La ville était encore plongée dans la pénombre. Ces quelques minutes précédant l’aube, ou le ciel n'est pas totalement noir, mais pas tout à fait claire. La plupart des habitants de la ville étaient encore plongés dans le sommeil, exception faite des travailleurs matinaux. Les maraîchers montaient déjà leurs étals, les poissonniers disposaient la pêche nocturne sur les tables, prêts à le vendre, une douce odeur de pain frais et de viennoiserie chaude s'échappait des sous sols des boulangeries. Au milieu de cette agitation, Elryk avançait d'un pas régulier et assuré. Les cliquetis de son armure rythmaient sa marche autant que le claquement de son épée le long de sa cuisse. Comme à l'accoutumée, son visage était fermé, l'air renfrogné, comme si le moindre petit incident mineur pouvait déclencher une fureur indescriptible. Les rares personnes qui le connaissaient auraient pu affirmer qu'il n'en était rien, et que c'était là son humeur des bons jours, mais ces personnes n'étaient pas là, et les quelques badauds matinaux s'écartaient précipitamment au passage du chevalier, de peur de s'attirer son courroux. Il fit un arrêt à l'intersection de la rue des graines et de la rue de la gadoue, et se paya auprès d'un artisan une boule de brioche bien chaude, sortant à peine du four, contre quelques liards. Elle fondait dans la bouche, et, pendant un instant, l'ombre d'un sourire flotta furtivement sur le visage d'Elryk.

Il reprit sa route d'un pas ferme, militaire, et rejoignit la rue des Soeurs, puis marqua un temps d’arrêt. En levant les yeux vers la colline de Visenya, il put voir sa destination. Le grand Septuaire de Baelor. C'était la première fois qu'il voyait de ses propres yeux cet édifice, et, l'espace d'un instant, il se demanda si des hommes pouvaient vraiment construire des choses comme ça. Les sept tours s'élevaient pour défier le ciel, semblant rejoindre les dieux eux mêmes. Il entama l’ascension de la colline d'un pas toujours aussi régulier, semblant ne pas sentir le poids de sa lourde armure. Malgré l'heure très matinale, il croisa la route de nombreux fidèles, venus comme lui prier en début de journée. Devant les titanesques portes en bois, il se sentit ridiculement petit. L'intérieur du bâtiment était aussi impressionnant que l'extérieur. Sept immenses statues des dieux étaient disposées en cercle, entourées des alcôves funéraires où reposaient les cendres des anciens rois Targaryens.Après avoir salué les religieux qui se trouvaient non loin de lui, Elryk s'approcha de la statue où personne ne priait. Les bougies allumées n'était que très rares, certainement allumées par les septons eu mêmes. Une grande statue qui donnait la chaire de poule. Une créature mi homme, mi femme, le visage caché d'une ample capuche, à la fois effrayant, et attirant, celui que les gens n'avaient pas pour habitude de prier, et dont le nom n'était bien souvent que murmuré. Le chevalier alluma une bougie devant la divinité, et mit genoux à terre pour prier.

Arya dévala les marches sans le moindre bruit. Silencieuse comme une ombre. Le soleil n'était pas encore levé, mais déjà l'horizon se colorait de pourpre. Elle ne disposait que de peu de temps pour gagner la ville avant que la Septa ne vienne la quérir pour une énième leçon de danse.

Que ne pouvaient les nobles du Sud danser comme à Winterfell ! Apprendre les chorégraphies nordiques avait déjà été un suplice, en son temps, et voilà qu'à présent elle devait tout recommencer pour ces Lords frileux. Décidemment, Arya ne les aimait guère. Sous le soleil de la capitale, tout paraissait léger et frivole, et si cela ravissait Sansa, cela avait également le don de la mettre hors d'elle. L'hiver vient, fous que vous êtes. Ils auraient belles figures, leurs apparâts ridicules et leurs robes de soie, une fois l'hiver installé sur le pays. A quoi bon leurs danses gracieuses et leurs joailleries pour lutter contre le froid insidieux?

Elle soupira. Comme Winterfell lui manquait ! Bran, Rickon, Mère... Robb ! Et par dessus tout, Jon. Jon doit être au Mur à présent, songea-t-elle, peut être même a-t-il fini son apprentissage... Etait-il devenu Ranger comme il le souhaitait ? Arya n'en doutait pas. A l'épée, personne ne valait son frère. Il était brave, loyal et savait monter mieux que la plupart des hommes. Oui, il serait Ranger. Peut être même remplacerait-il Oncle Benjen, un jour.

