prévenant avec elle, et ses défenses s'effondrent. La perspective de s'asseoir bientôt sous un barral a aussi quelque chose de bouleversant. Non que Luevan soit particulièrement dévote ; elle ne s'est jamais posé la question de savoir si vraiment les dieux voient par les yeux des arbres sacrés, s'ils entendent les prières, s'ils y répondent par le souffle du vent dans les feuilles. Mais elle n'a pas attendu de rencontrer Luna pour faire confiance à son instinct, et près des barrals, elle est toujours saisie d'une crainte respectueuse mêlée d'un sentiment de sécurité et d'apaisement dont elle a, à ce moment, grand besoin.

Elle note avec curiosité le changement de couleur des pierres du château, sans s'y attarder plus que cela. Le petit noble avance souplement devant elle ; tout dans sa démarche affirme qu'il est chez lui, aussi à l'aise que possible. Soudain, l'odeur du bois sacré lui emplit les narines, et elle ferme les yeux un instant. L'impression d'être à nouveau chez elle est si forte qu'elle sent les larmes monter à nouveau, et doit rouvrir les yeux pour se ressaisir. L'arbre-cœur se déploie alors dans toute sa splendeur devant elle.

Le barral est ancien, et il a un visage. Luevan s'approche lentement, se met à genoux entre deux racines et pose doucement ses mains toujours entravées sur l'écorce à la blancheur d'os. Elle a un regard distrait pour la peau à vif de ses poignets sous la corde, note que les chairs sont enflées et suppurantes. La douleur pulsante qui en monte n'est rien ; il faudra cependant s'en occuper si elle ne veut pas mourir de l'infection, se dit-elle avant d'oublier à nouveau.

Elle reste un long moment silencieuse et immobile, maîtrisant l'impulsion de s'allonger, de poser la tête sur une racine et de s'endormir. C'est vrai qu'elle est épuisée, et que l'endroit est pour elle, sans conteste, le plus agréable et le plus familier qu'elle puisse trouver si loin de chez elle. Mais elle a l'intuition que cette envie ne vient pas vraiment d'elle. Levant les yeux vers le visage du barral, elle soupire. Pas maintenant, alors que les trois hommes l'observent et l'attendent. Elle se promet de revenir seule, si elle en a la possibilité.

Elle tourne la tête et dévisage longuement le jeune Overton. On ne ment pas sous un barral, alors... C'est le moment ou jamais d'obtenir une réponse crédible à la question qui lui trotte dans la tête depuis son enlèvement.

« Pourquoi est-ce que vous ne m'avez pas tuée ? »

Ades n'a jamais été particulièrement dévot, d'ailleurs rares sont ceux qui le sont dans le Nord, les Anciens Dieux ne réclament pas une présence assidue devant leur barral, ce qui est parfait pour la plupart de leurs croyants. Cela ne l'empêche pas de songer qu'ils l'entendent sûrement, même s'il ne parle pas directement ; il ne faudrait pas que la sauvageonne, ou pire ses soldats, entendent ce qu'il souhaite. Non pas que ce soit particulièrement répréhensible, mais bizarrement le jeune homme n'apprécierait pas d'être surpris à prier ainsi, cela lui semble … incorrect. Après tout, il ne prie que pour que ses projets réussissent, que la gloire rejaillisse enfin de nouveau sur sa famille, que les Overton soient de nouveaux respectés. Cependant, l'avouer à voix haute, même aux dieux, lui semblerait faible. Alors il reste ainsi, les yeux baissés, à songer à tout ce qu'il prévoit de faire, demandant l'assentiment des dieux, jusqu'à ce que la question de la sauvageonne ne le tire de sa rêverie.

Les yeux vairons se redressent doucement vers elle, la fixant intensément. Il semble presque surpris qu'elle pose la question à vrai dire, surtout maintenant, redoutait-elle qu'il mente avant ? Le jeune homme finit par répondre, usant encore une fois de l'Ancienne Langue, de cette façon, elle sera la seule à le comprendre.

« Tu ne menaces plus ma vie, et nous avons assez de viande dans ce château pour subsister quelques années. Je n'avais donc aucune raison de te tuer. »

Le jeune homme se permet un petit sourire, se demandant si elle va comprendre le sens de sa réponse. Il fait quelques pas vers elle, faisant signe aux gardes de ne pas s'inquiéter.

« De plus, tu peux être utile. Il y a toujours du travail dans un château. »

Manifestement, ce n'est pas exactement ce qu'il a en tête, il cache autre chose, mais prend bien garde à ne pas le mentionner pour le moment. Au lieu de cela, il s'avance encore, apparemment persuadé que la jeune femme n'osera rien lui faire sous ce barral, et surtout avec les deux gardes qui ne sont pas si loin. Il lui saisit doucement les mains, les retournant et soulevant doucement la corde pour inspecter les plaies. Une légère grimace traverse son visage, mais il n'est pas surpris ; c'est toujours comme ça quand on conserve une corde trop longtemps, mais à cheval, c'était le seul moyen de s'assurer qu'elle ne remuerait pas trop. On ne savait jamais de quoi était capable les sauvageons, même prisonniers.

« Quand tu te seras reposés, ou avant, comme tu préfères. Je t'enverrais Mestre Orell. »

Luevan fait la moue, l'air de se demander si répondre par une boutade compte pour un mensonge, sous le barral. Question théologique qui ne l'occupe pas très longtemps.

« Très drôle, vraiment », répond-elle d'un air sinistre. « De toute façon, vous vous seriez cassé les dents sur moi, je suis une carne. Mais pourquoi vous être donné la peine de m'amener ici, alors qu'il aurait été plus simple de... »

« De plus, tu peux être utile. Il y a toujours du travail dans un château. »

Elle s'interrompt net, bouche bée, de la panique dans le regard. C'est ça qu'elle est maintenant ? Esclave, servante ?

« Je suis nulle pour les tâches ménagères, je vous préviens », parvient-elle à répondre sur un ton factuel, plutôt que de s'effondrer en couinant.

Elle le laisse examiner ses poignets et en profite pour ravaler son envie de pleurer, qui lui entrave la gorge. Haussant les épaules :

« Avant ou après, peu importe. »

Sous le coup d'une impulsion, elle fixe sur lui un regard implorant et met dans sa voix autant de conviction qu'elle en est capable :

« Il n'y a pas que Luna, vous savez. J'ai une famille et ils n'abandonneront pas avant de m'avoir retrouvée. Alors, avant qu'il y ait des morts chez vous et chez nous... Laissez-moi repartir. Je vous en supplie. »

Elle prend une longue inspiration pour parvenir à continuer.

