Au-delà du mur - 298 - Lune 11 - Semaine 3 - Jour 4

« Assez ! »

La voix avait claquée à la manière d'un fouet dans la forêt, et les hommes qui assaillaient Luna s'immobilisèrent immédiatement. Le ton glacé n'admettait aucune réplique, et les soldats se tournèrent vers celui qui avait parlé, tous sauf un, le plus massif d'entre eux, qui était assez expérimenté pour ne pas quitter la sauvageonne des yeux. Bien au contraire même, il tendit sa large épée bâtarde vers elle pour lui couper l'envie de se jeter sur eux. Ses yeux étaient d'un bleu si sombre qu'ils en étaient presque noirs. Pourtant, Luna put voir sa détermination vaciller quand la voix glaciale reprit.

« Vasgard, ne lui fais pas de mal.

- C'est une sauvegeonne, Monsieur.

- Et nous sommes au-delà du Mur, ils ont le droit d'y être il me semble. »

Un cheval s'avança vers l'homme, large étalon blanc surmonté d'une silhouette blafarde. Le petit homme qui avait arrêté les soldats se tenait emmitouflé dans une large cape aux fourrures blanches, qui ne faisait que mettre en valeur la blancheur morbide de sa peau. Même ses yeux semblaient vouloir s'accorder avec la neige locale ; l'un d'eux étaient d'un blanc glacé, et l'autre d'un bleu étrangement clair. Il les posa longuement sur Luna, semblant la jauger, avant qu'il ne se retourne vers son subalterne.

« La Garde veut que nous apportions des vivres à certains de ses patrouilleurs, pas que nous massacrions le peuple local.

- Elle nous as attaqué, Lord Ades.

- Je ne suis pas ton Lord. Et je sais ce qu'elle a fait. »

Le jeune homme poussa un soupir, Vasgard lui était dévoué et plus fidèle qu'un chien, mais il lui arrivait de sauter trop vite aux conclusions. Il n'avait vu qu'une femme se jetant sur eux en même temps qu'un loup, ou non ; un Direwolf, vu la taille. Ades, lui, voyait plus loin. Si cette femme était une sauvageonne, soit elle était la pire chaserresse qu'il ait jamais vu, soit elle avait fait ça pour empêcher ses hommes de tuer la bête, se plaçant entre eux et formant ainsi une cible bien plus dangereuse. L'héritier Overton n'oubliait pas qu'elle avait faillit décapiter Reed avec sa hache, heureusement, tout le monde était entier. Pas forcément indemne, mais entier.

Pendant que ses soldats reprenaient contenance, le jeune homme descendit prudemment de cheval, saisissant la canne accrochée à la selle pour se rapprocher à petit pas de la sauvageonne. Il resta tout de même prudemment derrière l'immense Vasgard, qui menaçait toujours la femme de son épée. Alors que ses hommes tentaient de refermer leur cercle autour d'ele, il leur fit signe de ne pas bouger, cela ne servait à rien de paniquer un peu plus la sauvageonne. Pourtant, dans sa position, il devenait difficile de s'échapper, mais tant mieux, c'est ce qu'il voulait. Sa voix reprit, plus douce cette fois, tentant manifestement de calmer le jeu.

« Calmez-vous ... mademoiselle. Nous ne vous ferons aucun mal si vous n'attaquez pas, d'accord ? »

Encore une fois, Ades se bénit d'avoir insisté pour n'être accompagné que de ses propres hommes, il n'aurait sans doute pas pu donner ainsi les ordres si c'était la garde de la nuit qui les accompagnait. Quand il s'était porté volontaire pour apporter quelques vivres à ceux qui veillait au-delà du Mur, le jeune homme avait espéré satisfaire ainsi sa curiosité, mais il n'en espérait pas tant. Cette femme n'avait pas attaqué par hasard, que ce soit pour protéger ou pour aider le loup, elle avait attaqué avec lui, et savait manifestement lui parler. De vieilles légendes remontaient à l'esprit du jeune homme ; des légendes qui parlaient de "Zoman".

Des yeux ardoise sous une capuche de fourrure gris-blanc, baissés sur la blancheur du sous-bois. Relevés pour scruter les alentours. Baissés à nouveau, mouvements presque trop rapides pour être perçus. Deux mains tenant un arc au niveau des hanches, index et majeur repliés avec décontraction autour de l'encoche de la flèche. Une décontraction qui peut se changer en rapidité mortelle. Craquement léger de la neige sous les bottes fourrées. Luevan suit une piste de sabots fendus, larges, souverains. Si elle arrive à rattraper l'orignac et à le tuer... Il faudra appeler du monde à la rescousse pour ramener le gigantesque cervidé au camp. Mais la gloire !

