Talla était à Hautjardin depuis près de deux lunes et elle s’y plaisait toujours autant, toutes les fois où elle était venue avant, elle n’avait pas eu le temps d’en apprécier autant la beauté paisible, le calme et l’atmosphère riche et sereine à la fois. Elle passait le plus clair de son temps avec Margaery, comme son devoir le lui imposait puisqu’elle était venue ici en qualité de suivante de la jeune Rose, mais cette dernière avait tellement de jeunes filles avec elle, que souvent, elle lui rendait sa liberté. La grande brune en profitait alors pour se promener dans les jardins, regarder les plantes, les étudier, écouter la musique, ou encore lire des livres dans la bibliothèque ou dans sa chambre. Parfois même Willos l’accompagnait car les deux jeunes gens s’étaient rendu compte qu’ils partageaient les mêmes passions. Mais ce jour-là, l’héritier du Bief devait être très occupé car elle ne l’avait pas croisé, ni dans le château aux pierres blanches si élégant et élancé, ni au détour d’une des nombreuses allées fleuries des jardins de la demeure des Tyrell. Quoi qu’il en soit, la jeune femme effacée et effrayée qui était arrivée à Hautjardin avait bien changé, elle s’était ouverte, elle s’était découverte. Loin de son père et de sa famille et de Corcolline, elle avait pu s’adonner à ses passions comme la botanique, l'astrologie ou même l’élevage auquel Willos l’avait initiée. Plus de remontrances lorsqu’elle était prise en train de lire, de discuter avec un jardinier ou de remercier un domestiques pour son travail, plus de coups ni d’insultes. Oh, quelques semaines de vie paisible et libre n’allaient pas effacer vingt années de terreur et d’humiliation, elle se trouvait toujours hideuse et pensait encore qu’elle avait tort d’aimer la culture et les gens, nobles ou non. Elle culpabilisait de ne pas suivre les désirs de son père, de n’être point aussi parfaite que sa sœur, elle priait tous les jours pour devenir une meilleur fille. Mais elle en parvenait, pas plus qu’avant à lutter contre sa nature généreuse et curieuse. Et puisque les Sept lui octroyaient de pouvoir vivre encore quelques temps ses passions comme une simple jouvencelle, elle avait décidé d’en profiter jusqu’au bout avant d’accepter le châtiment que son père ne manquerait pas de lui imposer.

Elle avait en effet conclut que, puisqu’elle n’était pas assez jolie et intelligente, d’après son père, sa mère, son petite frère et ses sœurs, pour satisfaire un mari, elle deviendrait Septa et servirait Hautjardin en éduquant les enfants de Willos avec autant d’amour que s’ils étaient les siens. Le plan était parfait, qu’importe l’amour puisqu’il ne pouvait être réciproque avec le jeune homme et qu’elle n’en voulait aucun autre, mais elle serait avec lui et pourrait l’aimer toute sa vie en silence et être importante pour ses enfants, cela lui suffirait. D’aucuns diraient qu’elle n’était pas si mal, jolie même bien que trop pudique pour jouer de ses charmes et surtout que le talent pour la manipulation et la séduction n’étaient pas la seule manière, pour une femme, d’utiliser son intelligence. Mais il en était ainsi à Corcolline, raison pour laquelle son père et le reste de la famille la méprisaient, le mépris de Randyll pour sa fille aînée c’était mu en haine et en coups. Mais c’était ce mépris et les humiliations subies plus que les claques qui avait terminées de faire de Talla une jeune fille à la timidité maladive et sans aucune confiance en elle, au point de se rabaisser elle-même parfois. Et pourtant, c’était encore elle qui culpabilisait…