« Je ne vous veux pas de mal. Vous avez épargné ma vie et vous m'avez bien traitée. Si vous me libérez, je repartirai pour l'autre côté du Mur et vous n'entendrez plus parler de moi ni de mes proches. »

La voix de Luevan se casse sur les derniers mots, alors qu'elle se rend compte de l'inanité de sa demande. D'abord, ce n'est pas la première fois qu'elle lui sert ce raisonnement, et le petit noble a toujours répondu... par le silence. Ensuite, ce n'est pas maintenant qu'elle est dans ses murs, à plusieurs jours de cheval de chez elle, qu'il va brusquement décider de la laisser aller.

N'empêche qu'elle ne comprend toujours pas ce qu'elle fait là. Si le jeune Overton a besoin de petit personnel, il en a plein les rues de son village, et des loyaux, qu'il n'aura pas besoin d'enchaîner et à qui il pourra tourner le dos en toute confiance. Alors...

Une expression de compréhension soudaine se peint sur les traits de la sauvageonne. Elle s'exclame :

« C'est parce que vous voulez coucher avec moi ? C'est ça ? »

En voyant la jeune femme rester immobile de cette façon, sans plus tenter aucune saillie verbale, Ades se souvient soudainement que ce n'est peut-être qu'une gamine. Après tout, les sauvageons commencent très tôt à chasser, ce ne serait pas si étonnant. Le regard implorant et son discours ne tardent pas à faire tomber les dernières défenses du jeune homme qui se trouve à devoir détourner les yeux pour ne pas soutenir son regard, pendant une seconde. Puis il se rappelle de ce qu'il est, de la raison pour laquelle il la fait et se retourne vers elle, compatissant, mais clairement pas prêt à céder. Il la laisse poursuivre, répéter encore une fois ce qu'elle lui a dit sur le trajet, alors que la réponse sera la même, il sait qu'il ne peut pas la laisser partir, pas comme ça du moins. Prenant une inspiration lente, il s'apprête à lui expliquer.

Quand sa dernière phrase résonne, le jeune homme manque de s'étouffer et il s'écarte brusquement d'elle, comme si elle avait giflé. Comment peut-elle … envisager cela ? Le pire pour lui est sans doute le visage de la jeune femme, qui ne semble même pas dérangé, même pas horrifié. Il écarte rapidement ses pensées, tâchant de trouver la réponse adéquat, mais il ne trouve pas, pas aussi vite qu'il le voudrait. Pendant quelques longues secondes, il redevint un gamin, à peine sorti de l'adolescence, et qui se trouve à tenter de comprendre ce qu'il ne réussira jamais à appréhender : l'autre sexe. Il réussit finalement à bafouiller, mais toujours dans l'ancienne langue.

« Mais enfin, bien sûr … bien sûr que non ! * puis il semble réaliser quelque chose * Ce n'est pas que vous soyez … enfin ... * nouvelle réalisation, nouvelle hésitation * Bref ! * son visage redevient sans expression, il retrouve son calme * Non, je ne veux pas coucher avec toi. »

Je préférerais coucher avec quelqu'un qui en ait envie, pas qui se sente acculée. Mais il préfère ne pas le préciser. Au lieu de cela, il s'avance de nouveau, reposant les mains sur les cordes qui entravent la jeune femme, semblant hésiter à les retirer, il se contente de suivre leur contour. Sa voix se fait plus douce, tâchant manifestement de prendre une intonation rassurante malgré les sons gutturaux de la vieille langue.

« Je ne peux pas te libérer. Pas tout de suite, pas comme ça. »

Comment lui expliquer qu'un seigneur qui veut se faire respecter à quelques obligations à remplir, les Overton sont une famille trop mineure pour qu'il se permette de faire n'importe quoi. Il ne pouvait laisser courir le bruit qu'il avait laissé s'échapper une sauvageonne pour ses beaux yeux, ce serait pire que si l'on disait qu'il couchait avec.

« Néanmoins … cela peut changer, si tu nous donnes de bonnes raisons. Je n'ai pas besoin de quelqu'un pour les tâches ménagères. Nous avons tout ce qu'il faut. Ce que nous n'avons pas, c'est quelqu'un comme toi. »

Les yeux du jeune homme se redresse pour tenter de capter ceux de la sauvageonne, beaucoup plus sûr de lui, il tente d'enchaîner aussi assurément que possible.

« Quelqu'un qui a vécut au Nord du Mur. Tu es issus d'une culture que beaucoup ont oublié de ce côté. J'ai besoin de m'en rappeler, j'ai besoin d'apprendre, tout ce que tu peux me dire. »

Il se calme doucement, reprenant une voix plus douce, tâchant de lui faire comprendre exactement ce qu'il veut, sans l'inquiéter.

« Je ne te demanderais rien sur Mance Rayder, ou sur ses armées. »

Surtout parce qu'il sait très bien qu'elle n'en dira rien, la légende prétend que les sauvageons sont prêts à se couper la langue plutôt que de dire quoi que ce soit.

« Mais il me faut connaître mieux le Peuple Libre, ses légendes, sa vie. Cela pourrait être crucial pour le prochain hiver. »

De nouveau, il lui lance un regard insistant, mais cette fois, il est aussi interrogatif, presque suppliant. Presque.

« Mais enfin, bien sûr … bien sûr que non ! »

Luevan écarquille les yeux, surprise.

« Ce n'est pas que vous soyez … enfin ... »

Elle conserve un bref instant son air interrogatif, puis croit comprendre ce qu'il veut dire et éclate de rire. Un rire franc et juvénile qui fait sourciller les deux gardes ; un rire si complètement dépourvu de méchanceté qu'il ne peut pas vexer Ades.

« Bref ! Non, je ne veux pas coucher avec toi. »

La sauvageonne reprend son sérieux et hausse un sourcil, l'air d'attendre. S'il ne veut pas coucher avec elle, alors, qu'est-ce qu'il veut ? Elle ne tarde pas à l'apprendre. Enfin.

Elle l'écoute attentivement ; à un moment, elle détache son regard des yeux vairons et considère le visage gravé du barral, comme s'il y avait un lien entre celui-ci et les propos tenus par le jeune Overton. S'il y en a un, elle ne l'explicite pas.

Après avoir réfléchi un long moment, elle se tourne à nouveau vers lui. Son regard est grave, mais pour la première fois, il trahit de la compréhension et de l'estime.

« Crucial pour le prochain hiver. Je crois que vous avez raison sur ce point. »

Soupir.

