Le grand et confortable navire avait passé Peyrdragon quelques jours auparavant, mais depuis très exactement un mois que La Blanche-Nef avait quitté Cordial, on n’avait vu Ashara que peu de fois sur le pont. Une fois lors de leur courte escale à Goëville où elle avait envoyé Torval, Jasper et Harlan, trois membres de la Garde Ailée chercher un cadeau pour Lyonel qu’elle avait commandé le jour même de son mariage. Il s’agissait d’une barde complète toute en fer et argent avec des bas-reliefs de corbeaux tenant des cœurs et de faucons avec des lunes. Le tout magnifiquement mêlé dans une danse gracieuse et incrusté de pierres semi précieuse, pierre de lune blanches niellées de bleu, larimar bleu ciel et bleu foncé, jaspe sanguin rouge et onyx noir. Mais avant que le nouveau destrier du suzerain du Val ne revienne ainsi paré, elle s’était de nouveau enfermée dans sa cabine. Cabine qu’elle était sensée partager avec Lyonel, mais où elle l’avait supplié de ne pas rentrer. Evidemment il était rentré quand même la première fois, mais elle s’était cachée derrière le lit et avait refusé de lui parler ou de l’embrasser. Puis elle avait tellement pleuré qu’il avait fini par ressortir et depuis, seul Mestre Udo s’y engouffrait plusieurs fois par jour pour essayer de la nourrir de la garder hydraté, d’écouter les ordres et les corbeaux pour les transmettre à qui de droit.

La raison de tout ce cirque ? Depuis qu’elle avait posé le pied sur ce foutu rafiot, enfin plus exactement depuis la première nuit qu’elle y avait passé, Ashara était malade comme un chien. Elle vomissait tout ce qu’elle avalait et les remèdes de Mestre Udo n’y faisaient rien, sans compter qu’elle refusait tout drogue prétextant qu’elle avait bien trop à faire et trop besoin de sa tête pour prendre du bonsomme ou tout autre cochonnerie réservé d’ailleurs au régime tout spécialement prévu pour Lysa et administré quotidiennement par ses gardes sans même qu’ils le sachent. Brynden Tully évidemment, mais aussi Ronan Froideseaux et Pediflet Manning qui faisaient leur possible pour convaincre le Silure de la culpabilité indéniable de sa nièce. Il y avait aussi devant la porte de la cabine ou Lysa était retenue prisonnière mais très bien traitée au fond et laissée avec son fils depuis son arrestation pour ne pas le sevrer trop brutalement, Denys Hersy, Osgood Wydmann Eogan, Argad, Ferny, Mordred et Garlan. Alys et Gwenn étaient les seules à avoir le droit d’entrer, l’une pour s’occuper de Robin et lui permettre de faire un tour sur le pont sans sa mère ou de jouer un peu, l’autre pour s’occuper de Lysa, toilettes, coiffure, ménage.

Ser Neraron Vanbois estimait qu’elle faisait du cinéma, mais Mestre Udo, qui lui, la voyait tous les jours, s’inquiétait énormément pour elle car elle dépérissait à vue d’œil et son entêtement à ne rien avaler pour pouvoir rester concentrer ne lui disait rien qui vaille. Malgré tous ses efforts, Lyonel était impuissant et les paroles réconfortantes de Will Sunderland n’y changeaient rien. Lady Alanei et Lady Nyella trouvaient étrange qu’elle soit si malade, la brune n’avait jamais été tellement à l’aise sur un bateau, mais jamais elle n’avait eu de tels symptômes auparavant. Au bout d’une semaine, le Mestre, avait envoyé Ysilla et Septa Eyline pour la convaincre de prendre l’air sur le pont et d’avaler quelque chose, mais elle ait refusé d’entendre raison. Il avait alors requis l’aide de Creighton et Barristan pour lui donner de l’eau et à manger avant de la faire sortir de force pour qu’elle ait le temps d’assimiler quelques nutriments et surtout de l’eau avant de tout rendre à nouveau. Cela avait marché. Mais elle avait tellement hurlé en se débattant de toutes ses forces qu’elle était tombée dans les vapes devant le regard horrifié de son mari et de ses hommes, Ser Aaron Templeton, Ser Ramsay Grafton, Quentyn Tallhart, Ser Garlan Rowan. Elle s’était réveillée plusieurs heures plus tard avec une extinction de voix. Tant et si bien que les deux chevaliers n’eurent jamais le cœur de recommencer même s’ils étaient conscients que c’était pour son bien, heureusement, elle en était consciente aussi et elle était devenue un peu plus coopérative. Depuis, chaque jour, elle sortait la nuit quelques heures, mais personne n’avait le droit de la regarder, elle portait une longue cape et une capuche et tout le monde devait lui tourner le dos. Elle refusait toujours de laisser Lyonel la voir et Fanya était chargée de vider le seau plein de vomi plusieurs fois par jour, mais au moins elle essayait de manger et de boire régulièrement, surtout boire lui avait dit l’homme de science, surtout boire.