Une autre série de traces fait bifurquer la jeune femme sans même qu'elle se pose la question. Les larges pattes griffues d'un direwolf ; des empreintes de semelles, plus récentes. Un zoman et son loup ? Une zoman, plus probablement, vu la petite taille des traces et leur légèreté. Les yeux de Luevan scintillent d'intérêt et elle presse le pas, sans changer sa prise sur son arc. Elle ne perd jamais une occasion de parler aux zomans, même si ceux-ci n'ont jamais vraiment su répondre à ses questions. « Il ne suffit pas de le vouloir pour devenir un change-peau », qu'ils disent. On verra bien... Elle leur montrera, à tous, qu'il suffit de vouloir assez fort.

Sa tête se redresse avec une brusquerie de cobra lorsqu'elle entend le hurlement. Luna. C'est Luna, elle en mettrait sa main à couper... Son pas s'accélère encore tandis que sa silhouette se voûte ; bientôt elle court quasi accroupie, tandis que d'autres bruits lui parviennent : le renâclement des chevaux, des éclats de voix masculines, le tintement du métal contre le métal... Non... Non, non, non... Pourvu que...

Elle jette un unique coup d'œil par-dessus le talus enneigé avant de se redresser, l'arc bandé, visant une personne bien particulière. Le boiteux qui commande. Puis elle rassemble toutes ses connaissances en langue commune et articule avec un accent à couper au couteau :

« Vous laisse partir cette fille, sinon petit homme, flèche dans la tête. »

Le jeune homme eut tout d'abord un sourire, lorsque la sauvageonne confirma obligeamment le lien qui l'unissait à l'animal. Cela ne voulait pas dire qu'elle faisait partie de ces légendaires Zomans, mais c'était tout de même un constat plus qu'intéressant, il était rare de se lier ainsi à des bêtes, en particulier du genre de ces Direwolf. Le symbole de la maison Stark n'était pas vraiment réputé pour sa gentillesse, ou pour faire un bon animal de compagnie, quoique certains Stark auraient sans doute quelque chose à y redire. De toute façon, ce n'était pas sur cela qu'il fallait se focaliser : si la bête revenait, ce serait sans aucun doute un danger en effet. Il faudrait donc bouger rapidement, mais Ades n'avait ni envie de tuer cette sauvage, ni de s'encombrer d'une prisonnière.

Vasgard se tournait de temps en temps vers lui, l'interrogeant du regard, sans qu'Ades ne réponde par autre chose qu'un regard vague. Finalement, le maître d'arme abandonna, comprenant que son futur Lord était en pleine réflexion, et il le connaissait assez pour savoir qu'il était inutile de le déranger à ce moment là. Ses réflexions furent cependant interrompues de toute façon, à l'instant même où la Sauvageonne parla, pour signaler la présence de quelqu'un. Au moment où les moments "flèche dans la tête" retentirent, chaque hommes se retourna brusquement, sauf un qui eut la présence d'esprit de garder Luna en vue. Deux soldats tendaient déjà leurs arcs. Mais ce fut sans conteste Vasgard le plus rapide ; en quelques pas rapides, il se plaça entre la nouvelle arrivante et son jeune maître, formant un rempart de son immense corps. Ades eut un hoquet de surprise.

« Vasgard, non ... ! »

Il ne se passa rien, pendant une ou deux secondes, le temps pour Ades de se rassurer ; la sauvegeonne n'avait pas tiré. Elle avait eut l'intelligence de ne pas gâcher sa flèche maintenant que le chef n'était plus en vue. Vasgard avait fait un pari risqué, tous les sauvageons n'auraient peut-être pas été si intelligent. Ades décida qu'il serait temps de l'engueuler plus tard, pour l'heure, il ne devait montrer aucune crainte et un masque froid et peignit sur son visage.

« Bien joué. Tenez la bien en joue. »

Son regard vairon se tourna un bref instant vers Luna, mais c'est à l'autre sauvageonne qu'il s'adressa, d'une voix forte qui lui parvenait de derrière l'immense garde du corps.

« Je ne compte pas la tuer. Et toi non plus. Baisses ton arme et tout ira bien. Tires, et vous mourrez toutes deux. »

Cette fois, son regard bancal sut trouver celui de Luna, ses pupilles disymétriques semblant vouloir lui percer le crâne. Il y avait une précaution supplémentaire à prendre, au cas où l'autre sauvageonne n'aurait pas tout compris ; elle n'avait pas l'air de très bien parler la langue commune.

« Montre toi raisonnable, et explique-le à ton amie. »

Le premier coup d'œil de Luevan avait été entièrement consacré à analyser la situation stratégique : Où est Luna, dans quel état ? Où est celui qui commande ? Sa ligne de tir est-elle dégagée ? La chasseresse n'avait donc guère eu le loisir de détailler celui dont la pointe de sa flèche, à présent, vise le front.
Une certitude : il n'aurait pas survécu deux jours de ce côté-ci du Mur s'il y était né. La canne, l'œil laiteux, la taille réduite... La jeune femme grimace légèrement en pensant à son propre cas, et revient sur sa première impression. Ce n'est pas parce qu'on a l'air faible qu'on l'est, elle est bien placée pour le savoir...

