Ce matin là, Elryk s'était levé avant l'aube. La veille, dans une des nombreuses tavernes de la ville, il avait sympathisé avec quelques membres des Manteaux d'Or qui patrouillaient dans le quartier. Ces derniers avaient invité le jeune Chevalier à venir s'entraîner dans la cour du Donjon Rouge. Elryk en avait été ravis. Un peu d'entrainement lui ferait le plus grand bien. Il y avait quelques jours qu'il n'avait pas dégainé son acier. Depuis des années il ne s'était pas reposé. Lord Stannis lui avait donné une semaine de quartier libre. Peyredragon a beau être une forteresse magnifique, bien que tout à fait lugubre, les activités se faisaient rares, c'est pourquoi Elryk avait décidé de prendre une navette pour passer son temps libre à Port Real. Et depuis qu'il était arrivé en ville, il n'avait pas eu l'occasion de croiser le fer, même amicalement. Le fracassement de l'acier contre l'acier lui manquait un peu. C'est pourquoi il avait accepté avec beaucoup d'enthousiasme la proposition des gardes, qui lui avait assuré que Janos Slynt, le capitaine des manteaux d'or, n'y verrait aucun inconvénient.

Ce matin là donc, Elryk avait ouvert les yeux avant que le moindre coq ne pousse son cri. Il était descendu dans la salle commune de l'auberge où il logeait pour son séjour à la capital, et avait pris un copieux petit déjeuner fait de pain, d'une énorme pile de bacon, d'une demi douzaine d’œufs, et d'autant de poisson frais. Un repas qui aurait pu nourrir une famille entière, mais qui était tout ce qu'il y a de plus normal chez Elryk. Il avait toujours eu un appétit démentiel, mais n'avait jamais grossis, l’Étranger soit loué pour ça. Il semblait prendre toute l'énergie de la nourriture, mais rejeter tout le gras. Tant mieux. Il laissa une pièce sur la table pour payer son repas et remonta dans sa chambre se préparer. Il laissa son armure sur son chevalet. Il n'en aurait pas besoin pour un simple entrainement. Il opta plutôt pour des chausses de cuir noires lacées sur les cotés, une paire de bottes en cuir de même couleur, et une tunique également noire faite de lin. Vêtu de cette couleur, il ressemblait à s'y méprendre à un frère juré de la garde de la nuit. Il boucla autours de ses hanches son ceinturon sur lequel était attaché son épée. Une épée bâtarde qui n'était pas de toute jeunesse, et ne possédait aucun artifice comme la plupart des armes des nobles. Il ne lui avait même pas donné de nom, alors que cette pratique était à la mode chez les Chevaliers voulant se tailler une réputation. Il sortit de l'auberge et se mit en route vers la colline d'Aegon.

A l'entrée du Donjon Rouge, il n'eut pas de mal à passer les gardes. En effet, en tant qu'épée lige de Lord Stannis Baratheon, frère de sa majesté Robert, son visage n'était pas inconnu dans la capitale. Bien que souvent, on le considérait comme l'ombre morte de Stannis, aussi peu souriant que son Seigneur, et encore moins avenant si cela était possible. Et même s'il y avait quelque temps que Stannis n'était plus revenu à Port Real pour assister aux conseils restreints du Roi, auxquels ce dernier n'assistait pas plus d'ailleurs, Elryk avait encore ses entrées, et les gardes le connaissaient. Difficile en effet d'oublier quelqu'un qui pouvait regarder le célèbre Limier de haut. Il arriva dans la grande cour de bonheur, mais les soldats qui l'avaient invité étaient déjà présents. Ils se saluèrent chaleureusement, et discutèrent de tout et de rien pendant une bonne demi heure avant de commencer l'entraînement. Malgré le froid matinal, Elryk ôta sa tunique et se retrouva torse nu. Le voir ainsi le rendait encore plus impressionnant que lorsqu'il portait son armure. Sa taille colossale, la puissance qui se dégageait de sa musculature, le calme froid et déterminé qu'exprimait son visage, tout en Elryk était fait pour faire de lui une machine à tuer efficace et redoutable. Ses longues et fines tresses de cheveux qui partaient du haut de son crane retombaient en cascade jusqu'en bas de son dos. Ça et là, il arborait une cicatrice, souvenir de telle ou telle bataille. Il déboucla son ceinturon et pris son épée avant de jeter le fourreau avec sa tunique, et l'entraînement commença.