Mais depuis son arrivée, elle s’était transformée, elle avait oublié le voile qu’elle portait toujours sur la tête et qui couvrait ses immenses cheveux ondulés et son cou et elle marchait maintenant sans baisser les yeux et toujours souriante. Elle avait fabriqué une robe pour Margaery, une belle robe de soie vert blanche et or aux entrelacs floraux élégants et fins. La robe avait des manches courtes et un décolleté croisé, une taille assez haute et elle descendait jusqu’au sol en une ample jupe verte unie. Talla avait brodé de fil d’or le col, le bord des manches et la ceinture avec des rosiers grimpants finement ouvragés. Elle s’était faite la même robe, se disant que tout de même, il faisait chaud et qu’elle pouvait se permettre des manches courtes elle aussi puisque sa maîtresse en portait. La seule différence était que la sienne n’était pas brodée ni rehaussée de fil d’or, et que le vert choisi était moins lumineux et tirait vers le bleu. C’est cette robe qu’elle portait ce jour-là alors que, assise sur un banc, elle écoutait regardait l’eau jaillir des jets de la fontaine centrale le temps d’apprécier la beauté de l’instant avant de reprendre sa balade. Elle avait fermé les yeux et écoutait l’eau couler et les oiseaux chanter, au loin la musique d’une lyre se laissait entendre, aussi ne vit elle pas arriver Lady Olenna. Elle ouvrit les yeux et se tourna brusquement quand cette dernière posa la main sur son épaule, puis elle se leva immédiatement et lui fit une révérence respectueuse.

__ Bonjour Lady Olenna, comment allez-vous ? Je… heu… Je vais très bien, merci ! Chaque jour passé ici est un enchantement. Pardonnez-moi je ne vous avais pas vue… »

Talla fut surprise à première vue par la question de la Reine des Épines, le questionnement lui fit hocher la tête et froncer légèrement les sourcils. Elle savait parfaitement ce qui l’amenait à Hautjardin puisqu’il était connu de tous ici qu’aucune décision n’était prise sans son aval et que Mace avait accepté de prendre Talla comme nouvelle et énième suivante pour Margaery. Mais elle comprit rapidement que la vieille Dame ne l’interrogeait pas sur les raisons officielles de sa venue mais sur ce qui l’amenait véritablement ici. Après une énième violente dispute avec son père il lui avait dit qu’il ne voulait plus la voir, alors comme toujours dans ces cas-là elle était allée se réfugier chez son cousin, Lord Arthur Ambrose. Ce dernier, ainsi que sa famille, était toujours un précieux confident et un homme de bon conseil. Après quelques jours passés là-bas, il en était ressorti qu’elle devait s’éloigner de Randyll pendant un temps. Arthur voulait à la fois lui permettre de vivre en paix que de trouver éventuellement un époux, mais surtout il voulait la protéger des coups de son père qui, il en était certain, finiraient par la tuer. Les bonnes relations du Sire d’Ambroisie avec la Maison Tyrell lui permettaient de leur demander la faveur d’accepter Talla chez eux. Convaincre la Sire de Corcolline n’avait pas été aussi facile, mais à force de patience et de négociations, il avait fini par accepter de donner à Talla quelques mois supplémentaires pour trouver un époux à Hautjardin. Mais il s’agissait d’un ultimatum.

Talla baissa la tête, ne sachant que répondre. Bien que partie dans l’espoir de trouver un mari parmi les nombreux jeunes gens qui gravitaient autour de la Maison Suzeraine du Bief, elle s’était vite laissée submerger par la beauté et la richesse de lieux, en oubliant sa mission. Pire elle était tombée amoureuse du seul qu’elle ne pouvait en aucun cas convoiter. Cela prouvait bien qu’elle était une mauvaise fille, Indigne de porter le nom des Tarly. Pourtant, Olenna était son hôte et elle ne saurait lui mentir, sans compter qu’il fallait une sacré force pour résister à l’envie de se confier à cette femme.

__ J’étais venue pour trouver un époux Ma Dame. Lord Arthur m’avait dit que je trouverais certainement quelqu’un qui me plairait ici, et qui voudrait bien m’épouser… »

La jeune fille eut un petit sourire un peu triste et baissa les yeux.