« La Garde de Nuit a oublié, depuis le temps, que les véritables ennemis d'au-delà du Mur ne sont pas le Peuple Libre. Le Peuple Libre a failli oublier, depuis le temps, que le véritable ennemi n'est pas la Garde de Nuit. »

Elle se penche en confidence.

« Je vous dirai tout ce que vous voulez savoir – tant que ça ne concerne pas Mance Rayder et ses armées. Je ne tenterai pas de m'enfuir et je n'agresserai personne ici, sauf pour me défendre. Mais vous me libèrerez quand vous en saurez assez, et vous me rendrez mon arc et mon poignard de verredragon. »

Elle lève à nouveau les yeux vers le visage du barral, comme pour rappeler qu'ils sont justement à l'endroit où se prononcent les serments inviolables, puis reporte son regard solennel sur le petit noble et tend la main. Enfin, tend les deux mains – ce n'est pas comme si elle avait le choix.

« Je m'y engage devant l'arbre sacré. Vous y engagez-vous ? »

Le rire de Luevan avait d'une certaine façon rassuré Ades ; elle était toujours capable de rire, c'était important, il s'en serait voulu d'avoir créer une âme en peine, comme il en a déjà croisé. Des gens que la vie a malaxé longuement, jusqu'à leur ôté la capacité à sourire. La sauvageonne est encore capable de cela. Et elle comprend, elle intègre ce qu'il lui dit, du moins il en a l'impression. Son air sérieux et le coup d’œil qu'elle jette au barral semblent indiquer qu'elle saisit parfaitement l'importance de ce qu'il dit. D'une certaine façon, il se sent encore plus soulagé ; elle ne le prend pas pour un fou, ce qui serait bien possible étant donné ce qu'il dit. Finalement, sa réponse achève de rassurer Ades, il n'est pas le seul à envisager avec crainte le prochain hiver, celui qui succédera au plus long été que l'humanité ait connu.

La réponse et le serment qu'elle prononce ne sont pas une surprise pour le jeune homme mais il prend tout de même le temps d'y réfléchir. Il est certain d'avoir conservé l'arc en barral mais … un poignard en verredragon ? Ah oui, c'était l'arme d'obsidienne, il l'a amené également, intrigué par le matériau singulier qu'on avait employé pour forger l'arme. Pendant un temps, il se demande pourquoi elle tient tant à ce dernier, mais il finit par se souvenir qu'il a un serment à prononcer. Ce qu'il ne fait pas tout de suite ; auparavant, et à la surprise de ses gardes, il se saisit de la corde qui entrave la jeune femme et la délie lentement. Les gestes doux ont pour but de ne pas meurtrir d'avantage la peau de Luevan, et une grimace apparaît de nouveau sur le visage d'Ades lorsqu'il finit de retirer la corde pour la jeter au sol. Derrière lui, les deux gardes se tendent visiblement mais n'osent bouger pour l'instant.

Ades Overton reprend, d'une voix ferme, dans l'Ancienne Langue.

« Je jure sur mon honneur et sur les dieux que je châtierais fermement quiconque tentera de te faire du mal tant que tu seras ici. Et je jure de te libérer et de te rendre tes affaires lorsque tu auras terminé de me dire tout ce qu'il y a à savoir. »

Baissant un instant les yeux vers les poignets meurtris de la jeune femme, il les tourne de nouveau, l'air vraiment mal à l'aise, avant de reprendre.

« Tu ne te reposeras pas tout de suite, j'irais chercher le mestre dès que tu seras installée dans ta chambre. Nous commencerons quand tu seras pleinement reposée et en forme, d'accord ? »

Luevan ne cache pas sa surprise en voyant Ades la débarrasser de ses liens. Non qu'elle soit apte à cacher quelque chose, d'ailleurs. Finalement, une profonde satisfaction l'emporte sur l'étonnement ; elle hoche plusieurs fois la tête pour marquer son approbation pendant le serment du jeune Overton. Il comprend pleinement ce que signifie s'engager sous un barral, et un poids considérable tombe des épaules de la sauvageonne en même temps que la corde quitte ses poignets. Maintenant qu'elle a gagné la confiance de son "ravisseur", maintenant qu'elle peut lui accorder la sienne, son séjour forcé au Sud du Mur lui apparaît sous des couleurs nettement plus riantes. Presque comme... des vacances. Du tourisme... Puis, brusquement, elle se souvient de ceux qui l'aiment et se rembrunit.

"Je ne peux pas m'engager pour mes proches. Il est probable qu'ils seront ici très bientôt et que leurs plans pour me faire évader impliqueront la mort d'un certain nombre de vos gens."

Une idée soudaine dirige son regard pensif vers le visage sculpté de l'arbre-cœur.

"Je pourrais essayer de... les prévenir. Il faudrait que je dorme sous le barral. Je n'ai jamais fait de rêves-de-loup, mais..."

Elle se rend soudain compte que son interlocuteur ne doit rien comprendre au cheminement de sa pensée, et abrège :

"Je vous expliquerai."

Elle jette un regard indifférent à ses poignets et acquiesce.

"J'ai besoin de soigner ça, de me décrasser et de dormir un peu. Vous devez être fatigué aussi ?"

Il était à prévoir, en effet, que des gens se déplacent pour venir la chercher, mais jusqu'ici ? C'était bien possible en effet, s'ils étaient aussi obstinés que l'autre sauvageonne avait eu l'air de l'être quand il l'avait rencontré. Il regrettait presque sa politesse de l'époque pour lui avoir dit son nom, mais de toute façon, cela ne les aurait pas retenu très longtemps. Ades était donc plongé en pleine réflexion, les sourcils froncés, quand Luevan lui annonça qu'elle pourrait éventuellement les contacter. Le jeune homme haussa un sourcil on ne peut plus surpris, sans comprendre ; les sauvageons n'utilisaient pas de corbeaux pour communiquer, qu'est-ce que c'était que ces « Rêves de loup » ? Il ouvrit la bouche pour poser la question mais elle fut plus rapide. Le jeune homme eut un sourire ; si elle voulait simplement dormir sous le barral, ce ne devrait pas être trop dur à arranger. Il faudra simplement la soustraire à ses gardes la nuit.

« Je pourrais sans doute t'arranger cela, la nuit prochaine sûrement, quand tu seras déjà reposée. »

Après un bref regard à ses gardes, qu'il prévient en reprenant la langue commune qu'ils s'apprêtent à repartir, le jeune homme se tourne de nouveau vers Luevan.