Et, bon sang, la suite confirme ses doutes. Le demi-géant qui sert le petit noble vient s'interposer entre la flèche et sa cible, ruinant aussitôt le peu d'ascendant que Luevan avait pu prendre sur la troupe d'Agenouillés. Qu'elle tire ou non, seule la menace de le faire comptait ; or elle doute fort que le dit Vasgard soit aussi précieux pour ses compagnons que sa cible précédente.

« Je ne compte pas la tuer. Et toi non plus. Baisse ton arme et tout ira bien. Tire, et vous mourrez toutes deux. »

Luevan a déjà relâché sa prise sur son arme lorsque le conseil lui parvient ; elle abaisse l'arc et, tout en gardant ses mains bien en vue, range la flèche dans le carquois qui pend à sa hanche. Son visage renfrogné trahissant sa résignation, elle écarte ensuite les deux bras, son arc pendant au bout d'une de ses mains comme l'accessoire inutile qu'il est devenu.

Il ne lui a pas fallu des heures, en effet, pour reconnaître sa défaite. De plus, dans les yeux du petit homme scintillent la perspicacité... et surtout la curiosité. Elle se décide à faire le pari qu'il dit ce qu'il pense... Et puis, ce n'est pas comme si elle avait tellement le choix.

Elle se tourne vers Luna et lui adresse un sourire contrit qui pourrait signifier : « Désolée... J'ai essayé. »

« Montre-toi raisonnable, et explique-le à ton amie », a dit l'homme. Luevan devance la réponse de Luna :

« Je compris. Plus facile comprendre que parler. »

Restant tournée vers son amie – de toute façon, le petit noble est toujours caché derrière l'immense Vasgard – elle soupire et lance, dans l'ancienne langue, celle du Peuple Libre :

« Comment... Pourquoi ? »

Écartant encore plus les mains, elle désigne toute la scène, renonçant à préciser ses questions.

Plus facile de comprendre que de ne parler, sur le coup, Ades ne pouvait qu'être d'accord avec la sauvageonne. Et elle était raisonnable, tant mieux, elle se rendit sans coup férir. Le jeune homme aurait détesté avoir à tuer deux jeunes femmes, même appartenant au Peuple Libre, et il aurait détesté encore plus de déplorer des blessés dans son camp, surtout s'il en faisait partie. La menace n'était pas écartée, mais la situation semblait un peu sous contrôle.

La nouvelle venue parla de nouveau, mais pas en Language Commun cette fois ; dans une langue que le jeune homme reconnue aussitôt : l'Ancienne Langue. Et l'autre s'empressa de traduire, comme s'il ne pouvait pas comprendre. Il s'apprêtait à lui expliquer quand elle s'adressa à sa "sauveuse" dans la même langue, c'était un avantage en fait. Apparemment, les deux femmes le prenait pour un de ces crétins du Sud qui n'apprenait que les langues des Cités Libres, et encore. Mais Ades Overton était un Nordien, même si son mestre ne parlait pas l'Ancienne Langue, le jeune homme s'était arrangé pour l'apprendre, et cela payait aujourd'hui.

A la question de Luna, le jeune homme ne répondit pas tout de suite, faisant d'abord quelques pas dans leur direction, les deux mains tendues en signe de paix. Derrière lui, Vasgard restait très attentif et un soldat tenait toujours les deux femmes en joue, il ne les en dissuada pas. Lorsque le jeune homme parla, ce n'était plus dans le language de Westeros, mais il avait pris les intonations gutturales de l'Ancienne Langue et la maîtrisait apparemment très bien.

"Votre frère ? C'est une façon amusante de qualifier un loup. Un Direwolf, même, si je ne m'abuse ?"

L'héritier Overton sourit de toute ses dents, savourant sa petite surprise. Mais il ne laissa pas le temps à ses interlocutrices de répondre, préférant d'abord éclaircir les choses, ce serait sans doute plus rassurant pour elle.

"Pour commencer, les présentations, d'accord ? Je ne tiens pas à vous tuer. Je me nomme Ades, de la famille Overton. Comment dois-je vous appeler ?"

Manifestement, le jeune homme tente de calmer le jeu, et il semble sincère en annonçant qu'il ne veut pas tuer ses deux prisonnières. Et pour cause, lui-même n'y voit qu'un intérêt très limité.

"En théorie, je serais en droit de vous tuer toutes les deux, sans avoir à me justifier à la garde ou à qui que ce soit. Mais je ne tiens pas à le faire. Alors, maintenant, on pourrait ... discuter ? J'ai besoin d'informations, j'aurais des questions à vous poser. Après ça, vous pourrez partir.

Au regard reconnaissant de la louve, Luevan répond par un sourire rayonnant. Les mains toujours soigneusement écartées du corps, elle ne se fait guère de souci : si elle doit mourir, ce sera une mort honorable. Et tant pis si certains prétendent que Luna est maudite. Luna appartient bien davantage au Nord que toutes les mauvaises langues superstitieuses du Peuple Libre. Elle vaut la peine de tenter qu'on sauve sa très jeune vie.