Raymar Templeton lui avait annoncé à travers la porte que la capitale était en vue, elle lui avait dit de faire venir Moira et Sienna pour l’habiller et d’ordonner aux hommes de se mettre en tenue. Ser Oliver Moore, Ser Edric Shett, Ser Adam Rogers, Ser Sigfryd Templeton et Ulric ainsi que tous les autres mirent dont leurs armures pendant qu’on préparait les chevaux dans la cale, chevaux qui eux aussi avaient soufferts du voyage et du manque d’exercice. Hélas, en arrivant dans le port, fin prête, lavée, habillée, coiffée, Sienna avait fait l’erreur, peut-être volontairement d’ailleurs, de mettre Ashara face à un miroir.

En apercevant ces traits tirés et creusés par le manque de nourriture, elle avait congédié ses servantes et avait dit que c’était une catastrophe et qu’elle ne pouvait pas se présenter ainsi devant le Roi et la Reine. Depuis, elle refusait d’ouvrir et essayait de trouver une solution. Etrangement, elle avait perdu du poids, mais pas de poitrine, au contraire, un détail passé jusqu’ici totalement inaperçu même si elle trouvait qu’elle avait du mal à respirer dans sa robe bleue. Ashara était pourtant parfaitement consciente que faire attendre le Roi était pire que tout, mais sa mine maladive lui donnait plus que jamais des hauts le cœur. De toute façon il fallait que la nausée passe avant qu’elle ne songe à monter au Donjon Rouge. Or, elle ne passait absolument pas.

Mestre Udo désespérait de l’état de sa petite protégée et Lyonel se concentrait sur la protection des siens pour oublier à quel point sa bien-aimée lui en aavit fait voir depuis leur mariage et tout particulièrement sur ce bateau. Tous n’avaient qu’une idée en tête, descendre de ce foutu rafiot, c’était d’ailleurs déjà le cas de Ser Marwyn Belmore et de Ser Raynald Elesham, deux nouveaux de la Garde Ailée qui gardaient la passerelle. Heureusement, Robar arriva et après que l’homme de science l’ait reconnu et ait ordonné qu’on le laisse monter à bord, il lui sembla effectivement que c’était la seule personne à pouvoir convaincre Ashara de sortir de sa cabine. Il l’y mena donc avant de s’éclipser en priant les Sept qu’il parvienne à quelque chose.

C’est alors que la brune entendit qu’on frappait à sa porte.

__ J’ai deman.. Robar ? »

Ashara allait hurler, elle avait demandé à ce que personne ne la dérange, mais en reconnaissant la voix de son très cher oncle elle se tourna vivement vers la porte. Elle fut tout à la fois surprise, soulagée, heureuse et triste. Tous ses sentiments se mélangeant, elle se mit à pleurer en silence, se leva, ouvrit la porte et leva vers lui son visage plus pâle que jamais et donc les yeux avaient perdus l’éclat et dont les joues creusées lui donnaient dix ans de plus.