Après plusieurs heures de combat acharné, de passes d'armes, qui bien souvent s'étaient terminé en pugilat, les guerriers prirent une pause. Les manteaux d'or semblaient épuisés, Elryk étaient assez fatigué, mais semblait pouvoir tenir encore un moment. Sous l'effort, une fine pellicule de sueur recouvrait ses épaules et son torse. Il accepta volontiers une outre de vin que lui tendait l’on des gardes et en but une grande rasade. Cela ne désaltérait pas vraiment, mais au moins il n'aurait plus la gorge sèche. Il rendit la gourde a son camarade, et sentit une main tapoter sur son omoplate. Son omoplate, parce que peu de monde était capable de véritablement lui tapoter l'épaule. Il se retourna et tomba nez à nez avec une jeune femme brune. Elle était vêtu simplement, ce n'était donc pas une femme de la cour. Sans s'en rendre compte, son visage s'empourpra et prit rapidement une couleur qui aurait fait pâlir d'envie les Tyrell et leurs roses rouge.

- Heuuu... Je... Vous... Enfin... Heuu... Ou... Oui?

En un instant, le char d'assaut, le colosse sanguinaire, la preux chevalier, tous disparurent pour ne laisser place qu'à un simple bonhomme totalement désemparé devant cette frêle jeune femme qui faisait la moitié de sa taille, et certainement de son âge. Sous le regard goguenard des manteaux d'or qui prenaient plaisir a voir celui qui les avait battu à l'entraînement devenir aussi inoffensif que le prince Tommen, il fit tomber maladroitement son épée qui frappa le sol dans un fracas de métal. Devenant plus rouge encore, si cela était possible, il recula d'un pas et se pencha maladroitement pour la ramasser, espérant que cette bonne femme ne le mettrait pas plus dans l'embarras qu'il n'était déjà.

- Le.. Les... Les cuisines?

Sérieusement? Les cuisines? Est ce qu'Elryk avait l'air d'un serviteur? Il n'avait jamais mis les pieds dans les cuisines du Donjon Rouge. Il avait toujours pris ses repas à table. Au pire, un serviteur lui apportait une collation quand il avait faim en dehors des repas, c'est à dire souvent. De plus, il n'était venu que très rarement en ces lieu, et, à chaque fois, il arrivait à se perdre dans les dédales de couloirs en voulant trouver sa propre chambre. Alors un endroit qu'il n'avait jamais vu... Il se doutait que les cuisines devaient se trouver au sous sol, comme c'était l'habitude dans les grandes demeures, mais où précisément, aucune idée.

- Je... Bin en fait heu... J'en sais rien...

Il prit le temps de regarder avec plus d'attention le petit bout de femme qui se dressait devant lui. Brune, jeune, petite, comme presque tout le monde face à Elryk, un air taquin et les yeux brillants de malice. C'était la première fois qu'il la voyait. Un regard furtif a ses compagnons lui indiqua qu'aucun n'était insensible au charme de cette jeune femme. Elle était physiquement très attirante. Mais même s'il était capable d'aligner plus de deux phrases, elle restait une roturière. Les gardes n'en auraient eu cure, mais c'est ce qui différenciait les gardes des chevaliers. Toujours était il qu'il ne pouvait pas l'aider à trouver son chemin.

- Aider? Oui... Heu... Oui, je peux... Mais trouver...cuisine... enfin... Sais pas...

Il lança un regard de détresse à ses camarades en espérant qu'ils arrêteraient de rire bêtement en le voyant dans cette situation. Mais visiblement ces imbéciles préféraient le voir dans l’embarras.

Comment cela était il possible? Elryk avait connu les champs de bataille. Il avait croisé le fer avec les soldats Targaryens lors de la prise de Peyredragon. Il avait affronté les redoutables Fer Nés lors de la rébellion Greyjoy. Il avait occis des dizaines et des dizaines d'ennemis. Leur sang avait fini par recouvrir son armure, lui valant le surnom de Lord Rouge. Il avait regardé la mort droit dans les yeux sans sourciller, et pourtant, devant cette jeune marchande, il était incapable de croiser son regard. Pire encore, en essayant de fuir son regard, ses yeux s'égaraient sur son décolleté, ce qui le faisait rougir de plus belle. Non c'était trop stupide. Il prit son courage a deux mains et s'éclaircit la gorge.

- Hmm.

Il ouvrit la bouche pour parler et resta quelques instants bouche bée. Il se rendit compte qu'il avait certainement l'air stupide avec la bouche béante et la referma. Il esquissa un sourire timide et se retourna vers les gardes.

- Vu comment ces messieurs se sont battu comme des fillettes, je pense qu'il doit leur rester assez de force pour nous aider avec votre chargement. Et puis Lucius, vu que tu es assez étoffé du bas ventre, je suppose que tu connais bien le chemin de la cuisine non?

Il prenait sa revanche sur les rires moqueurs. Le dénommé Lucius se renfrogna mais acquiesça néanmoins. Même s'il était drôle à voir devant une femme, personne ne voulait s'attirer le courroux du géant. Devant cette reprise de contrôle, Elryk reprit un peu de confiance en soi. Il s'approcha de ses affaires et ramassa son ceinturon, puis rengaina son épée. Il prit un linge propre qu'il utilisa pour essuyer la sueur qui luisait sur ses épaules. Malgré sa stature colossale, ses gestes étaient fluides et gracieux. Il enfila sa tunique et boucla son ceinturon. A l'aide d'un ruban de soie blanc, il rassembla ses tresses et les attacha en une unique queue de cheval. Il se dirigea vers la charrette de la marchande.