Une ombre furtive capta son regard en même temps que ses pensées. Chat. La bête venait de lui filer sous le nez, s'échappant vers une ruelle anonyme. Arya grimaça. Elle avait promis à Syrio qu'elle travaillerait dur, et qu'elle ramènerait un chat à sa prochaine leçon. A présent qu'elle était sortie du château, elle allait sans doute croiser milles matous, mais il lui faudrait faire vite. Une fois les rues emplies de passant, la chasse ne serait plus envisageable. Sans compter que la Septa aurait alerté Père de son absence...

Arya chassa de ses pensées la punition qui l'attendait si jamais elle ne rentrait pas assez vite. Chaque bleu est une leçon. Elle réfléchit donc à la manière la plus rapide de régler cette affaire. Où trouver des chats... Ses pas l'orientèrent assez rapidement vers le Septuaire de Baelor, près duquel des dizaines de marchands installaient leurs étales. Les chats aussi ont faim, se disait-elle. Elle ignora son propre ventre qui grondait de s'être passé de petit déjeuner et scruta sous les étales. Là.

Je te tiens... Un matou famélique dont le pelage partait par grosses touffes lorgnait les restes d'un poisson tombé dans la goutière. Arya prépara ses mains, plia les jambes, parée à bondir.

-Pousse-toi de là, allez !

Un homme bedonnant la bouscula sans ménagement, la surprenant autant que le vieux chat qui détala sans demander son reste. Arya jura avant de s'élancer à sa poursuite.

Par chance, le matou ne courrait pas bien vite. Il n'avait pas fait vingt mètres que les doigts de la jeune fille se ressérèrent sur lui, arrachant quelques touffes au passage. Arya jubilait. Le chat ne tenta même pas de se débattre.

Tournant les talons pour retourner au château - et dans les temps ! - Arya prit cependant quelques minutes pour observer les prieurs du Septuaire. Elle n'avait pas vraiment compris les subtilités des Septs, préférant amplement se recueillir dans un bois sacré sous l'oeil attentif des anciens dieux. Aussi fut elle grandement impressionnée par les immenses statues qui la surplombaient. Par les statues, mais également par un homme, seul aux pieds de la plus terrifiante d'entre toutes. Ainsi, les colosses aussi priaient ?

Son regard fixé sur le soldat - chevalier ? Arya n'était pas sûre - elle essayait de deviner ce qu'un géant pareil pouvait demander aux dieux. Reflexion qui fut interrompue aussitôt que le dit colosse se tourna vers elle.

En tant que Chevalier, Elryk aurait dut, en théorie, prier le Soldat, voir le Père. Il n'existait que très peu de gens qui osaient adresser leurs suppliques à l'étranger. Pour la plupart, il était symbole de mort, de malheur. Certains même n'osaient jamais murmurer son nom. Le coté mystérieux de cette aspect des dieux avait très vite attiré l'attention du jeune chevalier, alors qu'il n'était encore qu'un enfant. Il avait adressé nombre de prières au Père d'en haut, mais toutes étaient restées sans réponses. Alors il avait décidé de s'adresser à quelqu'un d'autre. Il y avait si peu de monde qui parlait à l'étranger, peut être endenterait il sa voix plus clairement comparé au brouhaha que devait recevoir le père ou le soldat. Depuis toujours Elryk avait ressenti des troubles vis à vis de la religion. Même si l'étranger ressemblait le plus à ses attentes, il sentait au fond de lui qu'il n'était pas encore pleinement satisfait spirituellement. D'ailleurs pouvait on vraiment dire qu'il priait? Il se recueillait, certes, mais c'était plus une sorte de méditation dans un lieu paisible qu'une réelle demande aux dieux. Alors qu'il était plongé dans ces pensées d'ordre religieuses, il eut une étrange sensation. Il avait l'impression d'être épié.

Il tourna alors la tête vers l'entrée du septuaire et son regard se posa sur une gamine., qui se tenait là, dégingandée, droite comme un I, tenant entre ses mains un matou pouilleux. La gosse, elle, ne semblait guère plus propre et soignée. Ses cheveux semblaient sales et emmêlés. Ses vêtements défraîchis, et sans doutes pas de première main. Sans doutes une mendiante des quartiers pauvres de Port Real, culpucier, peut être, qui était venu au marché pour tenter d'escamoter quelque nourriture. Mais cette enfant avait quelque chose de plus que les autres. Habituellement, Elryk avait le don d'inspirer la crainte, si ce n'est l'effroi dans le coeur des gens, particulièrement des enfants, qui généralement prenaient la fuite en le voyant. Mais celle ci, non. Elle était là, ne bougeait pas, et le regardait curieusement, à la limite de l'effronterie. Cela amusa Elryk, et il trouva la jeunot très courageuse pour une gosse de son age. Il se redressa et fit offrande de quelques pièces dans l'urne qui se situait non loin de la statue de l'Etranger.