« Ils ont failli tuer mon frère. »

Le sourire de la chasseresse s'accentue. Le mot « failli » sauve tout ; le direwolf noir... Maytook ? est vivant, sa sœur aussi – du moins pour l'instant – et rien dans l'attitude du petit homme ne laisse supposer qu'il va les exécuter.

"Votre frère ? C'est une façon amusante de qualifier un loup. Un Direwolf, même, si je ne m'abuse ?"

Crispant les mâchoires, elle s'abstient de répondre à la place de Luna. S'il s'imagine qu'elles vont se mettre à lui raconter leurs vies, alors que certains de leurs frères sont capables de se trancher la langue d'un coup de dents lorsqu'ils sont capturés, pour éviter de parler... Le nabot du Sud se fait manifestement beaucoup d'illusions.

Son visage, parfait reflet de ses émotions, accuse le choc lorsqu'elle réalise qu'il a parlé dans leur langue, presque sans accent. Puis le soulagement l'envahit, clairement perceptible à qui la regarde, quand elle s'aperçoit qu'il a dévoilé cet atout beaucoup trop tôt, bien avant qu'elles aient pu échanger entre elles quoi que ce soit de compromettant. Un sourire narquois se dessine même sur ses lèvres.

"Pour commencer, les présentations, d'accord ? Je ne tiens pas à vous tuer. Je me nomme Ades, de la famille Overton. Comment dois-je vous appeler ?"

Et puis quoi, encore ? Trinquer ensemble à la bonne santé des uns et des autres ? Et pourquoi pas un beau mariage, pendant qu'il y est ?

« Appelle-moi Sauvageonne », lâche-t-elle avec hauteur.

"En théorie, je serais en droit de vous tuer toutes les deux"...

Luevan est incapable d'écouter la suite, suffoquée d'indignation. Ce type... Ce type ose parler de droit, alors qu'il se trouve de leur côté du Mur ? Elle ne peut attendre qu'il ait fini sa phrase avant d'exploser :

« Tu en justifieras devant mon frère ou devant le sien ! » Elle désigne Luna, la colère ne l'aveuglant pas assez pour dévoiler le nom de cette dernière. « Si nous mourons, tu meurs, et toute ton escorte avec toi. C'est juste une question de temps. Mais ne parle pas de droit ! Nous n'avons fait que nous défendre, et nous sommes chez nous. »

C'était ça, le Peuple Libre ? C'était ça les Sauvageons mangeurs d'enfants, pilleurs de villages ? Les pires ennemis de la Garde de la Nuit et la menace constante qui planait sur le Nord ? Deux gamins qui s'amusent à lui faire des leçons sur le fait qu'il n'a pas le droit de tuer, sauf pour vivre ? Ades avait toujours trouvé que les racontards sur les hommes vivant au-delà du Mur était exagéré, mais jamais il n'avait imaginé que ce soit à ce point. Cette pensée le fit sourire, mais il effaca bien vite ce trait de ses lèvres et se contenta de les écouter parler, en affichant l'air le plus neutre qu'il puisse se donner. Lorsqu'elles eurent terminés, il promena son regard vairon sur elles, puis sur les hommes qui leur barraient la route, enfin, il revient à la carriole, croisant un instant celui de Vasgard. Ce dernier, comme tous les soldats, ne comprenait rien à ce qu'ils étaient en train de se dire, mais c'était sans doute pour le mieux.

Le vent était maintenant le seul son qui agitait les lieux, et il n'était pas vraiment agréable. Ades n'en tint pourtant pas compte, restant silencieux encore quelques minutes, son regard capturant de temps en temps quelques détails. Il nota d'ailleurs l'écharpe que portait la première sauvageonne qui les avait attaqués. Une écharpe brodée, issu d'un vol peut-être ? Mais il y avait autre chose ; il avait l'impression d'avoir déjà vu ça quelque part. Néanmoins, lorsqu'il eut la certitude de les avoir fait attendre assez longtemps, il regarda de nouveau Luna. Son regard vairon la fixait calmement, sans aucune animosité.

"Pourquoi devrais-je vous faire confiance à vous ?"

Le jeune homme avait haussé un sourcil en posant sa question, le ton était froid, mais pas pour autant mesquin ou hautain, il posait simplement une question. Presque innocemment. Il la laissa traîner dans les airs quelques secondes, que les Sauvageonnes comprennent bien ce qu'il voulait dire, avant d'enchaîner.

"Toi *il désigna Luna* Tu t'es jeté sur nous en hurlant, en même temps qu'un direwolf. Et toi *il passa à Luevan* La première chose que tu ait faites en arrivant et de memacer de mort. Tu en avais donc le droit ? Pourtant, je ne menaçais pas ta vie."

Se retournant doucement, il désigna ses hommes, puis le chariot qu'ils escortaient.