« Si tu le veux bien, nous allons passer chez le mestre en premier lieu, ça sera plus simple. Suis-moi. »

L'ordre est beaucoup moins sec que ceux qu'il avait l'habitude de donner au cours du voyage jusqu'au château. Et s'il l'invite d'un geste à avancer, il attend patiemment qu'elle s'avance pour partir à son tour. Ils retraversent le bois sacré, puis une partie du château, repassant à des pierres sombres, avant d'entrer dans l'une des plus grandes tours de Fort-de-Glace mais pas la plus importante. Celle-ci semble presque tordue, mais cela est sans doute dû au détestable escalier en colimaçon qu'il faut arpenter pour atteindre son sommet. L'héritier Overton y semble parfaitement à l'aise, se retournant de temps en temps pour s'assurer que Luevan et ses gardes n'ont pas de problème pour le suivre. Il finit par atteindre une lourde porte de bois à laquelle il frappe sans attendre.

Le vieil homme qui leur ouvre est celui que la sauvageonne a déjà eu l'occasion de voir dans la cour en arrivant. Il adresse un sourire chaleureux à Ades, mais un simple regard froid à la jeune femme.

« Déjà des questions, messire, que puis-je pour vous ? »

C'est lorsqu’il se décale pour les laisser entrer qu'il remarque que la sauvageonne n'a plus de cordes pour lui lier les mains.

« Ses plaies, il faut les soigner, au plus vite. »

Le vieil homme fait signe aux deux gardes d'attendre dehors, puis il se tourne vers Ades, semblant l'interroger du regard pendant un moment, il finit par se décider à bouger, fouillant dans de nombreux tiroirs. Pendant ce temps, Overton s'installe à une des nombreuses chaises qui sont installées dans le bureau pourtant exigu.

« Oui, je dois avoir ce qu'il vous faut. »

Pendant que le mestre installe plusieurs substances dans un bol, les broyant méthodiquement ensemble, le jeune homme semble réfléchir en regardant Luevan, finissait par poser une question … à l'intention de son mestre.

« Mestre Orell, j'ai épuisé votre mixture pour le sommeil, il m'en faudrait une fiole de plus. »

Sans même relever la tête de sa préparation, l'homme répond.

« Hors de question. Vous avez fait une longue chevauchée, vous devez vous reposer. * il se lève et va installer Luevan sur une chaise, lui faisant tendre les mains pour appliquer un cataplasme sur les plaies, alors qu'Ades s'apprête à répliquer * Et ce n'est pas négociable. »

Tournant et retournant les mains de la jeune femme sans douceur particulière, il semble satisfait de son travail, puis se retourne pour fait sortir de petites bandelettes de lins de ses manches. Les tendant à Ades.

« Tenez, montrez-moi plutôt si vous avez appris vos leçons. Bandez-moi ça. »

Le jeune homme a un petit soupir, mais n'a pas l'air particulièrement surpris, il se contente de se relever pour prendre les bandelettes, venant s'installer face à Luevan.

« Je pourrais sans doute t'arranger cela, la nuit prochaine sûrement, quand tu seras déjà reposée. »

La jeune femme acquiesce mais se sent tenue d'ajouter :

« Je ne sais pas du tout si ça va marcher. Cette magie n'a rien d'aussi fiable que vos corbeaux. »

En parlant de corbeaux, il semblerait que ce soit le moment de visiter la roukerie. Luevan suit docilement l'héritier des lieux le long des couloirs et des escaliers. Notant la raideur de ses muscles, elle réalise qu'Ades n'a pas répondu à sa question sur sa propre fatigue, et se promet de la lui reposer. Même s'il a l'air de négocier cet atroce colimaçon avec maestria, il ne va pas tarder à faire connaissance avec « l'entêtement sauvageon »...

Comme on pouvait s'y attendre, le mestre lui réserve un accueil plutôt frisquet. Il n'en faut pas plus pour qu'elle lui décoche un adorable sourire avant de s'immobiliser au centre de la pièce et de joindre ses mains devant elle, image même de la petite fille sage. Comme le vieil homme interroge son jeune maître du regard, elle explique avec calme, dans la langue commune :

« Je juré sous le barral je sera gentil. »

A voir son expression, elle n'imagine pas une seconde qu'on puisse, après un tel serment, la soupçonner de traîtrise. Tandis que le mestre prépare un baume, le jeune Overton la scrute d'un air pensif. Elle lève un sourcil interrogatif et s'apprête à briser le silence quand il la devance :

« Mestre Orell, j'ai épuisé votre mixture pour le sommeil, il m'en faudrait une fiole de plus. »

Bien que Luevan ignore complètement le sens des mots « mixture » et « fiole », elle saisit le sens général et s'exclame aussitôt dans sa langue :

« Vous dormez mal ? »

Presque en même temps, mestre Orell oppose une fin de non-recevoir à la demande d'Ades, rendant Luevan encore plus perplexe. Besoin de se reposer ? Eh bien justement, qu'il prenne une potion pour dormir ! Ou alors... c'est une potion pour ne pas dormir que réclame le jeune Overton ?

Plongée dans ses réflexions, elle laisse le mestre l'installer sur une chaise et la soigner sans le regarder, concentrée sur Ades. La douleur causée par l'application du baume ne la fait même pas sourciller.

« Tenez, montrez-moi plutôt si vous avez appris vos leçons. Bandez-moi ça. »

Amusée, la sauvageonne tend ses poignets au jeune noble et le regarde opérer, prête à faire une remarque sarcastique si elle décèle la moindre maladresse. Heureusement pour l'ego du jeune Overton, il s'en tire très bien.

« J'échange l'histoire de votre sommeil contre celle du mien », finit-elle par proposer avec enjouement.

Bien concentré sur sa tâche, le jeune homme met un petit moment avant de se rendre compte que la sauvageonne lui a posé une question. Il relève les yeux vers elle, avec un léger sourire, terminant d'apposer les bandelettes de lin sur l'un de ses poignets, il les attache avec soin et appuie délicatement dessus pour permettre au baume de s'imprégner dans la plaie. Ce qui ne manque pas de déclencher une douleur supplémentaire. Enfin, il se décide à répondre, en reprenant la Langue Ancienne, ce qui ne manque pas de surprendre le Mestre derrière lui.

