An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 6.

Son cœur rata un battement. Elle n'en revenait pas, nombre de ses rêves s'étaient réalisés en à peine deux jours. Elle rêvait de voyager, et elle avait passé quelques jours à bord d'un bateau à destination de la capitale. Elle rêvait d'ailleurs de visiter ladite capitale, aussi y logeait-elle, et elle allait y rester un moment encore. Elle rêvait de voir le fameux Donjon Rouge, aussi allait-elle y habiter durant tout son séjour à la capitale. Son père étant Sire de Belcastel, il ne pouvait en être autrement. Mais ça ne déplaisait pas le moins du monde à la jeune blonde, qui s'était contentée de sourire aimablement à chaque personne qu'elle croisait dans les nombreux couloirs du château tout en les saluant avec toute la courtoisie qu'on lui avait inculquée.
Avant que le soir ne dépose un voile sombre sur Port-Réal, elle s'était rendue à la bibliothèque pour trouver un ouvrage en particulier. Elle avait toujours souhaité mettre la main dessus, mais sans jamais y parvenir. Elle était sûre de le trouver là et, en effet, elle le découvrit sans en être étonnée dans l'une des grandes étagères poussiéreuses. Son petit bonheur se trouvait là, et il s'appelait Mémoires d'un marin, tome deux. Elle avait dévoré le premier tome, qui était en la possession de son père, mais avait eu tout le mal du monde à trouver la suite. Aujourd'hui, il était entre ses mains et elle pourrait le lire avant son départ de la capitale.

Elle avait attendu que la nuit soit tombée pour sortir de sa chambre. Elle avait entrouvert la porte et avait regardé au dehors si quelqu'un se trouvait là. Personne. Serrant le livre de mémoires tout contre son cœur, elle tenait une lampe à huile pour voir où elle allait. Elle le savait très bien, pourtant, mais elle savait qu'elle n'avait certainement pas le droit. Mais c'était plus fort qu'elle, et elle avait besoin de prendre un bon bol d'air.
Silithia avançait vivement dans les couloirs, mais chacun de ses pas se faisait plus hésitant que le précédent. Cependant, elle ne s'arrêtait pas, elle devait aller au bout des choses. Lorsqu'elle arriva en extérieur, son cœur battit plus fort encore. L'air frais venait agiter doucement ses boucles blondes, et elle ferma les yeux avec douceur, comme si elle appréciait une étreinte amoureuse. Au lieu de ça, le vent venait s'emparer de son corps tout entier, lui offrant une douce et fraîche accolade. Elle sourit tout en pénétrant dans les jardins du Donjon Rouge.

Elle était déjà venue ici, que ce soit en rêves, ou de jour. Elle voulait sentir à nouveau l'odeur enivrante et douce des multiples fleurs aux mille coloris qui se trouvaient là. Elle se sentait elle-même, ici, seule au milieu des plantations qui lui étaient presque toutes inconnues. Les fleurs qui poussaient à Belle-Île étaient bien différentes de celles que l'ont trouvait ici. Mais ça ne déplaisait pas le moins du monde à la jeune blonde, qui appréciait tout particulièrement la découverte de nouvelles choses et de nouvelles espèces.
Ses pas la menèrent jusqu'au fond du jardin, où elle put distinguer la mer et le port en contrebas. Elle sourit d'aise, et s'asseyant sur un banc de pierre, elle entreprit de lire le journal d'un marin. Ces livres étaient passionnants, car par le biais de la lecture, il faisait part de ses multiples voyages et découvertes à celui ou celle qui s'intéressait à sa vie. Silithia s'y intéressait ; il était passionnant de découvrir les choses à travers le regard de quelqu'un d'autre.
Il était aussi passionnant de les découvrir soi-même, mais elle ne pouvait pas voyager autant qu'elle l'aurait souhaité.