"Certains prétendraient que je devrais vous tuer simplement parce que vous avez vu ceci, et que vous risquez de nous suivre, ce qui mettrait en danger des Frères Noirs. Il ne s'agit pas de manger, ni de ma vie, mais de protéger d'autres vies. Alors dites-moi donc, pourquoi moi je devrais vous croire ? Vous ne m'avez guère donné de raison de vous faire confiance."

Le soupir qui échappa de ses lèvres forma un petit nuage blanc devant son visage, il semblait presque las. Le jeune homme s'appuya un peu plus sur sa canne, fixant son regard vairon sur ses deux interlocutrices.

"Certains diraient que, puisque vous avez toujours vos têtes sur vos épaules, c'est plutôt bon signe. Mais je comprends vos réserves."

Se redressant un peu, il adressa un regard à chacun de ses soldats, à part Vasgard, tous semblaient particulièrement tendus. Les épées étaient dégainées, les arcs tendus, tout ce qu'il fallait pour créer une atmosphère de tension. Alors, en reprenant sa langue maternelle, et d'une voix douce et calme, il prononça distinctement.

"Baissez vos armes ... Et rompez-moi ce cercle, qu'elles puissent partir."

Durant un instant, ils l'observèrent comme s'il était soudainement devenu fou, mais la plupart le connaissaient assez pour savoir que ce n'était pas le cas. Ils baissèrent doucement leurs épées, débandant leurs arcs, et reculèrent de plusieurs pas, avant de venir se réunir auprès de leur chef. Manifestement, ils se méfiaient toujours et tenaient à le protéger, si coup fourré il devait y avoir. Seulement, le colosse avait toujours son épée bâtarde tendue devant lui. Ades tourna vers lui un regard froid.

"Ades ... Je ne sais pas ce que tu leur a dit, mais ce sont des sauvages et ..."

"Baisses. Ton. Arme."

Le ton n'aurait pas put être plus clair, ni plus froid. Ades savait se faire obéir quand il le voulait et cela s'exprimait essentiellement par sa voix, ainsi que par le regard glacé qu'il jetait à son garde du corps. Celui-ci hésita encore quelques instants, tentant de soutenir le regard du jeune homme. Mais il sut que c'était terminé au moment où il déglutit péniblement, son épée se baissant jusqu'à ce que la pointe effleure la neige.

"Bien, prépares les chevaux, nous n'allons pas rester longtemps."

"M'si... Ades, ce sont des Sauvageonnes et ..."

L'interrompant, le jeune homme acquiesça doucement et se retourna vers ses deux "prisonnières qui ne l'étaient plus tellement", reprenant les intonations gutturales de la Langue Ancienne.

"J'aimerais vous demander de jurer sur les Anciens Dieux que vous ne nous suivrez pas. Si vous le faites, je serais vraiment obligé de vous faire prisonnière, ou de vous tuer. Et j'en serais navré."

Il avait l'air sincère. A vrai dire, il était curieux de voir ce qu'elles auraient à répondre à cela ; il n'était pas certain de connaître l'importance des Ancienx Dieux pour les Sauvageons, mais jurer sur eux serait sans doute ce qu'il pourrait obtenir de mieux. Avec un léger soupire, il rajusta se prise sur sa canne et s'appuya un peu dessus, attendant la réponse.

De mauvaise grâce, Luevan se laisse tirer derrière Luna, peu habituée à se laisser protéger comme une princesse – ou comme un nobliau nain et boiteux. En plus, la louve est grande, autant qu'elle – et si ça se trouve, elle n'a même pas encore fini de pousser. Luevan en est réduite à regarder par-dessus l'épaule de son amie, tâchant de communiquer à travers leurs doigts serrés. Aux tremblements de Luna, elle répond par une pression rassurante ; pour les regards vigilants de l'escorte, elle continue de tenir loin d'elle son autre main, qui tient l'arc.

Elle roule des yeux à l'argumentaire du petit noble. Il ne comprend décidément pas grand-chose, et s'il croit que son petit sourire supérieur et méprisant a échappé à l'attention, il se trompe lourdement. Luevan est un peu déçue : il avait l'air intelligent. Luna a pourtant appelé Maytook son frère, et il a relevé l'expression, mais il n'en tire pas les conséquences. Il continue à juger la plus jeune d'entre elles assez stupide pour les attaquer toute seule avec son direwolf. Haussant les épaules, Luevan renonce à lui mettre les points sur les i. Elles ne sont pas là pour instruire les noblaillons du camp d'en face... surtout ceux qui estiment que défendre la vie d'une amie et défendre sa propre vie sont deux choses différentes et de légitimité inégale.

Continuant d'écouter, elle reporte son attention sur le chariot de vivres, qu'elle avait à peine remarqué jusqu'à présent, et uniquement comme une cause probable de l'attaque de Maytook. Alors c'est pour ça qu'elle va mourir ?