__ Avec plaisir ma Dame, permettez-moi de vous offrir mon bras. »

Répondit Talla à l’invitation d’Olenna à prendre le thé en la rattrapant rapidement et en soulevant son coude pour que la femme puisse y passer sa main et prendre appui sur la jeune fille. La jeune brune était honorée par cette invitation, l’intelligence de la Reine des Épines était connue de tous et à vrai dire, elle rêvait d’un tel entretient depuis son arrivée, son grand sourire lumineux disait tout de ses sentiments à cet égard.

Talla sourit à la réponse de Lady Olenna sur le fait qu’elle ne l’avait pas remarquée, venant d’une vieille Lady au caractère aussi bien trempé, c’était plutôt amusant, et pourtant c’était vrai. Comme si le fait qu’on n’entende qu’elle une majorité du temps, en tout cas quand elle le voulait ou qu’elle était énervée, dissimulait le fait que parfois, personne n’arrivait à la trouver… La brune admirait cette force et ce qu’elle dégageait d’intelligence et d’assurance. Elle aurait tellement aimé être comme ça, mais elle n’était qu’une grande timide, elle ne pouvait qu’observer et apprécier, s’inspirer même serait trop difficile pour elle.

La grande brune regarda brusquement Olenna à l’évocation de Willos, elle rougit violemment et tourna la tête pour regarder au loin et ne pas montrer on désarroi. Comme dans ces cas-là elle savait qu’elle avait tendance à bafouiller comme une idiote, elle prit le temps de se reprendre avant de répondre, ce qui dura quelques instants, d’autant plus qu’il lui fallut aussi un certain temps pour trouver ce qu’elle pouvait bien répondre à cela. Evidemment l’héritier de Hautjardin était un bon parti, c’était d’ailleurs là tout le problème, il était un si bon parti que Talla n’avait aucune chance. Elle n’était pas assez jolie, trop âgée, probablement pas assez affirmée pour risquer de devenir un jour Suzeraine d’une des régions les plus riche et les plus puissante de Westeros. A vrai dire, quand elle rêvait de partager la vie de Willos, elle essayait de faire fi de son statut car le simple fait d’imaginer diriger Hautjardin donnait le tournois à la pauvre Talla. S’il avait été un noble de basse naissance ou même un roturier, elle aurait pu s’enfuir avec lui et couler des jours paisibles sans que l’avenir d’une région entière ne repose sur leurs épaules, mais ça n’était pas le cas et cela compliquait tout. Cette idée la fit sourire un court instant car il semblait évident que le jeune homme ne se serait pas enfuit avec lui, même s’il n’avait pas été Willos Tyrell. Ils passaient du temps ensemble et il lui semblait qu’il l’appréciait, mais pour lui il ne s’agissait probablement que d’amitié. Cela aurait pu la faire pleurer de l’aimer tout en sachant qu’il ne l’aimerait jamais, mais elle était déjà heureuse qu’il lui parle, qu’ils partagent leurs passions et passent du temps ensemble, qu’il la regarde. Cela n’était jamais arrivé avant, et cela lui suffisait.

__ Willos est le meilleur parti de Hautjardin sans aucun doute, et pas uniquement parce qu’il est l’héritier de Lord Mace… » Soupira-t-elle. « Mais vous le connaissez mieux que moi, vous savez toutes les qualités qu’il possède… Cependant, je ne me fais aucune illusion, si personne n’a voulu de moi jusqu’ici, il est impossible qu’il s‘intéresse à moi pour autre chose que pour deviser sur les constellations. Je sais que je ne suis pas très jolie et que je ne plais pas aux hommes, c’est comme ça, et s’il n’était pas le devoir des femmes de haute naissance de se marier et de faire des enfants, le célibat pourrait certainement me convenir. Je pourris ouvrir un orphelinat et une école pour tous les enfants qui n’ont pas la chance de naître dans une famille aisée, pour tous ceux qui ont perdus leur parents. Je serais alors utile au monde et jamais seule… »

Elle se perdit quelques instants dans la contemplation du jardin avec un léger sourire sur les lèvres. Etre utile au monde, voilà tout ce qu’elle voulait. Evidemment elle voulait des enfants, mais si elle ne pouvait pas en avoir d’un époux hypothétique, alors elle élevait ceux qui n’en avaient pas. Elle revint à la réalité.