Le marin avait une toute autre vision de Port-Réal qu'elle. Il voyait la beauté du port, surplombé par le magnifique Donjon Rouge, mais il ne voyait pas la beauté des rues et la délicieuse odeur des épices. Vingt ans auparavant, lorsque cet homme était en vie, tout devait certainement être différent. Tout devait être beau et doux, mais d'une façon moins ordinaire pour le marin. Il voulait voyager, lui aussi, mais il était un homme et il avait eu le choix.
Silithia ne pouvait pas dire non. Elle ne devait qu'accepter et subir, car elle était une femme, une Lady. Parfois, elle aimerait vivre dans les Cités Libres pour être aussi humaine que les hommes. Mais son père refusait qu'elle mette les pieds en Essos. La liberté y était-elle trop grande pour une si petite âme ?

Un bruit au fond du jardin fit lever la tête de la jeune femme. Ses grands yeux de glace parcoururent le petit espace que sa lampe éclairait, mais elle n'y vit rien. Se levant doucement, elle regarda autour d'elle pour voir si quelqu'un était là. Rien ni personne ne semblait vouloir perturber la paisible nuit de Silithia. Cependant, elle entendit à nouveau un bruit.

-Y a-t-il quelqu'un ?, demanda-t-elle d'une voix naturellement douce.

La morsure du froid nocturne contre sa peau la fit frémir. Légèrement nerveuse, elle lissa doucement sa robe carmine d'une main et passa une main dans ses cheveux avec embarras.

An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 6.

Les bruits de craquements et bruissements de feuilles la firent sursauter tandis qu'ils se rapprochaient, puis s'éloignaient, pour se rapprocher à nouveau... Elle ramena ses mains contre sa poitrine pour sentir son cœur battre la chamade. Et si il s'agissait de Lord Tywin ? De la Reine Cersei ? Du Roi Joffrey ? De quelqu'un d'aussi important ? Non, ils n'avaient rien à faire ici à cette heure-ci. Elle non plus. Et si il s'agissait d'un garde ? Elle ferma les yeux, resserrant ses bras sur son livre et le tenant tout contre sa poitrine.

Puis un nouveau bruit attira son attention. Elle leva les yeux vers les buissons fleuris, et tendit sa lampe à huile droit devant elle, éclairant le chemin qui traversait le jardin.

D'abord, lorsque la vue d'une jeune fille s'offrit à la lumière de sa lampe, son cœur fit un bond. Mais, constatant qu'elle n'était pas la seule à braver les interdits et se trouvant grandement rassurée, ses muscles se décontractèrent. Quel ne fut pas son soulagement, lorsqu'elle constata que ce n'était pas une personne comme la Reine ou le Roi, mais une jeune fille qui devait avoir à peu près son âge. Silithia s'était levée, tenant toujours son livre contre sa poitrine, et avait senti ses joues rougir légèrement. Avait-elle perturbé la ballade nocturne de la jeune fille ? Celle-ci sursauta, puis sourit doucement, ce qui rassura la jeune fille de l'Ouest.
Elle étudia d'un regard méticuleux les traits de la jeune fille, se disant que toutes deux semblaient avoir à peu près le même âge. Elle nota qu'elle avait déjà vu cette demoiselle quelque part, et fit une petite révérence, réfléchissant à qui pouvaient bien appartenir ces traits qui lui disaient quelque chose. Puis elle se rappela qu'elle l'avait vue à son arrivée, qu'elle était une Lannister, et afficha un sourire des plus chaleureux.

-Oh ! Pardonnez-moi mademoiselle. Je n'ai pas voulu vous effrayer, j'en suis désolée.
-Ne vous en faîtes pas, vous n'avez pas à vous excuser, dit calmement Silithia.

Elle détourna un instant les yeux de la jeune lionne pour regarder les livres qu'elle avait posé à ses pieds. Un sourire éclaira son visage. Elle aussi, semblait s'évader hors de sa chambre pour lire au clair de la lune. Elle posa à nouveau ses pupilles de glace sur la jeune Lannister. Son visage et sa voix lui étaient familiers, mais son nom ne lui revenait pas. Souriant toujours avec amabilité, elle se présenta à son interlocutrice.