De son pas martial, il s'avança vers l'entrée du septuaire, en fixant la gamine dans les yeux. Le chat qu'elle tenait dans les bras, lui, avait une réaction à laquelle Elryk était plus habitué. Plus le chevalier s'approchait, plus le félin se débattait, pour essayer de prendre la fuite. C'était divertissant, mais également navrant. Elryk était autre chose qu'une brute sanguinaire, et ça, les gens ne le comprenaient que rarement. Il n'était connu que comme étant le Lord Rouge, dont l'armure était rougie par le sang séché de dizaines d'ennemis, les siens, ou ceux de son seigneur Stannis Baratheon. C'est pourquoi le fait que cette petite ne prenne pas la fuite en le voyant, pas plus qu'en ne le voyant s'approcher du haut de ses six pieds, incita Elryk à faire quelque chose qu'il n'avait pas l'habitude. Arrivé à la hauteur d'Arya, il mit un genoux à terre pour se mettre à sa hauteur et la détailla de ses yeux noirs comme la nuit.

- Hé bien petite... Tu espionne souvent les gens durant leurs dévotions?

Arya ne broncha pas lorsque le colosse s’avança vers elle. Bien sûr, il était impressionnant, et peut être bien plus grand que Père. Pourtant, Arya ne se laissa pas intimider. Tout simplement parce qu’il n’y avait rien dans la démarche, dans le mouvement régulier de ses bras, dans l’expression de son visage, qui prêta à avoir peur. Le chat en revanche, s’agita furieusement. Arya referma sa prise et se contenta d’ignorer les griffes qui déchiraient sa chemise et ses bras.
Arrivé à sa hauteur, le géant s’agenouilla. Même là, il restait de quelques pouces plus grand que la jeune fille. Arya sourit : non, elle n’avait décidemment rien à craindre d’un homme s’agenouillant si facilement.

- Hé bien petite... Tu espionnes souvent les gens durant leurs dévotions?

Loin de rougir, Arya étira son sourire.

-Non. Mais je suis sûre que vous ne priiez pas. Les hommes comme vous ne prient pas.

Le vilain matou devenait intenable. Il crachait et miaulait piteusement. Avec un soupire, Arya le relâcha. Elle le regarda s’éloigner avec une grimace.

-Celui-là n’aurait pas plu à Syrio, de toute manière… se dit-elle à elle-même.

Elle se souvint enfin du colosse qui lui faisait face et reporta toute son attention sur lui.

-Vous êtes très grand, et sans doute très fort. Vous êtes au moins un très bon soldat, sûrement gradé. Votre armure n’est pas forcément belle, mais elle semble efficace. Vous n’avez clairement pas de soucis d’argent pour laisser autant de pièces au Septuaire. Savez-vous d’ailleurs qu’un enfant est en train de les voler ?

Elle observa le gamin à moitié nu récupérer les pièces comme si les dieux eux-mêmes les lui avaient offertes. Pour lui, ce serait un jour de fête.

-Vous étiez devant l’Etranger. Vous le remerciiez pour tout ce qu’il vous a accordé ? Pourquoi pas le Soldat plutôt ?

Décidément, cette enfant ne manquait pas d'audace. Cela plaisait à Elryk. Il se souvenait que lui même, dans son enfance, répondait sans vergogne aux chevaliers adulte. Il avait reçu bon nombre de coup de badine pour son insolence d'ailleurs.

- Un homme comme moi?

Il éclata de rire. Un rire puissant et franc qui résonna sur les les murs du septuaire, emplissant le lieu sacré d'un son qui semblait aux yeux des septons qui le regardait d'un oeil noir comme un blasphème. Les lieux sacrés n'étaient, semble t'il, pas fait pour rire.

- Et quel genre d'homme penses tu que je soit? Mais tu as raison. Je ne priais pas. Je ne faisait que me recueillir un peu. Seuls les lieux comme celui ci offrent le silence et la quiétude que je recherche.

Il écouta Arya le décrire, et ne fut pas surpris du sens de l'observation que possédait cette petite. Les mendiants, surtout aussi jeunes, se devaient d'avoir un sens de l'analyse poussé, afin de pouvoir se trouver aux bons endroits, aux bons moments, pour profiter de la moindre occasion de gagner quelques liards, ou une miche de pain pour se remplir l'estomac.

- Une fois de plus, tu as raison. Je suis chevalier. Ser Elryk Staedmon, épée lige de Lord Stannis Baratheon, frère de sa Majesté Robert.

