An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 8.

Les doigts de Silithia s'agitèrent longtemps avec les aiguilles pour tisser un joli châle bleu, entouré de rayures rouges et jaunes, et parcouru de trois bateaux gris. Elle en avait mis, du temps, mais la vieille et agaçante septa parvint encore à critiquer l'ouvrage de la demoiselle lorsqu'il fut achevé. En effet, d'après elle, l'un des bateaux était plus petit que les autres. Elle avait bien envie de soupirer avec agacement, mais ne souhaitant pas être sermonnée une fois de plus, elle adressa un sourire à la fausseté non dissimulée à la vieille peau qui ne cessait de lui faire des reproches. Du coin de l’œil, elle voyait le soleil descendre dans le ciel, et son impatience ne cessait de grandir en elle, aussi ne tarderait-elle pas à exploser. Posant fils et aiguilles sur ses genoux, elle leva son regard de glace vers la femme et soupira doucement.

-La nuit ne tardera pas à tomber, et mon père m'appellera certainement bientôt pour aller manger. Puis-je me rendre à mes appartements ? Il ne serait pas convenable que je me présente à table dans une tenue comme celle-ci.

Son regard se fit doux, comme si ses paroles étaient sincères. A vrai dire, n'importe qui aurait trouvé que sa tenue était tout à fait convenable ; elle portait une robe de soie bleue qui lui allait à ravir, et elle le savait. Cependant, la septa soupira à son tour. Le charme et le mensonge de la jeune femme de l'Ouest semblèrent agir sur elle, puisqu'elle vint récupérer les fils, aiguilles et l'ouvrage de son élève afin de les ranger dans un petit meuble prévu à cet effet. Elle ne lui répondit pas tout de suite, mais se tourna vers la jeune lady, la regardant d'un air quelque peu impitoyable qu'elle seule semblait posséder parmi toutes les septas chargées de l'éducation de Silithia.

-Allez-y donc, je préviendrai votre père que vous le rejoindrez très bientôt à sa table.

En quittant la pièce, elle repassa rapidement à ses appartements uniquement pour prendre le petit papier qu'un anonyme avait déposé dans sa chambre. Il était toujours à sa place, bien caché sous son matelas. Elle le relut. Il lui indiquait un lieu et une heure imprécise, ainsi qu'une personne à repérer au lieu-dit. Elle sourit, excitée à la simple pensée que quelqu'un voulait la retrouver dans une taverne en pleine nuit. Bien sûr, s'y rendre était risqué, et même idiot. Mais elle qui rêvait d'aventures, n'était-ce donc pas là un bon moyen d'échapper à son quotidien si monotone ? Puis, elle ne pouvait qu'obéir à sa curiosité.
On toqua à la porte, elle remit donc le mot sous son matelas et se releva.

-Silithia, ton père, Iline et Gared t'attendent pour manger.

L'intéressée se retourna et sourit avec douceur en voyant Shana, sa camériste en chef. Elle l'avait toujours considérée comme une mère. Elle la remercia silencieusement d'un regard que la grande brune ne connaissait que trop bien. Toutes deux se rendirent à la table qu'on avait dressé pour les Farman, et Silithia ne tarda pas à s'y asseoir.
Le temps sembla passer au ralenti tant elle avait hâte de se rendre à l'endroit indiqué. Elle ne cessait de se demander qui était ce mystérieux anonyme. Après le repas, elle se prépara au coucher, puis lorsqu'elle sut que tout le monde dormait, elle sut qu'il était temps...

Revêtant tout simplement une longue cape noire sur une robe de lin grise foncée -dans les plis de laquelle elle avait caché la dague héritée de sa mère- ainsi que des bottes de cuir, elle passa aussi le capuchon de la cape sur ses longues boucles blondes et sortit dehors. Elle usa de ruses pourtant simples et bêtes pour quitter le Donjon Rouge sans se faire repérer, un simple jet de pierres dans la direction opposée à la sienne suffisant parfois à attirer l'attention des gardes ailleurs. Peut-être étaient-ils braves et bons guerriers, mais ils ne brillaient certainement pas par leur intelligence...
Elle sillonna bientôt les rues de Port-Réal, prenant garde à ne pas tomber sur des gardes qui viendraient certainement lui demander la raison de sa petite « promenade nocturne » et qui, s'ils venaient à la reconnaître, l'emmèneraient devant son père pour qu'elle soit durement sermonnée. Elle fit donc attention aux rues qu'elle empruntait, puis arriva à destination. De dehors, elle voyait des lumières et des silhouettes danser à travers les carreaux. Elle poussa la porte.