-Je suis Silithia Farman, dit-elle en s'inclinant respectueusement. Puis-je connaître votre nom ? Je suis certaine de vous avoir déjà vue, c'était certainement à mon arrivée au Donjon Rouge, mais votre nom ne me revient pas.

An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 6.

Un sourire franc s'était glissé sur les lèvres de la lionne. Silithia, sans même la connaître, voyait en elle un personnage intéressant. Elle la sentait comme ces princesses de contes de fées, belles et merveilleusement bien élevées afin de frôler la perfection, mais qui au fond étaient bien différentes de toutes les autres Ladies. Mais la jeune fille de l'Ouest revint à la réalité ; elle était face à Dame Myrielle Lannister, et le moindre faux pas pourrait lui être fatal. C'est ce que son père lui avait dit. Toujours se méfier des Lannister, leurs griffes sont acérées et il en est de même pour leurs crocs. Cependant, Silithia regardait attentivement la jeune Lannister, qui semblait bien différente de ceux de sa famille. Elle ne paraissait pas aussi fourbe ou sournoise que ce que son père disait au sujet de ceux de la maison suzeraine. Elle paraissait bien plus douce et amicale.
« Au diable les conseils de Père, si lui voue un profond mépris pour les Lannister, je suis libre de choisir qui j'apprécie et qui je n'aime pas », pensa-t-elle. Elle rendit donc son sourire à Myrielle, qui semblait être une personne bien plus intéressante que tous ces autres nobles sans culture qui ne savent que discuter de politique et d'échanges marchands. Silithia voulait bien plus que ça, elle aimait parler de ce qu'elle avait vu ou lu, elle aimait rencontrer des personnes qui, comme elle, ne voulaient pas se limiter à la vue de leur petit jardin. Elle voulait voir les choses en grand.

Son sourire s'agrandit au compliment de Myrielle. Elle lui faisait trop d'honneur, si bien que Silithia sentit ses pommettes rougir doucement. Elle inclina poliment la tête et remercia la jeune lionne d'un ton léger et doux :

-Je vous en remercie, et je me permets de vous retourner le compliment. Pour ce qui est des dires de Lord Tywin, je pense qu'au contraire, il est important d'apprendre chaque jour de nouvelles choses. La culture a bien plus de valeur que toute autre chose, à mon humble avis, dit-elle doucement.

Myrielle posa son regard sur la lune et en commenta la splendeur. Silithia jeta un œil à l'astre à la beauté sans nom, et sentit son regard s'illuminer joyeusement. Tout était si parfait, à Port-Réal. La lune et la mer étaient bien plus belles qu'à Belle-Île, et le Donjon Rouge était si grand par rapport à Belcastel. La demoiselle de l'Ouest se sentait bien petite ici, mais espérait ne pas être invisible aux yeux de tous. Elle ne le serait pas.
Elle sourit à la remarque de la jeune lionne à propos de sa présence. Elle aussi aimait lire sous le doux faisceau de la lune. Muette devant la beauté de l'astre, elle se contenta de confirmer les dires de son interlocutrice d'un hochement de tête ; oui, la lune était belle. Magnifique, même.

Lorsque Myrielle lui demanda si elle aimait la lecture, Silithia la regarda à nouveau. Quelle question ! Elle saisit doucement le journal du marin qu'elle avait emprunté à la grande bibliothèque du Donjon Rouge et le serra contre sa poitrine pour appuyer ses paroles.

-Bien sûr !, dit-elle d'un ton enjoué. J'aime beaucoup lire. Je n'ai ni la possibilité ni la liberté de voyager, donc je voyage au travers des livres... Et vous, vous semblez cultivée, si je ne me trompe pas ? Je suis sûre que nous pourrions nous entendre.

Elle affichait toujours un sourire franc. Cette rencontre était pour sûr des plus intéressantes.

An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 6.