__ Je suis si heureuse de te voir. Je suis désolée que tu me voies ainsi. J’ai été très malade pendant le voyage, je ne comprends pas pourquoi j’ai été si malade. »

La brune vérifia qu’il n’y avait personne dans le couloir menant à sa cabine et referma la porte.

La jeune femme avait tant à lui raconter, elle voulait déverser toute sa peur sur lui, tout le poids de ce qu’elle savait, elle était certaine qu’il encaisserait. Mais elle était tellement heureuse de le retrouver enfin qu’elle en oubliait un peu son malaise et les révélations qui lui avaient été faites.

__ Alors, ce tournoi, dis-moi ? C’était bien ? Vous avez fait honneur au Val ? »

Sourit-elle, si affaiblie qu’elle tremblait légèrement.

__ Je suis fière de toi, fière de vous deux. »

Se contenta-t-elle de dire n’ayant aucune idée de la façon dont Loras joutait et en revanche une excellente connaissance de la réputation de Ser Jaime. Elle sourit néanmoins à l’idée de voir Robar avec une épée enflammée, cela devait être certes déconcertant et terrifiant d’affronter un tel homme, mais elle doutait que cela change quoi que ce soit au final.

__ Tu as vu Lyonel ? Il va bien ? Je suis si honteuse de lui avoir fait subir ça, mais c’est le dernier qui doit me voir dans cet état, s’il me voit ainsi, il ne m’aimera plus, plus jamais. Seulement là, je crois que je vais quand même devoir sortir, et la poudre ne parvient pas à masquer les dégâts du mal de mer. Je n’ai pourtant jamais été si malade, je ne comprends pas, ça n’est pas mon premier voyage en bateau pourtant. »

Ashara s’assit sur le lit et fit signe à Robar de venir à côté d’elle avant de murmurer :

__ Je ne pouvais pas vous prévenir par corbeau, mais ce qui m’amène ici est bien plus grave que la suzeraineté de Val. Evidemment cela compte, et je sais que Lysa est coupable elle me l’a avoué, elle m’a aussi dit qui était son complice. J’ai été horrifiée. Petyr Baelish, tu te rends compte ? Après tout la confiance que Lord Jon lui a témoignée ? Je… mon grand oncle m’a préparée à cela toute sa vie durant, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit si dur. Je ne voulais pas outrepasser mes droits, je pensais que Lysa respecterait ses volontés. Tu sais, il m’avait dit qu’il me fiancerait à Robin lorsque j’étais venue comme chaque année pour assister au Tournoi Anniversaire de… du Prince. Quand elle m’a appelé aux Portes de la Lune, je pensais qu’il s’agissait de cela, même si au fond de moi, je savais qu’elle ne se laisserait pas si facilement dépossédé de son fils. Mais, même si elle ne le faisait pas, durant les mois où j’ai attendue, chaque jours je me disais : qui suis-je pour l’empêcher de prendre la régence ? Alors je n’ai rien fait, peut-être que j’aurais dû agir avant, mais je n’ai rien fait. »

Ashara soupira et contempla le plancher de la cabine pendant un moment en se demandant si elle aurait dû agir avant. Alors elle ne se serait pas mariée avec Lyonel, et peut-être que c’était mieux ainsi.

__ Mais elle est folle, elle a payé à Lyonel une dote astronomique pour qu’il m’épouse et se taise et moi elle m’a imposé un mariage dont elle pensait qu’il me détruirait. Elle voulait désunir le Val ainsi plutôt que de l’unifier dans l’adversité. Elle est dangereuse, dangereuse pour nous et pour le Val, je ne pouvais pas la laisser agir à sa guise et ruiner ma région. Et elle est d’autant plus dangereuse que Petyr la manipule aisément, il l’aime dit-elle, je pense personnellement qu’il aime surtout le pouvoir, mais qu’importe à l’heure où nous parlons, j’espère qu’il n’est déjà plus un problème. »

La brune se perdit une fois de plus dans ses pensées avant de revenir à la réalité.