Une taverne. C'était là une taverne. Elle fit un pas, puis deux, vérifiant autour d'elle s'il n'y avait pas de personne susceptible de la reconnaître. Elle ne vit que des roturiers qui buvaient incessamment. L'endroit empestait l'alcool -et pas de grands vins comme ceux qu'elle avait l'habitude de goûter- et la sueur. Plissant le nez, elle dût presque se forcer à respirer tant l'odeur était inhabituelle et détestable pour elle. Son regard balaya une seconde fois la seule, à la recherche de l'anonyme cette fois-ci. Elle le reconnut sans mal. Quelqu'un de discret l'était jusqu'au bout.
Tout au fond de la salle, un homme assez fin et tout vêtu de noir était assis seule à une table. Elle l'observa quelques instants puis une main boudinée agrippa son avant-bras gauche. Reculant, elle releva la tête et posa un regard hautain sur l'homme visiblement saoul.

-Hé ben ma p'tite dame, t'es seule ? Tu veux m't'nir compagnie ?

Garder son calme. Ne pas paniquer. Elle inspira doucement et serra les dents, son regard ne se faisant que plus froid. Elle lui répondit cependant d'une voix mielleuse, un sourire teinté de cette même expression l'accompagnant.

-Lâchez-moi immédiatement ou je vous coupe ce que vous avez de plus cher.

Ses yeux quelque peu troublant ne quittèrent ceux de l'homme que lorsqu'il la lâcha, et elle se dirigea prudemment vers le fond de la salle. Une fois face à l'homme quelque peu mystérieux, elle voulut le regarder dans les yeux, mais un masque couvrait son regard. Un masque en forme d'oiseau. Elle soupira en s'asseyant face à lui.

-Joli masque. Elle haussa les sourcils. Vous m'avez donné ce mot, que voulez-vous ?, demanda-t-elle en lui tendant le papier.

Si sa voix était un peu sèche -en même temps, à cause de cet homme mystérieux, un vieux saoul l'avait touchée-, elle restait impatiente à l'idée d'obtenir des réponses à ses questions... Et elle se demandait bien qui pouvait se cacher sous ce masque.

An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 8.

Quelle imprudence commettait-elle en venant ici ! L'endroit était très mal fréquenté, des ivrognes se serrant autour de petites tables pour se saouler toujours un peu plus. Le patron essuyait le comptoir à l'aide d'un chiffon déjà sale tout en jetant parfois un regard quelque peu méfiant vers les deux jeunes gens. Il lui arrivait aussi de regarder les autres, bien sûr, mais son attention était focalisée sur ces deux-là.

Tandis que Silithia s'asseyait en face de son mystérieux interlocuteur, il lui posa une question. Elle eut un sourire quelque peu amusé et étouffa un petit rire moqueur. L'honneur. Encore et toujours l'honneur. Tous les hommes ne juraient que par ça, c'en devenait ridicule à ses yeux ! A qui prêtait-elle allégeance ? C'était une question qu'elle s'était souvent posée, sans jamais parvenir à donner une vraie réponse. Son sourire tordit la commissure droite de ses lèvres, et elle prit le temps d'observer l'homme qui lui faisait face. Son visage étant complètement couvert par le masque d'oiseau, elle ne put en analyser les traits. Elle chercha alors des informations sur ce qu'il ressentait en observant un peu son corps du coin de l’œil. Son cou se tendit très légèrement, et elle en conclut donc qu'il y avait eu un mouvement au niveau du bas de son visage ; sans doute avait-il souri à son compliment. Il la regardait dans les yeux, l'observant attentivement. Elle ne connaissait que trop bien cela, et savait qu'il tentait de la cerner.
Au bout de longues secondes, elle se redressa bien et recula quelque peu le capuchon sur son crâne pour libérer un petit peu ses cheveux.