__ Leyïa était déjà promise, son fiancé est mort sur le chemin qui le menait à Port-Real, j’imagine qu’elle sera de nouveau fiancée d’ici peu, j’ignore à qui, elle est si jolie, les prétendants ne manquent pas. » Elle baissa la tête. « Moi je n’ai jamais été promise, jamais été convoitée par personne, cela me faisait souffrir avant, enfin pas tant le fait de n’être point au gout des hommes que le fait de blesser mes parents. Mais je sais que je ne suis pas faite pour séduire, c’est ainsi, certaines femmes sont douées pour cela, comme ma sœur qui sait charmer n’importe qui, moi pas. Cela m’importe peu, je ne souhaite pas être convoitée, je ne désire pas qu’on me considère comme un objet, je n’ai jamais voulu épouser aucun homme à vrai dire, je n’ai jamais aimé personne d’autre que… Hum… »

Elle sourit un peu paniquée et reprit à la hâte pour faire oublier à Olenna ce qu’elle avait bien faillit lâcher.

__ Mes recherches se bornent donc à écumer votre riche bibliothèque et à me promener dans vos jardins. Si mon père le savait, il serait en rage. Je sais que c’est mon devoir d’essayer, mais je n’y arrive pas, je n’arrive pas à les regarder dans les yeux, à leur faire les yeux doux, et encore moins à leur parler. De plus les rares fois où j’ai réussi à me faire remarquer avec une révérence ou un sourire, je dois avoir que la conversation était ennuyeuse à mourir et que j’avais comme seul désir de retourner à mes observations... »

C’est alors que la vieille s’arrêta, retenant la grande brune et la fixa. Talla sourit et une larme coula sur sa joue, émue de trouver en cette femme puissante un soutien qu’elle n’aurait pas pensé pouvoir trouver avec autant de noblesse plus que dans sa propre maison.

__ Lady Olenna, c’est là un grand honneur que vous me faites. Je vous sais aussi opiniâtre que capable de convaincre n’importe quelle Maison de m’octroyer un mariage. Mais je ne veux pas rendre un homme malheureux et l’être probablement tout autant dans une union sans amour. Comme le dit Lord Randyll, je suis trop laide, trop cloche et trop gauche pour qu’un homme digne de la Maison Tarly me remarque et veuille m’épouser. Les quelques prétendants qui ont demandé ma main à mon père n’étaient pas assez nobles. Moi cela m’aurait bien suffit, mais je comprends qu’il ne veuille pas abaisser son nom à de telles alliances. Alors s’il veut, je serais Septa, je pourrais ainsi mettre mes connaissances au service d’une famille, des Tyrell de Hautjardin si j’ai de la chance. Tout ce que j’espère c’est qu’il ne m’obligera pas à me tourner vers les sœurs du silence… Une fille doit faire son devoir envers sa Maison, et s’il en est un, le mariage, que je ne peux plus envisager, alors je préfère me retirer de la famille pour donner toutes les chances à mes deux sœur encore à marier et à mon frère et héritier de Corcolline. Je suis comme tout le monde, j’avoue que ça n’était pas la vie que j’avais envisagée, mais c’est peut-être mieux ainsi pour tout le monde, moi y compris. Mais je réfléchirais néanmoins à votre proposition ma Dame. Merci beaucoup. »

Elles étaient arrivées aux roses d’or et Talla aida Olenna à s’installer avant de prendre place à son tour, rassurée et en paix avec son choix de n’épouser personne par amour pour Willos et d’entrer en tant que Septa au service de la Maison Tyrell.