__ Ce mariage de pacotille, son comportement inacceptable envers Lord Lyonel moi et tous les seigneurs présents ce soir-là. Elle est folle et elle nous tuera tous si on la laisse faire, elle a déjà tué son propre mari, tu te rends compte ? De quoi est-elle capable si elle peut tuer l’homme qu’elle a épousé ? Elle condamnera le Val à je ne sais quel destin funeste entre les mains de Littlefinger. Je n’ai pas le choix je dois remplir mon devoir, même si je ne voulais pas cela. Heureusement, Nestor a retrouvé un document qui fait de moi l’héritière légitime du Val, hélas au détriment de Robin. Après tout, peut-être est-ce mieux pour lui, il grandira en paix et sans responsabilités ainsi, je m’occuperais de lui, ou peut-être que je le confierais à quelqu’un d’autre, quelqu’un capable d’en faire un homme. »

Elle hocha la tête.

__ Brynden Tully devrait nous soutenir, en échange de quoi nous essayerons de faire en sorte que Lysa vive, elle retournera à Vivesaigues, elle pourra couler des jours heureux loin des Eyrié. J’ai envoyé des gens surveiller Goëville pour que, si Petyr arrive à fuir Port-Real, il ne puisse pas se réfugier là-bas, je veux qu'il paye, je veux qu'il meurt comme un chien, comme il a tué Lord Jon. Il est trop dangereux pour le laisser assister au procès, trop dangereux pour que je lui laisse le temps de manigancer quoi que ce soit contre nous. »

Ashara se tourna vers Robar et elle avait repris son regard déterminé, sa froideur, sa dureté, même si ses traits étaient toujours souffreteux.

__ J’ignore si le document suffira, je l’espère, mais j’espère surtout que le témoignage de Brynden suffira à convaincre le Roi d’évincer Lysa et de nous choisir si ce n’est comme suzerains au moins comme régents. Avec Lyonel et moi à sa tête, le Val sera en sécurité et je ferais en sorte que, l’heure venue, Robin soit prêt à gouverner. Mes choix le concernant dépendront de la décision de la cour. J’espère surtout qu’il se rendra compte que je fais ça pour son bien et qu’il se remettra de l’absence de sa mère. »

Une fois de plus la brune se perdit dans ses pensées, elle aimait Robin, elle ne voulait que son bien, et à l’idée de le séparer de Lysa, elle avait les larmes aux yeux, mais elle savait que c’était la seule solution. Après tout, le fait d’être très tôt séparée de son père, puis de sa mère l’avait fait elle-même devenir forte, un mal pour un bien finalement, réussit-elle à se convaincre.

__ Mais ce n’est pas tout… »

Elle se leva et vérifia une fois de plus que personne n’écoutait à la porte, puis, toujours en silence, elle ouvrit sa malle, la vida frénétiquement, démonta le double fond et en sortit quelques parchemins qu’elle tendit à Robar. Le premier était celui où Jon la nommait héritière du Val :

Moi, Lord Jon Arryn, Sire des Eyrié, Défenseur du Val, Gouverneur de l'Est et Main du Roi,


Je déclare qu’à ma mort, la direction du Val reviendra à ma nièce Lady Ashara Arryn que je nomme, par les pouvoirs qui me sont conférés, mon unique héritière légitime. Cette décision annulant par la présente l'ordre succession légal qui reprendra son cours si elle disparaissait avant d'engendrer un héritier.


Mon épouse Lysa Arryn la conseillera ou regagnera Vivesaigues avec quelques hommes. Mon fils Robert sera confié à Lord Stannis Baratheon, sire de Peyredragon, maître des navires.




Lord Jon Arryn
Sire des Eyrié
Défenseur du Val
Gouverneur de l'Est
Main du Roi

Les suivants recensaient les descriptions d’enfants nés de mariages entre Baratheon et Lannister, tous bruns aux yeux bleus, tous nettement plus proches des traits des Suzerains de l’orage que des Lions. Nul besoin de mots, il comprendrait, peut-être lui faudrait-il du temps, mais il finirait par voir la vérité qui se dégageait de ces preuves. Ashara tendit le doigt devant sa bouche pour lui signifier de faire silence même si la surprise de la terrible nouvelle lui ordonnait de hurler.