« Oh, ce n'est pas une histoire très intéressante. Je dors trop bien, trop vite. Je me suis endormi plusieurs fois sur des livres, ou des lettres que j'écrivais. J'ai bien essayé de m'habituer progressivement, mais ça ne marche pas, alors j'ai demandé à notre cher Mestre Orell, ci-présent, de me concocter quelque chose qui me permette de rester éveillé plus longtemps. »

Ades tourne un instant les yeux vers son Mestre, parfaitement conscient que ce dernier ne comprend que la moitié de ce qu'il dit ; le dernier qu'il a eu était un Nordien d'origine parlait très bien la Langue Ancienne, mais il est mort depuis des années maintenant. Et son remplaçant vient de l'opposé total ; il paraît qu'il est originaire de Dorne, et il ne doit pas connaître plus de trois mots de cette langue. Cela a d'ailleurs l'air de la contrarier même s'il saisit de quoi parlent les deux jeunes gens. Sans s'en formaliser, le jeune Overton saisit un autre rouleau de bandelettes et entame le second poignet, semblant complètement focalisé sur sa tâche, cela ne l'empêche pas de parler.

« Mais il paraît que ce n'est pas bon de s'empêcher de dormir trop longtemps comme ça, donc … Cette nuit, il me faudra dormir. »

Il hausse les épaules et refait un tour du poignet, serrant un peu plus les bandes, relevant tout de même les yeux pour s'assurer que ça ne fait pas trop souffrir la patiente.

« C'est dommage, j'avais justement un ouvrage que je voulais consulter. * il change brusquement de langue, se tournant vers son mestre * D'ailleurs, vous l'avez trouvé ? »

Le vieil homme a un long soupir, qui signifie manifestement qu'il espérait que son jeune maître aurait oublié. Il fait tout de même quelques pas pour fouiller dans un étalage de livre, balancés sur une vulgaire planche collée au mur, saisissant le plus gros d'entre eux pour venir le poser sur la table la plus proche, ce qui ne manque pas de la faire trembler.

« Et voilà, Roi d'Au-delà du Mur. Un ancien volume, mais très bien conservé, mais assez mal écrit, je le crains. »

Le jeune homme n'y jette qu'un vague coup d’œil, remerciant tout de même chaleureusement Mestre Orell avant de terminer son œuvre. Aplatissant de nouveau les bandelettes de lins, il adresse un sourire tranquille à la jeune femme.

« Alors, ce sommeil ? »

Luevan écoute Ades, la mine de plus en plus sceptique. Aucune des manipulations sur ses poignets ne semble l'affecter.

Analphabète, comme l'immense majorité du Peuple Libre, elle peine à comprendre qu'on puisse se priver de sommeil pour s'user les yeux sur des pattes de mouche. Cependant les livres, comme le mestre, représentent pour elle une somme de savoirs plus ou moins précieux, qu'elle peut respecter ; aussi elle s'abstient de tout commentaire acerbe sur les habitudes du jeune Overton. D'ailleurs, le regard qu'elle pose sur l'ouvrage apporté par le mestre exprime d'abord une curiosité fascinée, avant de se teinter d'amusement.

"Alors, ce sommeil ?"

Luevan prend le temps de faire lentement tourner ses poignets pour assouplir les bandages, puis démontre que sa maman l'a bien éduquée :

"Merci. A vous aussi, mestre Orell", ajoute-t-elle avec une petite inclinaison du buste en direction du vieil homme.

Elle décoche ensuite un sourire en coin à son ravisseur-soigneur.

"Ce que vous n'apprendrez pas par moi sur Mance Rayder et ses armées, vous espérez le trouver là-dedans ?" s'amuse-t-elle en désignant le livre. Puis, sans attendre la réponse à ce qui n'est probablement qu'une question rhétorique, elle jette un coup d’œil au mestre, a un instant l'air de s'excuser puis se penche jusqu'à ce que ses lèvres frôlent l'oreille d'Ades. L'érudit n'a pas eu l'air de comprendre grand-chose à leurs échanges dans la Vieille Langue, mais on ne sait jamais. La suite est chuchotée.

"Chez nous, il y a des change-peaux. Ils peuvent entrer dans l'esprit d'un animal-frère. Le premier signe qu'on est un change-peau, c'est le rêve-de-loup : on partage l'esprit de l'animal pendant son sommeil.

Mieux que les change-peaux, il y a les vervoyants : ceux qui parlaient aux dieux et recevaient des rêves prophétiques. Ceux qui voyaient par les yeux des barrals. On dit qu'il n'y a plus de vervoyants. Mais les barrals sont toujours puissants. Dormir sous un barral, même pour quelqu'un comme moi qui ne suis pas une change-peau, donne une magie aux rêves. Peut-être que je pourrai rêver à Luna que je ne suis plus prisonnière. Ou peut-être que je verrai ce qu'elle fait."

Elle se redresse et demande à voix haute, avec un air beaucoup trop candide pour être honnête :

"Ça va, vous suivez ?"

Le Mestre Orell reste dubitatif sur l'attitude de la sauvageonne, mais étant donné que le jeune Overton semble lui faire confiance, et qu'elle est apparemment capable de faire montre de respect à ceux devant qui il faut le faire, il suppose qu'il peut la laisser faire ce qu'elle veut. De toute façon, elle semble bien sage depuis qu'elle est rentrée, se contentant de discuter avec Ades dans cette Ancienne Langue que seul les gens d'Au-delà du Mur pratiquent encore réellement. C'est donc avec une certaine douceur qu'il vient examiner les poignets de la jeune femme, vérifiant que les bandages ont été appliqués correctement, il semble satisfait et affiche un petit sourire à l'intention de son jeune élève.

« Bien. Je vais vous donner quelque chose contre la fièvre, au cas où, cela peut arriver avec ce type de blessure. »

Ades acquiesce, ayant toute foi en la connaissance d'Orell, si le Mestre Dornien n'est pas aussi féru d'ancienne culture que ne l'était son prédécesseur, jamais le jeune homme n'a croisé d'individu aussi doué en terme de médecine. Il le laisse donc fouiller dans le bordel qui lui sert apparemment de lieu de travail, détournant son regard de la jeune femme. Il se retrouve donc particulièrement surpris quand il surprend les lèvres du Luevan si près de son oreille, manqua sursauter. Il rougit aussitôt de sa bêtise et écoute attentivement. Manifestement, la sauvageonne ne tiens vraiment pas à ce que pareils détails se retrouvent éparpillés, Ades se promet de les coucher soigneusement sur un livre, qu'il ne fera évidemment lire à personne avant longtemps, mais il serait bête qu'un tel savoir.

Sans manifester le moindre doute sur les assertions de son invitée, le jeune homme hoche de temps en temps la tête, finissant par lui adresser un sourire tranquille quand elle se recule.

« Je suis bien, il me semble connaître l'existence de ces êtres que tu as décrits en premier. * il se penche alors pour murmurer à son tour, Orell ne connaît pas beaucoup de mot dans la langue ancienne, mais celui-là est plutôt connu * Certains les appellent Zoman. »

Avec un nouveau sourire, il se recule et tapote doucement le livre qu'on vient de lui confier.