Myrielle semblait ravie de la réponse de la jeune Farman. Celle-ci afficha d'ailleurs un sourire radieux. Elle se devait de faire bonne figure face aux membres de l'une familles les plus puissantes et influentes de tout Westeros. Mais leur rencontre semblait prendre une toute autre tournure, toutes deux semblant partager nombre de points d'intérêt et de passions communes.
Lorsque Silithia en vint à parler de Lord Tywin, elle ne réfléchit pas dans l'immédiat. Mais à peine eut-elle achevé sa phrase qu'elle se rendit compte qu'elle venait de remettre en question l'avis de l'oncle de la jeune lionne. Elle leva vivement les yeux sur elle, ne laissant cependant pas l'once d'inquiétude qui la tourmenta un instant prendre le dessus sur elle. Elle mentait trop bien pour perdre son calme. Mais à son grand étonnement, Myrielle donna raison à la demoiselle de l'Ouest et lui fit part de sa joie face à une personne osant remettre en question son oncle. Lorsqu'elle se mit à rire, Silithia rit doucement à son tour.

La jeune Lannister pointa du doigt le journal que tenait en ses mains la jeune Farman. Elle connaissait visiblement cet ouvrage. Silithia désserra l'emprise qu'elle exerçait sur le livre qu'elle serrait fermement contre sa poitrine et en parcourut la couverture d'un regard empli d'admiration. Ce marin qui l'avait écrit n'était pas un simple matelot. Il était bien plus que ça. Contemplant la couverture du livre, elle la détailla du regard. Elle était d'un bleu océan, et des vagues avaient été dessinées dessus. Elle leva doucement son regard pour le poser sur son interlocutrice.

-Je suis réellement surprise ! Je ne pensais pas trouver ici quelqu'un partageant les mêmes passions que moi. Vous m'en voyez ravie !, dit-elle avec entrain. J'avoue avoir un peu faim, j'ai peu mangé au dîner de ce soir.

Elle afficha un petit sourire gêné. Elle n'aurait jamais imaginé la jeune dame si ouverte d'esprit et sympathique. Son père, vouant une profonde haine aux Lannister depuis bien des années, les avait décrit comme des personnes cupides, bornées, mauvaises... Silithia ne retrouvait pas Myrielle dans cette description et pourtant, physiquement, elle avait tout des membres de cette famille. Malgré ce que pouvait dire Lord Farman, sa fille aînée avait toujours été fascinée par ces lions. Elle les trouvait tous beaux, grands et puissants. Sauf Tyrion Lannister qui, bien sûr, ne pouvait être grand. Mais elle avait entendu dire qu'il était quelqu'un de très intelligent et d'extrêmement cultivé. Elle espérait croiser sa route avant son départ de Port-Réal...
Myrielle la tira de ses pensées, lui proposant de venir à ses appartements pour qu'elles apprennent à se connaître. Le visage de la jeune Farman laissa de côté sa mine pensive pour revêtir un sourire amical. Elle inclina doucement la tête, acceptant poliment la proposition :

-Avec grand plaisir !

Son sourire s'agrandit ; elle était réellement heureuse de faire une telle rencontre à Port-Réal. Son père lui avait pourtant dit de se méfier de la capitale et de ses habitants, « surtout des Lannister » avait-il précisé... Pourtant, en Myrielle, Silithia ne voyait pas un lion si mauvais et si féroce que d'après les dires de son père...

An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 6.

Myrielle et Silithia traversèrent les jardins en en sillonnant les multiples chemins, tous plus étroits les uns que les autres et échappant au regard des gardes. Ceux-ci, tout en armures, scrutaient d'un regard endormi pour la plupart d'entre eux les sentiers bordés de haies fleuries et d'arbustes plus verts que l'herbe, l'été durant. Mais la pénombre percée par le pâle faisceau de la lune n'offrait au regard des deux jeunes filles la vue de quelques nuances de couleurs et des ombres et formes difficiles à distinguer.
Silithia, après avoir perdu sa mère, avait cessé d'être une enfant. Elle avait cessé de jouer avec les autres enfants, elle avait cessé de courir. Mais lorsque la jeune lionne et elle furent à proximité de l'entrée, un garde apparut miraculeusement au détour du chemin principal. Toutes deux durent courir sur quelques mètres pour échapper à son regard et ne pas être repérées. A une heure pareille, toutes deux devraient déjà être endormies.