Savoir mentir ne faisait clairement pas partie des qualités de Talla, et dans ce monde il s’agissait bel et bien d’une qualité, sa sœur elle savait faire cela et bien d’autres choses qu’une dame de haut rang doit faire. La brune écouta Lady Olenna parler de son petit-fils avec un léger sourire plein d’admiration et d’affection, évidemment, aux yeux de la jeune fille, Willos était parfait, il avait tout ce dont elle avait rêvé sans jamais vraiment oser imaginer qu’un être humaine puisse posséder ces qualités. C’était probablement l’homme le plus intelligent et le plus cultivé du Bief, et en plus les deux jeunes gens partageaient bien des passions et pouvaient disserter des heures sur ces sujets sans voir le temps passer. De plus, il était doux et ne pensait pas qu’à se battre ou à guerroyer comme tous les autres, il était ouvert et non hautain et imbu de lui-même comme beaucoup de nobles, cela la changeait totalement de l’atmosphère qui régnait à Corcolline et ça n’était pas pour lui déplaire. Elle avait grandi dans l’angoisse de ne pas être assez bien, assez belle, assez forte, assez maline, assez noble, et avec lui elle oubliait toute cette pression tant il semblait que la noblesse était simple à habiter à ces côtés. C’était lui le bon, et elle le savait, le seul qui avait réussi à gagner son cœur, sans même le vouloir, sans s’en rendre compte. Elle était tombée amoureuse de Willos et elle ne voulait se marier avec personne si cela ne pouvait pas être lui, or cela était impossible. Elle sortit de sa rêverie quand Olenna parla de son projet qu’elle trouvait si généreux et sourit à la vieille Dame, enchantée par le compliment qu’elle venait de lui faire. Elle remarqua alors que la Lady était essoufflée et pris garde, quand elles reprirent leur route, de marcher plus doucement.

Talla n’avait jamais pensé cela en ces termes, elle n’aidait pas les autres pour s’en faire apprécier, elle aidait les autres car cela était dans sa nature, et en réalité elle aimait le plaisir qu’elle en tirait de les voir évoluer, de les voir heureux. Comme ce jeune Chevalier à qui elle avait appris à lire, mais qui par sa faute avait été hélas renvoyé par Randyll. Elle essayait de faire le bien autour d’elle pour que le monde soit meilleur et en réalité, elle finissait toujours par tout gâcher et par faire du mal à ceux qu’elle aimait, son père, sa mère, son frère, sa sœur, les domestiques…

__ Heu… oui j’imagine que oui, mais… Quel mari accepterait que j’ouvre un orphelinat plutôt que de m’occuper de sa demeure ? Pas mon père en tout cas. Et, je le crains, pas l’époux qu’il pourrait me choisir. Et puis… vous dites que je ne suis pas laide et que je pourrais plaire, mais vous êtes trop gentille, je sais que c’est faux. Les hommes ne me voient pas, ne me regardent pas, jamais, ils remarquent ma sœur et tombent amoureux d’elle, elle est si jolie. Moi je suis trop grande, trop maladroite, inintéressante. Je ne veux pas imposer ma présence à un homme assez gentil et généreux pour m’accepter telle que je suis et me laisser ouvrir une institution, et s’il est méchant, alors je ne veux pas souffrir une vie entière à ses côtés. »

La jeune femme soutenait du mieux possible Olenna, n’osant lui proposer une nouvelle pause bien qu’elle la sentait faiblir à son bras, la Lady était forte elle, peut-être que cela pourrait al vexer que la brune voit ses faiblesses. En tout cas plus elle discutait avec la Reine des Épines, plus elle l’appréciait, ce qu’elle avait dit sur la générosité et son projet, et même si ça n’était que flatterie, qu’elle lui ait dit qu’elle n’était pas laide, c’était adorable. C’était la première fois qu’on était si gentil avec elle, enfin qu’une noble Dame l’était, comme Willos l’avait été dès son arrivée. Mais la brune devint rouge vif quand la femme d’âge mûr l’interrogea sur celui qui faisait battre son cœur. Elle tenta de détourner la conversation.