A chaque fois qu'il déclinait son titre, Elryk se sentait emplis de fierté. Servir Stannis était pour lui le plus grand des honneurs, et son Seigneur savait se montrer reconnaissant envers les hommes qui lui donnait satisfaction. Elryk avait la chance de faire parti de ceux là. Il observa le gamin qui dérobait les pièces dans l'urne. Quand ce dernier vit le regard du chevalier se poser sur lui, il détala sans demander son reste, tenant bien serré dans sa main les quelques pièces qu'il avait escamoté. Bah... Elles lui seront plus utiles à lui qu'au grand septon... pensa t'il. Puis il porta à nouveau son attention sur Arya.

- Je pourvoie souvent la mort au nom de mon Seigneur. Il est selon moi logique de me recueillir devant l'aspect de la mort. Tous les hommes meurent. Je ne fais que les aider un peu. Voila pourquoi l'étranger et non le soldat. Je ne le remercie pas vraiment... Ce que j'ai, je l'ai gagné a force de travail, les dieux ne me l'ont pas offert.

Voila qu'il redevenait aigris envers les divinités. Si le grand septon l'entendait, il hurlerait surement à l'hérésie et tenterait de forcer Elryk à se repentir. Foutus homme d'église. Il se prétend dévot des dieux, alors qu'il ne fait que s'enrichir en se pavanant pourvu de sa couronne de cristal. C'était l'une des raisons pour lesquels Staedmon n'était pas satisfait de la religion des sept. Il détailla un peu plus la jeune fille. Elle était très maigre, chétive même.

- Est ce que tu as faim? Comment t'appelles tu?

Ainsi le colosse était chevalier... Oui, cela collait plutôt bien. Mais épée lige de Stannis ? D'après Père, Stannis était un homme dur, un homme du front, profondemment juste dans ses décisions, mais également dépourvu de toute la chaleur qui faisait d'un homme un être digne d'être aimé. Et Arya voyait assez mal Elryk... Ser Elryk ! servir un homme aussi glacial.

Elle aurait volontier demandé à ce chevalier d'où lui venait cette allégence. S'il avait choisi délibéremment de servir un homme qui, de toute évidence, ne serait jamais Roi que du tas de pierre déserté qu'on appelait Peyredragon. Cependant, la fierté qu'elle entendait résonner dans chacun de ses mots lui fit ravaler cette impertinence, sans pour autant apaiser sa curiosité.

Heureusement pour elle, Elryk - au diable le Ser - poursuivit avant qu'elle n'ait ouvert la bouche. Assassin, comprit-elle. Mais assassin royal..., ce qui, de toute évidence, rendait les meurtres légaux. Arya détestait cette idée, mais se mettre à dos un assassin royal n'était peut être pas le meilleur moyen de poursuivre une existence paisible. Et puis, quelque part, la jeune fille avait du mal à y croire. Un colosse comme lui, se faufiler furtivement dans le dos d'un ennemi de son maître ? Non, ça ne collait vraiment pas. Peut être... peut être parlait-il de morts sur le champ de bataille ? Mais cela faisait des années et des années que Stannis n'était entré en campagne.

Elle décida finalement que cela n'avait aucune sorte d'importance. Quoi qu'Elryk puisse être, il ne lui ferait pas de mal. C'était à elle de décréter ce qu'il serait pour elle. Pas un lâche assassin.

Arya ne croyait pas non plus aux cadeaux des dieux. Sinon, pourquoi l'avoir faite fille ? Non, les dieux se jouaient bien du destin des hommes. Et ils devaient bien rire, où qu'ils soient, de toutes ces fourmis ridicules grouillant à leurs pieds, implorant leur pardon, demandant leurs grâces, avides de leurs jugements... Elle fut sortie brutalement de ses pensées :

- Est ce que tu as faim? Comment t'appelles tu?

Arya se mordit la lèvre. Pour sûr que "Arya Stark de Winterfell" ne sonnait pas très bien en ces circonstances. Pas encore. Son ventre répondit bruyamment à sa place concernant la prise d'un petit déjeuner. Elle se contenta d'un sourire d'excuse et ajouta :

-Je suis Arya.

Mensonge... lui rappela sa conscience. Demi vérité, se rassura-t-elle mentalement. En ne dévoilant que son prénom, son véritable prénom, elle assurait une partie de la vérité. Libre ensuite au chevalier d'en tirer les conclusions nécéssaires... Arya n'aimait pas tellement cette méthode, mais elle restait trop méfiante pour dévoiler ses allégences au premier venu.