« Je vais te décevoir mais non, cet ouvrage est trop ancien pour qu'il y soit fait mention de Mance, ce qui ne veut pas dire que je n'apprendrais rien sur lui remarquez. »

Sans prêter attention à leur discussion, qu'il ne comprend pas de toute façon, Mestre Orell apporte un petit flacon à son jeune maître. L'objet semble très fragile, contenant une décoction à l'aspect verdâtre et à l'odeur peu ragoûtant, malgré le bouchon soigneusement fermé. Avec délicatesse, Ades le tend à la sauvageonne, expliquant de nouveau au cas où elle n'aurait pas comprit son Mestre.

« Si tu as de la fièvre, deux gouttes sur la langue ou dans un peu d'eau. »

Luevan jette un nouveau coup d'oeil au mestre, puis se décide à répondre à voix haute, mais très vite et sans articuler.

"On les appelle zomans quand ils se lient aux loups. C'est l'animal-frère le plus courant."

Regardant le livre à son tour, elle semble légèrement vexée.

"Je le vois bien, qu'il est trop ancien pour évoquer Mance Rayder", fait-elle remarquer en levant le nez. "J'imagine que vous espérez y trouver comment on devient Roi d'au-delà du Mur, et surtout quel ascendant on peut espérer avoir sur le Peuple Libre quand on en est un."

Lorsque l'érudit apporte la fiole de liquide puant et verdâtre, elle considère le flacon un très long moment, immobile, puis lève vers le mestre un regard de chaton perdu dans la neige qui exprime clairement sans mots : "Comment pouvez-vous me faire ça à moi qui suis un ange ?"

Finalement, elle saisit la petite bouteille et la fait tourner entre ses doigts, pensive.

"Et bien sûr, si ces deux gouttes, je les verse par exemple sur la nourriture des corbeaux, ils ne tomberont pas du ciel comme des pierres ?"

Puis, passant à la langue commune, elle continue à fixer le mestre mais désigne Ades d'un geste de main.

"Je pas encore dire à ton Ser tout quoi il veut savoir. Poison, pas bonne idée."

Le jeune homme prend note ; il avait jusque là crut que ce terme désignait tous les êtres capables de faire ça, mais il est vrai que toutes les histoires qu'il avait entendu jusque là concernait des loups, ce qui n'est guère étonnant, c'est un animal qui intéresse beaucoup de monde, surtout dans le Nord. Ce n'est pas pour rien que les Stark arbore la figure d'un Direwolf sur leur blason. Ades ne peut s'empêcher de sourire en voyant la jeune femme se vexer après son explication, ce qui ne l'empêche pas de répondre avec toute la politesse du monde.

« Excuses-moi. Tu as tout à fait raison, j'espère y découvrir … eh bien tout c que je pourrais y découvrir. »

Ades comme Orell sont surpris par la réaction de la jeune femme ; le Mestre ne comprenant pas le regard qu'elle lui jette et le jeune Seigneur ne saisissant pas son allusion aux corbeaux, jusqu'à ce qu'elle se décide à évoquer le poison directement dans la Langue Commune, ce qui fait immédiatement réagir le vieil homme. Ce dernier arbore aussitôt une expression plus qu’outrée, se tournant vers le jeune homme pour se justifier. Il en rougirait presque, mais ce n'est après tout qu'une sauvageonne, il tâche donc de conserver un minimum de calme.

« Messire, vous savez bien que jamais je ... »

« Je sais Mestre Orell, rassurez-vous. »

Le jeune homme plante doucement ses yeux vairons dans le regard de la sauvageonne, la mettant au défi de douter de lui.

« Tu es dorénavant chez moi, mes gens ne te feront aucun mal tant que tu seras une gentille prisonnière, et Mestre Orell moins encore que les autres. Si tu n'as pas confiance en cette mixture, personne ne t'oblige à la boire, mais n'accuses pas ainsi notre Mestre. »

Se redressant, il saisit sa canne d'une main et l'ouvrage imposant dans l'autre, inclinant brièvement la tête devant le vieil homme. Ce dernier avait d'ailleurs esquissé un mouvement pour empêcher Overton de saisir le livre, mais se rend compte qu'il est bien trop tard pour cela.

« Merci pour votre temps et votre aide. »

Il s'avance de quelques pas vers la porte, puis se tourne vers Luevan pour l'inviter à le suivre.

« Si tu veux bien me suivre, tu désires sans doute te reposer. »

Luevan rougit violemment sous la douce remontrance, arborant la tête de quelqu'un qui sait qu'il a tort, mais n'est pas encore prêt à l'admettre.

Elle se lève en même temps qu'Ades, l'air buté.

"Je ne suis pas une gentille prisonnière", corrige-t-elle avec hauteur, avant de s'interrompre et de reprendre sur un ton beaucoup plus humble, en baissant les yeux : "Je suis une méchante invitée."

Elle remise la petite fiole dans une poche de sa veste, puis, se tournant vers l'érudit, elle s'incline devant lui sans lever les yeux et souffle en langue commune :

"Pardon, mestre Orell."

Elle acquiesce à la proposition du jeune seigneur et le suit dans l'escalier sans rien ajouter devant le vieil homme. Il faut un certain nombre de volées de marches avant qu'elle ne retrouve assez d'aplomb pour demander sur un ton désinvolte :

"Serait-ce trop demander de la part d'une vilaine sauvageonne paranoïaque, pas prisonnière mais un peu quand même, de faire un détour par un endroit où je pourrais me laver, avant que vous me fassiez visiter ma suite royale ?"

***

Luevan a ainsi découvert avec stupéfaction que les Sudiens faisaient chauffer l'eau avant de se tremper dedans. Elle a trouvé ça tellement agréable qu'elle a décidé de ne plus jamais prendre de bains chauds : il ne sera pas dit qu'elle se laissera amollir par le luxe. Du reste, la procession des servantes chargées de seaux fumants la met trop mal à l'aise. Elle ne voit pas en vertu de quoi un être humain devrait trimer pour le confort d'un autre, sinon pour lui faire plaisir... Et elle doute que les servantes de Fort-de-Glace soient soudain devenues ses meilleures amies, malgré la curiosité qu'elle leur inspire. Elles ont d'ailleurs détalé comme des lapins en voyant la tête outrée de Luevan quand elles ont proposé de l'aider à se laver.