Ah... Non... Peut-être pas. Il ordonne à ses larbins de desserrer l'étau ! Luevan presse frénétiquement la main de Luna pour tenter de lui faire comprendre que c'est le moment de s'enfuir à toutes jambes, sans attendre la fin du discours. Mais comme son amie ne bouge pas, elle n'en fait rien non plus. Malgré les protestations de son cabot en chef, le petit noble a l'air sûr de son fait.

"J'aimerais vous demander de jurer sur les Anciens Dieux que vous ne nous suivrez pas. Si vous le faites, je serais vraiment obligé de vous faire prisonnière, ou de vous tuer. Et j'en serais navré."

Il faut un intense effort à Luevan pour continuer d'afficher une mine impassible, et non l'air chafouin que ses pensées ont failli faire naître. De la nourriture, et peut-être des armes. Pour un nid de Corbeaux en plein cœur du territoire libre... Les coins de ses lèvres frémissent malgré elle. Les suivre, pour quoi faire ? Il ne neige pas et leurs traces seront encore faciles à pister dans plusieurs jours. Aller chercher du renfort et raser le nid ? Oui, trois fois oui.

Elle désigne une direction de la pointe de son arc, aussi désinvolte que possible.

« Il y a un arbre-cœur pas très loin de ce côté. Si nous jurons sous l'arbre, vous pouvez vous fier à notre parole. Nous ne vous suivrons pas. »

Durant un instant, qui lui avait parut étrangement bref, Ades Overton resta complètement figé sur place. Et bizarrement, la température sembla perdre quelques degrès pendant cet intervalle. L'immense Vasgard était en train de rengainer son épée et suspendit son geste, l'acier à demi dissimulé dans le fourreau, jetant un regard presque effrayé à son maître. La tension monta d'un cran chez les soldats. Enfin, Le jeune homme leva la main pour essuyer le crachat, et il constata que l'instant avait duré beaucoup trop longtemps. L'effrontée s'était éloignée et elle tenait maintenant un Direwolf contre elle ; Rick avait déjà dégainé, mais Ades le retient d'une main. Son regard vairon se tourna vers le maître d'arme, c'était celui qui était le plus avancé, le mieux placé pour agir. Son regard était éloquent, sans le quitter des yeux, il parla, mais en langue commune cette fois-ci.

"Non, je crois que vous n'avez pas bien compris. Vasgard !"

Aussitôt l'ordre entendu, le guerrier s'avança à pas rapide, l'acier poussant un cri aigu en sortant de son fourreau. Ce n'était cependant pas son épée bâtarde que l'homme brandissait, mais un long poignard à la lame courbe. En quelques pas, il rejoint la sauvageonne la plus proche, Luevan, et l'attira contre lui d'une main, lui bloquant les deux bras contre son torse alors qu'il posait sa lame contre sa gorge, fermement. La seconde d'après, les quatre autres hommes dégainèrent à leur tour, deux d'entre eux tendant de nouveau leur arc, tous visaient Luna, mais cette fois encore, le jeune homme les arrêta. Non qu'ils aient toujours envie de garder la femme en vie ; un seigneur ne pouvait accepter ce genre d'affront devant ses hommes. Cependant, elle avait un loup avec elle, pire ; un Direwolf. Affronter une de ses bestioles signerait sans doute la mort d'au moins un homme, ou seulement des blessures s'ils étaient chanceux. Et Ades n'était pas homme à gaspiller des vies pour une chasseresse imbécile. Pour s'adresser à Luna, il employa de nouveau la vieille langue.

"Partez maintenant, tant que vous le pouvez, emmenez votre loup. Si vous faites le moindre geste, Vasgard l'égorge."

L'immense garde du corps fixa son regard vers Luna, il avait les yeux vert, mais d'un vert si sombre qu'il semblait presque noir. Manifestement, il n'hésiterait pas un seul instant. Deux hommes vinrent se poster près d'Ades, au cas où leur adversaire tenterait de faire une bêtise. La voix du jeune homme reprit à nouveau, plus froide que jamais malgré l'accent guttural que lui donnait l'emploi de la vieille langue.

"Nous reprendrons notre route, si nous croisons un seul sauvageon, si nous entendons un seul bruit suspect ou quoi que ce soit de ce genre, je lui ferais d'abord couper une main pour que tu puisses l'entendre, puis je la ferais tuer. Bien compris ?"

Tranquillement posé derrière ses hommes, Ades jetait un regard glacé à la jeune feme, s'appuyant à peine sur sa canne. Il ne regarda pas un instant le loup, semblant ne même pas s'en soucier, mais il ne fallait pas s'y fier ; c'était bien de cette créature dont il se méfiait le plus.

Tournée dans la direction du couvert, Luevan n'a pas vu son amie cracher sur le petit noble. Non pas qu'elle aurait pu y faire grand-chose, à part se récrier d'horreur... Elle connaît l'impulsivité de Luna ; malgré tout, elle se débrouille toujours pour être complètement prise au dépourvu à chaque fois que la louve suit son instinct. C'est encore le cas aujourd'hui...