En entendant le ventre d'Arya gronder sa faim, Elryk eut un pauvre sourire. Cette enfant était affamée. Au cours des batailles qu'il avait mené auprès de son seigneur, il avait lui même contribué à faire de nombreuses veuves et orphelins. Il avait indirectement plongé de nombreux enfants dans la misère. De même, il avait souvent croisé dans les rues des mendiants, réclamant quelques nourriture. Mais aucun ne s'était directement adressé à lui. Comme souvent, les gens fuyaient à son passage. Il s'était montré indifférent à cette misère, la laissant glisser sur lui. Mais voir cette jeune fille devant lui, osant lui adresser la parole, remplissait Elryk d'un sentiment qu'il ne savait définir. Tristesse, regrets, aversion pour ce qu'il avait fait. Devant cet enfant, il n'avait soudain qu'une envie. Lui offrir une belle journée.

- Moi aussi j'ai un peu faim.

Il se redressa et avança de quelques pas vers les escaliers en direction du marché avant de tourner la tête vers Arya.

- Tu viens?

S'assurant que la petite lui emboitait le pas, Elryk descendit les marches du septuaire. La place du marché était maintenant agitée de mille bruits. Les clients négociaient avec vigueur leurs produits aux vendeurs, les maraîchers criaient, vantant la fraicheur de leurs produits, les enfants se pourchassaient à travers les étalages en riant aux éclats, tous discutaient bruyamment. Il s'arrête auprès de plusieurs vendeurs. D'abord, il acheta une belle miche de pain encore chaude et croustillante. Il la tendit à Arya.

- Tu me tiens ça?

Il s'arrêta ensuite pour acheter quelques harengs fumés, et enfin une belle poignée de bacon grillé dont l'odeur de graisse chaude aurait pu ouvrir l’appétit à n'importe qui. Les bras chargés de victuailles, accompagné d'Arya, il alla s'assoir sur un des parapets de la colline de Vyseria, d’où l'on pouvait voir la baie de la Nera. Il rompit la miche de pain en deux, et en donna la moitié à la jeune fille, et croqua à pleine dents dans une tranche de bacon. Ce faisant, il accomplissait l'antique rituel du pain et du sel, mettant ainsi aux yeux des dieux Arya sous sa protection. En mâchant, il regardait vers la baie. Au loin on pouvait apercevoir Peyredragon, tache sombre à l'horizon. Il aurait eu envie de faire la conversation, mais il ne savait pas vraiment quoi dire. Il ne devisait déjà pas avec les autres chevaliers, encore moins les femmes qui le mettaient mal à l'aise, alors une enfant? Qu'aurait il bien pu dire pour intéresser cette petite?

Elryk l’entraina dans les rues marchandes et ne lésina pas sur les victuailles. Arya salivait sous le fumet de ce qu’elle portait à présent presque à bout de bras. Le guerrier la mena ensuite à travers des ruelles inconnues de la jeune fille. Jusqu’à ce qu’ils débouchent…

Arya retint une exclamation. La vue était magnifique. D’où ils étaient, ils dominaient la ville, et pouvaient admirer à loisir la baie de la Nera. Arya était bluffée.

Elryk lui tendit sa part mais elle n’y prêta guère attention. Ses yeux se repaissaient pour son ventre.

-C’est magnifique, lâcha-t-elle finalement.

Cette vue lui rappelait celle dont elle pouvait jouir en suivant Bran sur le toit de la plus haute tour de Winterfell. Ce moment où l’on pouvait se sentir dieu, au sommet du monde. Une moue discrète tordit ses lèvres. Bran… Bran qui ne pourrait plus jamais grimper.

Elle mordit finalement dans le pain, et le croustillant de la croute lui rendit le sourire. A côté d’elle, le géant dévorait.

-C’est Peyredragon ? demanda-t-elle en piochant dans le bacon.

La petite tâche noire se découpant à l’horizon aurait très bien pu être le château méconnu d’un Lord quelconque. Elle espérait néanmoins ne pas avoir vexé le colosse si tel était le cas. En fait, elle n’était plus sûre de son orientation. Si le donjon rouge était de ce côté, sachant qu’elle venait du Septuaire et que la Nera roulait à ses pieds… Pour son grand soulagement, Elryk acquiesça.

-Il parait que ses murs sont montés par des milliers de gargouilles, poursuivit-elle, et que chaque gargouille renferme l’âme d’un homme mort dans la douleur. Ce serait pour cela que les gargouilles seraient si laides.

Elle s’interrompit un moment, imaginant le château légendaire dont elle n’avait vu que de vagues croquis dans les livres poussiéreux de Mestre Luwin. Il devait vraiment être immense, pour qu’on puisse l’admirer depuis Port-Réal.

-Mais c’est idiot, reprit-elle, il n’y aura jamais assez d’un château couvert de gargouilles pour renfermer les âmes de tous les hommes morts dans la douleur.

Elle piocha enfin dans les harengs. Ils étaient délicieux.

