Elinor ☸ Talla

Comme chaque fois que Randyll Tarly manquait de tuer sa fille ainée sous ses coups brutaux, sa mère l’envoyait au plus vite s’aérer dans le domaine des cousins du Nord. Du nord du Bief, pas du Nord de Westeros vous n’y pensez pas. Bref, la jeune fille, dont les lectures inutiles pour une jouvencelle à marier et le manque de capacité de séduction et de prétendants exaspéraient le père arriva à Ambroisie après un voyage de quelque jours. Le rustre de Corcolline faisait toujours en sorte que ses violences ne se voient pas trop sur le visage de la brune, mais elle avait encore mal aux cotes et aux bras et ne put le cacher lorsqu’elle descendit de la calèche arrêtée dans la cour. Elle grimaça et porta la main à son flanc en se pliant en deux, le souffle coupé par la douleur pendant un court instant avant de se redresser tant bien que mal grâce à l’aide toujours attentive de son épée lige.

La grande brune salua Lord Arthur et Lady Alysanne ainsi que leurs enfants et tous ceux qu’elle connaissait, mais quelques instants plus tard, alors que les domestiques montaient ses affaires dans une chambre préparée à son endroit, il sembla évident que la révérence polie qu’elle avait servi devant tout le monde ne reflétait en rien la nature de ses relations avec la famille. En effet, elle embrassa chaleureusement ses cousins et leur douce et tendre mère et accepta sans broncher le soutien d’Arthur sous forme d’une main posée sur son épaule. Quelques heures plus tard elle cherchait la tranquillité des remparts pour trouver un peu de solitude le temps d’oublier ses soucis et ses souffrances tant physiques que psychologiques. Hélas, elle y trouva une jeune fille qu’elle ne reconnaissait pas. Elle s’inclina respectueusement. Il y avait des chances pour qu’elle ait affaire à l’invité de Lord Arthur qui n’était rien d’autre qu’une Tyrell, d’une branche cadette, certes, mais une Tyrell tout de même.

__ Ma Dame. Lady Talla Tarly, pour vous servir. J’espère que vous vous plaisez à Ambroisie. C’est mon havre de paix et j’aime y retrouver mes cousins dès que je le peux. »

Sa robe noir brodée de motifs d’un doré foncé montait jusqu’au cou et son voile en lin blanc fin cachait avec délicatesse son visage et le bleu sur sa joue.

Sans commune mesure avec ceux de la capitale du Bief, les jardins d’Ambroisie avaient un certain charme et humaient bon les plantes médicinales qui avaient fait la fortune de la maison. C’était en tout cas un endroit nettement plus chaleureux et élégant que l’austère forteresse de Corcolline qui n’avait eu de cesse de repousser les Dorniens hors des vertes contrées ensoleillées pour en préserver toute la douceur de vivre dès les contreforts des montagnes rouges. Pour Talla, un vrai bol d’air tant par son esthétisme accueillant que par la courtoisie et la proximité de ses habitants et par l’absence de Randyll. Mais c’était sans compter sur cette rencontre fort intimidante avec Lady Elinor Tyrell !

__ Pressante ? Lord Ambrose ? Ma présence ? »

Il fallut un peu de temps à la brunette décontenancée pour remettre ses idées en place. A vrai dire, Arthur lui avait effectivement parlé de cette visite, mais la demoiselle n’avait pas à s’excuser d’être en avance, même si, hélas, cela impliquait d’attendre que le maître des lieux se libère. Quant à sa présence qui lui en rappelait une autre, Talla se souvint à ses mots que Leyïa lui avait parlé d’une certaine Elinor qui n’était autre que sa meilleure amie. Si l’une, dans toute sa beauté évidente, était au moins aussi méchante que l’autre, il y avait fort à parier qu’elle avait fait l’objet de nombreux calembours plus ou moins cruels et fondés. Cette idée ne fit que la rendre plus mal à l’aise.

__ Lord Ambrose est un homme très occupé, mais je suis certaine qu’il met tout en œuvre pour écourter votre attente. Mais je suis plus que ravie que votre avance me donne l’occasion de faire la connaissance de la meilleure amie de ma sœur. »

C’était un mensonge encore plus gros que celui de la belle blonde, Talla aurait préféré disparaître dans l’instant plutôt que de faire plus ample connaissance avec quelqu’un qui devait déjà la mépriser autant que la majorité des Tarly. Mais il était trop tard, Elinor l’avait vue et en tant que cousine d’Arthur et sœur de Leyïa, elle se devait de l’accueillir avec la plus grande courtoisie, qu’elle le veuille ou non, et plus encore une fois qu’elle en eut exprimé le souhait. Talla lui servit un sourire figé d’angoisse avant de l’accompagner dans les jardins, se demandant ce qu’elles allaient bien pouvoir échanger.