Ashara sourit lorsque Robar replaça sa mèche de cheveux derrière son oreille, cela la replongea dans les souvenirs d’une enfance compliquée qui avait forgé son caractère. Si elle était aussi forte maintenant, c’était grâce à eux, les hommes de sa vie, son grand père Yohn Royce, son grand-oncle Lord Jon et son frère Robar. Ils lui donnaient l’exemple, ils lui donnaient le courage de continuer quoi qu’il arrive et de s’accrocher à ses idéaux et à ses valeurs, même lorsque le monde s’écroulait autour d’elle. Ses mots, aussi maladroits soient-ils la touchèrent aussi, mais il n’avait jamais eu besoin de parler pour la réconforter, sa simple présence suffisait. Il était là à la mort de son père et même si elle ne s’en souvenait pas, elle le savait, il était là à la mort d’Yvaine et cela elle s’en souvenait comme si c’était hier. Il était là quand Jon lui avait confié l’Intendance du Val et il avait été une aide des plus précieuses. Il était toujours là, et il était encore là aujourd’hui. Elle n’avait aucun doute, il ferait ce qu’il fallait. Non, la seule personne dont elle doutait, c’était elle-même. Elle doutait car, pour la première fois de sa vie, elle avait vraiment peur. Peur de tout perdre, peur de mourir et surtout, peur d’échouer et de mener le Val et les siens au désastre. Elle pouvait mourir, elle pouvait tout perdre, mais s’il arrivait malheur à sa famille ou à son peuple, elle ne s’en relèverait pas.

Mon regard oui… mais je ne suis pas si forte. Regardes moi, je suis faible, j’ai peur. Elle ne pouvait pas lui dire cela, elle ne pouvait l’avouer à personne, mais c’était pourtant ce qu’elle ressentait à présent. Sa gorge se serra de nouveau alors qu’elle plongeait son regard qui n’avait plus rien de celui qu’elle arborait lorsqu’ils allaient chasser sur les Terres de Roche Aux Runes. Mais elle parvint à retenir ses larmes et sourit avant de détourner les yeux dans un long soupir censé lui redonner du courage. Elle commença alors à exposer les faits jusqu’au moment où elle parla de Petyr Baelish et que son oncle lui répondit qu’il s’en occuperait.

Elle sourit et replongea son regard dans le sien, il était mêlé de toute l’affection qu’elle avait pour Robar avec toute la détermination dont elle pouvait faire preuve.

__ Inutile. Je sais que tu l’aurais fait, mais je m’en suis déjà occupée, j’espère avoir des nouvelles très bientôt. Et s’il parvient à s’enfuir, des hommes loyaux l’attendent déjà à Goëville, il n’aura pas le temps de faire dix pas. Tu me connais, je ne laisse rien au hasard, surtout pas ma vengeance et la mort d’un traitre. Je ne crois pas avoir jamais sous-estimé un ennemi, et celui-là a réussi à charmer Lysa pour qu’elle tue son époux et il lui a fait miroiter un mariage qui fait de lui le suzerain du val et ne rapporte rien à Lysa si ce n’est un amour que je ne peux pas imaginer sincère. Je le sous-estime d’autant moins, j’aurais même tendance à le craindre. Mais il est désormais dans mon viseur et moi vivante, il ne pourra plus jamais se montrer sans risquer sa tête. Je ne pouvais pas risquer de le voir assister au procès, et encore moins manigancer à la cour pendant que nous tenterons de démêler toute cette histoire. Je ne pouvais pas lui donner l’occasion de se défendre et de remettre la main sur Robin et Lysa. C’était trop dangereux, il devait mourir avant le procès. De plus t’exposer ainsi serait une folie, j’ai trop besoin de toi au Donjon Rouge pour te lancer à la poursuite de Littlefinger. N’aies crainte, son sort est déjà scellé, j’espère simplement qu’il n’a pas eu le temps de corrompre Lord Eddard et le Roi, ou pire.. »


Elle tut ses interrogations sur la loyauté d’Ayianna sur qui reposait une partie de ses attentes. En revanche, elle était certaine que les reitres à son service depuis tant d’années et laissés à Goëville pour trouver les espions et soutiens de Petyr, les empêcher de nuire et intercepter le traitre s’il venait à remettre les pieds au Val feraient leur travail avec zèle.