Lorsqu'elles furent arrivées à l'entrée, et après avoir poussé la porte, Silithia ne put s'empêcher de rire quelque peu. Bien entendu, il s'agit d'un petit rire, léger et doux comme ceux que poussaient les lady. Elle ne devait passer pour une folle auprès de personne ; encore moins auprès d'une personne de haut-rang. Elle se ressaisit rapidement et toutes deux pénétrèrent dans la chambre de la jeune Lannister. Celle-ci se précipita vers le petit bar, et se dépêcha de sortir deux verres et une carafe de vin. Tout en faisant cela, elle s'excusa pour leur petite aventure dans le jardin, la justifiant par l'heure de son coucher que son oncle lui imposait.

-Ne vous excusez pas, j'ai trouvé tout cela fort amusant, et ça me change du trop-plein de tranquillité de Belle-Île. Je ne m'étais pas tant amusée depuis fort longtemps !, s'exclama-t-elle en riant quelque peu. Je comprends, mon père lui-même est très strict lorsqu'il s'agit de me garder toujours « belle et en pleine forme », puisque rien n'est plus réparateur qu'une bonne nuit de sommeil.

A nouveau, elle s'accorda un léger rire qui s'envola en quelques secondes. Elle se reprit très vite, puis arbora une mine un peu plus sérieuse, sans pour autant abandonner un petit sourire amical et qui traduisait son enthousiasme, afin de répondre à la question de Myrielle. Désirait-elle autre chose ?
C'était une excellente question ; Silithia avait beau être quelqu'un d'extrêmement réfléchie, elle avait parfois tendance à prendre des décisions spontanées. Elle ne pouvait pas refuser la proposition de la jeune lionne à cet instant précis pour finalement la lui demander quelques minutes plus tard. Aussi avisa-t-elle ; elle se rapporterait donc au choix de Myrielle.

-Je ne voudrais pas vous faire courir plus de « risques » en vous faisant repartir à travers le Donjon Rouge à une telle heure ; je vous laisse donc décider, si vous souhaitez ou non manger quelque chose. Après tout, je ne voudrais pas vous faire risquer quoi que ce soit, et sûrement pas les éventuels sermons de votre oncle.

Elle ponctua sa phrase d'un sourire accompagné d'une mine quelque peu gênée. Ses joues rosirent, colorant son visage pâle, et elle regarda quelque instants autour d'elle. La chambre était réellement magnifique, et les Sept seuls savent combien Silithia rêvait d'en avoir une si belle et si grandiose que celle-ci. Les habitants de la capitale semblaient toujours voir les choses en grand. Rien que le Donjon Rouge en était la preuve. La jeune Farman rêvait tant d'habiter définitivement ici, un jour...

An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 6.

Silithia suivit les mouvements de la jeune lionne de son regarde glacé et attentif. D'un placard, Myrielle avait sorti du pain et du chocolat. Elle s'exprimait avec une joie non dissimulée, ce qui faisait bien plaisir à la jeune colombe. Elle avait l'impression que félin et oiseau, prédateur et proie, sympathisaient comme dans les contes pour enfant. Cette pensée lui rappelait une histoire que sa mère lui avait lue lorsqu'elle était enfant, avant qu'elle ne devienne froide et distante. Nostalgique, elle afficha un sourire sincère.
Elle écouta attentivement les paroles de la demoiselle Lannister, et lorsqu'elle eut fini de parler, elle fit la moue. Son nom lui disait quelque chose. Forcément, son père, Sebaston Farman, avait osé critiquer ouvertement Tywin Lannister, prêt à se lancer dans une sorte de rébellion. Le puissant lord avait vite eu écho des propos du lord Farman, qui se répercutaient aux quatre coins de l'Ouest. Le père de Silithia était celui qui avait eu l'audace de penser déclarer une sorte de petite guerre idiote à son suzerain. La demoiselle leva les yeux vers Myrielle et soupira :

-Il n'est pas étonnant que vous ayez déjà entendu mon nom. Mon père est Sebaston Farman, et il y a de cela des années, il a tenu des propos plutôt désobligeants concernant votre famille. Votre oncle a très certainement eu vent de ce que mon père a dit, puisqu'il a envoyé un luthiste jouer les Pluies de Castamere à Belcastel. Le dîner a été fort animé ce soir-là. Elle soupira à nouveau, puis afficha un petit sourire. Même si cet événement a attiré sur ma maison les foudres de lord Tywin, je préfère regarder l'avenir plutôt que de me pencher sur le pourquoi du comment du passé.