-Tout est toujours question d'honneur, à croire que vous autres, les hommes, vous ne jurez que par cela. Mon allégeance va à ma famille et à moi-même.

Ses yeux de givre restaient fixés sur son masque, comme si elle cherchait à le percer en quête de vérité. Elle aurait pu, arrivée devant la taverne, se résigner et revenir sur ses pas, retourner au Donjon Rouge et retrouver ses draps si doux et si chaud. Mais de toutes les questions qui lui étaient venues à l'esprit, la suivante ne lui vint jamais : y a-t-il des risques ? Oui, bien sûr, c'était évident. Mais elle préférait se dire que si l'on ne prenait pas de risques, la vie était terriblement monotone, et on s'inscrivait dans un cercle vicieux dans lequel Silithia serait bien obligée de se ranger, un jour. Mais tant qu'elle n'était pas mariée, tant qu'elle n'avait pas d'enfants, tant qu'elle était jeune, elle était libre. Elle redressa fièrement la tête et posa un regard calculateur et attentif sur lui.

-Et vous, dîtes-moi tout. Ces paroles furent soufflées sur un ton mielleux, et elle reprit. Comment dois-je vous appeler ? Et, je me répète, qu'attendez-vous de moi ?

A travers son regard de glace ne passaient qu'ambition, détermination et fierté. S'il s'attendait à trouver là une gamine peureuse et innocente, sans doute ne l'aurait-il pas contactée. Mais il l'avait fait. Juste un mot sur un lit, et elle était face à cet inconnu, répondant à son appel comme un loup qu'appelle sa meute. Mais elle n'était pas un loup, mais une colombe ; plus douce, plus fragile, plus innocente... d'apparence, du moins.

L'ennui, avec cet étrange homme, était qu'il semblait aussi calculateur, menteur et manipulateur qu'elle. Pour sûr, elle l'égalait dans ces domaines, et peut-être même le dépassait-elle. Toujours être plus maline que l'autre. Son sourire avait disparu depuis quelques secondes déjà, tandis qu'elle cherchait à percer la défense de l'autre ; il était bien caché, pour sûr, mais chaque armure a une faille, et elle ferait tout son possible pour trouver la sienne.
A nouveau, elle eut un sourire qui paraissait naturel. Léger et posé, comme un manteau de neige dans les nord, sur ses lèvres. Et elle murmurait :

-Pourquoi m'avoir choisie moi et pas quelqu'un d'autre ?

An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 8.

-Doucement, la curiosité est une qualité, mais l’empressement mène souvent à prendre des risques inconsidérés. Tout d’abord, sachez que je partage votre conception de l’honneur. Pour moi, c’est un concept creux … Quant à mon nom, je ne mets pas en doute votre sens de l’observation mais je tiens à mettre en exergue le paradoxe qui est de demandé à un homme masqué qui il est … mais vous pouvez m’appeler La Pie.

La Pie... Silithia esquissa un sourire ; son masque ne représentait pas un simple oiseau, mais une pie. Le patron de la taverne quitta son comptoir quelques instants pour venir leur proposer un vin dornien dont se délecta le mystérieux homme qui avait réclamé la présence de la demoiselle de l'Ouest. Ce dernier lui proposa d'en prendre un verre, mais elle refusa poliment. Tout d'abord, elle se devait de rester prudente et, de plus, elle pensait qu'il s'agissait là d'un vin de bien mauvaise qualité. Les dames ne buvaient pas n'importe quel genre de vin.

L'homme vêtu de noir, lorsqu'il parla de l'allégeance des Farman envers les Lannister, arracha un rire à la demoiselle. Sa famille était connue pour haïr leurs suzerains. Silithia n'avait rien de personnel contre les lions, et elle avait même apprécié la compagnie de lady Myrielle, avec qui elle était allée jusqu'à se lier d'amitié. Sans même l'avoir connu, elle était aussi plutôt admirative de Tyrion Lannister, le Lutin de Castral-Roc, car on disait de lui qu'il était aussi intelligent qu'intéressant. Peut-être était-il la honte de lord Tywin, mais au moins était-il cultivé. Silithia rêvait de le rencontrer. Mais elle haïssait Tywin plus que tout. Le vieux lion paierait. Elle souffla.