__ Que je choisisse ? Mais… personne n’a jamais demandé ma main Ma Lady. Alors peut-être que j’aurais pu choisir, bien qu’il ne soit pas dans les habitudes de mon père de laisser les femmes prendre la moindre décision. Mais en l’absence de prétendant, je n’ai aucun choix à faire, qu’un homme me plaise ou non, qu’il plaise ou non à mon père, si je ne lui plais pas, je n’ai que le choix d’essayer de convaincre Lord Randyll de me laisser continuer à chercher. Parfois j’aimerais être une autre, être belle et séduisante, charmer les hommes au premier regard, briller en société, mais les fêtes et les bals m’intimident bien trop. Je me raccrocherais à un espoir vain si je pensais pouvoir plaire à l’homme de mes rêves. Et d’ailleurs, même s’il m’aimait, il ne pourrait pas m’épouser, il est bien trop important pour se marier avec une femme telle que moi. Il faut que sa femme soit belle, intelligent, qu’elle sache cacher ses sentiments et se tenir en public, qu’elle sache diriger les domestiques et qu’elle soit autoritaire, je ne sais pas faire tout ça. »

Alors qu’elles s’installaient enfin pour le thé, Olenna prit le taureau par les cornes et enguirlanda quelque peu la brune. La plupart du temps, à Corcolline quand elle se faisait remonter les bretelles, les coups finissaient par tomber, mais là, c’était différent, l’admiration que Talla portait à la Dame et al relative douceur dont elle faisait preuve empêchèrent la peur de la gagner. Pour la première fois de sa vie, elle ne se recroquevilla pas sur elle-même. Elle n’avait pas été éduquée dans l’optique d’avoir le moindre choix, mais ce que dit la Reine des Épines lui fit l’effet d’un électrochoc, elle se rendit compte qu’elle n’était peut-être pas obligée de faire tout comme Randyll voulait, qu’elle pouvait être elle-même, comme ici, à Hautjardin, partout où elle voulait. Qu’elle n’était peut-être pas si laide que ça, même si elle en doutait fortement, et pas cloche, ça non, elle avait du mal à faire tout ce que les autres Ladies faisaient si bien, mais elle n’était pas idiote. Elle connaissait beaucoup de choses et en cessait d’apprendre et finalement son seul souci, c’était la différence entre ce qu’il y avait dans les livres et la vraie vie dont elle ne parvenait jamais à franchir le gouffre.

Qu’importe, le sujet en venait à sa sœur, et toute la colère qu’elle ressentait à l’égard de Leyïa la parfaite, toute la peur qui l’avait fait défaillir à l’idée qu’elle vienne à Hautjardin et, une fois de plus, la fasse disparaître du champ de vision de Willos s’était évaporée.

__ Il a été attaqué sur la Route Royale il me semble, je n’en sais pas plus. Leyïa était triste, mais surtout perdue, elle est très jeune vous savez, encore une enfant pauvre petite. Nous avons échangés quelques missives dans lesquelles j’ai essayé de lui donner des conseils et de la rassurer, mais je crois qu’elle était plutôt contente en un sens d’échapper à ce mariage, et je ne peux que la comprendre. Elle ne connaissait pas son fiancé et il semble qu’elle soit tombée amoureuse de Prince durant son séjour à Port-Real. Enfin, vous savez ce que c’est, les adolescentes. Elle est si jolie, si charmante, les hommes ne résistent pas longtemps à son beau minois vous savez, elle sait en jouer, mère lui a tellement dit que pour plaire elle devait être comme-ci ou comme ça. Elle l’a bien conseillée, de peur qu’elle devienne comme moi peut-être. Elle sait être douce et attentionnée, je pense, elle sait cacher ces véritables sentiments et paraître parfaite en société. Elle est encore jeune, mais elle apprendra à diriger, elle en a la force, et bien qu’elle ne soit pas toujours gentille, surtout avec les domestiques, elle a toutes les qualités d’un grande Dame. Elle fera probablement un bon parti pour Willos, surtout avec vous pour la conseiller et Margaery comme exemple. »

Talla sourit à la vieille femme et but son thé en regardant le jardin. Les Roses d’Or étaient comme Leyïa, brillantes, blondes, à la fois délicates et piquantes, fragiles et dangereuses. Hautjardin lui irait si bien… Père serait ravi et elle aussi certainement, à défaut d’épouser le Prince elle épouserait un héritier d’une Maison Suzeraine, elle aurait tout ce qu’elle voudrait, et il serait un mari parfait, doux aimant et attentionné. Mais aimerait-elle sincèrement Willos ? La jeune femme craignait qu’il ne corresponde pas tout à fait à son idéal, trop près des livres et pas assez des armes, trop brun aussi, mais ça n’était qu’un détail. Supporterait-elle de n’être point avec l’incarnation de ce qu’elle estimait être la perfection du Chevalier de haute naissance ? Quoi qu’il en soit, la brune devait la vérité à la Dame de Hautjardin concernant ses sentiments propres pour son petit-fils.