Par contre Ashara doutait toujours que le document suffise à convaincre l’auditoire, elle craignait qu’on pense que c’était un faux et pourtant, elle n’y était pour rien, et elle pensait Lors Nestor bien trop honorable pour avoir fait ça. Elle espérait que les différents témoignages suffiraient et que Petyr mort, personne ne s’opposerait à elle avec assez de véhémence pour qu’on lui retire la suzeraineté. Mais si tel devait-être le cas, elle n’apprécierait pas, car il s’agissait des dernières volontés de son grand-oncle adoré, mais elle s’y plierait, elle n’avait jamais voulu prendre la place de son cousin. Cependant, depuis qu’elle le voyait tous les jours avec Alys, elle ne pouvait s’empêcher de penser que cet enfant n’était pas fait pour gouverner, sans compter que son état de santé ne garantissait pas qu’il puisse avoir le moindre héritier. Elle craignait, pour lui comme pour le Val qu’il ne soit pas en mesure de tenir la région et de la préserver de ses ennemis intérieurs comme extérieurs et elle doutait qu’il la pardonne un jour d’avoir évincé sa mère. Elle était consciente que le jour où il serait en page de gouverner, elle ne serait plus la bienvenue aux Eyrié, cela peu importait, mais qui le conseillerait alors, et lorsqu’il mourrait, qui prendrait la tête de la région s’il n’avait pas d’héritier ? Une telle chose pourrait bien plonger le Val dans une guerre civile et cela elle ne pourrait pas le tolérer.

Enfin, elle espérait garder sa tête sur ses épaules assez longtemps pour que, éventuellement, elle puisse agir pour qu’aucun drame de la sorte n’ait lieu. Et pour cela, il ne fallait commettre aucune erreur concernant la seconde affaire qui les amenaient à la capitale.

Ashara, désormais debout devant Robar et l’air plus déterminé que jamais acquiesça à la réflexion de son oncle d’un signe de tête et remit son doigt sur sa bouche, elle s’approcha de son oreille et y murmura ses mots :

__ Tu ne dois parler de cela à personne et tu dois absolument te comporter comme si de rien n’était. Je crains que nous ne puissions agir tout de suite, se serait du suicide de s’opposer à eux ici. Mais il existe un enfant légitime, Jon avait promis de le faire monter sur le trône le moment venu, or si je deviens Suzeraine du Val, la parole de Jon deviendra la mienne. »

Elle se redressa et ajouta :

__ En attendant, ne fais confiance à personne, c’est plus prudent. Mais préviens grand-père et Andar si je n'ai pas l'occasion de leur parler. »

Elle rangea tous les documents dans le double fond de sa malle excepté celui signé du sceau de la Main, qu’elle garda à la main. Elle s’assit devant sa coiffeuse et entreprit de se repoudrer un peu et de paraître présentable pour le Roi.

__ Maintenant dis-moi, toi qui es à Port-Real depuis plusieurs mois déjà, quelles sont les nouvelles, quelles sont les rumeurs. »

Evidemment elle se fichait bien de la couleur de la dernière chemise du Prince ou de la dernière catin du Roi, mais elle espérait que son frère ait entendu des bruits sur tel ou tel événement passé présent ou futur. Cela faisait un mois qu’elle était sur ce bateau et n’avait donc reçu aucune nouvelle de l’extérieur. Elle ignorait tout de la venue d’Oberyn, du terrible banquet royal et de l’accident de Myrcella, elle ne savait pas comment allait le Roi, la Reine, les enfants, le Conseil Restreint, Eddard et ses filles. Ni comment la nouvelle de sa venue et de sa prise de pouvoir au Val ou de l’emprisonnement de Lysa avait été accueillie à Port-Real. Elle ne savait rien et maintenant, elle devait savoir, car l'information était la seule chose qui pouvait l'aider...