La chambre qui a été préparée pour elle est, fort heureusement, très sobre. Le matelas n'est même pas tellement plus confortable que celui qu'elle occupe dans une alcôve de sa propre maison, loin, très loin d'ici. Par conséquent, elle s'est endormie comme une masse, roulée dans les couvertures, les cheveux encore humides de son bain et les joues encore humides de sa nostalgie.

La sauvageonne ignore à quoi le jeune Overton a pu occuper son temps pendant qu'elle dormait, mais elle doute qu'il se soit reposé. Il y a fort à parier qu'il s'est plongé dans son bouquin dès qu'il s'est retrouvé seul... En tout cas, quand elle a ouvert un œil, le soleil entrait déjà largement par la fenêtre. Elle grommelle à l'idée qu'elle n'a pas dormi sous le barral, et que trop de temps s'est déjà perdu. Non qu'elle espère beaucoup de la magie des rêves... Mais si ceux qu'elle aime se faisaient massacrer pour la libérer, c'est-à-dire pour rien, elle ne s'en remettrait tout simplement pas. Elle veut pouvoir dire qu'elle a tout tenté.

A tout hasard, elle ouvre l'armoire et sans surprise, la découvre quasiment vide. Une chemise d'homme, blanche, est cependant suspendue à un cintre, ce qui permet à la sauvageonne de changer de linge avec un net soulagement.

Une fois vêtue, elle teste la poignée de la porte : elle n'est pas verrouillée ! Luevan se remet de sa surprise en découvrant deux gardes en faction dans le couloir. Elle leur adresse un grand sourire et demande poliment, quoique dans un sudien complètement massacré, si elle peut être conduite à Ades Overton.

Les gardes ont reçu d'autres instructions : c'est aux cuisines qu'on la mène. Assise au coin d'une table où de solides matrones pétrissent de la pâte, elle a droit au petit déjeuner le plus copieux de son existence. Après quoi, elle est ramenée dans sa chambre où elle s'ennuie copieusement en attendant la visite du jeune seigneur. Heureusement qu'elle peut observer par la fenêtre le ballet des serviteurs et des gens d'armes dans la cour en contrebas.

« Et Joramun souffla du Cor de l'Hiver ... »

Pendant quelques longues secondes d'incompréhension, Ades tenta de trouver une explication logique au fait que c'était la première chose à laquelle il avait pensé. Son esprit encore embrumé ne vit la lumière qu'une longue minute après, lorsqu'il prit conscience que sa tête était affalée sur le livre qu'il était en train de lire la veille au soir. L'ouvrage massif est encore ouvert à la page où il s'était arrêté … non, il ne s'était pas arrêté en fait. Avec un soupir atterré, le jeune homme comprend qu'il s'est endormi sur sa lecture, et la chandelle qui était encore haute dans son souvenir est maintenant entièrement consumée. C'est en prenant conscience de cela que l'héritier Overton sursaute : si la bougie est terminée, alors comment peut-il voir aussi bien dans sa chambre ? Le temps de se retourner vers la fenêtre et la réponse vient ; le Soleil est déjà levé depuis un moment. Et personne n'est venu le réveiller.

Avec un grognement d'ours, de très petit ours, le jeune homme se relève, tâtonnant pour retrouver sa canne, et il va troquer sa tenue de nuit contre un habillement un peu plus correct. Refermant son livre, il y met un marque-page pour être sûr de retrouver l'endroit, puis va demander au premier domestique venu s'il peut transmettre à la cuisine de lui apporter son petit déjeuner sur place. S'il a pris le temps de lire hier, il n'a en revanche pas consulté les lettres que lui avait fait amenés son père, et il compte bien réparer cet oubli aussitôt que possible. Il passa donc une bonne partie de sa matinée à lire, prenant tranquillement des notes sur un parchemin, tout en mangeant. Cela n'était rien de très important ni de très grave mais plus vite ce serait fait, mieux ce serait.

Enfin, il se décida à poser le tout et à rendre visite à sa prisonnière, même si le terme semblait un peu désuet à présent. Le jeune homme se renseigna donc rapidement auprès des gardes pour savoir si tout s'était bien passé ce matin, puis il alla voir son Mestre et lui empruntant une longue pile de parchemin, ainsi qu'une plume et un encrier. Quoique la jeune femme lui dise, il aurait besoin de tout noté, non pas qu'il n'ait pas confiance en sa mémoire, mais c'était toujours plus prudent d'agir ainsi. C'est donc ainsi qu'il débarqua chez elle, la pile de parchemin sous le bras et l'encrier dans la main qui tenait sa canne. Il clopina tranquillement dans la chambre, après avoir frappé poliment à la porte. Voyant la jeune femme en train de scruter l'entraînement des recrues en contrebas, il lui adresse un sourire.

« Bonjour Luevan, tu as bien dormi ? Le déjeuner était à ton goût ? »

Les questions semblent faites autant pour entamer une conversation que pour s'assurer que tout se passe bien, s'il a confiance en son Mestre et en la plus grande partie du personnel du château, il ne peut pas se vanter de connaître personnellement chaque personne et il ignore si tout le monde a le même respect pour les prisonniers. Laissant tomber la masse de parchemin sur le petit bureau qui garnit toutes les chambres du château, et attire à lui une chaise pour s'y installer, son regard vairon toujours dirigé vers la jeune femme.

Luevan se retourne en entendant cliqueter la clenche de la porte et accueille Ades d'un sourire qui partait pour être rayonnant, avant d'être atténué par un scrupule de dernière minute. Le petit seigneur a certes juré sous le barral, et il vient interrompre une séance d'ennui profond, mais ce n'est pas une raison pour le traiter en ami.

Elle tourne le dos à la fenêtre, y appuie ses deux coudes et croise les jambes avant de déclarer :

"Encore deux ou trois comme ça et je serai assez grasse pour être servie en plat de résistance au prochain banquet. Quant au sommeil... Lourd et long. Dommage pour le barral."

La mine un peu sombre, elle jette un nouveau coup d’œil à l'entraînement dans la cour.

"On voit que leur maître d'armes vient de rentrer, hein ? Ça rigole pas ce matin, mais on les sent rouillés."

Puis, reportant son attention sur Ades, elle le regarde poser sa pile de papier, intriguée, avant de reprendre :

"Et vous ? Bien bouquiné ou bien dormi ?"

Le jeune homme a un léger rire, apparemment les cuisines ont gâtés Luevan, c'est sans doute pour le mieux après tout. Il faut toujours bien manger quand on est blessé ainsi disait son ancien Mestre, le corps a besoin de force. Et même si les blessures de la jeune sauvageonne n'étaient pas si graves, l'infection était toujours possible. Il était aussi possible que son père ait donné des instructions pour nourrir correctement la sauvageonne, ce serait bien son genre vis à vis d'un prisonnier, mais Ades n'irait pas prendre le risque de vérifier. D'autant qu'aujourd'hui, il devait y avoir doléance, cela drainerait l'énergie de son père jusqu'au soir probablement. Gardant ses réflexions pour lui, il se contenta d'un large sourire à l'adresse de la jeune femme.