__ Vous m’avez demandé qui était le mystérieux jeune homme dont je suis amoureuse, c’est Willos Ma Dame, votre petit fils et héritier de Hautjardin. Et si j’ai décidé d’accepter de devenir Septa, ça n’est pas pour mon père, c’est pour lui. Malgré toute l’affection que j’ai pour mon père, j’aurais pu accepter votre aide pour me trouver un époux qui lui aurait plu et qui m’aurait évité de renoncer à fonder une famille. J’aurais peut-être pu. Mais je ne peux pas, parce que l’amour que je porte à Willos est trop pur et trop important à mes yeux pour y renoncer pour un mariage qui ne serait que mensonge et faux-semblant. Je préfère l’aimer sans rien attendre en retour que de servir sa Maison et d’éduquer ses enfants plutôt que de l’aimer en appartenant, en me donnant et en portant les enfants d’un autre. »

Talla prit la main d’Olenna avec un sourire.

__ Je vous remercie Ma Dame, vos paroles me réchauffe le cœur et me donnent le courage qu’il me manquait pour être certaine que mon choix est le bon, et si je puis encore vous demander un service, se sera d’appuyer ma candidature pour Hautjardin lorsque le temps de servir une Maison sera venu. Et j’espère sincèrement qu’une fois que ma retraite sera terminée, nous pourrons encore nous entretenir ensemble. Et si en plus, ces enfants sont mes neveux et mes nièces, ma vie sera parfaite car alors je pourrais aussi veiller sur eux et sur ma sœur. Vous voyez, j’en viens à penser que les Sept veillent sur moi et ne font rien par hasard. Si je n’avais rencontré votre fils, il m’aurait été impossible d’accepter véritablement mon destin et l’absence de prétendant, de vivre en paix avec cela. Pourtant il a fallu que je passe par toutes les épreuves que j’ai vécues, pour venir ici assez longtemps pour faire connaissance avec lui. N’est-ce pas extraordinaire ? »

Talla souriait, elle était véritablement heureuse et plus sûre d’elle que jamais. Elle but un peu de thé et regarda le jardin un bon moment dans toute sa beauté à la fois parfaite et vivante.

Talla sourit à la remarque d’Olenna sur le fait qu’elle n’était pas venue au monde avec ce caractère si fort et affirmé, cela devait certainement être vrai et pourtant la brune était persuadée qu’en tout cas elle n’avait jamais été aussi timide qu’elle. Qu’importe cela lui donnait du baume au cœur de savoir que la Reine des Epines croyait en elle, c’était la première qu’un personne de haut rang ne la traitait pas avec mépris, enfin la troisième, avec Willos et Margaery. Elle en avait les larmes aux yeux et son cœur battait si fort qu’il lui semblât qu’il allait exploser, pour la première fois de sa vie, elle ne sentait plus qu’elle était une moins que rien, elle se sentait femme, forte, être humain à part entière, elle avait même l’impression de pouvoir soulever des montagnes. Elle n’avait jamais été aussi heureuse qu’à cet instant à partager un thé avec l’une des femmes les plus intelligente de Westeros face à un jardin magnifique et alors qu’elle remerciait els Sept pour leur bienfaits, elle souriait, paisible.