Avec un sourire, elle tend la main vers Maytook qui semble la reconnaître. La familiarité du direwolf avec les deux femmes devrait un peu rassurer la bande d'Agenouillés, non ?

« Allons-y, le soleil va bientôt se coucher.
- Non, je crois que vous n'avez pas bien compris. Vasgard ! »

Luevan est cueillie par surprise ; avant qu'elle ait le temps de noter que le grand garde du corps s'est mis en mouvement, elle a déjà son poignard sous la glotte et les bras immobilisés par l'étau musculeux. Seule une inspiration brusque lui échappe ; son premier réflexe – porter la main à une des dagues à sa ceinture – est fort heureusement entravé par la prise de Vasgard. Son second réflexe est de s'immobiliser complètement pour ne donner aucune raison à son agresseur d'enfoncer sa lame dans la chair tendre de son cou. Seuls ses yeux virevoltent, tâchant de donner un sens à la nouvelle situation. Dans la langue du Sud, elle balbutie :

« Hé, Vasgard. Je comprends tu aimes beaucoup frotter contre moi, mais demander avant, c'est plus romantique... »

« Partez maintenant, tant que vous le pouvez, emmenez votre loup. Si vous faites le moindre geste, Vasgard l'égorge. »

Luevan avale douloureusement sa salive et fait remarquer, dans sa langue, cette fois :

« Il faudrait savoir. Elle part, ou elle ne fait pas un seul geste ? Je ne voudrais pas être égorgée uniquement parce que messire s'est mal exprimé, voyez. »

« Nous reprendrons notre route, si nous croisons un seul sauvageon, si nous entendons un seul bruit suspect ou quoi que ce soit de ce genre, je lui ferai d'abord couper une main pour que tu puisses l'entendre, puis je la ferai tuer. Bien compris ? »

Bon sang, mais qu'est-ce qui a bien pu se passer pour retourner le noblaillon à ce point-là ? L'arrivée de Maytook ? Luevan cherche le regard de son amie et ferme un instant les paupières, l'incitant au calme.

« Vas-y. Ça ira pour moi. »

Elle n'en a aucune certitude... mais si l'une des deux peut s'en tirer, alors il n'y a aucune raison d'hésiter.

Ades n'avait pas bougé d'un poil, écoutant d'une oreille distraite les deux femmes. A vrai dire, au point où il en était rendu, elles pouvaient bien dire ce qu'elles voulaient, ça n'ébranlerait pas sa détermination, et il savait ses hommes dévoués. La plupart auraient sans doute tués les deux sauvageonnes à l'instant où elles s'étaient présentés alors aucun ne voyaient un inconvénient à ce qu'il était en train de se passer. Le jeune homme remarqua ainsi que Luevan, celle qu'il avait fait capturée par Vasgard, était capable d'un certain humour même dans cette situation, à moins qu'elle ne parle au premier degrés mais il en doutait un peu. Dans tous les cas, il ne prit même pas la peine de répondre.

De même, quand l'autre sauvageonne se rapprocha de lui pour mettre en doute son honneur, le jeune homme se contenta de la fixer de son regard froid, empêchant ses hommes d'intervenir d'un geste de la main. Se rendait-elle compte qu'elle se mettait ainsi en danger, de même que son amie, apparemment pas, Ades supposa que c'était ainsi que vivait le fameux Peuple Libre. Celle-ci était prompte à insulter, cracher et crier, mais beaucoup moins rapide quand il s'agissait de réfléchir. Elle n'avait pas essayé un instant de discuter, négocier, ni même de parler, comment voulait-elle arranger les choses ? Elle lui avait craché dessus, que s'attendait-elle donc à recevoir en retour ? Des fleurs et un bisou sur la joue ?

Mets en doute mon honneur tant que tu veux, petite idiote, je n'ai pas de leçon à recevoir d'une sauvageonne. Bien sûr qu'il se cachait derrière ses hommes, idiot aurait été celui qui les aurait affronté seul, perché sur sa canne et se battant avec ses petits poings. De toute façon, Ades était incapable de manier correctement l'épée autrement qu'à cheval, ses jambes le déséquilibrait trop. Donc oui, il jouait quand il était certain de gagner, c'était la vie. Peut-être pas de ce côté du Mur, mais Overton ne venait pas de ce côté là, et ici, il n'y avait pas de règles pour l'obliger à faire comme eux le voulait. L'inconvénient d'être « Libre », probablement.

Enfin, il la regarda partir sans même répondre, se contentant de se pencher pour récupérer la hache, la tendant à l'un de ses hommes.

« Gardes-ça, Tom. Les Frères Noirs ont toujours besoin d'arme, et au pire, nous la garderons, pour lui rendre quand elle reviendra. »

Il eut un petit rire qui fit sourire le jeune soldat, qui s'empressa d'accrocher l'arme à sa ceinture. L'héritier Overton clopina tranquillement jusqu'à son cheval qu'il enfourcha avec la force de l'habitude, remettant sa canne dans un étui apparemment préparé à cet effet.