« Très bien, il faut manger, ça éliminera l'infection. Néanmoins, si vous préférez de plus petite part, je leur en ferais la demande. »

En entendant son commentaire sur l'entraînement, Ades se redressa, venant se poster à côté d'elle pour observer l'entraînement. En effet, cela bougeait pas trop mal, mais les nouveaux venus avaient l'air un peu rouillés, mais le jeune Overton n'était pas un spécialiste de la bataille, il n'oserait donc pas juger aussi vite. Néanmoins, si la jeune femme le disait, c'était sans doute vrai. Avisant la haute silhouette de son garde du corps, le jeune homme sourit, avant de se tourner vers Luevan.

« Oh non, Vasgard n'est pas plus en forme que d'habitude, ils en sont à peine à l'échauffement. »

Avec un nouveau rire amusé, il revint en clopinant jusqu'à sa chaise et s'y réinstalla doucement ; il avait toujours un peu de mal à rester longtemps après avoir passé du temps à cheval ET avoir enchaîné sur un long sommeil.

« Les deux je dirais … Ou aucun des deux, je suppose que cela varie selon les points de vue. »

Feuilletant distraitement les parchemins vide, il déclara d'un ton plus doux.

« Si cela vous inquiètes tant, je vous emmènerai dès ce soir au barral. Vous me direz si vous pensez que cela a marché. »

« Très bien, il faut manger, ça éliminera l'infection. Néanmoins, si vous préférez de plus petite part, je leur en ferais la demande. »

La jeune femme a un léger rire.

« Je vous le conseille, pour le bien de vos réserves. Je n'ai pas réussi à manger le quart de ce qui m'a été servi, de toute façon. »

Elle aussi se repenche à la fenêtre en même temps que le jeune seigneur.

« Oh non, Vasgard n'est pas plus en forme que d'habitude, ils en sont à peine à l'échauffement. »

« J'imagine bien, mais ses recrues se sont relâchées en son absence, ça se voit. »

Tout d'un coup, elle lâche un « Youu-houuuuu ! » enjoué, d'une voix suraiguë, et quand le demi-géant lève la tête, elle lui adresse un grand signe puis un baiser du bout des doigts. Elle quitte la fenêtre en riant dès que son objectif est atteint : le maître d'armes est aussitôt retourné à sa tâche, l'air sombre, le dos raide... et les joues roses, tandis que ses recrues tâchent de ne pas pouffer.

Plus grave, elle acquiesce aux dernières paroles d'Ades.

« Je serais plus tranquille, oui. Et je vous raconterai tout, si ça marche, c'est entendu. »

Elle va s'installer sur une chaise devant l'héritier Overton, regarde à nouveau les parchemins immaculés, joue des percussions du bout des doigts sur le bord de la table, se balance sur sa chaise en faisant couiner les pieds de bois, pousse un léger soupir.

« Je suppose qu'il faudrait commencer par les Marcheurs Blancs », finit-elle par dire tandis qu'un frisson désagréable lui remonte le long du dos.

Par principe, le jeune noble a tenté de lever les yeux au ciel puis d'afficher un regard courroucé à l'attitude de la sauvageonne, mais il ne peut empêcher un sourire amusé de s'afficher lentement sur ses lèvres. Il lui suffisait d'imaginer la tête que devait faire Vasgard pour refréner un rire nerveux. Il réussit cependant à prononcer, d'un ton qui se voulait à demi-sérieux.

« Fais attention, il pourrait bien commencer à t'apprécier si tu continues ainsi. »

Le jeune homme réfléchit un moment à son idée du barral ; il n'est pas assez compétent en matière magique pour déterminer si oui ou non c'est une bonne idée. Tout ce qu'il sait, c'est que le mestre qui s'est chargé de son éducation lui a toujours dit et répété que la magie avait disparue depuis des centaines d'années, qu'il n'y avait aucune raison pour qu'elle revienne un jour, et que les sauvageons s'enclavaient dans des obscurs croyances parce que la région dans laquelle ils vivaient était hostiles. A présent qu'il connaissait une sauvageonne, il doutait un peu de ce fait, aussi la laissait-il faire, mais si cela devait échouer, que devrait-il faire ? La meilleure idée consisterait à augmenter le nombre de patrouille, mais cela voudrait dire aussi être très prudent. Car même si ces sauvageons là feraient leur possible pour être discret, ils viendraient pour tuer tous ceux qui auraient le malheur d'être en travers de leur route. Et quel que soit le résultat de tout cela, cela ne finirait pas bien. Luevan serait sans doute dévastée si elle était responsable de la mort de proche, et lui-même n'avait aucune envie de mettre en danger les gens placés sous sa responsabilité, enfin celle de son père mais c'était pareil.

« Bien sûr. Prions pour que cela réussisse. »

Sinon, il serait peut-être obligé de la libérer immédiatement, et encore il n'avait aucun moyen d'avertir les autres de son acte. Non, il devait trouver un autre moyen, mais il y réfléchirait plus tard. Pour l'heure, il fallait se concentrer sur ce qu'elle allait dire. Installant le pot d'encre et y trempant sa plume, le jeune homme tourna ensuite son regard vairon vers Luevan, préparant déjà une feuille.

« Les Marcheurs Blancs oui, c'est sans doute ce qu'il y a de mieux pour commencer. »

Se tournant un peu plus vers elle, il resta un instant bouche-bée, avait-elle vraiment dit « Marcheur Blanc » ? Le terme était loin d'être inconnu aux yeux d'Ades mais il ne s'attendait pas à l'entendre à un tel moment. Est-ce qu'ils existaient vraiment ? Était-elle sérieuse ? Il choisit finalement de se calmer, enchaînant d'une voix parfaitement maîtrisée.

« Je vais déjà te dire ce qu'on en sait de ce côté-ci du Mur. Pour nous, ce sont des créatures de légendes, qui n'existent plus depuis longtemps. C'est à peine s'ils sont mentionnés dans nos contes … Oh, et certains de mes compatriotes s'amusent à prétendre que je suis le fils bâtard de l'un d'entre eux. Je suis pâle, paraît-il et puis … il y a mon œil. »

Il haussa les épaules, désignant du doigt la bille d'un blanc pur qui lui servait d’œil.