L’envol d’une poignée de grives fit s’agiter les chevaux de tête. Le convoi stoppa nerveusement dans un orage de piétinements empressés. Le vent froid emportait par volutes soudaines la vapeur âcre que les bêtes expulsaient de leur poitrine fumante. L’automne s’éternisait, froid et humide, et même ici au bord de l’estuaire les hommes du Val pouvaient sentir l’arrivée de l’hiver aussi sûrement que deux amants promis qui s’espèrent et se désirent.
La forteresse de Cordial se dessinait en surplomb, vigilante sentinelle silencieuse. Sa carcasse trapue étreignait le flanc du piton rocheux du haut duquel elle toisait le bras de mer. Vigie imposante et muette, fixant les rives de l’estuaire alangui à ses pieds. Le Noire-Epée mena sa monture jusqu’à l’avant du convoi, là où avait stoppé les ouvreurs. Depuis cet endroit de la route, en contrebas de la forteresse, la vue qui s’offrait au voyageur était celle, réconfortante, d’une cité confortable et sereine, sûre de ses forces et forte de ses certitudes. Celle d’un cadre de vie agréable et tranquille, d’un lieu de départ vers l’aventure, à l’écart du monde. Un petit port pourvu d’une rade bien conçue, une croisée des chemins, des destins, des existences. Un lieu verrouillé toutefois, cadenassé et méfiant, jaloux de sa situation préférentielle et stratégique.
C’était là, chez lui, au terme d’une chevauché de plusieurs jours et amorcée depuis les Portes de la Lune, que le long voyage de Lyonel trouvait enfin son terme. Le Seigneur des lieux rentrait chez lui en homme nouveau, en homme marié et changé mais aussi en Lord Suzerain du Val d’Arryn, escortant sa nouvelle épouse et une prisonnière de haut rang.

Quelques minutes avant ce retour au bercail tant attendu, Lyonel avait soudain sentit son cœur se serrer et s’était soudain inexplicablement senti très seul. La bonne compagnie de son ami Kendryk Hardyng lui manquerait, c’était certain. Le Corbray s’était évidemment bien gardé d’en dire quoi que ce soit àqui que ce fut, mais l’absence soudaine de celui qu’il avait si longtemps côtoyé lui donnait une désagréable et incompréhensible impression d’absence et de vide inattendus… Il se sentait bien seul depuis la nomination de son ami Kendrik en tant que Chevalier de la Porte Sanglante. Plus qu’il ne l’aurait cru. L’absence du Hardyng conjuguée à la récente tentative d’assassinat dont Asahra et lui avaient été les cibles s’insinuait dans la majorité de ses pensées et hantait la plupart de ses réveils. L’idée d’être détesté par certains et jalousé par la plupart ne lui avait jamais parue aussi palpable et détestable. La blessure causée par le doute et les questionnements était encore vive et douloureuse et elle s’ingéniait à faire éprouver au Noire-Epée toute l’irraison de l’incertitude, ainsi que toutes ses prisons. Il est parfois des cicatrices qui restent invisibles. La tentative de meurtre et les complots politiques qui semblaient lui tendre les bras lorsqu’il aurait cheminé jusqu’à Port Réal avivaient sans cesse celles ouvertes bien des années plus tôt, aux moments du décès soudain de son père. Et en cet instant précis, alors que le réconfort était à moins d’une heure de cheval, Lyonel semblait tout à coup rattrapé par les fantômes qu’il avait cru semer dans la trépidante accumulation d’événements de ces derniers jours.

Rien n’imprime si vivement quelque chose à votre souvenance que le désir de l’oublier.

Le hennissement d’un grand étalon brun tira le Sire de Cordial de ses douloureuses turpitudes. – Dois-je envoyer quelqu’un faire l’annonce de notre arrivée, Lord Corbray ? Ramsay Grafton était un immense bonhomme dont le vocabulaire bougon ne dépareillait que fort peu avec sa carcasse massive. Pour autant, le « Vigier » se démenait pour s’exprimer le mieux possible et pour bannir toutes les grossièretés si familières à son langage habituel dès qu’il s’adressait à Lyonel. Ce qui avait le don de faire sourire celui-ci qui savait, pour connaître le « Gris » depuis fort longtemps, mesurer à sa juste valeur l’importance que cet effort constituait pour le géant de sa garde personnelle. – Cela ne sera pas nécessaire, Ramsay... Regarde qui voilà déjà !