HRP:

Il mastiquait lentement sa tranche de bacon. Durant un instant, ses pensées dérivèrent, comme c'était souvent le cas. Ses yeux étaient fixés sur Peyredragon, mais son coeur était tourné vers Broad Arch. Il n'y était plus allé depuis si longtemps. Presque vingt deux ans maintenant. Il n'avait plus du tout de nouvelles de sa famille. Est ce que père allait bien? A quoi ressemblait William maintenant? Il devait être un homme dans la force de l'age, et devait certainement diriger Broad Arch à la place de père qui prenait certainement une retraite bien mérité. Même en se concentrant si fort, il avait du mal à se souvenir de son lieu de naissance. Il avait passé plus de temps à Accalmie, et plus encore à Peyredragon. Ce petit point noir à l'horizon.

- C'est Peyredragon? demanda Arya.

Cette question le fit quitter ses pensées, et revenir à l'instant présent. Il avala le bacon qu'il avait en bouche avant de répondre.

- Oui. C'est la forteresse de Peyredragon. C'est là que j'ai grandis, auprès de Lord Stannis.

Il avala un hareng avec un morceau de pain en écoutant Arya parler des gargouilles de Peyredragon.

- Oui, les murs de la forteresse grouillent de gargouilles difformes, arborant des têtes de Manticores, de Griffons, et autres Minotaures, pour remplir d'effroi le coeur des attaquants. Mais je ne pense pas qu'elles contiennent des âmes torturées. Mais tu devrait voir le reste du chateau. Chaque partie, les forges, les cuisines, est sculptée en forme de dragon. Certains disent même qu'il s'agit là de vrais dragons fossilisés à l'ombre du volcan qui domine l'île. Mais je n'en suis pas convaincu.

Il engloutit une nouvelle tranche de bacon, puis sortit du manchon de son armure une longue pipe en bois et une petite blague à tabac. Il entreprit de bourrer sa pipe et l'alluma avec un petit briquet d'amadou. Il tira a plusieurs reprise pour bien l'allumer et relacha dans l'air un rond de fumée bleutée. Bien que la chose ne soit pas très répandue dans les sept couronnes, Elryk aimait fumer la pipe. Cela le détendait et lui procurait un goût agréable en bouche.

- Et toi? D'où est ce que tu viens ma jeune amie? Où as tu grandit?

Arya sentit son coeur bondir à l'évoquation des dragons. Depuis toute petite, elle éprouvait une véritable fascination pour ces êtres légendaire. Bercée par vieille Nan et ses contes fantastiques, elle avait appris par coeur le nom de chaque dragon ayant vécu, sa taille, ses exploits. Mestre Luwin avait d'ailleurs déploré qu'elle ne mette pas autant d'acharnement à mémoriser blasons et mots des grandes familles de Westeros et d'ailleurs.

Mais à présent, loin des dragons, l'attention de la jeune fille était toute tournée vers l'étrange instrument qu'Elryk venait de sortir de son manchon. C'était une sorte de long bout de bois, se finissant un peu comme une cuillère. Elle regarda avec curiosité le guerrier mettre du tabac au creux de la cuillère, puis y mettre le feu. Arya toussota de surprise en respirant la fumée malodorante.

-Ca sent mauvais ! lâcha-t-elle entre deux quintes, Comment pouvez-vous respirer ça ?

Elle toussa encore quelques minutes avant de s'habituer aux légères volutes qui l'entouraient. Décidemment, quelles drôles de manies avaient ces gens du Sud !

- Et toi? D'où est ce que tu viens ma jeune amie? Où as tu grandit?

La question la prit au dépourvu. Cette fois, plus de pirouette possible, il faudrait mentir ou rêvéler. Mentir lui permettrait de rester Arya l'orpheline, le rebelle rat d'égout affamé qu'Elryk semblait voir en elle. Quant à dire la vérité... Elryk se sentirait obligé de se répendre en courbette et de la mener à son Père... Arya hésita un long moment avant de lâcher :

-Je suis Arya Stark de Winterfell. J'ai grandi dans le Nord.

Devant la mine déconfite d'Elrik, elle s'empressa d'ajouter :

-Mais je peux très bien rester Arya tout court ! Je ne suis pas une Lady, je suis...

Elle repensa au chat famélique qu'elle avait tenu à peine une heure auparavant.

-Un chat sauvage.

Elle aurait tout donné, en cet instant, pour que le regard surpris du guerrier se change à nouveau en amitié complice. Elle ne voulait pas que sa naissance n'érige encore des barrières entre elle et les autres. A Winterfell, elle avait appris à vivre au même niveau que n'importe qui, à faire son feu seule, à mériter le respect par son attitude et non par son titre. Suivant les croyances de son père, elle avait presque réussie à être acceptée sans M'Lady qui tiennent auprès des autres enfants.