__ Les Jardins d’ambroisie ne valent pas ceux de Hautjardin, mais il y pousse de nombreuses essences. Saviez-vous que ce qui est vendu sous le nom d’ambroisie est en fait un mélange de plantes aromatiques médicinales à base d’armoise ? »

Elle sourit, mal à l’aise d’avoir à se servir de ses connaissances poussées en botanique pour trouver un sujet de conversation qui, l’espérait-elle plairait à la demoiselle qui devait avoir l’habitude de parler de plantes. Mais au lieu de cela, Talla se rendit compte que ce sujet n’intéressait absolument pas la jeune femme. Cette dernière avait effectivement entendu parler de l'aînée de Leyïa par cette dernière et d’après ce qu’elle comprenait entre les lignes, pas en bien. Evidemment, pas d’illusion à se faire à ce sujet. Ce qu’elle ne comprenait pas en revanche, c’était ce que sa sœur avait bien pu dire pour que la différence lui saute aux yeux si vite.

__ Tout à fait Dame Elinor, et c’est bien normal que vous ne l’ayez pas deviné, nous sommes très différentes, père ne cesse de nous le répéter. Je n’ai ni sa beauté, ni sa grâce, ni son naturel agréable et charmant. Mais je vois qu’elle sait s’entourer de personnes aussi ravissantes qu’elle. »

Ceci aurait pu être d’une rare hypocrisie si Talla n’avait pas été d’accord avec les critiques émises par son père et sa mère et qui transpiraient dans les paroles de sa sœur. Pour elle, il ne faisait aucun doute que la blondinette de la famille n’avait rien à envier à son aînée, ni son esprit, ni son physique. Il fallait bien le dire, avoir pour seule idée de conversation de parler de plante lui sembla soudain aussi égoïste et prétentieux que de parler d’astronomie avec un inconnu. Elle n’avait pourtant pas voulut rabaisser Elinor ni qui que ce soit, mais elle ne savait pas entretenir des relations consensuelles normales avec les gens. Trop discrète pour parler d’elle, trop isolée pour parler des autres, trop timide pour interroger son hôte, elle n’était pas coutumière de cet exercice et était bien incapable de paraître normale.

Talla remarqua la mine déçue d’Elinor et n’en fut que plus mal à l’aise se demandant à moitié paniquée comment satisfaire la Tyrell, bien qu’elle faisait tout pour ne rien laisser paraître, sans tout à fait y parvenir d’ailleurs. Le sourire de la jouvencelle lui parut ainsi bien hypocrite voir moqueur, à moins qu’il ne soit que gentillesse pour lui venir en aide, elle oscillait entre ses deux impression ne sachant plus sur quel pied danser. Mais elle tenta de ne pas se laisser submerger par la honte et la peur et de passer outre tout désir de fuite. Désormais, si elle faisait mauvaise impression, elle savait que non seulement cette rencontre risquait de porter préjudice à Lord Arthur, mais surtout qu’elle deviendrait un sujet de franche rigolade entre Elinor et Leyïa et probablement un sujet de reproche supplémentaire de la part de sa petite sœur et très vite de toute la famille. Elle en tremblait, tant et si bien qu’elle se tortura les mains devant elle pour cacher ce frémissement, mais malgré tous ses efforts, sa voix trahissait sa crainte, ses angoisses, et toute la pression qu’elle se mettait sur les épaules.

De plus, les paroles de la jeune fille la surprirent énormément. Tout le monde s’accordait à dire que Leyïa était mieux qu’elle en à peu près tout, à part peut-être en lecture, ce qui à Corcolline importait peu. Comment cette jeune femme qui connaissait bien la cadette et si peu l'aînée pouvait ne pas se rendre à l’évidence comme les autres. La blonde était plus vive, plus jolie, plus agréable, mais Elinor, probablement par politesse refusait d’enfoncer le couteau dans la plaie et de lui rappeler que ses atouts n’étaient pas grand-chose en comparaison de ceux de la petite sœur. Quelle gentillesse. Cela aida quelque peu Talla à se détendre, elle sourit en baissant les yeux.

__Merci Ma Dame. » Dit-elle sans oser ajouter quoi que ce soit qui gâcherait probablement la magie du moment.

Oui car à bien y réfléchir, elle n’avait aucun atout, en tout cas elle en était persuadée, mais cela n’en restait pas moins agréable à entendre. Pour sûr, si Talla arrivait à faire de sa grande curiosité pour la culture un atout, elle pourrait peut-être se faire des amis, comme Leyïa qui en avait plein. Mais elle n’était vraiment pas faite du même bois qu’elle, sa timidité et sa réserve l’empêchait, par humilité, d’étaler ses connaissances, et elle craignait que cela n’intéresse personne, comme chez elle où tout le monde se fichait bien de ce qu’elle avait lu dernièrement. La blonde elle, connaissait la vie, la vraie, elle n’avait pas besoin d’étudier le monde à travers les livres, elle le voyait chaque jours en discutant avec ses amis.

__ Ah vraiment ? J’aime beaucoup les Lys aussi. Je trouve cette fleur délicatement sculpturale et très esthétique. Savez-vous qu’il en existe plus de 25 types différents allant du blanc au rouge ? En fait, je crois que j’aime leur beauté simple, six pétales leur suffisent à s’habiller. »

Elle se tourna vers Elinor après avoir quelques instants observés la fleur, se rendant compte à cet instant que la jeune femme pourrait prendre sa réflexion de travers, car elle n’était pas franchement habillée simplement. Mais c’était bien normal pour une Tyrell et cela ne visait absolument pas son style vestimentaire ni sa personnalité, Talla n’était pas du genre à juger quelqu’un en un seul regard, elle était bien placée pour ne pas se fier aux apparences.