Quelques cavaliers chevauchaient en effet dans leur direction et l’homme de tête qui se porta à leur rencontre avait un visage bien connu du Seigneur des lieux.

– Lucas ! Se réjouit Lyonel qui quitta ses sombres pensées en apercevant son plus jeune frère.

Ser Garlan se retourna vivement, sur ses gardes, lorsqu'il entendit un bruit bizarre. Ce n'était que des oiseaux qui s'envolaient. Décidément, depuis la tentative d'assassinat sur son maître et ami, il était bien nerveux. La fumée exhalée par les cheveaux ajoutée au temps froid et humide n'améliorait en rien cet état. Il avait l'impression d'évoluer dans un monde fantomatique. En plus, ces cheveux de têtes qui s'arrêtaient.

Désormais, ils pouvaient voir le château des Corbray à l'horizon. Au moins, Lyonel serait bientôt à l'abris et Garlan pourrait se détendre en prenant une chope de bière avec ses compagnons d'armes. La fatigue du voyage fit que le maître d'armes se perdit dans ses pensées. Il se rappela la première fois qu'il avait vu cette fortesse, si différente de celle de Bois Doré, qui lui paressait froide et intimidante. Cependant, depuis que Lady Lyana lui avait permis d'aménager ses appartements et qu'il avait apprendre à connaître son nouvel entourage, il se sentait chez lui.

Comme Lyonel, Garlan fut tiré de ses pensées par le hennissement d'un cheval. Il entendit juste après la voix de Ramsay Grafton. Le maître d'arme aime le côté bourru et fêtard du chevalier. Avec Lyonel et lui, ils ont passés d'excellentes soirées dans des tavernes. En plus, le physique massif de Ramsay dissuadait souvent les bandits de s'en prendre à eux.

Un bruit de sabots lui fit tourner la tête c'était Lucas. Les sentiments de Garlan était mélangés. Même si ses relations c'étaient réchauffées avec le jeune homme depuis qu'il s'était réconcilié avec Lyonel, ils restaient distants. Il salua poliment le frère de son suzerain.

Lyonel était ravi de revenir à Cordial. Le séjour aux Portes de la Lune avait été éprouvant et les événements qui s’y été enchainés le ramenaient chez lui tout auréolé d’un mariage inattendu et de responsabilités nouvelles.
Comme souvent ce fut Lucas qui vint à leur rencontre. Le cadet des frères Corbray était un jeune homme aventureux et voyageur qui n’hésitait pas à chevaucher dès qu’il le pouvait pour parcourir le monde afin d’étancher sa soif de découverte.

– Je suis ravi de te revoir ! Comment vas-tu ? Ils chevauchaient à présent en direction de la forteresse et se plaisaient déjà à se raconter les uns les autres leurs aventures respectives. – Et comment se porte Mère ? Le Noire-Epée se tourna vers ser Garlan qui chevauchait à proximité…

– Nous avons tant de choses à te raconter ! N’est-ce pas Garlan ? Le maître d’armes de Cordial était un homme déraciné que Lyonel et son frère avaient eu du mal à cerner au début. Mais avec le temps ils avaient appris à connaître et respecter cet homme d’expérience et de grand talent qui leur servait aussi désormais de guide et de conseiller depuis le décès soudain de leur père. Et l’on pouvait dire sans trop exagérer que le bieffois faisait maintenant partie intégrante de la petite communauté du bord de l’estuaire.

La tentative d’assassinat revint soudain en mémoire à Lyonel. – Garlan et moi avons même troué quelques types il y a quelques jours ! Le grand rire chaleureux du Seigneur de Cordial visait aussi à dérider un peu ser Garlan qui, toujours aussi responsable et concentré avait certainement encore en travers de la gorge d’avoir dû tirer le fer contre des compatriotes ! Le Val était en ébullition depuis le décès de Lord Jon et de nombreuses tensions, même mineures se faisaient jour, parfois, inquiétantes pour la jeune régente et son nouvel époux.

Le maître d'arme restait en retrait derrière son suzerain. Garlan ne pouvait reprocher à Lucas sa curiosité et son amour de l'aventure même s'il espérait qu'en apprenant la nouvelle position de son frère. Même s'il était protégé par un son maître, Lucas était désormais une cible de choix pour attendre le nouveau pouvoir du val d'Arryn. Au moins, il n'était pas venu seul. Garlan se détendit légèrement car même si ce n'étaient que quelques cavaliers, ils pourraient faire la différence en cas de nouvel affrontement. Décidément, le maître d'arme était de plus en plus à cheval sur la sécurité de son suzerain et de ses proches.