En arrivant à Port-Réal, elle avait tout perdu. Et en cet instant, elle ne désirait rien de plus que de retrouver cette quiétude...

-Ca sent mauvais ! lâcha-t-elle entre deux quintes, Comment pouvez-vous respirer ça ?

Il esquissa un léger sourire. Il avait commencé à fumer la pipe il y a quelques années. Outre le gout agréable que cela lui laissait en bouche, c'était devenue une véritable habitude. Le mouvement, le rituel de préparation, la sensation d'apaisement que cela lui procurait...

- Une fois qu'on y est habitué, c'est très agréable, et très relaxant. De plus, ça aide à une bonne digestion. C'est très à la mode dans les citées libres. Il paraît qu'à Tyrosh, le fumage de la pipe est un art à part entière, et qu'aucune discussion importante, que ce soit négociation ou dialogue de paix, ne se fait sans que l'atmosphère soit embrumé de fumée.

Elryk s'attendait à beaucoup de chose en posant sa dernière question. Il était prêt a entendre le récit de la triste et misérable vie de cette enfant. Les malheurs qu'elle avait connu. Certainement la perte de ses parents. Mais il ne s'attendait pas du tout à la réponse qu'elle lui donna.

-Je suis Arya Stark de Winterfell. J'ai grandi dans le Nord.

Pendant un instant, il perdit de sa superbe, et manqua de s'étouffer avec la fumée qu'il venait d'aspirer. Il toussa pendant quelques secondes avant de se reprendre. Il prit le temps de tirer une longue bouffée sur sa pipe et d'analyser cette information. Ainsi cette gosse, qu'il prenait pour une mendiante, et à juste titre, elle en avait tout l'air, était en fait une dame. La fille de Ned Stark, la main de sa majesté Robert. Il aurait pu trouver cela étrange que cette petite agisse de la sorte, au lieu d'être tranquillement assise aux cotés d'une septa frigide, en train d'apprendre les différents points de broderie, ou comment faire la révérence devant tel ou tel noble. Mais au fond de lui, il la comprenait. Quel plaisir pouvait on trouver dans la mièvrerie et les faux semblants de la cour?

- Arya Stark de Winterfell.

Il éclata de rire, un rire si fort, si puissant, que les badauds aux alentours lui lancèrent un regard à la foi effrayé et offusqué. Mais il n'en avait cure.

- Je suppose que je devrait alors faire des courbettes et te ramener auprès du seigneur ton père.

Il vit que le visage de la jeune Stark se renfrognait.

- Mais je ne pense pas que je le ferais. Je ne suis pas de ces précieux petits chevaliers qui iraient lécher les bottes de la Main pour s'attirer ses bonnes grâces. Après tout, si tu es ici, dans cette tenue, à chasser les matous, tu dois bien avoir une raison. Qui suis je pour la contester?

Cette petite lui plaisait. Après tout, lui même dans sa jeunesse ne s'était jamais plié aux règles de l'éthique et de la bienséance. Il sentait en Arya ce même esprit de rébellion qui l'avait lui même poussé à nombre de bêtises et de confrontation. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire franc et amical tandis qu'il tapotait sa pipe contre le parapet pour en faire tomber le tabac qui était maintenant entièrement consumé.

Au plus grand soulagement d'Arya, Elryk finit par éclater de rire. C'était assez étrange, mais elle avait l'impression qu'il la comprenait. Son discours, en tout cas, était très respectueux de ses choix et ne semblait pas porter de jugement. Pour sûr, il n'allait pas la ramener à son Père, et c'était déjà l'essentiel.

Arya esquissa un sourire à son tour. Elle allait ajouter quelque chose, lorsque les immenses cloches de bronze du septuaire résonnèrent à travers la ville. Arya compta discrètement. Non ! Cela ne se pouvait !

-Dix heure... bredouilla-t-elle.

Elle n'avait pas vu le temps passer. La course aux chats, le septuaire, le marché, ... Elle avait pourtant l'impression que leur entrevue n'avait duré que quelques minutes.

Arya se leva, une boule dans le ventre ; Père allait être furieux. La septa devait l'avoir averti depuis une bonne heure déjà. Peut être même avait-il lancé Jordi à sa recherche. Et nul doute que Sansa se réjouirait des remontrances qu'elle allait devoir subir. D'ailleurs, serait-elle sermonée en public ? Arya fit une moue discrète. Autant elle pouvait supporter les mots durs de son père assez facilement - bien que le décevoir mettait toujours sa conscience en alerte - mais elle se passerait volontier d'un lynchage en place publique. Elle lança finalement un regard désolé au guerrier ; elle allait devoir partir. Elle ouvrit la bouche pour lui dire au revoir... la referma.