-Je ne suis pas sotte, dit-elle d'abord d'une voix sèche.

Elle leva son regard glacé sur l'homme. Un sourire narquois se déposant sur ses lèvres comme un papillon sur une fleur colorée, elle adopta un ton mielleux et qui se voulait provoquant, tandis qu'elle disait avec douceur :

-Permettez-moi de douter de votre perspicacité. Les Farman ne seront jamais réellement fidèles aux Lannister. Ils ne sont pas les seuls à payer leurs dettes. Elle soupira. Ma famille a, certes, prêté allégeance aux lions, mais un jour les choses tourneront. On ne leur sera pas fidèles. Jamais.

Ses yeux brillaient d'une lueur de rage et de détermination, sans qu'elle soit pour autant en colère. Elle souriait toujours, doucereuse et quelque peu moqueuse. Redressant son dos et son port de tête dans une allure pour le moins hautaine, elle ramena une mèche blonde derrière son oreille droite et ses doigts coururent l'instant d'après sur la table, en tapotant le bois dans de petits bruits sourds.

Arquant les sourcils, elle porta son regard sur la Pie, toujours hautaine. Ses yeux dans lesquels se déchaînaient des tempêtes de neige défiaient l'homme, tandis que son sourire restait figé sur ses lèvres. A nouveau, elle souffla :

-Il me semble que j'ai répondu juste cette fois-ci. Vous savez à qui va mon allégeance et ce que je pense des Lannister. Maintenant, j'aimerais savoir quelle est cette mission dont vous me parlez.

Sa voix, parfaitement calme et posée, était juste assez forte pour que lui seul l'entende. Ses doigts se figèrent, cessant de tapoter le bois de la table. La Pie lui avait dit qu'elle semblait être celle qu'il lui fallait. Pourquoi ? Il devait l'avoir observée, et savoir qui elle était, ce qu'elle cachait. Une menteuse, un mensonge à elle-même, qui manipulait et calculait sans cesse tous ceux qui se trouvaient sur son chemin.
Il la voulait elle et, s'il avait quelque chose d'intéressant à proposer, elle marcherait sans peine avec lui, prête à trahir et à mentir si elle pouvait en tirer profit.

An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 8.

A la réponse de Silithia, elle le sentit sourire, voyant à nouveau son cou se tendre quelque peu. Le visage masqué de la Pie se tourna vers elle et resta fixé ainsi. Il finit son verre de vin, et la regarda à nouveau. Elle pinça les lèvres, attendant avec impatience une réponse à sa question. Ses mains jointes et posées l'une sur l'autre sur la table, ses ongles se plantèrent dans sa paume. Silithia arrivait généralement à contenir cette impatience dont elle faisait souvent preuve, mais cette fois-ci, le mystère était trop grand, il durait trop longtemps.

Lorsque son mystérieux « employeur » tira de sa veste un petit parchemin, la demoiselle de l'Ouest se redressa encore et se pencha un peu sur la table. Il lui expliqua alors ce qu'elle risquait en cas d'échec. L'emprisonnement ou la mort. Mais Silithia retint surtout une petite phrase. « Je suis ravi que votre affection pour Myrielle Lanniser ne vous ait pas détournée de votre rancœur avec les Lannister. » Elle fronça les sourcils.

-Je ne crains ni l'emprisonnement, ni la mort puisque je ne me ferai pas prendre. J'en ai la certitude. Elle redressa un peu plus la tête, le menton haut, et reprit. Mais... Myrielle n'est en rien responsable des erreurs des Lannister. Si j'espère voir un jour la tête de Tywin sur une pique, je ne veux pas qu'il arrive quelque chose à Myrielle. Elle n'a rien à voir avec son oncle, je la connais bien.