Même s'il était toujours en froid avec Lucas, Garlan était content de voir le grand sourirure qui illuminait le visage de son suzerain et ami. En entandant son suzerain évoqué sa mère, le mâitre d'arme espéra de tout cœur que Lady Lyana se portait bien. Elle s'était montrée si gentille avec lui lors de son arrivée au Val.

« - Ca c'est sûr Lyonel ! Et des hisoires d'imortances. Pour te les raconter, je pense qu'on devrait te les conter autour d'un bon repas et d'une bonne bière. »

Garlan était heureux de faire désormais partie du groupe du bord de l'estuaire. Tous ici lui avaient permis de devenir meilleurs. C'était vraiment une excellente chose que sa route est croisée celle de Lord Harwyn. Dommage qu'il soit parti si tôt....

Les paroles de Lyonel eurent l'effet inverse que ce qu'avez prévu le jeune homme. Le maître d'arme se rembrunit au souvenir de l'affrontement. Bien qu'il n'aima pas prendre une vie, Garlan n'avait aucun remord car ses adversaires ne lui avaient pas laissé le choix. Ce qui l'inquiétait c'était qu'on puisse en vouloir à la vie de son ami. Il allait devoir faire encore plus attention en ce qui concernait la sécurité de son souverain.

« - Oui et j'espère ne pas en trouver d'autres. Hâtons de rentrer au château. »

Tous étaient heureux et enthousiastes de rentrer à Cordial. On aurait pu croire à les voir ainsi empressés qu’ils n’avaient délaissé la forteresse que quelques semaines…
Le repas était déjà prêt et les effluves qu’il répandait le long des couloirs menant à la grande salle étaient des plus réconfortantes. Lyonel aimait rentrer chez lui. La forteresse familiale, si austère et sombre pour des regards étrangers avait pour les yeux de son seigneur des éclats inattendus. Et cette fois-ci plus que toute autre… L’imminence de leur départ pour Port Real et l’importance des raisons pour lesquelles ils s’y rendraient donnait soudain à ce retour chez lui une saveur particulièrement agréable et réconfortante.
Il faudrait d’ailleurs qu’il parle de tout cela à ses frères et dame sa mère afin de les mettre en garde contre tout ce qui pourrait arriver dorénavant. En acceptant le mariage manigancé par Lysa Tully il n’avait pas un seul instant pensé qu’il plaçait soudainement Cordial près du centre de l’échiquier politique des Sept-Couronnes avec tous les avantages que ce la représente mais aussi tous les dangers inhérents aux enjeux et jalousies de toutes sortes…

La grande salle du repas était illuminée par des braseros et un énorme feu brûlant dans l’immense cheminée de la salle commune. Les tables avaient été dressées avec plus de soin pour l’occasion et il était évident que nul n’ignorait que le Sire de Cordial revenait chez lui tout auréolé d’un rang prestigieux et accaparé par des responsabilités nouvelles !

Après avoir longuement salué sa douce mère et lui avoir présenté sa jeune épouse, lady Ashara Arryn, le Noire-Epée avait prit le temps de converser avec son oncle William qui devait s’occuper de procéder au renouvellement de la Garde Grise et à la réorganisation de la milice du fief en prévision du grand départ des valois pour les Terres de la Couronne. Lyonel pouvait donc à présent prendre le temps de se poser enfin un peu et de renouer avec ses deux frères entre lesquels il vint s’asseoir après les avoir chaleureusement embrassés.
– J’ai parlé avec Mère, commença-t-il à leur dire avec aussi un regard vers ser Garlan assis non loin d’eux. – Elle est évidemment très inquiète par tous les changements liés à mon mariage. Et aussi par les responsabilités qui m’incomberont désormais. Lyonel, comme tous les fils de Lady Lyana, adorait cette mère douce et aimante et dont la patience d’ange les avait si longtemps couvés depuis tout petits, même face aux monstrueuses colères de Lord Harwyn. – Je compte sur vous pour prendre bien soin d’elle ! Leur départ lui faisait aussi très peur mais comme à son habitude, l’exemplaire matriarche avait tenté de dissimuler tout cela aux yeux de son fils aîné afin qu’il ne s’inquiète pas pour elle outre mesure. – Vous la connaissez aussi bien que moi ! J’ai lu beaucoup de crainte dans ses yeux lorsque je lui ai parlé de Port Real et du voyage qu’il m’y faudra bientôt entreprendre…