Tywin n'était plus tout jeune, mais semblait encore fort vigoureux pour un lion de son âge. Les années n'avaient pas émoussé ses armes, le temps n'avait pas vraiment eu d'impact sur ses griffes qui étaient toujours aussi acérées... La veille, en arrivant au Donjon Rouge, elle avait pu voir le lion dominant et dirigeant la famille, le lion d'or qu'il était. Le visage fermé, sec, sévère. Il respirait la grandeur et la puissance. Elle n'avait cependant pas eu l'occasion de lui parler et, si elle l'avait pu, qu'aurait-elle donc bien pu dire ?
Elle reporta son regard sur Myrielle et lui sourit doucement lorsqu'elle parla de prison. Son sourire n'était pas amusé, ou juste amical. C'était un sourire qui, associé au regard brillant de la demoiselle, ne traduisait que son intérêt pour le terme que la lionne avait employé. Était-elle, elle aussi, comme enfermée dans une cage ? Silithia, elle, jeune colombe à l'envie de liberté, attendait juste que l'on entrouvre la cage pour prendre sa volée.

-Rêvez-vous donc de liberté ?, demanda-t-elle curieusement.

Elle se permit de prendre un bout de pain et d'y tartiner une fine couche de chocolat, non sans une petite hésitation. La gourmandise avait été proscrite dès sa plus tendre enfance car une lady est irréprochable. Tournant son visage vers la lionne, elle répondit finalement à sa question :

-J'ai toujours rêvé de me rendre à Port-Réal. La capitale est si grande, offre tant de choses. Et le Donjon Rouge ! Il est si beau !, dit-elle à voix basse. J'ai profité du fait que mon père se rende ici pour venir aussi, et il a trouvé que c'était donc une excellente occasion pour me chercher plus activement un époux.

Elle soupira doucement. Elle avait peur de perdre son peu de liberté.

An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 6.

Silithia sourit doucement. Myrielle avait raison sur toute la ligne. Les femmes étaient des animaux en cage. Silithia, une colombe aux barreaux d'or, et Myrielle, un chat aux barreaux de diamants. Les femmes étaient toutes des esclaves des hommes qui se voulaient libres, qui ne voulaient que se départir de ses chaînes. Les chaînes d'esclaves étaient bien différentes des chaînes de femmes ; les femmes étaient plus proches des hommes que les esclaves. Mais elles n'avaient pas de liberté. Pas de vraie liberté. Celle qui vous fait respirer un air des plus frais et des plus purs, celle qui vous fait vous sentir plus léger encore qu'une plume au creux de votre main, celle qui vous fait juste vous sentir votre propre maître. C'était ce que désirait Silithia. Posséder la clé de sa cage, de quoi arracher ses chaînes. Elle regarda Myrielle en souriant.

-Un jour, nous briserons nos chaînes de femmes et nous serons libres comme l'air.

Silithia était rarement complètement sincère, mais elle sentait que Myrielle et elle étaient pareilles. Deux jeunes femmes de la noblesse, aux pensées semblables et aux rêves de liberté. Son sourire était resté fixé sur ses lèvres, son regard bleu rivé sur son amie. Amie... La colombe n'avait que rarement eu de véritable amie. La jeune lionne en était pourtant une, elle le sentait, au plus profond d'elle-même. Elle se pencha un peu sur la table, le verre de vin de son amie lui donnant envie d'en boire elle aussi au moment-même. Elle apprécia son odeur en portant le verre jusqu'à ses lèvres, et en apprécia suite à cela le goût.
Elle échangea un regard complice avec Myrielle, son sourire ne s'en faisant que plus grand tandis qu'elle prenait une nouvelle gorgée de vin, puis tournait complètement son visage vers elle pour confirmer ses dires.