Après tout, qu'est-ce que cela pouvait bien changer ? Dix heure, ou midi, ou même ce soir. Père la punirait de toute façon. Pourquoi ne pas en profiter ? Elle releva la menton et se rassit. Sans retenue, elle évalua le guerrier. Il était grand, très bien bâti, certainement très fort. Cependant, il lui semblait aussi sentir en lui une certaine fluidité. Oh, bien différente de celle de Syrio, son maître à danser, mais tout de même. L'homme qui se tenait devant elle n'était pas qu'une grosse brutasse sans cervelle. Elle l'imaginait assez bien allier force et souplesse pour défaire les plus grands chevaliers. Une lueur malicieuse s'était allumée dans son regard.

-Pouvez-vous m'apprendre à me battre ?

Les cloches du septuaire résonnaient dans toute la ville. Une nuée de moineaux effrayés prirent leur envole et survolèrent l'improbable duo. Il était dix heures, la matinée était déjà bien entamée. Mais après tout, Elryk était en vacances. Il n'avait rien de particulier de prévu. Peut être irait il boire un une choppe dans une taverne un peu plus tard, et s'offrir un festin en guise de déjeuner. Il remarqua l’embarras d'Arya. Il se doutait bien qu'une jeune fille de noble, surtout la fille d'Eddard Stark, main du Roi, devait avoir un emploie du temps plus que chargé, et que des sanctions seraient prises si elle ne le respectait pas. C'est ce que semblait penser la petite également, bien qu'elle décida de se rassoir après une courte réflexion.

Il constata que sa jeune amie était en train de le dévisager de haut en bas, de le détailler sans la moindre retenue. Avait il fait tomber un morceau de hareng sur son armure?

-Pouvez-vous m'apprendre à me battre ?

Voila qui ne manquait pas d'audace. Au cours de sa carrière, Elryk avait eu quelques écuyers, et aucun n'avait tenu le rythme. Et voila que cette petite, une noble qui plus est, lui demandait de la former aux armes? Elle n'avait pas froid aux yeux, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle ne s'embarrassait pas des conventions et des usages. De sa propre initiative, il aurait répondu oui. Mais ce n'était pas le genre de décision qu'il était autorisé à prendre seul.

- Ma foi pourquoi pas? Tu n'es pas bien robuste, mais tu as l'ait très vive et agile, et ça c'est important. Cependant, je ne peux pas décider seul. Il me faut l'accord du seigneur ton Père, et tu dois admettre que c'est une demande tout a fait particulière pour une jeune fille issue de la noblesse. Sans l'autorisation de Lord Eddard, tu imagine ce que me feraient les gardes en me voyant lever l'acier contre la fille de la main de roi?

Il esquissa un large sourire en imaginant une horde de tous petits gardes essayant de l'arrêter.

- Mais je ne suis pas contre l'idée. J'ai beaucoup de temps libre en ce moment, et ta compagnie m'est agréable. Autant en profiter. Ceci étant, tu ferais bien de retourner à où tu es sensée être. Il serait dommage que tu soit punie pour un retard donc je suis la cause, et qu'à cause de ça nous ne puissions croiser le fer.

Le géant se leva et glissa de nouveau sa longue pipe en bois dans le manchon de son armure. Il réajusta son baudrier et regarda une dernière fois Peyredragon, à l'horizon.

- Au revoir, Arya petit chat. Et j’espère à bientôt. Pour me recontacter, demande aux manteaux d'or. Ils savent où me trouver.

Elryk reprit son chemin, s'éloignant de la place où ils avaient mangé. Décidément, cette matinée commençait bien...

Arya s'attendait à tout sauf à la réponse qu'Elryk lui rendit dans un large sourire. Elle était tout à fait ravie qu'il accepte... un peu moins qu'il n'exige l'accord de son Père. Elle réfléchit un instant ; était-ce faisable ? Une première intuition lui souffla que non. Mais Père a bien mandaté Syrio, se rappela-t-elle. Et Syrio devra bientôt s'absenter.... Soudainement, elle considérait comme une aubaine et non comme malchance le voyage de son maitre à danser. Peut être, oui, peut être que cela allait lui permettre de découvrir un nouveau style, d'améliorer sa force. Peut être que l'enseignement d'Elrik serait un excellent complémentaire de celui de Syrio...

Elryk se leva. Il allait partir:

- Au revoir, Arya petit chat. Et j’espère à bientôt. Pour me recontacter, demande aux manteaux d'or. Ils savent où me trouver.

Les manteaux d'or... Arya n'aimait guère s'y frotter. Mais soit. Pour Elryk, elle ferait un effort. Resterait à convaincre Père. Ou bien de dire à Elryk que j'ai convaincu Père... pensa-t-elle malicieusement.