La suite des paroles de la Pie capturèrent toute l'attention de Silithia et lui arrachèrent un sourire en coin. L'histoire commençait à l'intéresser. Redorer le blason de sa famille... Ses yeux se mirent alors à briller d'intérêt. Les Lannister, se prosterner à leurs pieds... Son sourire s'agrandit tandis qu'elle s'imaginait supérieure aux lions. Ordonnant des choses à Tywin, lui lançant quelques piques sans craindre qu'il n'anéantisse sa famille.
Et dire que son père rêvait de venger les Reyne... Dans l'esprit de la jeune colombe germa une idée un peu farfelue ; si en partie grâce à elle, les Lannister venaient à tomber, elle pourrait devenir la fierté de sa famille toute entière. Son sourire étirant toujours sa commissure droite, elle arqua les sourcils et regarda la Pie.

-C'est une proposition alléchante que vous me faites là, minauda-t-elle. Je serais idiote de refuser, c'est bien une chance à saisir. Mais... Où est le piège ? N'y en a-t-il pas ?

Silithia avait eu sa dose d'imprudences pour cette soirée-là, aussi se devait-elle de collecter un maximum d'informations sur la soi-disant mission dont lui parlait la Pie. Elle était réellement intéressée, car elle qui rêvait de richesse et de puissance pourrait enfin être comblée. Son sourire ne quittait pas ses lèvres, tant l'idée d'enfin réaliser ses rêves, atteindre son but, lui était douce et agréable. Son regard rivé sur la Pie semblait le défier ; qu'avait-il à lui apprendre de plus sur cette mission pour laquelle il l'avait choisie ?

An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 8.

Myrielle n'était donc pas une menace, « dans l'immédiat » précisa-t-il. Silithia se retint de froncer les sourcils, mais ne laissa rien paraître, bien qu'un nuage d'inquiétude passa dans son regard. Elle observait la Pie d'un œil attentif, l'écoutant sans rien dire. Myrielle n'était pas une lionne comme les autres, elle était un chat. Un chat parmi les lions. Elle avait des griffes, des crocs, mais était bien moins féroce et bien plus réfléchie que les autres félins. Elle était son amie, et elle ne pouvait se résoudre à la laisser mourir sous ses yeux. Elle pinça quelque peu les lèvres, une mine quelque peu méfiante, prudente, s'emparant de son visage.

Son rire parvint aux oreilles de la colombe comme une moquerie qu'elle n'apprécia guère. L'espace d'un instant, elle regarda du côté du comptoir. Tournant à nouveau son regard vers son mystérieux interlocuteur, elle leva la tête, hautaine. Le parchemin roulait doucement entre les doigts de l'homme. Ses yeux passèrent des mains occupées de l'homme jusqu'à son visage masqué.

-Le seul danger de cette mission réside en tes capacités, si tu ne t'investis pas à fond dans cette mission, tu me feras perdre mon temps et donc tu seras plus longtemps l'esclave du vieux lion. S'il n'y a pas de piège dans ma proposition c'est parce que nous avons un objectif commun : faire tomber les Lannisters. Les ennemies de mes ennemis sont mes amis. Tu as accès au Donjon Rouge et ta famille est relativement proche des lions. Tu es donc la personne idéale pour cette mission.

Elle hocha doucement la tête. Ses capacités... Elle savait user de ruses, de ses charmes et de mensonges pour parvenir à ses fins. Elle était une excellente séductrice comme une parfaite menteuse. Et il avait raison, elle était la personne idéale pour la mission que la Pie lui confiait : elle était constamment à proximité des Lannister, et pourrait donc facilement les approcher et savoir ce qu'ils avaient à cacher. Seulement, elle refuserait net de faire quoi que ce soit à l'encontre de Myrielle et de sa famille proche ; elle était fidèle à ses amis, et Myrielle en était.
Elle réfléchit aux questions qu'elle pouvait lui poser. Elle n'en voyait aucune. Hochant à nouveau la tête, elle encouragea la Pie à continuer :

-Allez-y, je vous écoute. Je n'ai pas de question.

Elle attendait avec impatience sa réponse ; que lui voulait-il donc vraiment ? Quel allait donc être son objectif ? Elle souffla doucement, redressant la tête et les épaules. Mille questions à propos de sa mission lui trottaient dans la tête. Son visage complètement tourné vers lui, elle inclina la tête pour appuyer ses paroles, un petit sourire collé aux lèvres ; si la mission lui posait problème, elle trouverait bien un moyen de faire tourner les choses en sa faveur.

Spoiler:

An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 8.