-Nous nous comprenons, dame Myrielle Lannister.

Silithia poussa un soupir de soulagement. Trouver quelqu'un qui lui ressemblait n'était pas chose aisée. Qu'aurait dit son père, en la voyant à ce moment-même en train d'échanger de belles paroles avec une Lannister ? Il aurait sans douté voulu s'énerver mais, comme toujours, un simple regard effrayé et embué de larmes de la colombe aurait suffi à le calmer. Tout fonctionnait par l'attendrissement, le charme, pour elle. Elle s'en sortait d'ailleurs à merveille.
Et le pelage du chaton, sa douceur et son joli minois, à elle, petit chat parmi les lions, la rendait semblable à l'oiseau blanc. Ensemble, elles auraient pu faire les quatre cent coups. Et elles pourraient le faire. Silithia écoutait d'une oreille attentive ce que disait Myrielle. Elle avait si peu l'habitude de faire cela sans analyser la moindre syllabe, et de laisser son cœur s'exprimer comme il le souhaitait !

-Je rêvais moi-même d'être un jour aussi redoutable qu'une lionne en chasse. Ce ne sont pas des plumes qui viendront écorcher ceux qui me barreront le passage.

Son grand sourire était alors amusé, sincère, tout comme son regard. Elle se redressa un petit peu, ramenant une mèche de cheveux derrière son oreille et lissant ensuite sa robe d'un petit geste.

-Et dites-moi tout, Myrielle, qu'en est-il de votre famille plus proche ? Nous n'avons de cesse de parler de votre oncle, mais il y a bien d'autres membres dans votre famille, n'est-ce pas ?

An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 6.

Daven et Cerenna... Un sourire glissa sur les lèvres de la jeune blonde, qui se souvenait de les avoir tous deux rencontrés. Le premier était un très bel homme, d'une douceur exquise et avec un sens de l'honneur indéniable. Quand à la seconde, tout chez elle semblait appeler à la luxure et au charme. Cerenna était une belle jeune femme qui, comme Silithia d'après les dires de Myrielle, se plaisait à user de ses charmes. La colombe sourit et, doucement, prit la parole.

-J'ai déjà rencontré vos aînés, commença-t-elle. C'était à Castral-Roc, je ne sais plus exactement quand... Mais je me souviens bien d'eux. Surtout de votre frère, rit-elle, je m'entendais bien avec lui. Un homme bon et doux. Elle se tut un instant, son regard divaguant vers un coin de la pièce tandis qu'elle réfléchissait. Son expression se fit amusée, ses yeux pétillant d'une malice certaine. Toute femme a en elle le pouvoir de charmer les hommes, et d'en faire ce qu'elle en veut. Il suffit d'un sourire, d'un regard vif et d'un langage un peu... piquant, disons.

La demoiselle de l'Ouest rit doucement à ces paroles. Il était vrai qu'un langage piquant et un peu de joie accrochée à un visage rendaient tout de suite une femme plus belle, plus douce, plus brillante aux yeux des hommes. C'était grâce à cela que Silithia avait charmé quelques hommes, brisant par la même occasion son vœu de chasteté en se donnant à l'un d'eux avant son mariage...
Cependant, lorsque Myrielle parla de sa mère, la colombe baissa doucement les yeux avant de les reposer finalement sur son amie. Affichant une mine assez triste, une lueur de compassion illumina son regard et elle posa doucement sa main sur l'avant-bras de Myrielle, le pressant doucement comme pour lui donner un peu de courage.

-Je suis navrée pour votre mère. La mienne s'est envolée il y a bien longtemps, et bien que je me souvienne de ce à quoi elle ressemblait -la plus belle femme qu'il m'ait été donné de voir-, je n'ai que peu de souvenirs d'elle, pour la simple et bonne raison qu'elle et moi n'avons jamais été proches... Enfin, nous l'avons été pendant les premiers mois seulement.