Ashara était en train de souligner ses yeux d’un trait de khôl quand Robar lui annonça la terrible blessure de la Princesse et elle se retourna brusquement vers lui dessinant un énorme trait sur sa joue. Malgré le fait qu’elle savait désormais que Myrcella était une bâtarde issue d’un inceste et fruit d’une terrible trahison, elle ne parvenait pas à tirer un trait sur leurs années d’amitié. La brune avait toujours trouvé la Princesse d’une gentillesse, d’une bonté et d’une dignité extraordinaire, et en plus elle savait qu’elle était loin d’être idiote, bien qu’encore un peu naïve, ce qui n’avait rien d’étonnant vu son âge. Elle en arrivait même à se demander pourquoi cette enfant si douce et si jolie devrait payer pour les fautes de ses parents. Avec les autres bâtards qu’elle avait eut l’occasion de rencontrer Jon Snow en premier lieu, elle ne s’était jamais posé la question, ils étaient l’infamie personnifiée. Mais là, elle la connaissait et son devoir lui ordonnait d’entreprendre une croisade qui pourrait coûter la vie à la blondinette, tout lui semblait différent. Car si elle méprisait les bâtards, elle n’avait jamais souhaité leur mort pour autant, mais si la bâtardise de la Princesse était révélée au grand jour, quel serait son sort ?

__ Pauvre petite… » Se contenta-t-elle de répondre, sincère, tout en se demandant quoi faire à son sujet, comment essayer de la sauver, malgré le risque que cela comportait. Cette blessure en plus, Myrcella ne méritait pas tout cela, il faudrait qu’elle aille lui rendre visite pour savoir comment elle allait. Mais cette information lui faisait presque oublier l’information la plus importante, à savoir que des gens avaient osé se rebeller au sein même du Donjon Rouge. Ils étaient certainement tous morts à ce jour, mais cela n’était pas un bon présage pour le règne de Robert. En revanche, elle ne fit que peu de cas du destin tragique de l’autre Princesse citée par Robar.

__ Une Targaryen ? Cette race de dégénérés ? Pas étonnant qu’elle se soit crue assez importante pour faire sortir les Martell de Dorne pour sa cause. » Gloussa-t-elle. « Une de moins, cela n’est pas plus mal pour le monde. Mais donc, le Prince Oberyn sera là en même temps que nous ? » Pourrait-il constituer un allié pour eux ? Avec leur haine des Lannister, il y avait fort à parier que oui, mais ces derniers n’aimaient pas d’avantage les Barathéon hélas… Hum… La partie allait être serrée.

Ashara avait beaucoup de respect pour le Prince qu’elle avait croisé il y a quelques années, elle se souvenait qu’à l’époque, il l’avait beaucoup impressionné. A l’époque, elle était nettement moins à cheval sur certains de ses principes actuels, ou peut-être trop curieuse de la culture dornienne pour s’arrêter aux meurs libertaires d’Oberyn. Elle gardait en tout cas un excellent souvenir de cet homme et était ravie d’avoir l’’occasion de le revoir pour une partie de Cyvosse grandeur nature.

Les informations que lui apporta Robar sur ce qui se disait à Port-Real de leur venue étaient utiles, bien que troubles et peu précise. Elle avait les mêmes doutes, Robert et Eddard pouvaient aller dans un sens ou dans l’autre, cela dépendant d’eux de les faire pencher en leur faveur. Mais elle était certaine d’une chose, le Stark était un homme d’honneur et il ferait en sorte que son meurtre soit puni, c’était d’ailleurs en quelque sorte ce qu’elle craignait aussi, elle avait fait une promesse à Brynden et elle doutait de pouvoir la tenir à cause de la personnalité de Robert d’une part et de sa main d’autre part.