Mais elle continua et avoua son amour pour Willos à Olenna, ce à quoi la vieille Dame rétorqua qu’elle savait. Talla rougit violemment, pas qu’elle s’imagine pouvoir cacher ces sentiments à la grand-mère de l’intéressé, mais elle craignait que lui aussi ne sache ce qui la mettrait très mal à l’aise. La brune passa ensuite à un rouge plus vif encore quand la Reine des Epines lui dit qu’il n’était pas insensible à son charme. De quel charme parlait-elle donc ? Ils s’entendaient bien, mais… Par les Sept si cela était vrai c’était trop beau ! Incroyable. Son cœur se mit à battre la chamade de plus belle et un sourire niais se dessina sur ses lèvres. Elle baissa les yeux pour cacher le fait qu’elle pleurait, je joie, malgré le doute qui subsistait. Elle prit sa tasse pour boire une gorgée de thé mais ne put la porter jusqu’à ses lèvres tant elle tremblait et la reposa manquant de la faire tomber et renversa son contenu sur la table.

__ Oh pardonnez-moi, je… c’est… l’émotion… Je suis désolée… »

Elle épongea le thé avec son mouchoir pendant qu’une servante venait à la rescousse, Talla voulut réparer sa bêtise mais la domestique s’y opposa catégoriquement et lui prit son mouchoir pour le laver. Extrêmement gênée la brune releva les yeux vers Olenna et dit :

__ Je ne suis vraiment pas sûre de faire une bonne épouse pour Willos ma Dame. Mais s’il veut tout de même de moi, et si vous êtes d’accord pour ce mariage, alors je ferais de mon mieux pour être à la hauteur de votre Maison et de mon si brillant époux, cela je peux vous le jurer. »

Si Olenna parlait à Willos il était certain que celui-ci suivrait les désirs de sa grand-mère, et Randyll ne pourrait en aucun cas refuser une telle alliance, aussi improbable et inattendue soit elle. La jeune femme oscillait entre la joie, l’envie de sauter partout et le doute et la peur. Pas insensible ? Ils étaient amis, rien de plus… il fallait plus pour devenir la femme de l’héritier de Hautjardin, il fallait être magnifique et intelligente, il fallait être parfaite et moins maladroite. Elle serra le poing en se disant qu’elle y arriverait, qu’elle ferait attention, qu’elle apprendrait grâce à Margaery, si gracieuse et Olenna, si douée. Si les Sept et la Maison Tyrell étaient si généreux avec elle alors elle ferait tout pour honorer cette chance qui lui était donnée de fonder une famille avec le seul homme qu’elle avait jamais aimé.

__ Merci ma Dame, merci mille fois. Je ferais tout pour lui plaire et pour être une bonne épouse et une bonne Dame du Bief. Je ne sais pas comment vous remercier. » Une idée lui vint, même si le meilleur moyen de la remercier était probablement de rendre son petit-fils heureux et qu’elle s’y emploierait tout autant si le mariage était prononcé, elle sourit et reprit. « C’est mon vœu le plus cher d’être sa femme, mais je ne pensais pas cela possible et je préférais épouser la voie des Sept pour le servir autrement plutôt que d’épouser un autre homme. Je l’aime tellement vous savez… »

C’était magique, elle se voyait déjà à son bras, fière comme tout d’être l’épouse du beau et brillant jeune homme qu’il était, un peu stressée à l’idée d’être, par cette alliance, la future Dame du Bief. Elle se voyait avec des tas d’enfants aussi beaux que leur père et avait envie de jeter des pétales de rose dans le ciel et de danser sous une pluie d’été. Elle pleurait toujours à chaudes larmes et souriait en même temps.

__ Non, je vous remercie, mon cœur est léger comme l'air désormais, grâce à vous… Je vous en prie Dame Olenna, merci du temps que vous m’avez consacré et… il n’existe pas de mot assez fort pour vous dire la joie que vous me faites de parler à Lord Willos de moi. Pensez-vous qu’il faille que j’attende avant d’aller le voir ou que je pourrais faire quelque chose en attendant que vous ayez le temps de lui toucher un mot ? » Dit-elle, le regard plein d’espoir. « Oh pardonnez-moi, je vous fais perdre votre temps, voulez-vous que je vous accompagne ? Ainsi vous pourrez vous appuyer à mon bras. »

Talla se leva et tendit la main à la vieille Dame pour l’aider à se relever.