Lyonel observait Garlan Rowan qui écoutait attentivement la conversation. Il pensa qu’il aurait était idéal que le maître d’armes reste à Cordial pour épauler Lady Lyana et Ser William dans la gestion du fief. Mais il savait aussi pouvoir compter sur ses deux frères qui n’étaient plus les petits frères qu’il avait jadis connus, capables de toutes les frasques, mais de jeunes gens bien plus mûrs et responsables aujourd’hui.

Il tint d’ailleurs à leur montrer que lui aussi, malgré le foutu caractère et l’esprit fêtard et bagarreur qui était le sien, avait mûri et compris qu’il fallait grandir un peu.

– Je sais que le fief sera en de bonnes mains avec vous. Il eut un regard pour chacun d’eux. – Si le Roi me confirme en tant que Lord Suzerain du Val, je te ferai don de Cordial, commença-t-il à l’intention de Lyn et tout en se tournant vers Lucas. – Et toi ? Seras-tu bientôt adoubé ? Je suis tellement fier de toi ! Tous les trois chevaliers ! Comme ce qu’on imaginait petits ! Tu seras l’héritier de Cordial ! Et peut-être même membre de la Garde Grise ! Garlan et oncle William me disent que tu es devenu un sacré combattant… Il me tarde de te voir à l’œuvre ! Tu t’entraîneras avec nous demain matin !

Il se rapprocha d’eux et baissa la voix pour leur faire part de ce qui devait suivre…