__ J’ai besoin que tu informe grand père et Andar, discrètement. Je n’ai pas envoyé de missive pour vous prévenir avant car je craignais que cela vous porte préjudice d’une manière ou d’une autre. Si je n’avais pas réussi à réunir les pièces qui prouvent que je suis de bonne foi, j’aurais pu être accusée de trahisons, et alors ma trahison aurait aussi été la vôtre. Comme je ne pouvais rien vous dire clairement, parce que si le corbeau était tombé entre de mauvaises mains, vous seriez mort, j’ai pensé qu’il valait mieux que personne ne puisse penser que vous aviez eu la moindre information. Je ne pouvais rien vous dire avant d’être certaine que Petyr soit hors-jeu et encore à ce jour, j’ignore si c’est le cas. L‘as-tu vu au Donjon Rouge depuis le début de la lune ? »

Ashara attendit la réponse avec un peu d’angoisse dans ses grands yeux aussi bleus que le ciel d’un clair matin d’été au Val. Elle aimait, elle aussi sa famille plus que tout au monde. Elle avait d’ailleurs voulut préserver Yzilla de tout cela en la laissant aux Portes de la Lune, mais évidemment cette dernière avait fait un caprice pour tout savoir, et la brune n’avait jamais eu la force de lui résister. Maintenant, toute la Maison Royce de Roche Aux Runes était à Port-Real à la merci de leurs ennemis, passés présents et futurs. Elle était morte de peur, et s’il n’y avait eu son devoir envers Jon et Durran et son peuple, elle aurait fui à toute jambe. S’il leur arrivait quoi que ce soit, elle ne s’en remettrait jamais.

__ Je me méfie aussi de Varys car, si j’admire son intelligence je la redoute tout autant et se sera le cas tant que je ne comprendrais pas ses intentions. Et en tant que maitre des chuchoteurs, il aurait si, si ce n’est le contenu de la lettre au moins que vous aviez eu une, il aurait pu s’en servir contre moi, mais aussi contre vous. Sans information et en petit comité à Port-Real vous étiez bien trop exposés pour que je commette la moindre erreur. »

Evidemment elle avait pensé à tous les risques, elle en était parfaitement consciente et elle se serait bien passée de ce problème supplémentaire. Regrettait-elle pour autant d’avoir pris la tête du Val et appris les secrets de Lord Jon ? Pas un instant, car si Lysa était restée au pouvoir, elle n’aurait jamais rien fait, ni pour son peuple, ni pour Durran, ni pour personne d’autre qu’elle-même, son fils et son amant. Cet amant hideux qui lui, elle en doutait de moins en moins, n’œuvrait que pour lui-même, son pouvoir, son renom, sa richesse. Aussi éloigné de l’honneur que possible. Rien que d’y penser elle était prise de nausée…
Mais elle ne pouvait plus faire marche arrière. Elle se déshonorerait si elle oubliait ce qu’elle savait et passait à autre chose. Et pourquoi ? Pour garder le pouvoir ? Pour garder sa place ? Pour garder la vie ? Le pouvoir ne valait rien sans devoir et la vie ne valait rien sans honneur. La seule chose qui la retenait d’agir vite et fort, c’était sa famille. Elle agirait donc autrement. Mais elle agirait, tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre. Car pour elle, l’honneur ne résidait pas toujours dans la manière, mais surtout dans les raisons.

__ J’aurais aussi besoin que vous compreniez, tous, Lyonel et grand père y compris, que nous n’avons aucune chance de gagner cette bataille par l’acier et encore moins dans la hâte. Les manteaux rouges sont trop nombreux à Port-Real pour que nous ayons la moindre chance à moins d’être certains d’avoir le guet et les Manteaux Blancs, ce qui est peu probable. Or, si lui ou elle, se doutent de quoi que ce soit, nous serons tous morts en moins de temps qu’il ne faut pour dire ‘honneur’ et avec nous, tous ceux qui ont la volonté d’aider Durran. Nous ne pouvons pas d’avantage gagner une guerre contre les Lannister, le Val en sortirait exsangue et ruiné. Il nous faut des alliés de poids, il nous faut un plan imparable et il nous faut une patience à toute épreuve. »