Les paroles qui suivirent lui arrachèrent un nouveau petit sourire. Être comparée à Daven... Bien que Silithia ne s'attendait pas à être comparée à une telle personne, elle le prit comme un compliment. Elle leva doucement les yeux vers Myrielle :

-C'est un magnifique compliment que vous me faites là... Votre frère est une personne que j'admire pour ce qu'il est, ce qu'il a fait. On dit que, lorsque vous étiez enfant, il vous a sauvée d'une meute de chiens. Est-ce donc vrai ? Je doute qu'il s'agisse là d'une simple rumeur infondée et inventée.

Elle appuya cette dernière phrase d'un autre sourire et porta à nouveau son verre à ses lèvres.

An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 6.

Silithia rit doucement aux paroles de la lionne. Daven avait-il réellement parlé d'elle ? C'était là quelque chose qui l'étonnait bien, puisqu'elle ne l'avait que brièvement rencontré lors de sa dernière visite à Castral-Roc. Cependant, la joie qui se lisait sur son visage fut marquée par un souvenir douloureux comme d'une cicatrice bien profonde. Sa mère... Elle sourit cependant, d'un sourire assez triste et mélancolique :

-Mon père décrit sans doute ma mère comme la plus belle qui lui ait été donnée de voir, souffla-t-elle. Je n'ai que peu de souvenirs d'elle, mais plusieurs tableaux la représentant son à Belcastel. Mon père a toujours refusé de s'en séparer tant il l'aimait. Elle sourit doucement, comme fière de l'éternelle fidélité de son cher père. Ce qui devait être le plus beau chez ma mère était son caractère... Un tempérament de feu ! Rebelle dans l'âme depuis sa plus tendre enfance, elle était une véritable sauvageonne qui n'avait jamais accepté l'échec et tout ce qui s'y apparentait.

Elle rit doucement en imaginant ô combien il avait dû être dur de marier sa mère à un homme dont elle ne voulait pas au départ, songeant cependant que c'était peut-être à cause de ce refus de l'échec qu'elle n'avait pas voulu d'elle. Silithia avait été son erreur, sa petite défaite, l'unique tâche blanche sur sa toile noire. Blonde aux yeux bleus, quelle infamie ! Pour une femme orgueilleuse comme Myriah, c'était sans doute une chose horrible.

Les paroles de Myrielle qui suivirent arrachèrent un nouveau sourire à la colombe, tandis qu'elle oubliait ses noires pensées. En effet, les Farman n'étaient pas réputés pour l'amour de leurs lions de suzerains. Sebaston avait osé penser à la rébellion, c'est pour dire combien il était remonté contre lord Tywin, à l'époque. Mais sa haine était plus féroce encore, des années après...

-Mon père ne porte pas votre oncle dans son cœur, ce n'est un secret pour personne... Elle eut un sourire en coin. Nous commettons tous des crimes ; le votre est d'être née lionne, le mien est d'être née de ce que certains appellent le sang de la pleutrerie.

Baissant les yeux vers son verre de vin presque entièrement vidé, la blonde rit doucement à ses paroles. Si Sebaston avait au moins tenté quelque chose, plutôt que de se taire, au moins aurait-il gardé une part bien plus importante de son honneur. En ployant le genou, courbant l'échine, il avait passé pour un lâche auprès de plusieurs personnes...
Silithia rit doucement, rendue bien joyeuse par l'alcool ; en effet, Daven était un homme à la réputation immaculée, honorable au possible. La blonde avait porté son vin à ses lèvres pour en finir le fond, lorsque les paroles de la lionne lui parvinrent, manquant de la faire s'étouffer, provoquant alors un silence immédiat dans la pièce. Épouser un Lannister... Un Lannister comme Daven, oui, peut-être serait-ce possible. C'était une très bonne idée, même si Silithia comptait bien viser plus haut. De toute manière, l'idée que venait de lui donner Myrielle resterait dans un coin de son esprit tant qu'elle serait célibataire. Elle sourit après de longues secondes de silence.

-Votre frère serait sans doute un excellent parti pour moi..., minauda-t-elle, l’œil pétillant de malice.