Les longs mois d’absence de l’ainé semblèrent balayés, et c’est avec l’impression qu’ils s’étaient seulement quittés la veille que les trois hommes entrèrent dans la salle de banquet. Les pierres sombres qui recouvraient les murs étaient éclairées par les nombreux braseros disposés dans l’immense pièce qui résonnait déjà des joyeuses discussions bien entamées des convives déjà présents. Tout en retirant ses gants de cuir pour ensuite les attacher à sa ceinture, Lucas ne put retenir un petit sourire moqueur devant la disposition des tables et des mets qui à l’évidence, avaient fait l’objet de plus de soin qu’à l’ordinaire. C’était une façon d’honorer les invités exceptionnels qui devaient diner avec eux, mais aussi une manière de tenter d’en mettre plein la vue à la nouvelle suzeraine et à sa suite.
Laissant le nouveau seigneur allait saluer ses proches, Lucas ,lui, continua de longer les tables. Il passa près de celle où festoyait la fameuse Garde Ailée, qu’il rêvait d’intégrer au même titre qu’il rêvait de devenir un jour un des chevaliers qui défendaient Cordial. Jetant un coup d’œil curieux mais dicret à la tablée, il ne reconnut qu’un seul des chevaliers, un jeune rouquin dont l’admission à la garde d’Ashara l’avait toujours étonné. D’ailleurs Kilian Belmore était, sans qu’il le sache, la risée des écuyers de Cordial, qui n’avaient de cesse de moquer son tempérament fier et orgueilleux ainsi que sa façon de pavaner sur des paroles qui étaient aussi consistantes que le vent qui soufflait sur les falaises de Cordial. Vivian l’avait d’ailleurs rebaptisé « l’allumette », surnom qui avait supplanté rapidement le véritable nom du garde dans la bouche des écuyers et qui ne soulignait que trop bien l’insignifiance du jeune chevalier ainsi que sa chevelure rousse. Le Corbray se faufila rapidement vers la table où ses amis soupaient et discuta un moment avec eux de son frère et, bien évidemment, de sa belle-sœur. Ashara alimentait toutes sortes de fantasmes dans les esprits des jeunes hommes et avait d’ores et déjà plusieurs admirateurs parmi lesquels Vivian s’était imposé en tant que meneur. Ce camp faisait face aux quelques détracteurs de la dame, qui se faisaient néanmoins plus discrets étant donné sa présence au banquet. Après un bon quart d’heure de rires et de piques et malgré leurs protestations, Lucas leur annonça qu’il ne pouvait pas rester avec eux et qu’il devait rejoindre sa place.
Il partit donc s’assoir aux côtés de son autre frère déjà attablé, Lyn, qui l’accueillit avec un sourire sincère tandis que ses yeux et surtout son esprit étaient fixés sur l’ainé qui ne tarderait pas à les rejoindre. Alors qu’il entamait sa coupe de vin, il se releva à moitié pour rendre son embrassade à Lyonel, qui venait d’arriver à leur table, avant de se rassoir et d’écouter ce que son frère avait à leur dire.
-Si vous croyez, mon Seigneur, que nous avons besoin de vos recommandations pour nous rappeler veiller sur notre mère, vous vous trompez. Lâcha Lucas, moqueur, sachant qu’il mettrait un certain temps encore avant de s’habituer définitivement au nouveau statut de son frère, dont le caractère volcanique semblait au premier abord, loin d’etre un don pour le Val. Il se demanda d’ailleurs comment la noblesse des Eyriés avait réagit en se confrontant pour la première fois à cet héritier si sanguin. En tout les cas, il ne doutait pas que la glaciale Ashara avait du avoir un choc en accueillant comme époux un homme qui semblait être en parfaite opposition avec elle. Cependant, il lui semblait depuis les quelques heures qui avait suivit le retour de son frère, que celui-ci avait changé. Moins nerveux et impétueux, son tout nouveau Devoir devait l’avoir fait murir suffisamment pour faire de lui un seigneur caractériel et imprévisible, mais aussi plus sage, d’une certaine manière. Lucas était fier de voir son frère ainsi transformé, et sentait sa hâte de le servir lui et le Val grandir d’autant plus vite qu’il savait désormais que l’ainé Corbray avait de grandes chances de devenir un grand suzerain.
Il est normal qu’elle soit inquiète. Continua-t-il en parlant de leur mère. Avec cette alliance tu as plongé Cordial dans un tout autre monde. Et, depuis des semaines, tout le monde au château n’a de cesse de se demander quels seront ces fameux changements dont tu parles. Tu vas devoir répondre à bien des questions je le crains, répondit-il, souriant.
Alors que Lyn se voyait promis Cordial, annonce qu’il accueillit avec un remerciement poli et enthousiaste, bien que cette nouvelle ne surprit personne ; Lucas se sentit plus léger, ayant craint un moment que Lyonel ne préfère laisser Lyn à sa glorieuse carrière militaire sans lui incomber la tâche de s’occuper du château. Se voyant libéré de cette angoisse de se voir enchainé à la demeure familiale, il prit de nouveau une grande gorgée de vin, comme pour fêter en tête à tête avec lui-même cette nouvelle. Ce fut avec un grand sourire sur ses lèvres qu’il écouta son frère évoquer son très prochain adoubement.
-Tu regretteras ces paroles lorsque je t’aurais mis à terre demain matin ! Ria-t-il, grisé par la perspective de cet entrainement commun et à l’écoute des compliments de ses professeurs, qu’il découvrit pour la première fois dans la bouche de son frère. Oui, nous serons enfin tous trois chevaliers, et par les sept que j’ai hâte de pouvoir enfin jouer à armes égales avec vous ! dit il en accompagnant ses paroles d’une frappe de sa main sur la table pour mieux exprimer son enthousiasme. Mon adoubement ne devrait plus tarder, maintenant que j’ai trouvé un mentor pour achever ma formation. Raymar Templeton a accepté de m’aider à aller jusqu’au bout, je ne pouvais espérer mieux que lui et j’ai encore l’impression d’avoir rêvé le moment où il m’a proposé de devenir son écuyer.
Quand son frère évoqua la Garde Grise, Lucas sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine, sentant qu’il s’approchait enfin de ce rêve qu’il faisait depuis qu’il était petit. Mais il ne pouvait trouver plus grande joie que dans la fierté qu’il lisait dans les yeux de son frère, ce regard aux reflets métalliques et qui lui offrait un aperçu du regard que lui aurait accordé feu leur père en lui posant les mêmes questions que celles que Lyonel venait de lui soumettre.
Cependant, la joie innocente de ces retrouvailles fraternelles fut vite surplombée par une chape pleine de mystère lorsque l’ainé se pencha et baissa la voix dans un désir évident de leur faire part d’informations importantes et qui ne devaient pas être partagées avec le reste des convives présents. Lucas imita donc son frère en se penchant légèrement vers la table, posant un regard et surtout une oreille attentive sur ce que Lyonel s’apprêtait à leur annoncer.