La pichenette que donna la Pie sur le petit parchemin le fit rouler sur la table, jusqu'à Silithia qui l'arrêta du bout des doigts, le déroula et le lut. Des instructions. Une mission. Elle eut un sourire en coin, hochant lentement la tête tandis que ses yeux glacés parcouraient à plusieurs reprises les lignes inscrites sur le papier. Son regard se levant doucement vers son employeur que le mystère tout entier couvrait, elle écouta ce qu'il avait à dire. Ce n'était là que la première étape, « une sorte de test pour évaluer tes capacités » comme il le lui dit.

-Je peux me mettre qui je souhaite dans la poche. Ce sera là un jeu d'enfant.

Un jeu d'enfant... Son père semblait la prendre encore pour une enfant, pour sa petite fille adorée. Sans doute était-ce naturel, pour un père ayant élevé seul ses enfants -et sa fille aînée tout particulièrement-, d'être si protecteur avec ladite aînée. Mais Sebaston n'avait aucune idée de ce qu'était réellement sa fille. Manipulatrice, calculatrice. Et sans innocence, désormais. Depuis longtemps, d'ailleurs. Elle laissait ses yeux suivre les mouvements de l'homme masqué, qui portait une fois de plus son verre de vin à ses lèvres.

Levant légèrement la tête et tenant plus droit encore son dos, elle tritura encore quelques secondes le parchemin qu'elle ne cessait de faire rouler entre ses doigts. Elle le replia, et le tendit à son interlocuteur, soufflant alors :

-Croyez-vous vraiment que je vais crier sur tous les toits quel test vous m'avez donné à faire ?

Se fendant d'un sourire narquois, elle ne réfléchit qu'un instant avant de prendre le verre vide qui se trouvait posé devant elle, et de se servir du vin. Elle le porta à ses lèvres, huma rapidement l'odeur du doux nectar, et en but prudemment deux petites gorgées avant de reposer le verre sur la table. Il n'avait rien à voir avec ceux qu'elle avait l'habitude de goûter. Elle était bien habituée aux crus de la Treille, au brandevin, ou à de l'hydromel de la plus haute qualité. Le vin dornien était moins bon, mais pas dégoûtant pour autant. Elle ne put cependant réprimer une légère grimace. Il n'était pas assez bon pour elle ; elle était une noble, pas une simple roturière.

An 298 • Douzième lune • Semaine 1 • Jour 8.

La seule réponse qu'obtint Silithia la satisfit. Des personnes dignes de confiance... A part Shana, elle ne connaissait personne en qui elle ait entièrement confiance, mais elle refusait d'entraîner celle qu'elle considérait presque comme sa mère dans une pareille histoire. Sans doute serait-ce là le seul secret qu'elle ne lui confierait pas. Si elle connaissait une personne qui pourrait rejoindre le petit réseau que semblait se créer la Pie, alors elle devrait se balader dans les bas fonds de Port-Réal. En avait-elle envie ? Non. Et pourtant, sans doute y serait-elle obligée. Par chance, passer outre la surveillance des gardes du Donjon Rouge était finalement simple pour une jeune fille aussi discrète que Silithia. Elle hocha donc la têt et regarda son employeur se lever et jeter le papier au feu, se disant ravi de l'avoir rencontrée. Elle lui offrit un sourire poli.

-Moi de même, messire Pie.

Son sourire s'élargit, malicieux. Lorsqu'il quitta la taverne, elle posa son regard sur le papier qui s'embrasait, les flammes en léchant les bordures et le dévorant bientôt tout entier, avant qu'il ne soit plus que cendres. La Pie n'ayant visiblement pas payé les boissons, Silithia posa quelques pièces sur la table ; ça suffirait bien au tenancier. Se levant, elle rabattit le capuchon couleur corbeau sur ses boucles dorées, quittant rapidement l'auberge et retournant au Donjon Rouge avec rapidité, sans courir pour autant, afin de ne pas éveiller de soupçons. Et, revenue à sa chambre, elle n'attendit pas un seul instant avant de se coucher. Le sommeil ne lui vint cependant que très tard, tant les pensées se bousculaient dans son esprit.
Enfin, elle avait un petit peu de piquant dans sa vie.