- Allez les gars.

Les soldats rangèrent leurs armes et vinrent prendre des caisses de marchandise. Elryk, quand a lui, prit assez de caisses pour cumuler deux fois le poids que devait peser Victaria. Avec un sourire maladroit mais amical, il invita la jeune femme a le suivre. Ils s'engagèrent tous dans un couloir, en direction des cuisines. Le silence était pesant, seulement coupé par le martellement régulier des bottes sur le sol de pierre. Elryk marchait aux cotés de Victaria. Malgré la charge qu'il avait dans les bras, il semblait ne pas éprouver la moindre difficulté ou fatigue.

- Et heu... Vous habitez Port Real Madame?

Question des plus banales. Mais elle était préférable au silence qui régnait.

Les couloirs du Donjon Rouge ressemblaient à un dédale tout droit issu de l'esprit d'un architecte dément. Il était très facile de s'y perdre et d'errer pendant des heures à la recherche du bon chemin. Malgré le fait qu'il était souvent venu en ces lieux, Elryk devait reconnaitre qu'il s'était égaré de nombreuses fois, et qu'il avait souvent du demander son chemin à un garde ou un serviteur. Parfois même pour retrouver sa chambre quand il logeait au palais. Il lui semblait que les couloirs qu'ils empruntaient étaient légèrement en pente. Cela semblait logique. La plupart du temps, les cuisines se trouvaient dans les sous sols.

- Marchande itinérante? Vous devez en voir du pays. Il vous arrive de quitter Westeros?

Puis, d'un ton plus bas, comme s'il se parlait à lui même.

- J'aimerais tant voir Volantis et son temple de...

Il secoua légèrement la tête. Il regarda la jeune fille et tenta d'esquisser un sourire. Il réajusta sa prise sur les caisses de nourriture.

- Moi? Je suis originaire des Terres de l'Orage également. Mais je vis à Peyredragon. Je suis Ser Elryk Staedmon, épée lige du Seigneur Stannis Barathéon.

Il n'aimait pas trop décliner ses titres. Il estimait que la mesure d'un homme se jaugeait par ses actes, et non ses titres, bien souvent hérités sans rien faire. Tout ce qu'il avait, Elryk l'avait obtenu au fil de l'épée et à la sueur de son front. Plongé dans ses réflexions, le géant manqua de rentrer dans le garde qui le précédait. Ils venaient d'arriver aux cuisines. Une horde de grouillaux prit le relais et déchargea toutes les provisions. Elryk se posta à l'entrée et attendit que la tache soit terminée pour escorter Victaria hors du Donjon Rouge. Il avait pris la responsabilité de la faire entrer, il devait en être responsable jusqu'à son départ.

Elryk attendit patiemment que les serviteurs des cuisines déchargent les marchandises. Il observait attentivement Victaria. Ce petit bout de femme savait diriger une équipe. Elle faisait la moitié de sa taille, mais ne manquait pas de caractère et savait exactement ce qu'elle voulait. Si elle avait pu naître homme, elle aurait fait un excellent capitaine. Lorsque la jeune femme eut terminée et revint a lui, il lui fit signe de passer devant. Il se tourna vers les gardes, et leur lança un cerf d'argent.

- Merci les gars. La première est pour moi ce soir. Amusez vous bien.

Il reporta son attention vers Victaria et lui emboita le pas dans les couloirs.

- Vous savez, je suis l'épée lige du seigneur Stannis, pas son bouclier lige. Mon devoir n'est pas d'être à ses cotés en permanence. Voyez moi comme son bras armé. Le bouclier protège, l'épée frappe. Mais je suis ici pour le plaisir. Des amis à voir à la capitale.

Maintenant qu'il avait fait le chemin dans un sens, retrouver les couloirs qui menaient vers la grande cour s'avérait plus facile. Cela pourra lui être utile à l'avenir, s'il advenait qu'une nuit il ai un petit creux.

- Si votre commerce vous rapporte assez, vous pouvez louer une bonne épée dans toute grande ville des sept couronnes. J'ai connu quelques mercenaires qui pouvaient rivaliser avec moi l'épée à la main. Le seul inconvénient des mercenaires, c'est que leur loyauté va à la bourse la plus lourde.

Ils étaient arrivés dans la cour. Quelques gardes faisaient leur ronde, mais a part ça le calme régnait.

- Nous y voila. J'espère ne pas vous avoir retardé dans votre travail. Peut être à l'occasion... Enfin...

Elryk redevint aussi rouge qu'une tomate.

- Si vous avez le temps... Un jour si... Enfin bien sur... Si vous... Si vous le désirez... Peut être qu'éventuellement... Vous pourriez vouloir... Vous savez... Boire un verre?...