« Ligotez-la et installez-la dans la carriole. Dépêchons nous, comme elle l'a dit, le soleil va se coucher. »

Ce fut le grand Vasgard qui conduisit la jeune sauvageonne jusqu'au convoi pour l'installer, presque confortablement, pendant qu'il lui liait les mains dans le dos, puis les pieds. Un soldat vient s'installer à côté d'elle pour la surveiller, tandis que le maître d'arme montait lui aussi sur son destrier. Ils reprirent la route dans un silence tranquillisé, mais Vasgard se porta tout de même à la hauteur de l'héritier Overton, murmurant pour ne pas être entendu des hommes.

« Vous auriez dû les tuer tout de suite. Que va-t-on faire de celle-là ? »

Ades poussa un soupir, sans oser contredire le maître d'arme. Sans doute avait-il raison après tout, le problème se serait réglé beaucoup plus rapidement ainsi, mais il n'aimait pas cela. Il se contenta de jeter un bref coup d’œil en arrière.

« Peut-être oui, en attendant ; on la ramène à Fort-de-Glace. »

« Tu le ferais ? »

Luevan peut sentir ses joues chauffer, mais répond un ferme « Oui. » Elle épiloguerait volontiers. Par exemple : « Oui, si c'était la seule manière de sauver les miches d'une amie » ou « Oui, parce que je sais que tu n'abandonneras pas avant de m'avoir retrouvée ». Mais les relations entre Luna et Luevan se passent généralement de ce genre de verbalisations superflues. Par ailleurs, les hommes du Sud sont suffisamment nerveux pour qu'un long échange en ancienne langue suffise à leur faire oublier les ordres du boiteux. Et Luevan tient beaucoup à l'intégrité de ses artères ; or, sa carotide se trouve justement tout près d'une lame affûtée.

Toujours fermement immobilisée par le demi-géant, elle suit d'un œil presque détaché la confrontation entre Luna et le petit noble. Seule l'offrande de la hachette lui fait écarquiller les yeux.

« Bon sang, Luna... »

Vasgard resserre sa prise sur elle à tel point qu'elle ne peut poursuivre. Trop tard, d'ailleurs, puisqu'elle a fini par dévoiler le nom de son amie. Non que le renseignement soit confidentiel... Mais à un nom s'attache toute une série de considérations, identité, confiance, amitié même. Le rouge aux joues de Luevan s'accentue, et elle se tient coite.

« Je reviendrai…Fais attention à toi… »

Elle répond au regard d'avertissement de son amie par un hochement de tête, aussi rassurant qu'on peut l'être dans une situation pareille. Cependant, de ses lèvres s'échappe comme une plainte de chaton perdu :

« Kiel... »

Comprenne qui pourra. Luna, sans doute. En tout cas, son amie disparaît entre les arbres avec son loup, sans un regard en arrière. Luevan, cependant, a acquis assez d'instinct à son contact pour lire dans ses épaules nouées à quel point s'éloigner lui est difficile.

La sauvageonne se montre docile lorsque l'immense garde du corps lui lie les mains puis les pieds, la débarrasse de tous ses poignards et l'installe comme une petite poupée au milieu des sacs de grain. Elle reste sonnée par le don de Luna : une de ses hachettes de bon acier, alors que le métal est si rare de ce côté du Mur. Une de ses précieuses hachettes pour... que le petit noble lui coupe une main en personne. Belle démonstration de panache. Il paraît que le seigneur du soi-disant Nord, le Stark, professe ce genre de chose : qu'on ne doit pas prononcer une sentence à moins d'être en mesure de l'exécuter soi-même. Luevan sent qu'elle pourrait presque respecter cet homme.

Le chariot s'ébranle, sans bruit dans l'épaisse couche de neige. La sauvageonne garde les yeux fixés sur les arbres qui défilent, apparemment résignée. Bien sûr qu'elle tente d'assouplir ses liens par de constants mouvements des poignets. Est-ce que ce n'est pas de bonne guerre ?

Elle ne sort de son apparente hébétude que pour demander au milicien qui partage la charrette avec elle, sur un ton poli :

« S'il vous plaît, vous pas laisse arc à moi par terre. C'est bon arc. »

Le garde du corps semble accessible à ce genre de raisonnement, et va ramasser l'arme, effectivement précieuse. Taillé par un expert dans la chair d'un barral, l'arc est souple, solide et précis, même pour les critères du Sud. L'instrument se retrouve douillettement arrimé au chariot, à quelques pieds de sa propriétaire, qui le couve des yeux un long moment avant de s'intéresser, faute de mieux, à ses compagnons de route.

Silence. On entend à peine le craquement de la neige sous les sabots des chevaux. Le voyage promet d'être long... Luevan pose sa nuque sur les ridelles du chariot et fixe son regard gris sur le ciel gris.